Dans un acte de soumission aux demandes du gouvernement et d’abandon des «lignes rouges» tracées par ses propres membres, la FIQ (Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec) a accepté de soumettre au vote un projet d’entente du conciliateur pro-patronal qui donne à l’employeur le droit explicite de trimbaler les infirmières d’un établissement à l’autre.
Le texte qui a été pondu par le conciliateur (un exécutant du gouvernement sous une apparence de neutralité) et tacitement approuvé par le syndicat des infirmières incorpore toutes les exigences du gouvernement de François Legault, y compris de «pouvoir dire aux infirmières d’aller travailler là où l’on a besoin [d’elles]», dans les mots du Premier ministre du Québec.
La capitulation de la FIQ est totale. Sa présidente, Julie Bouchard, qui avait évoqué il y a quelques jours la (mince) possibilité que les infirmières cessent de faire du temps supplémentaire en guise de protestation, a annoncé la levée «de tous les moyens de pression».
Depuis plus de 500 jours, la direction de la FIQ refuse de déclencher le moindre débrayage sérieux par peur que le mouvement d’opposition des infirmières ne sorte de son contrôle et ne s’étende au reste de la classe ouvrière.
En avril, la FIQ avait accepté et même recommandé une offre patronale qui ouvrait grand la porte à la «mobilité», gardait les hausses salariales sous l’inflation et perpétuait le recours systématique au temps supplémentaire obligatoire. En défi à la direction syndicale, 61 pour cent des infirmières avaient alors rejeté cette offre pourrie.
Cinq mois plus tard, la FIQ utilise l’alibi du conciliateur pour pousser essentiellement la même entente que celle d’avril sous le prétexte que la mobilité serait maintenant «balisée».
Tout le bla-bla bureaucratique autour des balises («définition des centres d’activité», «notion d’établissement», «kilométrage limité») est une duperie. Le mandat que les infirmières ont donné à la FIQ n’est pas de «baliser» la mobilité, mais de la rejeter du revers de la main.
Avec la loi 15 et la création de l’agence Santé Québec – un nouvel employeur unique qui a pour mandat d’accélérer la privatisation des soins de santé – le gouvernement Legault a mis en place la structure administrative pour déplacer la main-d’œuvre à sa guise. Il n’attend que la signature des nouvelles conventions collectives pour exploiter la brèche et lui donner force légale.
Pendant ce temps, la colère sociale gronde parmi les membres de la base. Il y a beaucoup d’opposition au nouvel acte de trahison de la FIQ. Comme l’a résumé une infirmière sur Facebook: «Ils gardent la même proposition en changeant quelques mots. Nous on va garder la même réponse, mais en plus grosses lettres. NON!»
Au même moment, beaucoup se demandent comment aller de l’avant. La frustration va de pair avec une certaine confusion sur la question de la «mobilité», qui est entretenue par les grands médias et par la FIQ elle-même en donnant de la crédibilité au discours mensonger sur les «balises». De plus, le gouvernement peut compter sur une batterie de lois anti-grève et sur le fait que les membres de la base n’ont pas confiance dans leur direction syndicale.
Pour trouver une issue à cette situation difficile, les infirmières doivent partir du fait essentiel que l’attaque frontale qu’elles subissent n’est pas un cas isolé. Partout au Canada, en Amérique du Nord et au-delà, l'élite dirigeante exige que la classe ouvrière – hommes et femmes, au privé comme au public, et peu importe le domaine d’activités – porte tout le poids de la crise capitaliste par la destruction des emplois et des conditions de vie.
Alors que les travailleurs se font dire par le gouvernement et les syndicats que les ressources sont «limitées» pour les services publics, la réalité est que les immenses richesses sociales produites par la classe ouvrière – en quantité suffisante pour répondre aux besoins humains de tous – sont entièrement subordonnées à la grande entreprise et à des guerres d’agression pour soutenir la position géostratégique du Canada.
Le mot d'ordre de la grande entreprise et des gouvernements est partout le même: plus de flexibilité et de productivité! Face au manque chronique de personnel pour répondre aux besoins d’une société de masse, l'élite patronale refuse d'embaucher et exige que les travailleurs en fassent plus avec moins.
Dans le domaine de la santé, cela se traduit par la hausse constante des heures de travail, le temps supplémentaire obligatoire, et maintenant la mobilité – c'est-à-dire le déplacement du personnel d'un établissement à l’autre, ou d’une région à l’autre, d’un simple hochement de tête de l’employeur.
Lors des votes prévus du 15 au 17 octobre, les travailleurs devront rejeter la proposition du conciliateur, tacitement soutenue par la FIQ, avec tout le mépris qu’elle mérite.
Il est temps de renverser la vapeur après les décennies de reculs que les gouvernements péquistes, libéraux et caquistes successifs ont imposées avec l’aide de la bureaucratie syndicale.
Il est temps de mettre fin à la politique meurtrière des «profits avant les vies» qui est toujours mise de l’avant par les gouvernements au Canada et ailleurs dans le monde alors que la pandémie de COVID-19 continue de faire des ravages dans la population.
Mais pour aller de l'avant, les travailleurs doivent rompre avec l’appareil bureaucratique syndical qui torpille les luttes ouvrières depuis des décennies au nom de la «paix sociale», comme ce fut le cas, à la fin de l’an dernier, avec la trahison par le Front commun intersyndical d’une grande vague de grèves dans le secteur public.
Les infirmières doivent rejeter en particulier la stratégie désastreuse de la FIQ qui est basée sur l’idée qu’elles seraient un «cas à part», ce qui sert à les diviser du reste de la classe ouvrière.
Contrairement à ce que prétendent les syndicats, les infirmières ne sont pas engagées dans une simple lutte pour un nouveau contrat de travail: elles font face au programme de classe de toute l’élite dirigeante et à son vaste arsenal répressif, y compris les tribunaux et les lois spéciales.
La récente décision du Tribunal administratif du travail que les travailleurs ne peuvent refuser le temps supplémentaire de manière «concertée» en guise de protestation confirme le rôle du pouvoir judiciaire comme défenseur des intérêts des banques et des ultra-riches.
Et la soumission de la FIQ à ce jugement anti-démocratique confirme le rôle des syndicats comme police de la classe ouvrière sur les lieux de travail et comme partenaire de l’élite dirigeante ayant pour tâche d’étouffer la résistance des membres de la base.
Les infirmières font face à un ennemi disposant de vastes moyens, mais plus puissants encore sont leurs alliés de classe: les travailleurs de tous les secteurs, au Québec comme partout au Canada et ailleurs dans le monde, qui produisent toutes les richesses de la société et sont confrontés au même assaut patronal sur leur niveau de vie.
Un appel des infirmières en faveur d’une lutte de masse pour garantir de bonnes conditions de travail, ainsi que la défense des services publics, aurait un écho retentissant dans toute la population.
Mais l’émergence et la coordination d’un tel mouvement ne sont possibles que si les infirmières et leurs collègues de la santé s'organisent indépendamment des appareils syndicaux et forment des comités de base dans chaque lieu de travail, qui auront la tâche de mobiliser le puissant appui qui existe dans la population pour une contre-offensive ouvrière à l’assaut patronal sur les salaires et les conditions de vie.
Une telle mobilisation doit s’inscrire dans la lutte pour construire un mouvement politique de toute la classe ouvrière pour contrer le programme d’austérité et de guerre de l’élite dirigeante.