Le député de Québec solidaire (QS), Haroun Bouazzi, a été la cible d’une campagne concertée de dénonciations par la classe politique et les grands médias du Québec pour avoir osé pointer du doigt leur appui indéfectible au génocide israélien à Gaza.
Début novembre, Bouazzi a été invité à s’adresser aux invités d’un gala organisé par la Fondation Club Avenir, un OSBL (Organisme sans but lucratif) œuvrant à l’intégration des communautés maghrébines au Québec.
Dans son discours, le député de QS a vaguement fait allusion au chauvinisme anti-immigrants de l’élite dirigeante en déclarant qu’il voyait «à l’Assemblée nationale tous les jours la construction de cet autre qui est maghrébin, qui est musulman, qui est noir, qui est autochtone, et de sa culture qui, par définition, serait dangereuse ou inférieure».
Il a ensuite tenté de tracer un lien avec le génocide mené à Gaza par l’État israélien avec le plein appui de Washington et Ottawa en disant: «Plus on humanise l’autre (…) plus nous allons dénormaliser la complicité qu’il y a dans notre société et malheureusement à l’Assemblée nationale quand il est question de déshumaniser nos frères et sœurs en Palestine».
Bouazzi s’était déjà attiré l’ire de l’establishment politique pour avoir critiqué la diabolisation des immigrants et mentionné que la Caisse de dépôt et placement du Québec, un instrument financier vital de l’élite dirigeante, «investit dans des compagnies complices de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité en Palestine».
Ses dernières remarques critiques de novembre dernier ont fourni à la Coalition Avenir Québec (CAQ), au Parti québécois (PQ) et aux journalistes ultra-nationalistes du Journal de Montréal, le prétexte attendu depuis longtemps pour régler leurs comptes avec Bouazzi et le faire taire.
Le chef du PQ Paul St-Pierre Plamondon a accusé Bouazzi de «salissage», «politique négative» et «populisme basé sur du mensonge». Le commentateur d’extrême-droite du JdM, Mathieu Bock-Côté, a qualifié Bouazzi d’«islamogauchiste» qui a une «haine des Québécois».
Le plus frappant dans cette controverse montée de toutes pièces n’est pas tant la nature virulente de la campagne contre Bouazzi – qui s’inscrit dans le tournant xénophobe de toute la politique officielle québécoise depuis plus d’une décennie – que la participation de Québec solidaire à la flagellation politique de son propre député.
Les dirigeants de QS, le porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois et la co-porte-parole nouvellement élue Ruba Ghazal, se sont distanciés des propos «polarisants» et «franchement maladroits et exagérés» de leur député. Dans une motion adoptée lors de leur congrès de mi-novembre dernier, QS a réitéré que le parti «ne soutient pas et n’a jamais soutenu que l’Assemblée nationale et ses membres sont racistes».
De la manière typique d’une organisation des classes moyennes qui cherche à camoufler sa capitulation devant les forces les plus réactionnaires, la motion de QS «condamne fermement les menaces, la violence et la campagne de diffamation dirigée contre le député Haroun Bouazzi et lui offre son soutien face à ces circonstances».
Mais il s’agit là de paroles en l’air et d’un «soutien» apparent, beaucoup plus empreint de lâcheté que de fermeté. En réalité, la direction de QS avait flirté avec l’idée de suspendre Bouazzi du caucus du parti, mais a finalement exigé qu’il se rétracte publiquement. Bouazzi s’y est soumis et a déclaré à plusieurs reprises que l’Assemblée nationale et ses élus «ne sont pas racistes», allant jusqu’à souligner l’«estime» qu’il a envers les politiciens de droite qu’il avait précédemment éclaboussés.
À l’Assemblée nationale, deux motions dénonçant les propos de Bouazzi – l’une du PQ et l’autre du Parti libéral – ont été adoptées à l’unanimité. La motion libérale demandait que l'Assemblée «se dissocie de toute déclaration laissant entendre que les élus sont racistes», alors que le texte péquiste l'enjoignait à «dénoncer fortement» ce genre de propos. Ces motions ont reçu le plein appui des députés de QS, y compris de Bouazzi lui-même!
La conduite de QS dans toute cette affaire démontre encore une fois comment ce parti se tourne à droite pour embrasser le chauvinisme et le nationalisme du PQ et de la CAQ basé sur l’exclusivisme ethnique. Ce n’est pas surprenant, car fois après fois au cours des dernières années, QS est intervenu publiquement pour blanchir ces deux partis et déclarer qu’ils ne sont «pas racistes» même s’ils adoptent une politique raciste et anti-immigrants après l’autre.
Depuis la controverse sur les «accommodements raisonnables» en 2007 et la «Charte des valeurs» du PQ en 2013, qui a inspiré la loi 21 de la CAQ, Québec solidaire a toujours tenté de donner un vernis «progressiste» aux politiques discriminatoires et anti-immigrants prônées par l’élite dirigeante sous prétexte de garantir la «laïcité» de l’État. Cela a pour effet de légitimer le tournant de la classe dirigeante vers des formes antidémocratiques de pouvoir, en plus de normaliser la xénophobie.
QS nie systématiquement l’ampleur des attaques qui prennent place contre les droits des immigrants sous prétexte que ce qu’on voit au Québec ne reflète pas les mêmes tendances fascistes qu’on voit aux États-Unis avec le président élu Donald Trump ou en Europe, où l’extrême-droite dicte de plus en plus les politiques sur l’immigration.
QS couvre ainsi l’establishment dans son ensemble, mais il fournit surtout une couverture «de gauche» aux tendances ultra-réactionnaires qui se développent parmi ses alliés au sein du mouvement souverainiste, principalement le PQ avec qui il entretient d’étroits liens par son appui au projet rétrograde d’indépendance du Québec.
Bouazzi défend la conception erronée du «racisme systémique»
Il y a un élément de vérité dans les critiques de Bouazzi pointant du doigt la complicité de l’élite dirigeante québécoise et canadienne dans le génocide israélien à Gaza. Mais, contrairement à ce que prétend le député de QS, cette complicité n’est pas le produit du «racisme systémique».
Le régime sioniste israélien ne pourrait mener sa politique génocidaire sans le soutien financier et militaire actif de Washington et de ses alliés impérialistes comme le Canada. L’État d’Israël a lui-même été créé par les États-Unis et la Grande-Bretagne au sortir de la Deuxième Guerre mondiale précisément pour servir de chien d’attaque de l’impérialisme au Moyen-Orient.
Si l’État canadien, avec le plein appui de l’élite politique québécoise (autant son aile fédéraliste que souverainiste), soutient, finance et arme Israël, c’est pour faire valoir les intérêts prédateurs de l’impérialisme canadien dans la région en tant que partenaire junior de Washington.
Le racisme n’est pas la cause du génocide en cours à Gaza. Tout comme il a été historiquement utilisé pour défendre le colonialisme et l’impérialisme, il sert aujourd’hui à justifier la campagne impitoyable menée par les grandes puissances pour établir leur domination sur une région riche en ressources pétrolières.
Autrement dit, l’agitation contre les immigrants – et contre les musulmans en particulier – sert de couverture idéologique aux guerres d’agression au Moyen-Orient dans un effort pour créer une base d’appui dans la population.
Plus largement, l’élite dirigeante met de l’avant des politiques xénophobes pour diviser la classe ouvrière selon des lignes ethniques et empêcher son unité contre le capitalisme et l’impérialisme qui sont la véritable source des guerres et du génocide. En blâmant les immigrants pour tous les problèmes sociaux causés par le capitalisme, la classe dirigeante tente aussi de détourner l’attention de sa propre responsabilité.
La théorie du «racisme systémique», élaborée par les défenseurs petits-bourgeois des politiques identitaires, déforme la réalité et obscurcit les véritables enjeux de classe qui se cachent derrière la complicité de l’establishment québécois. Selon cette «théorie», le racisme véhiculé par la classe politique imprègnerait la société québécoise dans son ensemble et, conséquemment, toute la société serait coupable de complicité.
Sans minimiser l’impact de la campagne anti-immigrants, le dégoût populaire envers le génocide à Gaza démontre que, contrairement à ce qu’avance Bouazzi, les efforts de la classe dirigeante font face à une réelle opposition parmi les travailleurs et les jeunes.
De la perspective superficielle du «racisme systémique» découle aussi la proposition futile de Bouazzi de mettre fin à cette complicité par des appels moraux à la classe dirigeante pour qu’elle fasse preuve de plus d’«humanité» envers les minorités.
En réalité, ce qui est nécessaire c’est la mobilisation politique de la classe ouvrière internationale contre tout le système de profit capitaliste qui est à l’origine de la guerre. Mais une telle orientation politique, basée sur la seule force sociale capable de mettre fin au génocide et à la guerre impérialistes, est complètement rejetée par Québec solidaire.
Malgré ses prétentions «progressistes», QS est une organisation des classes moyennes aisées qui – à l’instar de ses «cousins» SUMAR en Espagne ou SYRIZA en Grèce – est ancrée dans une hostilité profonde au marxisme et à l’émancipation économique et politique de la classe ouvrière.
Même s’il peut déplorer de temps à autre les agissements de Netanyahou et l’ouverture d’un bureau du Québec à Israël par exemple, QS ne dit rien sur le réarmement massif du Canada, qu’il présente comme une «force de paix» dans le monde. Critiquant Israël d’un côté de la bouche, de l’autre il soutient l’appui militaire du Canada à l’Ukraine dans la guerre par procuration menée par Washington et l’OTAN contre la Russie.
Les travailleurs et les jeunes qui cherchent une alternative au système capitaliste en faillite doivent rejeter la politique nationaliste, pro-capitaliste et pro-impérialiste de QS. Pour contrer les inégalités sociales, les guerres, le génocide et la descente vers la barbarie, la tâche de l’heure est de bâtir un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière, animé par une perspective trotskyste, c’est-à-dire internationaliste et socialiste.