Les efforts de longue date de l’élite dirigeante québécoise pour attiser le chauvinisme à l’endroit des immigrants a connu une nouvelle poussée de fièvre ces derniers jours.
Le dernier épisode en date est basé sur la grossière falsification d’un récent rapport du ministère de l’Éducation portant sur des conflits internes – impliquant entre autres des enseignants d’origine maghrébine – à l’école Bedford de Côte-des-Neiges, un quartier ouvrier multiethnique de Montréal.
Le contenu du rapport dément les reportages parus dans les grands médias à propos de prières dans les salles de classe ou encore des ablutions dans les toilettes communes. Il indique que la preuve analysée sur une durée de plus de cinq ans a fait ressortir seulement «deux événements où des élèves auraient été impliqués dans le cadre de pratiques religieuses».
Le rapport fait état des vives tensions qui existent depuis des années entre différents groupes (ou «clans») d’enseignants, ainsi qu’entre des enseignants et la direction de l’école. Il explique que ces tensions sont alimentées avant tout par des divergences sur les méthodes d’enseignement – et non par un conflit de type religieux ou basé sur l’ethnicité. Dans les deux principaux «clans» qui s’affrontent sur leurs visions différentes de l’éducation, on retrouve des enseignants d’origine maghrébine.
Le rapport est clair là-dessus:
En somme, bien qu’il y ait effectivement présence de clans à l’école Bedford composés d’individus de différentes origines, les enquêteurs ont surtout observé une opposition entre des idéologies. Les clans présentent des visions et des conceptions différentes de l’éducation, de la pédagogie et des relations avec les élèves. Ils présentent également des conceptions différentes de la démocratie, des relations avec la direction et du rôle de l’enseignant dans une école. Bien que le volet culturel puisse expliquer certaines de ces divergences d’opinions, puisque les clans ne sont pas divisés en fonction de la culture des individus qui les composent, les enquêteurs les ont davantage considérés comme des clans en opposition d’idéologies et de visions.
Les tensions auraient été exacerbées en 2019 lorsque la direction a demandé que les enseignants cessent de parler arabe entre eux lors des pauses dans les lieux communs et ne parlent que le français. 2019 est aussi l’année où le gouvernement Legault a fait adopter sa loi 21 chauvine sur la «laïcité de l’État», qui cible les minorités religieuses et les musulmans en particulier.
La publication du rapport en octobre a donné lieu à une campagne hystérique par l’establishment et ses grands médias, qui ont grossi un cas isolé tout en déformant les faits pour servir un agenda politique bien défini: l’invention d’une «menace islamique» pour justifier la promotion du nationalisme québécois et du chauvinisme anti-immigrants et anti-musulman.
Le Premier ministre populiste de droite du Québec, François Legault de la Coalition Avenir Québec (CAQ), a falsifié les conclusions de l’enquête en déclarant qu’«un groupe d’enseignants [a] essayé de faire entrer des concepts religieux islamistes dans une école publique au Québec».
La presse bourgeoise, avec à sa tête le tabloïd de droite le Journal de Montréal, s’est chargée de relayer ces mensonges et en a profité pour intensifier sa campagne islamophobe de longue date.
Tous les partis politiques de l’Assemblée nationale ont alors sauté dans le train.
Le chef du Parti Québécois (PQ), Paul Saint-Pierre Plamondon, qui associe l’immigration à une «menace existentielle» pour «la nation québécoise», a affirmé que les écoles québécoises sont victimes d’«entrisme religieux et idéologique» et exigé une plus grande «mixité sociale» (une forme de quota ethnique) dans les écoles «où 75 % et plus des élèves ne sont pas nés au Québec».
Gabriel Nadeau-Dubois, le porte-parole de Québec solidaire, s’est dit ouvert à «mettre des garde-fous supplémentaires» pour empêcher tout «prosélytisme», laissant ainsi entendre que des enseignants auraient tenté de convertir des élèves à l’islam – ce que le rapport officiel dément totalement.
Le faux scandale «islamique» à l’école Bedford est utilisé notamment par l’élite dirigeante pour justifier et renforcer la loi 21. Le ministre de l’Éducation Bernard Drainville a déclaré que «la laïcité à l’école Bedford n’est pas respectée». Drainville et le ministre responsable de la Laïcité, Jean-François Roberge, sont maintenant mandatés par le Premier ministre Legault d’«examiner quelles mesures pourraient être prises pour renforcer la laïcité au sein de l'école québécoise».
La CAQ et tous les partis de l’establishment font également preuve d’hypocrisie lorsqu’ils posent en défenseurs de l’éducation publique alors qu’ils appliquent depuis des décennies des coupes massives dans l’éducation et supervisent une forte expansion des écoles privées financées par l’État.
Le tapage médiatique autour de l’école Bedford se déroule dans un contexte de vives tensions de classe sur fond de crise historique du capitalisme, et en particulier un mouvement grandissant des travailleurs et des jeunes contre les horreurs de la guerre et l’assaut patronal sur les salaires, les emplois et les services publics.
Depuis son élection en 2018, le gouvernement Legault est voué à faire gonfler les profits de la grande entreprise en baissant les impôts sur les riches et en intensifiant son assaut anti-ouvrier par de brutales mesures d’austérité et coupures d’emplois, ainsi que le démantèlement et la privatisation des services publics.
C’est pour détourner l’attention de ce programme impopulaire qu’il pratique un virulent chauvinisme québécois, basé sur l’agitation contre les immigrants et le «danger» qu’ils représenteraient pour la «cohésion sociale» au Québec, c’est-à-dire l’emprise politique qu’exerce la classe dirigeante sur la classe ouvrière au moyen du nationalisme québécois.
On peut retracer les origines de cette campagne à 2007, lorsque l’Action démocratique du Québec (ADQ) et Quebecor, l’empire médiatique du milliardaire et ex-chef du PQ Pierre-Karl Péladeau, ont dénoncé les soi-disant «accommodements raisonnables» offerts aux minorités sur les lieux de travail.
Cette campagne s’est intensifiée en 2013 avec la « Charte des valeurs québécoises» du PQ. La CAQ s’en est ensuite largement inspirée pour faire adopter sa propre loi 21 qui interdit le port de signes religieux – sauf les symboles catholiques «discrets» – par les professeurs et les employés de l’État dits en «position d’autorité» et prive les femmes musulmanes entièrement voilées de services publics essentiels comme les soins de santé.
Legault a ensuite profité de la pandémie pour pousser le gouvernement fédéral à fermer le chemin Roxham, à la frontière entre le Québec et l’État de New York, afin de refouler les migrants fuyant les politiques d’expulsion de Donald Trump puis Joe Biden.
En 2022, la CAQ a fait adopter la loi 96 pour renforcer la primauté de la langue française au Québec au détriment des autres langues. Entre autres, la loi force les immigrants à communiquer avec le gouvernement uniquement en français après seulement 6 mois de résidence dans la province.
En visite en France début octobre, Legault a demandé au gouvernement fédéral de s’inspirer des brutales politiques anti-immigration de l’Europe et de forcer l’expulsion vers d’autres provinces canadiennes de la moitié des demandeurs d’asile qui se trouvent au Québec.
Les politiques de la CAQ sont l’expression au Québec d’un tournant de l’élite dirigeante dans tous les pays pour faire des immigrants les boucs émissaires de la crise historique du système capitaliste afin de détourner l’attention de sa propre responsabilité, diviser les travailleurs selon des lignes ethniques, et justifier le renforcement de l’appareil répressif de l’État qui vise la classe ouvrière en son ensemble.
Le candidat républicain à la présidence américaine, Donald Trump, a fait de l’agitation anti-immigrants le point central de sa campagne électorale et promis la déportation de dix millions d’immigrants «illégaux» s’il est élu.
En Europe, les classes dirigeantes diabolisent les immigrants en utilisant un langage associé à l’extrême droite. Des individus et des groupes aux tendances fascistes comme l’admiratrice italienne de Mussolini Giorgia Meloni, le parti franquiste Vox en Espagne, l’AfD néo-nazie en Allemagne et le Rassemblement national (RN) d’extrême droite de Marine Le Pen sont accueillis dans les parlements et donnent le ton à toute la politique bourgeoise.
Partout, les gouvernements détournent l’attention des graves problèmes sociaux causés par les politiques d’austérité et de guerre et prétendent que les immigrants, qui fuient justement la guerre et la misère causées par les puissances impérialistes – dont le Canada – sont la source de tous les maux: de la pénurie de logements au manque de services publics, en passant par la violence et l’insécurité dans les quartiers.
Les enseignants et tous les travailleurs du Québec doivent s’opposer à la campagne anti-immigrants de la classe dirigeante et lutter pour l’unité de la classe ouvrière canadienne – francophone, anglophone et allophone – au-delà des distinctions linguistiques, ethniques ou religieuses.
Cette unité n’est possible que par une lutte contre tout le système de profit capitaliste et pour la transformation socialiste de la société par la classe ouvrière afin d’instaurer l’égalité sociale et mettre fin aux guerres impérialistes.