L'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis a accéléré la crise de gouvernements déjà méprisés dans toute l'Europe, notamment celle du gouvernement travailliste britannique dirigé par Keir Starmer.
Starmer n'a remporté les élections parlementaire de juillet que grâce à la haine généralisée des électeurs envers le gouvernement conservateur, au pouvoir pendant 14 ans. Il est arrivé au pouvoir avec le plus faible nombre de voix de tous les gouvernements majoritaires de l'histoire britannique, et sa cote de popularité a chuté depuis lors dû à son soutien au génocide de Gaza et à son programme d'austérité.
La menace de Trump selon laquelle les États-Unis pourraient mettre un terme à leur soutien à l’OTAN si les pouvoirs européens n’augmentaient pas largement leurs budgets militaires, et qu’il entend mettre fin à la guerre des «perdants» en Ukraine en concluant un accord avec la Russie, ont profondément déstabilisé Londres. De même sa menace d’augmenter les droits de douane sur tous les biens importés aux États-Unis, sachant qu’ils sont le premier partenaire commercial du Royaume-Uni, avec près d’un cinquième (17,6 %) du total de ses échanges commerciaux.
Fin septembre, Starmer et son ministre des Affaires étrangères David Lammy ont arrangé une rencontre avec Trump dans sa ‘Trump Tower’ pendant que Starmer était à l’Assemblée générale des Nations Unies. Cela fut considéré comme une occasion de rapprochement, d’autant plus que Lammy avait précédemment décrit Trump comme un «raciste» et un « sociopathe sympathisant des néonazis».
Ces commentaires, datant du premier gouvernement Trump et faits depuis les bancs de l'opposition, sont un embarras majeur pour le Parti travailliste, désormais au pouvoir dans le pays qui est un allié militaire de longue date des États-Unis et est impliqué jusqu'au cou dans la guerre menée par les États-Unis contre la Russie en Ukraine et le génocide israélien à Gaza.
De plus, ce n’était pas juste Lammy qui s’en était pris à Trump, mais pratiquement tous les dirigeants du cabinet de Starmer – et Starmer lui-même, qui en 2018, avant de prendre la tête du parti, avait déclaré que la politique de Trump consistant à séparer les familles de migrants en détention montrait qu’il ne comprenait pas «l’humanité et la dignité».
Rachel Reeves, aujourd'hui ministre des Finances de Starmer, avait qualifié cette politique de « barbare», tandis que Wes Streeting, aujourd'hui secrétaire à la Santé, avait décrit Trump comme un «petit homme odieux et triste».
Le travailliste Pat McFadden, ministre du cabinet, qui joue un rôle majeur dans le gouvernement de Starmer, avait déclaré en 2021, après la tentative de coup d'État de Trump pour empêcher l'élection du Démocrate Joe Biden, que c'était «terrible et affligeant» et « le point culminant de la présidence Trump [2016-2020]».
Les relations se sont encore détériorées lorsque Trump a déposé une plainte officielle contre le Parti travailliste, dénonçant une «ingérence étrangère flagrante», après que 100 membres de son personnel se soient rendus aux États-Unis pour aider la campagne de la candidate démocrate Kamala Harris.
Le bouleversement de l'échiquier politique est tel depuis la victoire électorale de Trump que selon la presse Nigel Farage, leader de Reform UK et favori de Trump en raison de son message anti-Union européenne (UE), a cyniquement offert au Parti travailliste ses services pour l'aider à améliorer ses relations avec Trump.
Le moment est visiblement venu de manger son chapeau au milieu d’une orgie de flagorneries. Cette semaine, McFadden a déclaré qu’il pensait que les nouveaux gouvernements américain et britannique «s’entendraient bien […] l’alliance et l’amitié entre les États-Unis et le Royaume-Uni sont vraiment profondes et durables». Il l’avait constaté «dans le gouvernement au quotidien en matière de défense, de sécurité, de renseignement, de commerce – sur de nombreux fronts».
Angela Rayner, vice-présidente du Parti travailliste, qui avait précédemment décrit Donald Trump comme un «bouffon» qui n’avait «pas sa place à la Maison Blanche», a été chargée d’apaiser les relations avec le vice-président de Trump, JD Vance. Après leur conversation, Rayner a déclaré: «Nous avons parlé de nos projets pour l’avenir et de comment nous construisons la relation spéciale entre nos pays.»
Un prévoit à présent d’accorder à Trump une deuxième visite d’État en Grande-Bretagne. Il avait bénéficié d’une visite d’État en 2019 alors que Theresa May était Première ministre conservatrice et jamais aucun autre dirigeant mondial n’a jamais eu droit à deux. Le Guardian a rapporté que «des sources gouvernementales ont déclaré qu’une deuxième visite d’État pour Trump ne devrait pas être exclue en raison de trois changements depuis 2019: l’intervalle entre ses présidences, le transfert du gouvernement des conservateurs aux travaillistes et le nouveau monarque, Charles III».
La possibilité que Trump fasse s'effondrer l'économie britannique était une menace imminente, a déclaré Liam Byrne, président travailliste de la commission des Affaires parlementaires, interrogé lundi par l'émission Today de la BBC. Le plan de Trump d'imposer des tarifs douaniers de 10 à 20 pour cent sur toutes les marchandises entrant aux États-Unis était «le scénario catastrophe auquel nous sommes désormais confrontés […] Si cela se concrétise, cela aura un impact très important sur la croissance, l'inflation et les taux d'intérêt au Royaume-Uni».
Les élites dirigeantes des deux côtés de l’Atlantique savent que, quelles que soient les belles paroles sur la «relation spéciale» entre États-Unis et Royaume-Uni, ce qui compte, c’est l’utilité militaire et politique de l’impérialisme britannique (puissance nucléaire) pour les États-Unis au plan mondial. Des commentateurs ayant des sources dans le camp Trump ont déclaré qu’il ne pourrait épargner à la Grande-Bretagne une guerre commerciale que si Londres maintenait une politique anti-UE encore plus ferme. Et ce, dans des conditions où Starmer cherche à «réinitialiser» un après-Brexit avec les principaux pouvoirs européens, notamment en développant une politique anti-immigration dans le cadre de sa stratégie de «Force frontalière».
La question de comment maintenir cette relation a été évoquée lors d’un débat à la Chambre des Lords sur les dépenses militaires du Royaume-Uni (article en anglais) la semaine dernière, alors que de nombreux conservateurs fustigeaient le refus du Parti travailliste de fixer une date pour sa promesse d’augmenter les dépenses militaires à 2,5 pour cent du PIB. Le lord héréditaire Lord Mountevans a déclaré que le problème majeur était que «si les États-Unis veulent continuer à considérer le Royaume-Uni comme un allié clé, nous devons maintenir la structure et les capacités de nos forces armées».
Le quotidien Daily Mail a fait monter la pression dans le cadre de sa campagne «Ne laissez pas la Grande-Bretagne sans défense». Il a publié lundi en une un article intitulé «Quand le Parti travailliste donnera-t-il à nos forces armées les fonds dont elles ont besoin?» Il y cite le chef d’état-major général, l’amiral Sir Tony Radakin disant à Sky News: «Nous vivons dans un monde plus dangereux. Cela signifie que nous devons renforcer nos armées.» Il cite encore ce commentaire de l’ex-chef de l’armée Lord Dannatt: « Avec la reprise de la présidence de Trump aux États-Unis, le gouvernement britannique serait bien avisé de s’engager à vouer 2,5 pour cent de son budget à la défense à une date précise, bien avant 2029, dès que possible.»
Lord West, ancien chef de la Marine et ministre de la Sécurité sous le précédent gouvernement travailliste, a déclaré: «Il ne fait aucun doute que le Royaume-Uni doit consacrer davantage d’argent à la défense – c’est bien reconnu. Si nous devons le faire, alors nous devons le faire maintenant.»
Il s'est plaint: «Ils ont décidé qu'ils n'investiraient pas plus d'argent dans la défense pour le moment parce qu'ils veulent équilibrer les comptes.»
Le contre-amiral Chris Parry, qui a travaillé sur la Revue de la Défense du gouvernement travailliste de Blair en 1998, a déclaré que l'objectif de 2,5 pour cent devait être atteint « demain» et que «nous devrions commencer à acheter des munitions et des missiles pour envoyer un signal très clair que nous sommes sérieux».
En réponse à la pression exercée par Trump avant même son entrée à la Maison Blanche, le secrétaire britannique à la Défense John Healey – qui, avec Lammy, a noué les liens les plus étroits avec l’administration Biden pour soutenir sa politique de guerre – a déclaré lundi : « Je ne m’attends pas à ce que les États-Unis se détournent de l’OTAN. Ils reconnaissent l’importance de l’alliance, ils reconnaissent l’importance d’éviter de nouveaux conflits en Europe. Mais ce que je dis, et je le répète depuis un certain temps, c’est que les nations européennes de l’OTAN doivent supporter une plus grande part de cette charge.»
(Article paru en anglais le 12 novembre 2024)