Sinn Fein chute dans les sondages à l'approche des élections législatives irlandaises

Des élections législatives ont lieu en République d'Irlande le 29 novembre. Elles ont été convoquées le 8 novembre par le Taoiseach (Premier ministre) Simon Harris, chef du gouvernement de coalition tripartite composé du Fianna Fáil, du Fine Gael et du Parti vert.

Des élections devaient être convoquées avant mars 2025, mais on s’attendait à une date rapprochée. Harris et les deux principaux partis de la coalition, le Fianna Fáil et le Fine Gael, espèrent profiter d’une conjoncture temporaire qui joue en leur faveur pour renouveler leur coalition avant l’escalade de la guerre contre la Russie et l’investiture de Donald Trump à la présidence des États-Unis.

La coalition a été renforcée par l’effondrement dans les sondages du Sinn Fein. L’ancienne aile politique de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) aujourd’hui dissoute, avait remporté les élections législatives précédentes, en 2020, grâce à un mouvement de gauche des travailleurs et des jeunes contre les inégalités et la pauvreté. Mais malgré sa rhétorique de gauche, le Sinn Fein ne voulait qu’une coalition avec le Fianna Fáil, et reçut une fin de non-recevoir.

Le Premier ministre britannique Keir Starmer (à droite) rencontre le Taoiseach irlandais Simon Harris pour des réunions bilatérales au Farmleigh House de Dublin, en Irlande [Photo by Simon Dawson/No 10 Downing Street / CC BY-NC-ND 2.0]

Après des mois de marchandages, le Fianna Fáil et le Fine Gael, les deux «partis de la guerre civile» convinrent pour la première fois de former un gouvernement commun. Ils sont ainsi appelés en raison de leurs origines dans les camps opposés de la brève mais brutale guerre civile irlandaise au lendemain de l’accord de 1921 avec l’impérialisme britannique, qui a laissé l’île divisée. Avant 2020, l’un ou l’autre de ces partis avait dirigé l’Irlande depuis la fondation de la République, parfois avec le soutien du Parti travailliste ou des Verts.

Contraint de s'opposer à la coalition menée alternativement par Leo Varadkar, aujourd'hui retraité du Fine Gael, et Michel Martin, du Fianna Fáil, le Sinn Fein a vu sa cote dans les sondages grimper en flèche durant la pandémie, la crise de l'inflation et la déstabilisation économique et politique de l'Irlande du Nord après le Brexit. Le Sinn Fein devint également le principal parti dans les six comtés du Nord. La vice-présidente du parti, Michelle O'Neill, fut finalement nommée Première ministre dans une Assemblée d'Irlande du Nord relancée plus tôt cette année. Le parti, qui s’était engagé à tenir un référendum sur l'unité irlandaise, semblait être au seuil du pouvoir à Dublin et à Belfast.

Mais, après un pic de 35 pour cent en moyenne dans les sondages en janvier 2022 et de 32,9 pour cent en janvier 2023, les estimations actuelles de la cote du Sinn Fein se sont effondrées, se situant à 18,8 pour cent, bien derrière le Fianna Fáil (20,4 pour cent) et le Fine Gael (24,2 pour cent), selon le site irlandais pollingindicator.com.

La rhétorique de gauche du Sinn Fein a fondu comme peau de chagrin, le parti ne se distinguant plus du duo au pouvoir qu'il vise à remplacer. La proposition phare du parti pour atténuer la crise du logement prévoit par exemple que les maisons soient disponibles à l'achat pour 250 000 euros ou à la location pour 1 000 euros par mois. Bien qu’inférieures aux moyennes actuelles, ces sommes restent hors de portée d’une grande partie de la population active, pour laquelle le salaire minimum est de 12,70 euros de l'heure.

Le manifeste du Sinn Fein présente une série de promesses réformistes sur la santé et les services sociaux, mais ce n’est là qu’un maquillage provisoire pour des propositions visant à « offrir des certitudes en termes d’impôts et de conditions favorables pour continuer à attirer les investissements étrangers». Conformément à l’orientation de tous les principaux partis, le Sinn Fein vise à garantir un «flux d’investissements directs étrangers (IDE) et de projets américains à fort impact».

La cheffe du Sinn Féin, Mary Lou McDonald, lors du lancement du manifeste du parti, le 19 novembre 2024 [Photo by Sinn Féin/Flickr / CC BY-NC-ND 2.0]

Le Sinn Fein n’a donc pas pu profiter substantiellement de l’opposition massive à la guerre, en particulier au génocide de Gaza, parmi ses propres électeurs et de larges pans de la classe ouvrière et de la jeunesse, malgré des manifestations, rassemblements et protestations larges et fréquents. Les dirigeants du Sinn Fein ont fait des déclarations appelant à un cessez-le-feu, ont dénoncé le gouvernement israélien et ont adopté tardivement des appels à l’expulsion de l’ambassadeur d’Israël de Dublin, mais ont refusé de prendre leurs distances avec le gouvernement américain de Joe Biden. Le manifeste du parti ne mentionne pas une seule fois le rôle de l’impérialisme américain, britannique ou européen à Gaza. Au lieu de quoi il parle d’un «nouveau chapitre réussi dans les relations entre la Grande-Bretagne et l’Irlande». Au bord d’une escalade majeure dans la guerre de l’OTAN contre la Russie, le parti a envoyé Michelle O’Neill à l’hôtel de ville de Belfast pour y déposer une gerbe pour les britanniques morts à la guerre.

Dans son tournant à droite, le Sinn Fein s’est également adapté aux petites mais virulentes manifestations fascisantes anti-immigrés et anti-asile, qui ont ciblé les demandeurs d’asile et l’hébergement misérable offert par le gouvernement irlandais. Le Sinn Fein propose une «planification appropriée du système migratoire» et une nouvelle agence de gestion de l’immigration sous l’égide du ministère de la Justice. Cette nouvelle agence, en fait une sorte d’ICE irlandais (l’agence américaine de l’immigration et des douanes, détestée des Américains), serait responsable de la «planification appropriée du système migratoire», du «traitement» et de «l’exécution des expulsions et […] des enquêtes sur l’immigration clandestine».

L’Irlande, pays d’où tant de personnes ont fui à travers le monde, abrite aujourd’hui des partis d’extrême droite anti-immigration, dont ceux actuellement au pouvoir. Le Sinn Fein, tout en se distanciant des grognements les plus odieux des fascistes brandissant le drapeau tricolore, a utilisé les manifestations anti-immigration pour se présenter comme un parti de gouvernement capitaliste responsable.

La débâcle du Sinn Fein a ouvert un espace à la coalition au pouvoir pour jeter aux électeurs des sommes limitées provenant des recettes exceptionnelles de l'impôt sur les sociétés, espérant un rebond électoral immédiat. Le récent budget du ministre des Finances du Fianna Fáil, Jack Chambers, annonce une hausse de 8,8 milliards de livres [10 milliards d’euros] des dépenses quotidiennes, notamment des aides aux loyers, des seuils d'imposition plus élevés, des augmentations misérables des prestations sociales et des paiements ponctuels, qui par hasard doivent être versés avant les élections. Parmi ceux-ci, des doubles primes pour les paiements d’aide sociale, des sommes forfaitaires pour les familles laborieuses et pour le carburant.

Les sommes totales en jeu sont éclipsées par les fortunes amassées par les géants technologiques et pharmaceutiques basés ou ayant leur siège social en Irlande. Au total, plus de 970 entreprises américaines emploient actuellement 210 000 personnes directement, tandis que 168 000 autres dépendent indirectement d'elles. Ces entreprises fournissent la majeure partie de l'impôt sur les sociétés payé à l'État irlandais. L'année dernière, sur un total de 88,1 milliards d'euros de recettes fiscales, 23,8 milliards d'euros provenaient de cet impôt. Sur ce total, 83,8 pour cent provenaient de multinationales étrangères. La richesse extraite est telle que même avec le faible taux irlandais d'imposition des sociétés, 12,5 pour cent seulement, le gouvernement de coalition enregistre actuellement un excédent budgétaire annuel de 8 milliards d'euros.

Ce montant n’inclut pas les 14 milliards d’euros que le gouvernement irlandais doit désormais percevoir auprès d’Apple suite à une récente décision de la Cour de justice européenne. Selon certaines informations, 3 milliards d’euros auraient déjà été versés. La manière de dépenser cette manne est au cœur de la campagne électorale, les partis proposant des dépenses d’infrastructures, de logement et un fonds souverain pour les jours de difficultés financières à venir.

Aucun parti ne souligne naturellement la vulnérabilité de l’économie irlandaise à la crise de guerre imminente et à la crise financière qu’elle entraînera, ni les conséquences de la présidence Trump et de ses projets de guerre commerciale. Si l’Irlande a été ruinée par la crise financière de 2008-2009, son chômage montant en flèche et ses dépenses sociales étant réduites au strict minimum, la prochaine crise menace d’être bien pire.

Howard Lutnick, nommé par Trump au ministère du Commerce a déjà déclaré en se plaignant: «C'est absurde que l'Irlande, de tous les autres pays, ait un excédent commercial à nos dépens [...] Lorsque nous mettrons fin à cette absurdité, les États-Unis redeviendront vraiment un grand pays.»

Les droits de douane devant être introduits par le gouvernement Trump auront un impact important sur les exportations irlandaises vers les États-Unis, et sa préférence pour la « relocalisation» aura des implications sur le grand nombre d’installations de production américaines basées en Irlande qui exportent vers l’Union européenne.

En juillet, le parti de la pseudo-gauche People Before Profit (PBP) a proposé un pacte électoral au Sinn Fein. Paul Murphy, membre du PBP, avait admis en mai: «Même si malheureusement, et je pense que beaucoup de gens en sont déçus, la trajectoire du Sinn Fein conduit à droite.»

Les questions internationales ne figurent guère au manifeste du PBP, à part quelques appels désespérés à la neutralité irlandaise et des appels à la paix en Ukraine. Le PBP critique la «complicité de l’impérialisme occidental» dans le génocide de Gaza, mais ne propose rien en réponse, à part des appels symboliques à ce que les représentants du PBP fassent pression sur le gouvernement irlandais afin qu’il restreigne l’utilisation militaire de l’aéroport de Shannon et impose des sanctions limitées à Israël.

(Article paru en anglais le 27 novembre 2024)

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