Le gouvernement Barnier au bord de l'effondrement après le vote du budget 2025

Le gouvernement du Premier ministre Michel Barnier, installé après les élections de juillet 2024, ne tient qu'à un fil au milieu de conflits croissants dans l'élite dirigeante au sujet de son budget d'austérité pour 2025. Mardi soir, Barnier est passé au journal télévisé de TF1 et a menacé de faire passer le budget au Parlement sans vote, en utilisant l'article 49.3 de la Constitution. Il a averti qu'il y aurait «des turbulences sur les marchés financiers» si l'Assemblée nationale réagissait en censurant et en renversant son gouvernement.

Le nouveau Premier ministre français Michel Barnier lors de la cérémonie de passation de pouvoir, jeudi 5 septembre 2024 à Paris.  [AP Photo/Stephane de Sakutin]

La coalition du Nouveau Front populaire (NFP) de Jean-Luc Mélenchon et le Rassemblement national (RN) d'extrême droite de Marine Le Pen ont tous deux menacé de censurer le gouvernement sur le budget, qui impose 40 milliards d'euros de coupes sociales. L'État français est déjà techniquement en violation de la loi: il doit approuver un budget chaque année avant le 1er octobre, ce qu'il n'a pas fait. Mais si le NFP et le RN votaient tous deux la censure du gouvernement, cela pourrait conduire à une situation sans précédent où la France n'aurait pas de budget au début de l'année 2025.

Le budget 2025 de la Sécurité sociale doit être présenté le 2 décembre, celui de fin d'année 2024 le 4 décembre, et le budget 2025 complet le 18 décembre. Dans chaque cas, des votes de censure contre le gouvernement Barnier pourraient avoir lieu à l'Assemblée nationale deux jours plus tard.

La chute du gouvernement Barnier n'arrêterait pas à elle seule la spirale descendante de l'austérité et de la guerre du capitalisme français et européen. Les partis parlementaires français ne cherchent pas à exprimer le mécontentement populaire de masse à l'égard de l'ordre établi. Au contraire, les coupes de Barnier ne sont plus assez profondes pour satisfaire la bourgeoisie. Un débat acerbe a lieu au sein de la classe dirigeante sur la façon de recalibrer ses politiques alors qu'elle se prépare, plus tôt que tard, à des conflits explosifs avec la classe ouvrière.

Après la victoire de Trump aux élections présidentielles américaines, l'impérialisme français est en guerre avec la Russie et avec la classe ouvrière dans le pays. L'équipe de Trump menace de réduire de manière stupéfiante les dépenses gouvernementales américaines de 2 000 milliards de dollars et d'annuler l'aide militaire américaine à l'Ukraine pour la guerre contre la Russie. Les principaux diplomates français ont appelé à bombarder la Russie avec des missiles SCALP français et à envoyer des troupes terrestres françaises en Ukraine pour y combattre l'armée russe.

Armer l'armée française pour une guerre totale avec la Russie, et maintenir le capitalisme français économiquement compétitif face à l'assaut que Trump prépare contre les travailleurs américains, nécessiterait un pillage massif des ressources financières de la classe ouvrière française et leur transfert vers l'armée et les banques.

Au lieu de cela, les milieux dirigeants sont de plus en plus insatisfaits du budget de Barnier et des projets d'amendements proposés par les ministres du gouvernement et les sous-commissions parlementaires de l'Assemblée. Les membres du NFP de Mélenchon, le ministre de l'Intérieur d'extrême droite Bruno Retailleau et des dirigeants de partis gouvernementaux de droite comme Laurent Wauquiez des Républicains (LR) sont tous intervenus pour éliminer les coupes dans les dépenses et se présenter comme des amis du peuple.

« L’objectif de réduction des déficits pour 2025 paraît de moins en moins ambitieux », a écrit Le Monde la semaine dernière. «A force d’accéder aux demandes des uns et des autres, de lâcher 500 millions d’euros ici, 1 milliard ou 2 milliards là, le gouvernement pourra-t-il tenir son objectif initial, redresser les comptes publics ?… Les marchés, déjà très dubitatifs sur la réalité du plan de rigueur annoncé, risquent à tout moment de sanctionner la France par une forte hausse des taux d’intérêt ».

Charles Sitzenstuhl, député du parti Renaissance de Macron, s'est plaint en disant: «Alors que Michel Barnier affirmait que le redressement passerait surtout par des économies sur les dépenses, et un peu par des impôts, chaque jour qui passe montre l’inverse: on se prépare à un choc fiscal digne d’un gouvernement de gauche.»

Alors que ce mécontentement grandissait au sein de la bourgeoisie, Le Pen a finalement changé de position sur Barnier. Lorsque le gouvernement minoritaire de Barnier a été formé, Le Pen et le RN se sont engagés à soutenir le programme d'austérité du gouvernement, à voter ses mesures au Parlement et à lui fournir une majorité parlementaire fonctionnelle.

Mais le 20 novembre, alors que les membres du NFP, dont Eric Coquerel, allié de Mélenchon, appelaient à censurer le gouvernement Barnier pour le punir de ses politiques d'austérité, Le Pen a fait un virage à 180 degrés et a déclaré qu'elle pourrait soutenir la censure de Barnier. Elle a déclaré à la radio RTL: «Nous n'accepterons pas que le pouvoir d'achat des Français soit encore amputé, (...) c'est une ligne rouge. Et si, effectivement, cette ligne rouge est dépassée, nous voterons la censure».

Hier, Le Pen a publié une tribune dans Le Figaro, défendant les menaces de renverser Barnier et de bloquer le budget. Elle a prétendu, de manière peu crédible, que cela n'aurait pas de conséquences majeures: «Même en cas de censure, l'impôt serait levé, les fonctionnaires payés, les pensions versées, et les soins médicaux remboursés. Il suffirait pour cela au gouvernement censuré de voter, au titre des affaires courantes, une loi spéciale permettant a minima la reconduction du budget 2024 [jusqu'en 2025], dans l'attente d'un nouveau gouvernement et d'une loi de finances formelle ».

La perspective d'un vote de la part de sections importantes du NFP et du RN qui pourrait faire tomber Barnier a intensifié la lutte entre factions de l'establishment politique.

Alors que le leader du NFP, Jean-Luc Mélenchon, fait campagne pour censurer Barnier et prédit que son gouvernement tombera «entre le 18 et le 21 décembre», d'autres responsables du NFP s'y opposent. L'ancien Premier ministre du Parti socialiste (PS) Bernard Cazeneuve a averti que renverser le gouvernement Barnier serait «prendre le risque d'un grand saut dans l'inconnu et dans une crise de régime». Il a appelé «l’ensemble des forces politiques du Front républicain » à être « suffisamment lucides pour se rassembler » afin de soutenir Barnier.

Il est significatif que parmi ceux qui répandent des rumeurs sur la chute du gouvernement se trouve son leader en titre, le président Emmanuel Macron. Lors d'une récente réunion au palais présidentiel de l'Élysée, il a déclaré aux responsables de Renaissance: «Le gouvernement va tomber. Elle [Marine Le Pen] va le censurer à un moment donné et plus tôt qu’on ne le pense». Macron, ont dit ces fonctionnaires au Parisien, pense que «la Présidente des députés RN pourrait mettre sa menace à exécution dès les prochains jours, à l’occasion des votes sur les différents budgets à l’Assemblée nationale.»

Le débat sur le budget français est un carnaval de la réaction politique. Ni les réactionnaires qui soutiennent le budget d'austérité de Barnier, ni les partisans bourgeois de son éviction par le parlement ne représentent les intérêts des travailleurs.

Il y a une opposition écrasante parmi les travailleurs au génocide de Gaza, aux plans de guerre totale avec la Russie et aux politiques d'austérité pour financer une économie de guerre. Pourtant, aucune de ces opinions n'est exprimée dans les politiques des partis parlementaires, y compris ceux que les médias capitalistes qualifient de «gauche». Pour s'assurer la participation du PS au NFP, Mélenchon a dit qu'il avait jeté «à la rivière» ses critiques du génocide de Gaza. Il a également inclus des dispositions réactionnaires dans le programme du NFP, comme l'augmentation du financement de la police anti-émeute et l'envoi de troupes françaises au sol en Ukraine.

Une chose est sûre: Marine Le Pen ne s'est pas retournée contre Barnier sur la base de calculs nationaux sur la façon de défendre le pouvoir d'achat des Français pauvres. La décision de faire tomber un gouvernement est liée à la stratégie impérialiste mondiale. Faire tomber Barnier sans préparer les travailleurs à s'opposer également à Le Pen et à Trump, c'est désarmer la classe ouvrière face à la réaction capitaliste.

Une opposition de masse profondément enracinée à l'impérialisme éclatera, tôt ou tard, des deux côtés de l'Atlantique. Il n'est cependant pas possible de mener ces luttes sur une base nationale, sous le contrôle d'organisations corrompues comme les partis parlementaires français. La lutte pour arrêter l'armement d'Israël pour le génocide à Gaza, pour alerter les travailleurs sur le danger d'une escalade catastrophique dans le conflit OTAN-Russie et pour arrêter cette guerre ; et pour stopper de nouvelles coupes sociales pour financer la guerre nécessite la construction d'un mouvement international et socialiste dans la classe ouvrière.

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