Dans les déclarations publiées par la vice-présidente Kamala Harris mercredi et le président Joe Biden jeudi, les dirigeants du Parti démocrate ont adopté une posture de complicité pure et simple avec le futur président fasciste élu Donald Trump.
Harris a déclaré qu'elle avait appelé Trump et l'avait félicité pour sa victoire aux élections du 5 novembre. «Je lui ai également dit que nous l'aiderions, lui et son équipe, dans leur transition», a-t-elle poursuivi, «et que nous nous impliquerions dans un transfert pacifique du pouvoir». Elle n'a fait aucune référence aux déclarations précédentes selon lesquelles Trump était un fasciste ou une menace pour les droits démocratiques du peuple américain.
La déclaration de Biden jeudi était encore plus lâche. Il est allé à la télévision nationale, non pas pour avertir le peuple américain des dangers de la dictature, mais pour souhaiter la bienvenue à son successeur fasciste :
Hier, j'ai parlé avec le président élu Trump et je l'ai félicité de sa victoire. Je l'ai assuré que j'ordonnerais à tout mon gouvernement de travailler avec son équipe pour assurer une transition pacifique et ordonnée. C'est ce que le peuple américain mérite... Je ferai mon devoir de président. Je remplirai mon serment. Je respecterai la Constitution. Le 20 janvier, nous aurons une passation de pouvoir pacifique en Amérique.
Mais le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, retrouvant la fonction politique la plus puissante au monde, est tout sauf un événement politique normal. Il y a quatre ans, Trump a organisé un violent coup d'État politique, tentant de renverser le résultat de l'élection de 2020 et de maintenir son emprise sur le pouvoir. Il a convoqué une horde de ses partisans à Washington et ils ont pris d'assaut le Capitole le 6 janvier 2021, dans le but de bloquer la certification par le Congrès de la victoire de Biden. Après l'échec du coup d'État, Trump a refusé d'assister à l'investiture de Biden, et il a mené sa campagne électorale en 2024 sur la base du «grand mensonge» d'une élection volée.
Biden n'a fait aucune mention de cette histoire. Il est resté totalement silencieux sur les déclarations répétées de Trump selon lesquelles à partir du 20 janvier, il agirait en dictateur, ordonnant des rafles massives d'immigrants et emprisonnant des millions de personnes dans des camps de détention pour une expulsion immédiate. Il n'a fait aucune référence à la déclaration de Trump à ses partisans qu’il s'agirait de la dernière élection où ils voteraient. Il n'a rien dit sur les menaces de Trump d'arrêter et de poursuivre en justice «l'ennemi intérieur », catégorie qui comprend les journalistes, les groupes de défense des libertés civiles, les étudiants protestant contre le génocide de Gaza, les socialistes et les dirigeants du Parti démocrate, dont Biden même.
En 2016, après la victoire surprise de Trump sur Hillary Clinton, Barack Obama l'a accueilli à la Maison-Blanche avec le commentaire révélateur que l'élection n'avait représenté qu'une «mêlée intra-muros». Il reconnaissait que les factions rivales de la classe dirigeante américaine, quelles que soient leurs manœuvres électorales, étaient unies dans la défense des intérêts du capitalisme américain.
Biden va encore plus loin. Il n'est pas un naïf. Il fait de la politique bourgeoise depuis plus d'un demi-siècle. Il sait ce qu'est Trump et ce qu'il se prépare à faire. Il n'a pas exprimé un mot d'inquiétude sur les projets de déportations massives, qui auraient des conséquences sociales dévastatrices et auraient les véritables caractéristiques d'un État policier. Sa promesse de faciliter la transition à Trump va donc au-delà de la simple incapacité ou de la prostration. Par l'intermédiaire de Biden, le Parti démocrate déclare à l'avance sa complicité avec l'assaut frontal contre la classe ouvrière que mènera le gouvernement Trump.
Dans son discours télévisé, Biden a réitéré de fausses affirmations sur les progrès sociaux réalisés sous son gouvernement, malgré une répudiation massive de la part des travailleurs qui ont vu leur niveau de vie et leurs conditions sociales se détériorer au cours des quatre dernières années. «Nous laissons en héritage l'économie la plus forte du monde», a-t-il déclaré. «Ensemble, nous avons changé l'Amérique pour le mieux.» Alors, pourquoi celle qui lui a succédé a-t-elle si lamentablement échoué aux urnes?
Le gouvernement Biden n'a qu'une seule priorité: intensifier la guerre menée par les États-Unis et l'OTAN contre la Russie en Ukraine. La Maison-Blanche prend des mesures urgentes pour s'assurer que les derniers milliards d'aide militaire américaine soient versés par le Pentagone au régime de Kiev afin de financer la guerre jusqu'à l'hiver. Ce qui est en contraste extrême avec l'incapacité de la Maison-Blanche à lever le petit doigt pour protéger le peuple américain des mesures prévues par Trump.
Il aurait été tout à fait normal pour Biden de déclarer que tant qu'il reste président, pour les 70 prochains jours, Trump est en période d’essai politique, et que le «transfert pacifique du pouvoir» nécessite des garanties d'exercice pacifique et démocratique du pouvoir après le 20 janvier. Cela inclurait que Trump rende public qui il nommera comme principaux membres de son cabinet, en particulier ceux en charge de l'appareil militaire et de renseignement.
Entre-temps, Biden aurait le droit, en tant que président, de consulter les gouverneurs démocrates et les membres du Congrès sur les moyens de protéger les droits de la majorité des Américains qui n'ont pas voté pour Trump. Cela comprend les 70 millions ayant voté pour Harris, les dizaines de millions ayant refusé de voter pour l'un ou l'autre candidat, et les nombreux millions dont la colère et la frustration ont été exploitées par la démagogie populiste droitière de Trump, mais qui n'ont aucun désir d'installer un président-dictateur. Mais Biden, au contraire, donne carte blanche à Trump.
Dans sa posture et ses actions, Biden ressemble à un président démocrate sortant d'il y a plus de 150 ans, James Buchanan, généralement classé par les historiens – jusqu'à Trump – comme le pire président de l'histoire américaine. Après la victoire d'Abraham Lincoln sur Buchanan aux élections de 1860, le démocrate pro-esclavagiste donna effectivement le feu vert à l'insurrection confédérée qui se préparait. Il n'a pris aucune mesure pour protéger les installations et les stocks militaires fédéraux dans le Sud, permettant aux sécessionnistes de s'en emparer et d'obtenir un premier avantage militaire.
Les promesses de Biden et Harris d'un «transfert pacifique du pouvoir» sont absurdes, puisque la seule menace pour un tel transfert était Trump lui-même, au cas où il perdrait les élections. C'est Biden qui a averti, à la Convention nationale démocrate, que sa plus grande crainte était que Trump chercherait à renverser une défaite électorale comme il l'avait fait en 2020.
Dimanche encore, le New York Times a publié un article détaillé sur les plans du camp Trump visant à créer le chaos en cas de victoire de Harris. L'article de première page comprenait ce qui suit: «Lorsque Stephen K. Bannon, figure influente des médias de droite et proche conseiller de Trump, a été libéré de prison mardi, il a rapidement déclaré aux journalistes que M. Trump devrait agir de manière préventive le soir de l'élection et simplement revendiquer la victoire.»
La victoire électorale de Trump a rendu inutile la répétition du coup d'État de 2020, mais Bannon continue d'exprimer la soif de sang qui anime le cercle rapproché de Trump. Dans un podcast ultérieur, faisant référence à MSNBC, au New York Times et au Washington Post, ainsi qu'aux dirigeants du Parti démocrate et à des sections de la bureaucratie fédérale, Bannon a déclaré qu'ils «ne méritent aucun respect, vous ne méritez aucune empathie, et vous ne méritez aucune pitié.... Vous méritez ce que nous appelons une justice romaine brutale, et nous sommes prêts à vous la donner».
Bien que Bannon n'ait pas précisé si sa «justice romaine» incluait la crucifixion et l'envoi de personnes aux galères d'esclaves, il faisait probablement référence aux tristement célèbres proscriptions de Sylla, une campagne menée par le proconsul romain pour éliminer ses ennemis politiques après la victoire dans une guerre civile au sein de l'aristocratie. Comme le décrit un historien, «Sylla s'est lancé dans l'élimination systématique de ses adversaires restants... Une liste de 2 000 à 9 000 cavaliers et sénateurs a été dressée, chacun d'entre eux pouvant être tué librement pour une récompense. Leurs terres ont été confisquées... » (Charles Freeman, Égypte, Grèce et Rome, Oxford University Press).
Trump entrera à la Maison-Blanche en janvier avec un pouvoir beaucoup plus grand que lorsqu'il l'a quittée il y a quatre ans. Le Parti républicain, qui contrôle les deux chambres du Congrès, a été complètement remodelé pour devenir l'instrument de la politique fasciste de Trump. La Cour suprême, dans sa décision infâme de juillet dernier, a accordé à Trump l'immunité pour toute action qu'il entreprend en tant que président, aussi illégale, inconstitutionnelle ou violente qu’elle soit.
Malgré toute la rhétorique sur Trump en tant que menace pour la démocratie, de puissantes sections de la bourgeoisie sont réconciliées avec l'installation d'un régime dictatorial. Les principaux démocrates et leurs soutiens dans l'aristocratie financière ont déjà commencé à faire des génuflexions devant le nouveau dirigeant américain et à lui promettre leur soutien. Cette capitulation préventive a été signalée avant même l'élection, lorsque les propriétaires milliardaires du Washington Post et du Los Angeles Times ont bloqué des soutiens prévus pour Harris.
Le propriétaire du Post, Jeff Bezos, deuxième homme le plus riche d'Amérique, a poursuivi avec une déclaration enthousiaste faisant l'éloge de Trump: «Félicitations à notre 45e et maintenant 47e président pour un retour politique extraordinaire et une victoire décisive.» Il a écrit ceci sur X/Twitter, propriété d'Elon Musk, l'Américain le plus riche et fervent partisan de Trump.
Il n'y aura pas d'opposition significative à une dictature de Trump de la part du Parti démocrate ou de toute autre section de l'oligarchie capitaliste. Les syndicats suivront rapidement, comme cela a été démontré avant même l'élection, lorsque le président des Teamsters, Sean O'Brien, a pris la parole lors de la Convention nationale républicaine.
L'opposition à Trump viendra d'en bas, de la classe ouvrière. Malgré la confusion politique des travailleurs qui ont voté pour lui, la lutte des classes suit une logique inexorable. Le programme de Trump – répression de masse contre les immigrés, énormes réductions d'impôts pour les riches et déréglementation des entreprises – se fera au détriment de la vie et du niveau de vie des travailleurs.
Le Socialist Equality Party (SEP – Parti de l'égalité socialiste) proposera une perspective et un programme socialistes pour le développement de la lutte contre la dictature et pour la défense des droits démocratiques. Le SEP et l'Alliance internationale des travailleurs des comités de base développeront l'opposition dans la classe ouvrière dans les usines et sur les lieux de travail, et tiendront des meetings pour construire et mobiliser l'opposition.
(Article paru en anglais le 8 novembre 2024)