Le 11 septembre dernier, la ministre responsable de la Solidarité sociale et de l'Action communautaire de la Coalition Avenir Québec (CAQ), Chantal Rouleau, a déposé son projet de loi 71 visant à réformer le régime d’aide sociale de la province, notamment en fusionnant le programme d’aide sociale et celui de la solidarité sociale sous le nouveau nom d’assistance sociale.
Sous le prétexte de rendre le régime «plus humain», le projet de loi vise en réalité à transformer les prestataires en main-d’œuvre bon marché, à faire des économies sur le dos des plus démunis et à intensifier les attaques de l’élite dirigeante sur les sections les plus vulnérables de la classe ouvrière.
Suite aux coupes massives antérieures dans l’aide sociale, la province compte désormais 280.000 ménages prestataires, dont près de 60.000 enfants, ce qui représente une baisse de plus de 30% depuis 1998. Malgré cette chute marquée, ce nombre est jugé encore trop élevé par la classe dirigeante.
Lors du dépôt du projet de loi, la ministre a tenté de camoufler l’essence de la réforme en faisant miroiter diverses mesures marginales, notamment en ce qui a trait au délai de recouvrement en cas de fausse réclamation (qui passe de 15 ans à 5 ans) et à la reconnaissance des contraintes de nature psychosociale.
Le fait essentiel demeure que la CAQ ne prévoit aucune nouvelle somme, ni pour le nouveau régime d’assistance sociale, ni pour les autres programmes du ministère de la Solidarité sociale. Le montant de base de 807$ par mois, qui ne permet même pas aux bénéficiaires de combler leurs besoins de base et les condamne à un état permanent de survie, demeure inchangé.
Quant aux nouvelles mesures, chiffrées à 97 millions d’ici 2030, elles seront financées à même le budget actuel via des compressions dans le programme, en particulier par l’abolition de «l’allocation pour contrainte temporaire à l’emploi (CTE)».
À la fin de l’année 2023, plus de 47.000 prestataires percevaient l’allocation pour CTE, qui offre un supplément de 161$ par mois à certaines catégories, par exemple les personnes qui sont en situation de grossesse, qui ont des enjeux médicaux, qui ont un enfant d’âge préscolaire ou handicapé, qui sont victimes de violence en centres d'hébergement, ou qui ont 58 ans ou plus en attente d’une décision.
Ces 161$ supplémentaires, bien que largement insuffisants, permettaient de faire passer le revenu disponible de 11.245$ à 13.177$ par année, ce qui représente à peine 54% des dépenses élémentaires selon la mesure du panier de consommation de Statistique Canada, tandis que la prestation de base n’en couvre que 46%.
Par l’adoption du projet de loi, c’est près de 38.000 personnes – dont environ 7.500 personnes ayant un enfant de moins de 5 ans à charge et 30.000 personnes âgées de 58 ans et plus – qui verront leur revenu déjà insuffisant revu à la baisse.
La réforme vise également à élargir le programme Objectif emploi controversé, basé largement sur un système de pénalités. Mis en place en 2015 sous le gouvernement libéral de Philippe Couillard, le programme vise à pénaliser les prestataires de l'aide sociale qui refusent d’y participer en les limitant au montant de base de 807$ par mois.
S’ils participent au programme, les participants peuvent recevoir une prime de 70$ par semaine s’ils cherchent activement du travail, une prime de 307$ s’ils participent à une formation d’alphabétisation ou de francisation, ou de 475$ pour une formation «qualifiante». En cas de refus, le participant peut recevoir jusqu’à 224$ de pénalité mensuelle. Avec le nouveau «supplément pour les études» qui accompagne la réforme, et l’abolition de l’allocation CTE, le gouvernement vise à forcer de 7.000 à 8.000 personnes à adhérer au programme d’emploi.
La réforme ne sert pas à améliorer les conditions des prestataires de l’aide sociale et encore moins à lutter contre la pauvreté. Elle sert avant tout à forcer les prestataires sur le marché du travail. Depuis la mise en place de l’aide sociale en 1969, la classe dirigeante et la droite politique ont toujours cherché à dépeindre ses prestataires comme des individus paresseux qui profitent du système. Après des décennies de mépris, elle voit maintenant en eux une source de main-d’œuvre bon marché (cheap labour).
De ses propres aveux, par l’abolition du supplément de 161$, le ministère vise à forcer le retour de 50.000 prestataires sur le marché du travail, peu importe leur condition médicale ou personnelle et peu importe la nature de l’emploi qui les attend – plus souvent au salaire minimum de 15,75$ l’heure qui permet à peine de survivre.
Alors que la crise sociale s’accélère, marquée par une montée des inégalités sociales, les conditions des personnes sur l’aide sociale vont continuer de se détériorer. Dans le contexte d’une hausse généralisée du coût de la vie et conséquemment de la précarité, le projet de loi représente un nouvel assaut sur les acquis et les conditions de vie de la classe ouvrière.
Il s’inscrit plus largement dans une intensification de l’austérité capitaliste. Au cours des dernières années, tant à l’échelle provinciale que fédérale, les gouvernements de la grande entreprise – peu importe leur étiquette politique – ont mis la hache dans l’ensemble des services publics et des programmes sociaux. Le résultat est que la précarité touche l’ensemble de la classe ouvrière au pays, près d’un quart des Canadiens vivant aujourd’hui dans la pauvreté.
Si certains groupes de pression appellent à la mise en place d’un revenu de base universel, la solution doit s’attaquer à la racine du problème: le système capitaliste. Seule une réorganisation radicale de l’économie pour assurer les besoins sociaux de tous, et non les profits d’une poignée d’ultra-riches, peut résoudre une fois pour toutes le problème aigu de la pauvreté. Cela demande une lutte consciente de la classe ouvrière guidée par une perspective socialiste.