60 000 personnes présumées mortes: les habitants de Mayotte, touchée par le cyclone, huent Macron

Le président Emmanuel Macron est arrivé jeudi dans l'archipel français de Mayotte, dans l'océan Indien, après que le cyclone Chido l'a dévasté le week-end dernier. Dès le début de sa visite, le banquier-président a été confronté à des foules en colère qui l'ont hué alors qu'il leur faisait la leçon avec arrogance en leur disant qu'ils devaient être fiers d'être français et en appelant à sévir contre les immigrés comoriens.

Cette photo non datée fournie mardi 17 décembre 2024 par le ministère français de l'Intérieur montre une partie dévastée du territoire français de Mayotte dans l'océan Indien, après que l'île a été frappée par son pire cyclone depuis près d'un siècle. [AP Photo/(Ministere de l'Interieur/ Securite Civile via AP)]

À l'arrivée de Macron, Réunion1, une chaîne de télévision publique de l'île de la Réunion, a rapporté que les secouristes et les travailleurs de la santé de Mayotte pensaient que le cyclone pourrait avoir tué 60 000 personnes, soit près d'un cinquième de la population recensée. Le ministre de l'Intérieur monarchiste français, Bruno Retailleau, a qualifié cette information de « rumeur », Réunion1 l'ayant retirée de son site Internet. Contacté par Libération, le journaliste de Réunion1, Raphaël Kahn, a défendu l'information, désormais supprimée, en assurant qu'il s'agissait bien des propos tenus par les secouristes de Mayotte.

Les vents de 220 km/h du cyclone ont détruit les maisons en tôle dans lesquelles vit une grande partie de la population de Mayotte, anéantissant les bidonvilles à flanc de colline dans la capitale, Mamoudzou. Le gouvernement français dissimule l'ampleur du désastre causé par ses décennies de négligence à l'égard des infrastructures de Mayotte, affirmant qu'il a confirmé 35 morts et 2 500 blessés. Le ministère de l'intérieur a cependant admis que sa propre estimation « ne correspond pas à la réalité : 100 000 personnes vivent dans des logements précaires ».

Une autre raison pour laquelle les bilans sont largement sous-estimés est que les communications entre la Petite-Terre, sur laquelle se trouve l'aéroport de Mayotte, et le reste de Mayotte, en particulier la Grande-Terre où vit l'essentiel de la population, sont très limitées. Plusieurs barges qui servaient de ferry entre les différentes îles de Mayotte ont été coulées dans la tempête. La nourriture et l'eau commencent seulement à arriver par avion sur la Petite île.

Les conduites d’eau notoirement instables de Mayotte se sont effondrées, et les habitants du bidonville de Kawni, à Mamoudzou, ont expliqué à Europe 1 qu'ils buvaient de l'eau sale ou qu'ils ne buvaient rien du tout. Amina, qui a bu l'eau d'un ruisseau qui s'est formé après la pluie, a déclaré : « Nous n'avons pas le choix, nous buvons cette eau même si elle est boueuse. Nous faisons de notre mieux pour la filtrer, mais de toute façon, si nous ne le faisons pas, nous mourrons ».

Ibrahim a dit qu'il irait à une source plus bas sur la colline où se trouve Kawni : « Il y a une source là-bas, mais même cette eau n'est pas très propre. Je vais quand même la boire, il le faut bien pour l'instant. Pour l'instant, je ne suis pas malade, mais je ne sais pas ce qui se passera plus tard. »

Les habitants de Mayotte ont hué et critiqué publiquement Macron à chaque étape de sa brève tournée de deux jours dans l'archipel, qui a révélé l'incompétence de son gouvernement et son mépris flagrant pour la population.

Alors que Macron visitait l'hôpital de Mayotte, gravement endommagé par le cyclone, un homme lui a crié depuis le balcon : « Monsieur, je vous ai écouté, les réponses que vous avez données ne sont pas pertinentes », a-t-il dit. « Vous dites que les secours sont arrivés et que l'eau est arrivée. Je suis venu vous dire que ce que vous dites à la radio ne correspond pas à la réalité que nous vivons sur le terrain ».

L'homme a également pointé du doigt la responsabilité du gouvernement Macron et de ses prédécesseurs dans cette catastrophe prévisible : « Pour les bidonvilles, tout le monde savait que ça allait être un désastre. … Monsieur, vos administrations s'effondrent ».

Plus tard, alors que Macron était hué par une foule jeudi soir qui scandait « Macron démission ! », « tu racontes des salades» et « De l'eau, de l'eau, de l'eau », il a crié avec arrogance : «Ne divisez pas les gens ! Si vous divisez les gens on est foutu, parce que vous êtes contents d’être en France. Parce que si c’était pas la France vous seriez 10 000 fois plus dans la merde !»

Lorsqu'il a poursuivi : « N'allez pas dire que certaines personnes sont d'un côté, et d'autres de l'autre », la foule a répondu en scandant : « Oui, oui, oui, ils le sont. »

À un moment donné, Macron en a été réduit à déclarer : « C’est pas moi le cyclone ! Je ne suis pas responsable ! ».

En effet, Macron et ses prédécesseurs de toutes les couleurs politiques sont responsables de la grande majorité des morts et des souffrances à Mayotte. Les autorités françaises savaient pertinemment que Mayotte, dévastée par des tempêtes en 1898, alors qu'elle était encore une colonie française, était vulnérable aux cyclones. Même si les dangers des habitations en tôle et l'état catastrophique des équipements publics étaient connus, les autorités n'ont rien fait pour éviter cette catastrophe prévisible.

La tentative de Macron de privatiser la construction des infrastructures publiques, en confiant les contrats de construction des conduites d'eau à la société privée Vinci, s'est transformée en un gâchis d'entreprise. Les enquêteurs de l'UE ont découvert que plus de 600 millions d'euros de fonds publics avaient été détournés. Cela souligne à quel point l'incapacité à construire les services publics nécessaires et les logements en béton capables de résister à de graves tempêtes est enracinée dans les politiques de droite et pro-entreprises de Macron.

Vendredi, Macron a tenté de masquer ce bilan en incitant à la xénophobie anti-immigrés. Il a dénoncé les immigrés dans une interview annonçant une minute de silence en France le 23 décembre pour les victimes du cyclone Chido. Alors que de nombreuses victimes du cyclone étaient des travailleurs immigrés comoriens sans papiers qui ne se sont pas rendus dans les centres d'hébergement afin d'éviter d'être capturés par la police, Macron a promis de poursuivre la répression contre les immigrés comoriens à Mayotte.

S'engageant à doubler les 22 000 reconduites à la frontière de en 2023, il a appelé « à lutter contre l'immigration clandestine, et c'est nécessaire car nous savons tous que Mayotte est une région confrontée à une situation inédite qui nous impose d'être beaucoup plus efficaces dans les reconduites à la frontière des sans-papiers. Je le dis en toute sincérité, sinon nous ne pourrons jamais reconstruire Mayotte ».

Macron a également défendu son affirmation selon laquelle Mayotte aurait « 10 000 fois » plus de problèmes sans la France. Il a affirmé qu'il s'agissait d'une réponse nécessaire aux membres du Rassemblement national (RN) d'extrême droite qui « insultaient la France en même temps, qui disaient qu’on ne fait rien », ce à quoi il a dû répondre : « Et donc j'ai dit la vérité ».

En réalité, la sortie nauséabonde de Macron démontre une fois de plus le caractère sclérosé du régime capitaliste français et son mépris pour le bien-être des travailleurs. L'augmentation annuelle de la fortune personnelle de Bernard Arnault, l'individu le plus riche de France, est des dizaines ou des centaines de fois supérieure à ce qui serait nécessaire pour moderniser les infrastructures d'eau, de transport et d'électricité de Mayotte. Pourtant, Macron a ignoré les besoins sociaux fondamentaux de la population de Mayotte tout au long de sa présidence, préférant accorder des réductions d'impôts massives aux plus riches.

La catastrophe de Mayotte a suscité des critiques non seulement de la part du parti d'extrême droite RN, mais aussi des différents partis de la classe moyenne qui composent le Nouveau Front Populaire (NFP) dirigé par Jean-Luc Mélenchon. Sandrine Rousseau, du parti écologiste, s'est plainte de Macron : « Je l'ai vu en manches de chemise demander aux gens s'ils étaient fiers d'être français. (...) Ce n'est pas à la hauteur ».

Au milieu des spéculations croissantes selon lesquelles les soutiens financiers et politiques de Macron au sein de la bourgeoisie pourraient le forcer à démissionner et à organiser des élections présidentielles anticipées, avec la dirigeante du RN, Marine Le Pen, comme candidate favorite, le membre dirigeant de la France insoumise (LFI), Eric Coquerel, a déclaré : « [Les propos de Macron] n'appellent pas vraiment de commentaires supplémentaires. Message à celles et ceux qui estiment qu'il ne doit surtout pas partir : qui imagine cela encore possible 30 mois », c'est-à-dire jusqu'à la fin du mandat présidentiel en 2027?

En fait, le désastre de Mayotte trouve son origine dans la banqueroute non seulement de Macron, mais aussi de l'ensemble de l'ordre social capitaliste. Cela inclut les partis du NFP qui, l'année dernière, ont soutenu Macron en mettant fin aux manifestations et aux grèves contre ses coupes sombres et impopulaires dans les retraites. Ils ont refusé de faire campagne en faveur de la demande populaire d'une grève générale pour mettre fin aux réductions des retraites de Macron. En coupant court à la construction d'un mouvement dans la classe ouvrière pour faire chuter Macron, ils ont soutenu le régime dont la négligence maligne à l'égard de la population de Mayotte a créé les conditions de cette tragédie.

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