Malgré une vive opposition des infirmières du Québec, la FIQ réussit à faire entériner l’entente pro-patronale

La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), qui «représente» quelque 80.000 infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques, a annoncé, après plus de 18 mois de négociations, que l’entente proposée par le conciliateur pro-patronal a été ratifiée.

Ceci est le dernier acte de la trahison syndicale de la lutte des 600.000 travailleurs du secteur public qui représentait, à son point culminant, le plus vaste mouvement de grève au Canada depuis des décennies.

Des infirmières et autres membres de la FIQ manifestant devant l’Assemblée nationale du Québec le 16 mars 2014 [Photo: FIQ Santé/Facebook]

Le taux d’approbation moyen de 66,3% (sur un taux de participation global de 75%) ne reflète pas un réel appui à cette entente remplie de concessions, mais plutôt un vote de non-confiance envers la direction syndicale. Malgré une vive opposition parmi les infirmières, qui s’est exprimée avec le rejet de la première offre patronale en avril dernier (honteusement recommandée par le syndicat), l’entente a cette fois-ci passé surtout parce que les travailleuses et travailleurs de la santé n’avaient aucun espoir que la FIQ allait poursuivre la bataille contre le gouvernement.

La FIQ avait donné la preuve la plus récente de son à-plat-ventrisme en acceptant une décision réactionnaire du tribunal administratif du travail de rendre illégal un boycott des heures supplémentaires prévu à partir du 19 septembre. Elle a ensuite présenté l’offre du conciliateur sans la recommander pour se laver les mains en cas de refus, sachant très bien que l’offre ne répondait pas aux besoins de ses membres.

Dans un aveu de culpabilité, la présidente de la FIQ, Julie Bouchard, a admis que «nos membres ont décidé d’accepter cette recommandation, bien qu’elle ne réponde pas à toutes leurs préoccupations». Bouchard a aussi laissé entendre que les milliers d’infirmières qui se trouvent toujours dans les agences privées de placement continueraient d’avoir de meilleures conditions que celles employées par le réseau public.

Signe de l’ampleur des concessions consenties par la FIQ, la présidente du Conseil du trésor, Sonia Lebel, s’est réjouie d’une «flexibilité accrue dans l’entente, d’une plus grande disponibilité des professionnelles». Autrement dit, la FIQ a réalisé le souhait du Premier ministre du Québec François Legault, qui déclarait crument quelques mois plus tôt «vouloir dire aux infirmières d’aller là où on a besoin [d’elles]».

La proposition du conciliateur nommé par le gouvernement ne contient effectivement aucune différence essentielle avec l’entente pourrie d’avril et maintient toutes les demandes patronales réactionnaires. Celles-ci incluent notamment l’ouverture à la «mobilité» du personnel et le maintien du temps supplémentaire obligatoire (TSO) tant détesté.

Après le rejet de l’offre d’avril, la FIQ a passé des mois avec le gouvernement en coulisses pour trouver une façon de dorer la pilule pour la faire passer. En assemblée générale avant les votes, les chefs syndicaux ont évoqué une série de prétextes, y compris que la mobilité est déjà inscrite dans les dernières conventions locales, et que le tout sera «balisé». En plus d’être un aveu de culpabilité pour leurs trahisons passées, les syndicats tentent de cacher le fait que les nouvelles ententes vont beaucoup plus loin.

Sous les ordres du gouvernement, les gestionnaires pourront systématiquement déplacer le personnel à leur guise d’un établissement à l’autre et d’une région à l’autre dans un rayon variable selon les régions, mais pouvant aller jusqu’à 40 km, voire plus. La mobilité sera entre autres rendue possible par la «fusion» des «centres d’activités».

Comme pour le recours systématique au TSO et l’imposition graduelle des postes à temps plein, la mobilité vise à faire porter aux travailleurs tout le poids de la crise en santé et de la pénurie de main-d’œuvre causées par le sous-financement chronique et les mauvaises conditions de travail. Il ne fait aucun doute que ces changements auront un impact significatif sur la stabilité des milieux et donc sur la qualité des soins aux patients.

Les enjeux politiques de la lutte

Tout au long de la lutte dans le secteur public, qui a débuté avec l’échéance des dernières conventions en mars 2023, le World Socialist Web Site a averti les travailleurs que pour empêcher la bureaucratie syndicale de saboter leur combat, ils devaient s’organiser sur une base indépendante et s’orienter vers le reste de la classe ouvrière pour défendre les emplois et les services publics.

Le WSWS et le Comité de coordination de base des travailleurs du secteur public, qu’il a aidé à fonder, ont expliqué que la lutte dépassait de loin le simple cadre d’une «négo» pour un nouveau contrat de travail. Il s’agissait d’une lutte fondamentalement politique dans laquelle les travailleurs étaient en conflit avec tout le programme d’austérité et de guerre de l’élite dirigeante, que les appareils syndicaux cherchaient à imposer en étouffant leur lutte.

Dans une déclaration de septembre appelant les infirmières à rejeter l’offre du conciliateur, le WSWS écrivait: «L’attaque frontale contre les infirmières n’est pas un cas isolé. Partout au Canada, en Amérique du Nord et au-delà, l'élite dirigeante exige que la classe ouvrière – hommes et femmes, au privé comme au public, et peu importe le domaine d’activités – porte tout le poids de la crise capitaliste par la destruction des emplois et des conditions de vie».

Legault et sa Coalition Avenir Québec (CAQ) ne font qu’intensifier ce programme après des décennies de coupures sociales imposées par les gouvernements libéraux et péquistes. Comme ses homologues provinciaux et fédéraux au Canada, Legault et son gouvernement d’hommes d’affaires s’apprêtent à mettre en œuvre, avec la pleine collaboration des appareils syndicaux, un programme d’austérité et de privatisations encore plus sauvage contre la classe ouvrière.

La FIQ a planté le dernier clou dans le cercueil de la lutte des 600.000 travailleurs de l’éducation, de la santé et des services sociaux. Au même moment, il serait illusoire de croire que ces contrats de travail d’une durée de 5 ans vont préserver la «paix sociale» comme l’espèrent les chefs syndicaux. Ce n’est qu’un couvercle sur un chaudron bouillant.

Dans un contexte de profonde crise capitaliste mondiale, marquée par la montée des inégalités sociales et d’une marche accélérée vers la Troisième Guerre mondiale, les luttes ouvrières au Québec, comme au Canada et internationalement, peuvent éclater à tout moment. Ce sera le cas dans le domaine de la santé où la signature des conventions collectives laisse le champ libre au gouvernement pour donner les rennes du réseau à Santé Québec, un nouvel employeur unique dirigé par une poignée de gens d’affaires dont le but est d’«augmenter la productivité» par un contrôle accru de la main-d’œuvre et par la privatisation massive des soins.

Les leçons de la lutte du secteur public et la voie de l’avant

La question cruciale et urgente pour la classe ouvrière maintenant est de se préparer pour les luttes à venir en tirant les leçons des expériences récentes et passées.

Tout au long du conflit, les dirigeants syndicaux du Front commun (CSN, CSQ, FTQ, APTS), comme ceux de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) et de la FIQ, avaient un objectif en tête: empêcher que la lutte du secteur public ne s’étende à la classe ouvrière et ne se transforme en un défi explicite au système de profit.

Les syndicats ont d’abord refusé d’appliquer le mandat de grève générale illimitée voté à 95% par leurs membres, puis ont canalisé la colère des travailleurs dans quelques journées de grève limitée en semant l’idée frauduleuse que le gouvernement reculerait. À ce moment, le vice-président de la CSN, François Enault déclarait que «les travailleurs sont prêts à débrayer demain matin, mais nous [les dirigeants syndicaux], ce n’est pas ce qu’on veut».

Au lendemain de la ratification des conventions au Front commun, le président de la CSQ, Éric Gingras, a qualifié le processus de négociations de «psychodrame» qu’il fallait éviter à tout prix, faisant référence au risque de confrontation entre le gouvernement et les employés de l’État.

Les syndicats étaient fort conscients que le monde du travail soutenait massivement les employés de l’État et que les conditions étaient mûres pour une telle mobilisation. C’est justement pour préserver la «paix sociale», c’est-à-dire l’ordre capitaliste, qu’ils ont systématiquement refusé de mobiliser cet appui. Ils ont plutôt essoufflé la lutte dans un processus interminable de négociations dont les paramètres financiers étaient décidés d’avance par le gouvernement.

La lutte a été confinée dans les frontières du Québec, les syndicats n’ayant jamais lancé un appel aux travailleurs dans le reste du Canada. De la même manière, les syndicats dans le Canada anglais n’ont pas mobilisé leurs membres, dont certains (FTQ-SCFP) sont même directement affiliés.

Rappelant son rôle durant la grève étudiante de 2012 au Québec, le Nouveau Parti démocratique (NPD) n’a pas levé le petit doigt pour soutenir les travailleurs en grève. Les syndicats, rappelons-le, ont été un pilier de l’accord libéral-NPD qui a permis de maintenir les libéraux fédéraux au pouvoir afin qu’ils mettent en œuvre leur programme favorable à la grande entreprise. Les libéraux de Justin Trudeau ont aussi pu renforcer l’implication de l’impérialisme canadien dans la guerre de l’OTAN menée par Washington contre la Russie en Ukraine, en plus de soutenir le génocide des Palestiniens par Israël et l’agression contre l’Iran.

Lors d’une manifestation en novembre, toujours dans le but de subordonner les travailleurs à l’establishment, les chefs syndicaux ont fait parader des représentants du Parti québécois et du Parti libéral devant les travailleurs en grève, alors que ce sont précisément ces partis qui ont saccagé les services publics au cours des quarante dernières années. Des représentants de Québec Solidaire ont aussi été promus à cet événement. Derrière ses critiques vides envers Legault et ses appels futiles à «écouter» les travailleurs, ce parti des classes moyennes aisées s’est rangé derrière Legault en déclarant que les travailleurs devaient respecter les lois réactionnaires qui encadrent le droit de grève.

Les chefs syndicaux ont fait parader le chef du Parti québécois Paul St-Pierre Plamondon et la députée en vue du Parti libéral du Québec Marwa Rizqy – des représentants de partis de la grande entreprise qui ont imposé des coupes drastiques dans le secteur public – lors d’une manifestation des travailleurs du secteur public devant l’Assemblée nationale le 23 novembre 2023. Dans la photo, St-Pierre Plamondon est le deuxième à partir de la gauche en arrière et Rizqy est complètement à droite en avant. [Photo: Conseil Central de Québec Chaudière-Appalaches (CSN)/Facebook]

Après des mois de «négociations», Legault a gardé la ligne dure et les syndicats se sont agenouillés. Ils ont laissé pendre la menace d’une loi spéciale comme une épée de Damoclès pour ensuite forcer les travailleurs à accepter une offre présentée comme un «moindre mal».

La signature des ententes au Front commun en février dernier, sans qu’aucune des revendications de base des membres n’ait été répondue (investissements massifs dans les services publics, rattrapage salarial pour tous, diminution des ratios, embauches, etc.), a isolé davantage les membres de la FIQ.

De son côté, la FIQ a poursuivi la même stratégie désastreuse de longue date selon laquelle les infirmières sont un «cas particulier» et doivent lutter séparément. Cette stratégie n’a fait qu’isoler et affaiblir davantage les infirmières face à la répression étatique, au chantage et aux menaces de loi spéciale de Legault, permettant au gouvernement Legault d’imposer la «mobilité» qu’il recherchait.

Ces trahisons syndicales ne sont pas le fruit de quelques pommes pourries dans la haute direction, mais celui de la perspective nationaliste et pro-capitaliste partagée par la bureaucratie syndicale dans son ensemble. Les appareils syndicaux et les bureaucrates privilégiés qui les dirigent sont aujourd’hui des instruments au service de l’État et de la grande entreprise qui ont développé des intérêts de classe hostiles aux travailleurs qu’ils disent représenter.

D’immenses luttes sociales vont continuer d’émerger dans la prochaine période. Face à la tentative des syndicats de subordonner la classe ouvrière aux partis bourgeois et au nationalisme, les travailleurs doivent avancer une perspective socialiste et internationaliste.

Pour y arriver, la voie de l’avant réside dans la construction de nouveaux organes de lutte indépendants: des comités de base dans tous les lieux de travail et unifiés dans un vaste réseau national et international afin d’unir toutes les luttes ouvrières et préparer une offensive de classe contre le système de profit qui est à la source de la guerre, des inégalités sociales et du tournant vers le fascisme.

Nous appelons ceux et celles qui sont intéressés par une telle perspective à contacter le WSWS.

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