Allemagne: la rupture de la coalition ouvre une nouvelle phase de lutte des classes

Quelques heures après la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis, la coalition gouvernementale dirigée par le Parti social-démocrate (SPD) s'est effondrée en Allemagne. Le chancelier fédéral Olaf Scholz (SPD) a limogé mercredi soir le ministre des Finances Christian Lindner, du Parti libéral-démocrate (FDP). Peu après, à l'exception du ministre des Transports Volker Wissing, les autres ministres du FDP ont eux aussi démissionné.

Le vice-chancelier Robert Habeck, le chancelier Olaf Schultz et le ministre des Finances de l'époque Christian Lindner [Photo by Sandro Halank / Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0]

Il existe un lien étroit entre les élections américaines et l’échec de la coalition allemande. Les experts s’attendent à ce que le second mandat de Trump soit marqué par de nouvelles mesures de guerre commerciale contre l’Europe et par un retrait partiel des États-Unis de la guerre contre la Russie en Ukraine. Ceux-ci exhortent le gouvernement allemand à soutenir l’économie allemande en investissant des milliards de dollars dans la guerre commerciale et à augmenter considérablement ses dépenses d’armement afin de poursuivre la guerre en Ukraine et de pouvoir être autonome militairement. Cela nécessite des attaques massives contre la classe ouvrière, qui doit supporter le coût de la guerre commerciale et de la guerre.

Dans sa déclaration justifiant le limogeage de Lindner, le chancelier Scholz a fait référence à la victoire électorale de Trump et a conclu: «Il est clair que l’Allemagne devra assumer ses responsabilités. Nous devons plus que jamais rester unis en Europe et continuer à investir ensemble dans notre propre sécurité et notre propre force. Car la situation est grave. Il y a la guerre en Europe. Les tensions augmentent au Moyen-Orient.»

Le ministre allemand de la Défense Boris Pistorius (SPD) a rencontré mercredi à Paris son homologue français Sébastien Lecornu pour discuter d'une coopération plus étroite en matière de défense européenne et de l'intégration des industries de défense. La prochaine étape est une réunion de cinq ministres de la Défense qui se tiendra à Berlin, parmi lesquels figureront la Grande-Bretagne, la Pologne et l'Italie.

«Notre économie stagne, poursuivit Scholz. Nos entreprises ont besoin de soutien, et elles en ont besoin maintenant.» Selon certains calculs, la hausse de 10 pour cent des droits de douane américains sur les produits en provenance de l’UE dont Trump a menacé grèverait à elle seule le PIB allemand de 127 milliards d’euros. Il ne se passe pas une semaine sans que des milliers d’emplois ne soient supprimés dans l’automobile, les équipementiers des pièces détachées automobiles, la sidérurgie, la chimie et d’autres secteurs.

Moritz Schularick, président de l’Institut de l’économie mondiale de Kiel (IfW Kiel), a exprimé le même point de vue que Scholz. «Avec la victoire électorale de Donald Trump, le moment le plus difficile de l’histoire de la République fédérale sur le plan économique commence, car nous sommes désormais confrontés à des défis considérables en matière de politique économique et de sécurité extérieure en raison de la crise structurelle interne, à laquelle nous ne sommes pas préparés», a-t-il écrit sur le site Internet de son institut.

Il a mis en garde contre «des tarifs protectionnistes et des restrictions d’importation qui pèseront davantage sur la croissance en Allemagne et en Europe» et a exigé: «Nous devons investir massivement dans les capacités de défense à court terme et avancer avec la France et d’autres partenaires européens désireux de construire une défense européenne.»

Après l’éviction de Lindner, Scholz a vivement reproché à son ministre des Finances de s’être comporté de manière irresponsable en repoussant les compromis nécessaires, d’avoir « bloqué inutilement des lois» et «recouru à des tactiques partisanes mesquines». Au lieu d’«agir sérieusement et de manière responsable», il ne s’occupait que de «sa propre clientèle» et de «la survie à court terme de son propre parti», a assené Scholz. «Quiconque entre au gouvernement doit agir sérieusement et de manière responsable et non pas courir se cacher quand les choses deviennent difficiles.»

Le gouvernement de coalition débat depuis des mois du futur budget. Il a accepté de financer la guerre en Ukraine et les entreprises à hauteur de plusieurs milliards. Mais les divergences portent sur la question du financement. Lindner a insisté sur le fait de ne pas s'endetter davantage. Début novembre, il a divulgué aux médias un document (article en anglais) préconisant des coupes massives dans les retraites, les aides sociales et les réglementations environnementales pour financer le réarmement et les baisses d'impôts pour les riches.

Scholz considère cette voie comme trop risquée. Il craint qu’une telle combinaison ouverte de réarmement, de cadeaux fiscaux aux riches et de coupes sociales ne provoque une résistance de la classe ouvrière que même les syndicats ne peuvent plus réprimer. Il propose donc une suspension temporaire du frein à l’endettement afin de pouvoir contracter des emprunts supplémentaires et d’avoir ainsi plus de marge de manœuvre pour étouffer la résistance à sa politique anti-ouvrière et militariste.

«Jamais, jamais, nous ne devons monter l’une contre l’autre la sécurité intérieure, la sécurité extérieure et la sécurité sociale», a-t-il fustigé contre Lindner, qui refuse catégoriquement de desserrer le frein à l’endettement. Scholz a accusé Lindner de chercher à «obtenir des milliards de baisses d’impôts pour quelques riches et en même temps des baisses de pensions pour tous les retraités. […] Cela met en danger notre cohésion, et même, en fin de compte, notre démocratie.»

C’est là bien sûr pure démagogie. Le chancelier Scholz appartient à un parti qui dirige depuis 1998, sauf quatre ans d’interruption, le ministère du Travail et les autres plus importants ministères chargés des affaires sociales ; parti responsable de la plus grande redistribution des richesses aux riches depuis la création de la République fédérale. Le SPD, considéré autrefois comme le parti des travailleurs, s’appuie aujourd’hui sur des carriéristes politiques, des fonctionnaires d’État, des bureaucrates syndicaux et d’autres membres de la classe moyenne aisée. Il est tellement détesté qu’il n’obtient que 15 pour cent des voix dans les sondages, à la traîne du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD).

Tout comme les démocrates aux États-Unis, qui avec leur arrogance face à la baisse du niveau de vie des masses laborieuses, leur soutien aux guerres en Ukraine et à Gaza et leur politique en faveur de l’expulsion des réfugiés, ont ouvert la voie au retour du fasciste Trump à la Maison Blanche, le SPD renforce également par sa politique les éléments les plus droitiers.

Scholz a travaillé en étroite collaboration avec Lindner lorsque l'inflation a érodé les salaires réels et que les loyers et les prix de l'énergie ont explosé. Il a nommé à présent l'ancien responsable en Allemagne de la grande banque américaine Goldman Sachs, Jörg Kukies (article en allemand), comme successeur de Lindner au ministère des Finances. Kukies a déjà travaillé pour Scholz lorsque ce dernier était ministre allemand des Finances et il était depuis 2021 son secrétaire d'État à la Chancellerie.

Scholz a également sollicité l'aide de Friedrich Merz, le chef de file de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), ancien patron de la filiale allemande de BlackRock, le plus grand fonds spéculatif au monde. Il lui a demandé de travailler «de manière constructive» avec son gouvernement minoritaire «au renforcement rapide de notre économie et de notre secteur de la défense» et de le soutenir en adoptant les lois correspondantes.

Le 15 janvier, Scholz a l'intention de déposer un vote de confiance au Bundestag. Le président fédéral Frank-Walter Steinmeier pourrait alors dissoudre le Bundestag et convoquer de nouvelles élections en mars, que la CDU a les meilleures chances d’emporter, selon les sondages actuels. L'AfD d'extrême droite, qui se sent renforcée par le succès électoral de Donald Trump, aurait également de bonnes chances de succès.

La CDU, l'Union chrétienne-sociale (CSU), l'AfD et le FDP font néanmoins pression pour que Scholz rapproche le vote confiance du Bundestag dès la semaine prochaine, afin que les élections générales puissent avoir lieu en janvier. Mais leurs possibilités pour y parvenir sont limitées, car la Loi fondamentale allemande impose des limites strictes à la dissolution anticipée du Bundestag.

Mais quelle que soit l'évolution des manœuvres et des affrontements politiques dans les semaines à venir, tous les partis établis sont en train de déplacer l'axe de la politique officielle vers la droite après la victoire électorale de Donald Trump. Des sommes colossales sont disponibles pour le réarmement, la guerre et le soutien à la bourse, tandis que l'opposition à ces mesures est réprimée. Tous les partis représentés au Bundestag sont d'accord sur ce point.

Le Parti de l'égalité socialiste (acronyme en allemand, SGP) déclare la guerre à la coalition multipartite. Il oppose à cette coalition multipartite pour la guerre et les coupes sociales la mobilisation internationale de la classe ouvrière contre le capitalisme et pour la réorganisation de la société sur une base socialiste. C'est là le seul moyen d'éviter une catastrophe.

(Article paru en anglais le 8 novembre 2024)

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