En Moldavie, les forces pro-UE revendiquent la victoire à l'issue d'un scrutin douteux

La Moldavie, minuscule État européen, est de plus en plus entraînée dans le tourbillon de la guerre de l'OTAN contre la Russie. Lundi, le gouvernement de Maia Sandu, allié des Etats-Unis, a revendiqué la victoire dans le référendum organisé la veille sur l'adhésion du pays à l'Union européenne (UE). Selon la Commission électorale centrale, 50,39 pour cent des électeurs se sont prononcés en faveur de l'adhésion à l'UE et 49,61 pour cent contre. Un peu plus de la moitié de ceux habilités à voter ont pris part au scrutin.

Le chancelier allemand Olaf Scholz, à gauche, écoute la présidente de la Moldavie Maia Sandu, à droite, lors d'une conférence de presse au palais présidentiel de Chisinau, en Moldavie, le mercredi 21 août 2024. [AP Photo/Aurel Obreja]

La validité du scrutin est très discutable. Jusqu'à 2 heures du matin le 21 octobre, les médias avaient annoncé que, avec près de 94 pour cent des votes comptabilisés, la proposition de réforme de la Constitution moldave et d'adhésion à l'UE allait être rejetée à une claire quoique relativement faible majorité. La situation a ensuite radicalement changé en quelques heures. Les bulletins de vote reçus de Moldaves d'autres pays d'Europe et d'Amérique du Nord ont été inclus dans le décompte, ce qui a fait pencher la balance en sens inverse et a conféré une victoire serrée au camp pro-UE. Seulement 10 564 voix ont fait la différence.

Peu après, la présidente de la Moldavie, une ancienne économiste de la Banque mondiale, a déclaré que la question était tranchée. Les électeurs du pays avaient résisté, a-t-elle déclaré, à une campagne d’ingérence électorale «sans précédent» organisée par la Russie, qui comprenait: la désinformation, l’achat de voix, les cyberattaques et même la préparation d’une insurrection armée. De telles affirmations, pour lesquelles aucune preuve concrète n’a été présentée, sont tout aussi douteuses que l’insistance d’Israël à prétendre que chaque hôpital, école et camp de réfugiés qu’il bombarde est un centre de commandement du Hamas.

En un rien de temps, le Département d’État américain a félicité «le peuple moldave pour avoir fait entendre sa voix en nombre record», et a insisté pour dire que «le gouvernement de Moldavie et la Commission électorale centrale ont garanti que l’élection fût bien gérée et compétitive». Il a applaudi le pays pour avoir empêché que «les efforts russes sans précédent ne privent le peuple moldave de son droit de choisir son propre avenir». La présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a remercié la nation pour son «courage» et a déclaré: «Bravo à la République de Moldavie!»

La Commission électorale centrale de Moldavie a déjà rejeté comme «infondée» une contestation des résultats présentée par le leader du Parti communiste du pays, qui affirmait détenir des informations sur des violations dans des bureaux de vote à l'étranger.

Même si l’on admet que les ambassades moldaves à l’étranger et les agences d’espionnage américaines et européennes aient traité les urnes du pays avec le plus grand respect, le fait que la diaspora moldave d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord ait joué un rôle décisif dans le résultat du scrutin revêt une importance politique majeure. Bien que des centaines de milliers de Moldaves pauvres soient répartis dans ces régions, la population est très stratifiée et il est peu probable que les femmes de ménage, employées de maison et autres employés à bas salaire travaillant dix heures ou plus par jour se soient rendus aux urnes. Ce sont bien plutôt les plus aisés, les plus sûrs d’eux et les plus à même de trouver une bonne place pour eux en Occident qui ont voté. C’est-à-dire une population qui soutiendra massivement l’adhésion à l’UE du point de vue de ses intérêts matériels.

En outre, deux grandes populations ont été exclues du processus électoral. Environ 150 000 Moldaves vivent en Russie. Seuls 10 000 bulletins de vote y ont été distribués et seuls deux bureaux de vote ont ouvert, tous deux à Moscou.

Il n'y avait pas non plus de bureaux de vote dans la région moldave de Transnistrie, une république séparatiste alliée à Moscou où sont stationnés 1 500 soldats. En Transnistrie vivent environ 367 000 citoyens moldaves, dont beaucoup ont également un passeport russe.

Les habitants de cette région souhaitant voter devaient traverser la frontière intérieure pour se rendre en Moldavie. Selon les autorités de la république séparatiste, le gouvernement de Chisinau n'a même pas proposé d'organiser un scrutin dans leur région et a rejeté d'emblée la validité de tout référendum organisé par les organismes locaux.

Malgré leurs déclarations triomphantes, les Etats-Unis, l'UE et le gouvernement Sandu sont confrontés en Moldavie à une crise qu'ils tentent de gérer par un mélange de fanfaronnades, de mensonges, de manipulation, de violence et de répression. L'opposition à la guerre est généralisée et croissante. La haine envers l'OTAN, la suspicion envers les véritables objectifs des Etats-Unis et de l'Union européenne alimente la peur de ce qui arrivera à cette petite dépendance qui a une sympathie générale pour le peuple russe et partage trois de ses frontières avec l'Ukraine. Neuf pour cent des 2,6 millions d'habitants de la Moldavie s'identifient comme russes ; beaucoup parlent le russe comme première, deuxième ou troisième langue ; le russe est une langue véhiculaire courante dans de nombreuses régions du pays. La population dans son ensemble est un patchwork de peuples, de langues, de religions et d'ascendances différentes.

Le pays, l'un des plus pauvres d'Europe, est frappé par l'inflation, qui érode chaque jour les salaires réels. Le taux de pauvreté atteint 13,3 pour cent et le salaire minimum s'élève à environ 262 euros par mois. Un quart des 15-34 ans n'ont pas d'emploi et ne suivent pas de formation. L'espérance de vie à la naissance n'est que de 68,6 ans et la population diminue à un rythme plus rapide que partout ailleurs sur le continent en raison de l'émigration, du faible taux de natalité et de la forte mortalité.

La présidente Sandu a difficilement arraché un résultat favorable à l’UE lors du scrutin de dimanche. Les sondages menés par des instituts de recherche occidentaux de droite insistent depuis des années sur l’existence d’un soutien substantiel à une alliance avec Bruxelles. L’Institut républicain international, de droite, a par exemple récemment estimé ce chiffre à 63 pour cent. Mais comme l’a déclaré lundi à l’AP un spécialiste de la région, ils «ont surestimé le sentiment pro-UE».

La présidente moldave n'a pas non plus réussi à remporter une victoire personnelle ce week-end, n’obtenant que 42 pour cent des voix à l'élection présidentielle tenue en même temps que le référendum. Son principal adversaire, Aleksandr Stoianoglo, d'orientation plus pro-russe, a obtenu 26 pour cent des voix. Même ces chiffres sous-estiment la profondeur du scepticisme envers Sandu, car il y avait 11 candidats au premier tour du scrutin présidentiel et de nombreuses forces anti-UE avaient conseillé le boycott. Bref, il est très difficile de savoir si l'actuelle présidente moldave restera au pouvoir après le second tour prévu le 3 novembre.

Face au mélange explosif du mécontentement économique et des sentiments anti-guerre, la présidente Sandu a de plus en plus recours à des méthodes autoritaires. En novembre 2023, deux jours avant le début des élections municipales, un important parti d’opposition avait été interdit entraînant l’élimination de 600 candidats. En mai de cette année, elle a imposé son choix pour le poste de Premier ministre, bien que n’ayant pas obtenu les voix parlementaires nécessaires. Evgenia Gutul, la gouverneure élue de Gagaouzie – où vit une minorité ethnique de chrétiens turcs qui s’opposent aux politiques culturelles fédérales dégradant le statut de la langue russe en Moldavie – a été accusée d’être un pion de Moscou.

Ce printemps, le gouvernement de Chisinau a fait adopter des amendements au code pénal qui ont été condamnées par Amnesty International. Les autorités ont modifié la définition de la trahison pour inclure les actes commis en temps de paix, et toute action peut désormais être considérée comme trahison même si elle ne cause pas de préjudice direct à l’État. Autre changement majeur: aider un État étranger, une organisation étrangère, une « entité inconstitutionnelle» non-définie, ou leurs représentants, à mener des «activités hostiles contre la sécurité de l’État», y compris «par le biais de campagnes de désinformation », constitue une nouvelle forme de «haute trahison». En bref, toute personne identifiée comme étant pro-russe est un traître.

Le département d'Etat américain se prépare déjà à la perspective que se manifestera l'opposition généralisée à la présidente Sandu. Dans un communiqué de presse du 22 octobre, le gouvernement américain a salué le récent vote pro-UE mais s'est montré clairement inquiet sur l'élection présidentielle du 3 novembre. «Les Etats-Unis restent préoccupés par le fait que la Russie tentera à nouveau d'empêcher les Moldaves d'exercer leur droit souverain de choisir leurs propres dirigeants.» En d'autres termes, si le scrutin ne se déroule pas comme le souhaite Washington, il sera déclaré illégitime.

La situation géostratégique de la Moldavie a placé le pays au centre des calculs de guerre des États-Unis et de l’Union européenne et de leurs efforts pour briser et soumettre la Russie. Fin mai, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a promis une aide de 135 millions de dollars pour soutenir la sécurité énergétique de la Moldavie et contrer la Russie. L’OTAN gère de nombreux programmes dans le pays et joue un rôle central dans la formation de son armée. Parmi les efforts énumérés sur sa page pays pour la nation de la mer Noire figure le «soutien à la formation de spécialistes de l’information publique au sein des forces armées du pays», autrement dit d’experts en propagande pro-américaine.

Dans un article publié en juin par le Centre d'études stratégiques et internationales, Daniel Runde et Thomas Bryja déclarent: «Le moment est venu pour l'Occident de faire les choses en grand en Moldavie.» «Les responsables politiques américains devraient considérer le gouvernement pro-ukrainien actuel de la Moldavie et la voie vers la résilience économique comme essentiels au succès de l'Ukraine dans la guerre, étant donné que l'alternative – un dirigeant moldave pro-russe ou corrompu – pourrait contrecarrer les aspirations de la Moldavie à un alignement occidental, laisser l'Ukraine dans une situation difficile et, en fin de compte, réduire les perspectives de survie de Kiev», ajoutent-ils.

(Article paru en anglais le 25 octobre 2024)

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