Rapport présenté au huitième Congrès national du SEP (États-Unis)

Le crépuscule de la démocratie américaine (1991-2024)

Nous publions ici le rapport présenté par Tom Carter au VIIIe Congrès du Parti de l’égalité socialiste (États-Unis). Le congrès s’est tenu du 4 au 9 août 2024. Il a adopté à l’unanimité deux résolutions, «Les élections américaines de 2024 et les tâches du Parti de l’égalité socialiste» et «Libérez Bogdan Syrotiuk!»

Je vais parler de la section de la résolution intitulée «Trump, le fascisme et la crise de la démocratie américaine». Je me concentrerai en particulier sur Trump contre les États-Unis (Trump v. US), la décision de la Cour suprême annonçant que, pour six des neuf juges de la Cour suprême, l’Amérique est une dictature présidentielle.

Comme l’explique la résolution, citant l’article du camarade Tom Mackaman, «La Cour suprême et la contre-révolution du 1er juillet 2024», cette décision n’est pas sortie du néant mais a été l’aboutissement d’un long processus de décadence et d’érosion des normes démocratiques aux États-Unis. C’est la manifestation interne d’un processus de plusieurs décennies qui se manifeste extérieurement par l’escalade de la violence et de la belligérance du militarisme américain à l’étranger. Ce processus extérieur, examiné par le camarade André Damon, a culminé avec un génocide mené à la vue de tous, en même temps que le carnage fratricide implacable en Ukraine, tandis que les flammes de la guerre sont maintenant attisées vers le Liban, l’Iran et la Chine. Intérieurement, ce même processus a culminé avec l’annonce par la Cour suprême que le président est un dictateur, qui est au-dessus des lois et qui est libre de commettre des crimes en toute impunité. Ce sont les deux faces d'une même pièce.

Dans ces remarques, je reprendrai là où le camarade Tom Mackaman s’est arrêté. J’examinerai d’abord la décision elle-même. Deuxièmement, j’examinerai certains des principaux précédents et antécédents de la décision dans la période qui a suivi la liquidation de l’URSS. Troisièmement, j’examinerai l’état de la répression politique aux États-Unis, en particulier les manifestations contre le génocide de Gaza. Quatrièmement, je ferai quelques remarques sur le caractère de la Cour suprême. Et enfin, cinquièmement, je reprendrai l’évaluation de l’historien Sean Wilentz selon laquelle Trump contre les États-Unis est le «Dred Scott de notre époque» [NdT : décision de la Cour suprême renforçant l’esclavage, voir plus loin].

Trump v. US: «Des actions audacieuses sans hésitation»

L'affaire a un titre qui pourrait avoir été écrit par Charles Dickens: «Trump contre les États-Unis», Trump apparaissant comme la partie gagnante.

L'affaire découle directement de la tentative de Trump de renverser la Constitution américaine et de s'installer comme dictateur le 6 janvier 2021. Un grand jury fédéral a inculpé Trump de quatre chefs d'accusation en rapport avec le projet de coup d'État. L'acte d'accusation alléguait, entre autres, qu'après avoir perdu cette élection, Trump avait conspiré pour la renverser en répandant sciemment de fausses allégations de fraude électorale afin d'entraver la collecte, le dépouillement et la certification des résultats de l'élection.

Trump a demandé le rejet de l'acte d'accusation en invoquant ce que l'on appelle «l'immunité présidentielle», arguant qu'un président jouit d'une immunité absolue contre les poursuites pénales pour les actions qui constituent ses «actes officiels». Dans un premier temps, le tribunal fédéral de district a rejeté l'argument de Trump, tout comme la cour d'appel du District de Columbia. Trump a fait appel devant la Cour suprême.

La Cour suprême a tranché l'affaire en faveur de Trump le 1er juillet par 6 voix contre 3. La décision ne se contente pas d'annoncer que Trump bénéficie de l'immunité dans ce cas précis. Au contraire, la Cour suprême a défini un cadre d'immunité présidentielle qui s'applique de manière permanente à la fonction du président en tant que commandant en chef, quel que soit le futur président. Cette décision, sans exagération, a effectivement renversé le cadre constitutionnel qui existait aux États-Unis depuis la Révolution américaine et jusqu'à la guerre de Sécession.

Trump a fait valoir, et la Cour suprême lui a donné raison, que le président devait bénéficier d'une immunité «pour s'assurer qu'il puisse entreprendre les tâches particulièrement délicates de sa fonction avec audace et sans hésitation».

L'essence d'une dictature présidentielle est que le président est au-dessus de la loi, que sa parole est la loi et qu'il est libre d'ignorer toutes les lois qui se dressent sur son chemin. Cela contraste avec une démocratie bourgeoise, dans laquelle, en théorie, le président est un citoyen au sens de la loi, avec les mêmes droits et les mêmes limites que tout le monde. Le mot «dictateur» n'apparaît pas dans la décision de la Cour suprême, mais celle-ci n'a pas eu besoin de l'utiliser: elle a simplement transformé le mot «président» pour lui donner le sens de «dictateur» à toutes fins utiles et a obtenu le même résultat.

Sur le World Socialist Web Site, nous avons comparé cette décision, de manière tout à fait justifiée, à la loi d'habilitation de 1933, qui donnait à Hitler le pouvoir de violer unilatéralement la constitution de Weimar sans avoir à en rendre compte aux autres branches du gouvernement. L'expression «avec audace et sans hésitation», en particulier, n'est rien d'autre que la traduction en français du principe du Führer, selon lequel le dirigeant est censé être l'expression de la volonté démocratique du peuple, qui doit l'emporter sur ce que le juriste nazi Carl Schmitt a appelé la «conversation sans fin» du parlementarisme, de l'État de droit et de la séparation des pouvoirs. Schmitt, qui a aujourd'hui des admirateurs déclarés dans les facultés de droit américaines, ne verrait dans la décision de la Cour suprême que l'expression de ses propres préceptes appliqués aux institutions américaines.

Cette décision s'inscrit dans un phénomène mondial. L'un des projets de loi proposés dans le cadre de l’ensemble de «réformes judiciaires» d'extrême droite en Israël l'année dernière, qui a suscité des manifestations massives, était un projet de loi interdisant les poursuites pénales contre les premiers ministres en exercice, ce qui aurait libéré le premier ministre de l'époque et actuel, Benjamin Netanyahou, des accusations de corruption qui pèsent actuellement sur lui.

Une autre manifestation de ce phénomène est l'annulation pure et simple des élections en Ukraine cette année, faisant de Zelensky un dictateur régnant sur l'Ukraine sans autre forme de procès que son propre avis et le soutien des puissances de l'OTAN. Employant ouvertement le langage et la logique du fascisme, Zelensky a justifié son accession aux pouvoirs dictatoriaux en novembre en déclarant: «Nous devons comprendre que le temps de la défense est venu, le temps de la bataille qui détermine le destin de l'État et du peuple, et non le temps des manipulations.»

En juin, les médias français ont indiqué que le président Emmanuel Macron avait l'intention d'invoquer l'article 16 de la Constitution, de suspendre le Parlement et d'assumer les pouvoirs d'urgence, alors que les Jeux olympiques de 2024 se déroulaient sous un véritable état de siège militaire dans la ville de Paris.

La forme précise qu'elle prend peut varier d'un pays à l'autre, mais la tendance est la même – et les États-Unis sont au centre de ce processus mondial.

Pour sa part, la Cour suprême, dans l'affaire Trump v. United States, n'a pas déclaré l'immunité du président en toutes circonstances et pour toujours. Au contraire, les juges de la Cour suprême ont prétendu conserver le pouvoir de décider eux-mêmes quand le président bénéficie ou non de l'immunité. Par exemple, dans ce nouveau cadre, la Cour suprême pourrait accorder l'immunité à un futur président républicain, mais pourrait faire volte-face et refuser l'immunité à un futur président démocrate pour le même comportement. Il s'agit, en ce sens, d'une prise de pouvoir sans précédent historique de la part des insurgés alignés sur Trump.

Je comprends que le WSWS a été critiqué pour avoir soi-disant exagéré les implications et les dangers de la décision. Pour répondre à cette critique, il faut d'abord rappeler ce que les trois juges dissidents ont réellement écrit dans leur avis.

«La Cour crée effectivement une zone de non-droit autour du président, bouleversant le statu quo qui existe depuis la Fondation», a écrit la juge Sonia Sotomayor:

Selon le raisonnement de la majorité, lorsque le président utilise ses pouvoirs officiels de quelque manière que ce soit, il est désormais à l'abri de toute poursuite pénale. Il ordonne à l'équipe 6 de la marine d'assassiner un rival politique? Immunité. Organise-t-il un coup d'État militaire pour se maintenir au pouvoir? Immunité. Accepte-t-il un pot-de-vin en échange d'une grâce? Immunité. Immunité, immunité, immunité.

Sotomayor a également écrit : « La relation entre le président et le peuple qu'il sert a changé de manière irrévocable. Dans chaque utilisation de son pouvoir officiel, le président est désormais un roi au-dessus de la loi. »

Dans une dissidence distincte, la juge Ketanji Brown Jackson a laissé entendre que le président pouvait désormais assassiner d'autres responsables gouvernementaux sans avoir à rendre compte de ses actes ni à en subir les conséquences. « Si le président peut avoir le pouvoir de décider de révoquer le procureur général, par exemple, écrit-elle, la question qui se pose ici est de savoir si le président a la possibilité de révoquer le procureur général en le tuant par empoisonnement, par exemple. »

Ces juges dissidents n'écrivent pas en tant que marxistes, évidemment, mais en s'inquiétant des dommages que cette décision causera à la crédibilité et à la légitimité perçue de l'impérialisme américain, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Après tout, selon les porte-parole du département d'État américain, les États-Unis sont censés être engagés dans une lutte pour «la liberté et la démocratie» contre «l'autoritarisme» dans le conflit avec la Russie et la Chine – mais en même temps, le gouvernement américain est engagé dans une lutte pour éradiquer la liberté et la démocratie et imposer des formes autoritaires de gouvernement à l'intérieur du pays. Ces motifs n'enlèvent rien à la gravité de leurs avertissements.

Permettez-moi de donner quelques exemples concrets pour illustrer la signification de cette décision. En février de cette année, Mike Collins, membre républicain du Congrès de Géorgie, a déclaré, dans le cadre des poursuites pénales engagées à l'encontre d'un New-Yorkais (qui a par la suite été disculpé), que «nous pourrions lui acheter un billet sur Pinochet Air pour un tour d'hélicoptère gratuit». Il s'agit d'un membre républicain du Congrès, en exercice, qui fait une référence positive et non ironique au dictateur chilien Augusto Pinochet et au massacre des opposants de gauche à son régime. Pour utiliser cette menace comme exemple, supposons qu'un président ordonne l'assassinat de dissidents de gauche en les faisant tomber d'un hélicoptère. En vertu de la «loi suprême du pays» en vigueur aux États-Unis, le président jouirait d'une immunité présumée contre les poursuites pénales parce qu'il s'agirait d'un «acte officiel».

Autre exemple: une nouvelle loi fédérale a été proposée en mai par le républicain du Tennessee Andy Ogles. Ce projet de loi, qui a été officiellement présenté à la Chambre des représentants des États-Unis, autoriserait la déportation des étudiants manifestants contre le génocide vers Gaza. La loi dite «Antisemitism Community Service Act» (H.R. 8321) stipule: «Toute personne reconnue coupable d'activité illégale sur le campus d'un établissement d'enseignement supérieur à partir du 7 octobre 2023 sera affectée à Gaza dans le but d'effectuer des travaux d'intérêt général pour une période d'au moins six mois. Cette loi n'a pas été adoptée, mais supposons qu'elle le soit. En vertu de la décision de la Cour suprême, un président qui rassemblerait des étudiants pro-palestiniens et les transporterait à Gaza bénéficierait d'une immunité tant qu'il s'agirait d'un «acte officiel».

Trump lui-même a appelé directement à l'expulsion de tous les socialistes s'il est élu. Dans un discours prononcé l'année dernière, il a déclaré «Nous allons empêcher les communistes, les marxistes et les socialistes étrangers qui haïssent les chrétiens d'entrer en Amérique.» Si Trump devait déporter tous les membres du Congrès, serait-ce illégal? Oui. Serait-il à l'abri de toute poursuite pour cela? Oui, a priori, en vertu de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Trump v. United States, pour autant qu'il s'agisse d'un «acte officiel».

Précédents et antécédents: torture, assassinats et commissions militaires

Lorsqu'il s'agit de retracer les précédents et les antécédents de l'affaire Trump v. United States, la question se pose toujours de savoir par où commencer et jusqu'où remonter.

Il y a certainement eu une répression de masse, y compris la répression de notre mouvement, pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale, ainsi que pendant la guerre du Viêt Nam. Après la Première Guerre mondiale, le gouvernement américain a même déployé des troupes en Russie pour tenter de réprimer la Révolution russe. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants de notre parti ont été emprisonnés en vertu de la loi anticommuniste Smith Act. Et à l'époque de la guerre du Viêt Nam, le gouvernement a tenté d'étouffer la dissidence en infiltrant massivement les groupes de gauche avec des agents gouvernementaux en civil et des informateurs. Mais se contenter de dire que «l'histoire se répète» reviendrait à sous-estimer le caractère historiquement sans précédent de la décision et de la situation à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés.

La liquidation de l'URSS en 1988-1991, en particulier, a mis un terme aux restrictions dans la poursuite pure et simple des intérêts des capitalistes américains contre leurs rivaux à l'étranger et contre la classe ouvrière américaine à l'intérieur du pays. Elle a été suivie d'une éruption du militarisme américain dans le monde et d'un virage à droite de l'ensemble de l'establishment politique américain. Dans le cadre de ce processus, le Parti démocrate a abandonné les derniers vestiges du réformisme pour se tourner vers la politique de l'identité.

La crise de la destitution de Clinton en 1998 a été le théâtre d'une conspiration sans précédent de la droite visant à paralyser l'administration Clinton à l’aide d'un scandale sexuel. L'atmosphère politique toxique qui s'est abattue sur l'ensemble de la scène politique officielle américaine à l'occasion de cette affaire ne s'est jamais dissipée.

Dans une déclaration publiée le 21 décembre 1998 sous le titre «Les États-Unis dérivent-ils vers la guerre civile?», le comité éditorial du WSWS a écrit:

La crise à Washington découle d'une complexe interaction entre des processus politiques, sociaux et économiques. La démocratie bourgeoise est en train de s'écrouler sous le poids accumulé de contradictions de plus en plus insolubles. Les processus économiques et technologiques associés à la mondialisation de l'économie ont miné les conditions sociales et les rapports de classe sur lesquels a reposé pendant longtemps la stabilité politique des États-Unis.

Si, officiellement, le Congrès doit voter pour déclarer la guerre, dans la pratique, les États-Unis, sous les administrations démocrates et républicaines, se sont engagés dans une guerre après l'autre par décret exécutif, y compris le bombardement unilatéral de l'ex-Yougoslavie par l'OTAN en 1999.

L'élection de 2000 a été volée par George W. Bush et par la Cour suprême sous la forme de l'infâme décision Bush contre Gore. La Cour suprême a ordonné l'arrêt du décompte des voix en Floride, et le juge Antonin Scalia, archi-réactionnaire, a même affirmé au cours de la procédure qu'il n'y avait pas de droit constitutionnel à voter pour un président. Comme l'a souligné le WSWS à l'époque, l'acceptation de cette décision totalement illégitime par l'ensemble de l'establishment politique a démontré qu'il n'existait plus de soutien pour les formes démocratiques de gouvernement au sein de la classe dirigeante.

Le vol des élections de 2000 a été suivi par le lancement de la soi-disant «guerre contre le terrorisme» l'année suivante. Les partis démocrate et républicain ont déclaré à l'unanimité que le pays se trouvait dans un état d'urgence nationale permanent justifiant la suspension indéfinie des droits démocratiques. Cela incluait le droit à l'habeas corpus. Les aéroports ont été placés sous haute sécurité, une mesure qui n'a jamais été levée. La prétendue «guerre contre le terrorisme» a vu la création du ministère de la Sécurité intérieure, qui a regroupé les différentes agences fédérales de renseignement en un seul appareil monolithique, ainsi que la loi policière Patriot Act, qui a autorisé une surveillance massive dans le monde entier.

Dans le cadre de la «guerre contre le terrorisme», le gouvernement américain a ouvertement approuvé les enlèvements (appelés «restitutions extraordinaires») et la torture (appelée «interrogatoire renforcé»). Des centaines de personnes ont été mutilées et assassinées à Guantanamo Bay et dans les «sites noirs» du monde entier. En envahissant et en occupant l'Afghanistan et l'Irak, les États-Unis ont exercé une répression féroce contre l'opposition populaire, ce qui a donné lieu aux images terrifiantes du centre de torture d'Abou Ghraïb, en Irak, en 2004. Les États-Unis ont également mis en place un système de tribunaux militaires truqués, toujours en place aujourd'hui, pour poursuivre ce qu'ils appellent les «combattants ennemis illégaux», qui sont censés ne bénéficier ni de la protection des lois de la guerre, ni des droits procéduraux et substantiels des accusés pénaux.

Un détenu cagoulé emprisonné à Abou Ghraïb. Il se tient debout sur une boîte avec des fils électriques attachés à sa main gauche et à sa main droite; on lui a dit qu'il serait électrocuté s'il tombait de la boîte. [Photo: US Government]

En juillet 2002, le procureur général John Ashcroft a directement autorisé un certain nombre de techniques de torture, notamment « l’empoignade au collet, la projection contre le mur, la prise du visage, la gifle, l’enfermement exigu, la position debout penchée contre un mur, des positions stressantes, la privation de sommeil, l’utilisation de couches et l’utilisation d’insectes ». La plus infâme des techniques de torture répandues de la CIA a été décrite dans le rapport de 2014 de la commission du renseignement du Sénat : « la réhydratation rectale, sans preuve de nécessité médicale ».

Sous le slogan «regarder vers l'avant, pas vers l'arrière», Obama a refusé de poursuivre ces criminels de guerre. Le refus bipartisan de poursuivre les tortionnaires a eu des conséquences considérables pour l'establishment politique américain, servant de feu vert à la criminalité la plus flagrante dans tous les domaines. Au cours de la semaine écoulée, l'administration Biden a révoqué à un accord de plaidoyer avec trois victimes de la torture, ce qui revient à insister encore aujourd'hui sur la légitimité des aveux obtenus sous la torture.

L'appareil d'espionnage a continué à se développer sous Obama. Dans un fichier de présentation PowerPoint de l'Agence nationale de sécurité révélé par Edward Snowden, le lanceur d’alerte de la NSA, l'appareil secret de surveillance mondiale du gouvernement américain s'est fixé l'objectif suivant: «Tout renifler, tout collecter, tout connaître, tout traiter, tout exploiter.»

Les révélations de Snowden n'ont pas donné lieu à des poursuites judiciaires à l'encontre des personnes impliquées dans l'espionnage illégal de la population. Au contraire, Snowden a fui le pays après avoir été menacé de mort par des militaires et des agents des services de renseignement américains et après que l'administration Obama a exigé qu'il plaide coupable et se rende à la justice.

L'expansion massive de l'espionnage national a coïncidé avec l'intégration des monopoles technologiques de l'internet dans l'appareil de renseignement américain et s'est également traduite par une censure croissante du WSWS.

Le Parti démocrate et ses juges et magistrats alignés ont pleinement adhéré à la soi-disant «guerre contre le terrorisme», et lorsque Obama était président, ils ont adhéré à son pouvoir par décret. Lors de ce que l'on a appelé les «mardis de la terreur», Obama examinait et signait des mandats d'arrêt de mort pour des personnes du monde entier, qui étaient ensuite assassinées par des drones de la CIA, souvent avec toute leur famille. Au total, 3.797 personnes ont été assassinées après avoir été inscrites sur les listes de personnes à abattre d'Obama, dont des centaines d'innocents.

Un incident survenu au cours des années Obama est remarquable. La secrétaire d'État Hillary Clinton a rencontré ses collaborateurs le 23 novembre 2010, alors que Wikileaks était en train de publier des documents dénonçant les crimes de guerre et les intrigues des États-Unis dans le monde entier. Faisant référence à Julian Assange, Clinton a déclaré: « Ne pouvons-nous pas simplement envoyer un drone s’en occuper?» Selon les reportages, tout le monde dans la salle a évidemment ri, puis un silence gênant s'est installé lorsque les gens ont réalisé qu'Hilary Clinton était vraiment sérieuse. Elle a commencé à passer en revue des propositions concrètes.

Le 30 septembre 2011, l'administration Obama a assassiné le citoyen américain Anwar al-Awlaki au Yémen. À la demande de l'administration Obama, un procès intenté par la famille d'al-Awlaki a été rejeté par les tribunaux américains sur la base de l'affirmation par Obama de pouvoirs « en temps de guerre » non révisables et d'autres préceptes dictatoriaux et autoritaires. À l'époque, nous avions écrit sur le WSWS que cette décision «ouvrait la voie à la liquidation extrajudiciaire des opposants au gouvernement américain et, en fin de compte, à la dictature présidentielle». En fait, l'affaire Al-Awlaki a été citée favorablement par la juge Amy Coney Barrett dans l'affaire Trump v. United States, comme nous le soulignons au paragraphe 30 de la résolution.

Le 6 janvier 2021, après avoir ouvertement menacé de le faire pendant des mois, Trump a organisé une insurrection fasciste à Washington DC. Une foule de voyous mobilisés à partir d'organisations d'autodéfense suprémacistes et néonazies dans tout le pays a pris d'assaut le bâtiment du Congrès américain, armés de menottes en plastique, avec l'intention de capturer et d'assassiner les sénateurs et les membres de la Chambre des représentants qui s'opposaient au coup d'État. Comme des sections de l'armée et de la police se sont gardées d’intervenir, l'insurrection a réussi à retarder la validation officielle de la majorité du collège électoral de Biden. Néanmoins, après l'échec du coup d'État, la principale préoccupation de Biden, dès son entrée en fonction, a été de réhabiliter les insurgés républicains, dont le soutien était nécessaire à son administration pour mener à bien sa politique intérieure et étrangère réactionnaire, y compris le projet de guerre contre la Russie.

Avec le recul sur cette période, j'ai intitulé ce rapport «Le crépuscule de la démocratie américaine». Si la révolution américaine et la guerre civile ont été le lever du soleil et le plein midi, la période qui a suivi la liquidation de l'URSS a été la tombée de la nuit, les ombres s'allongeant progressivement et engloutissant tout ce qui restait des reliques institutionnelles de ces périodes antérieures. En ce sens, l'affaire Trump v. United States n'est pas un tournant mais plutôt le point culminant de ce long crépuscule.

Répression politique aux États-Unis: Les manifestations pro-Gaza et la criminalisation de la «perturbation»

Ce glissement vers un régime autoritaire aux États-Unis s'explique en partie par l'accélération de la criminalisation de la dissidence, qui s'est poursuivie sous les administrations démocrates et républicaines.

Les États-Unis ont connu des vagues de troubles intérieurs depuis la liquidation de l'URSS, les vagues successives atteignant des niveaux d'intensité plus élevés et faisant l'objet d'une répression de plus en plus sévère. Il y a eu les manifestations de 1999 à Seattle contre l'OMC, les manifestations de 2003 contre la guerre en Irak (expérience à laquelle j'ai personnellement participé en tant qu'étudiant), les manifestations Occupy Wall Street de 2011, les manifestations de 2014 à Ferguson, les manifestations de 2017 contre l'investiture de Trump, les manifestations d'étudiants de 2018, puis les manifestations massives de 2020 pour George Floyd. Chacune de ces expériences majeures s'est généralement heurtée à une répression de plus en plus sévère, ainsi qu'aux limites de la pseudo-gauche et du milieu syndical qui ont cherché à canaliser chaque vague de protestations derrière le Parti démocrate.

En décembre 1999, à la suite des manifestations de Seattle, le comité éditorial du WSWS a noté:

Les protestations et les affrontements entre les manifestants et la police à l'extérieur de la réunion de l'Organisation mondiale du commerce à Seattle sont un signe avant-coureur des événements à venir. Ces événements révèlent l'explosivité des tensions sociales qui se développent au sein du capitalisme mondial, et plus particulièrement en Amérique.

Au moment de la vague de protestations de 2020, en particulier, l'hostilité extrême de l'establishment politique américain à l'égard des droits démocratiques fondamentaux que sont la liberté d'expression et la liberté de réunion a été pleinement mise en évidence. «Vous devez dominer, sinon vous perdez votre temps», a déclaré Trump lors d'un appel avec des gouverneurs au cours de l'été 2020. «Ils vont vous écraser. Vous aurez l'air d'une bande de crétins». Trump s'est lui-même réfugié dans un bunker lors des manifestations à Washington, puis a pris la décision sans précédent de déployer des milliers de soldats de la Garde nationale pour disperser les manifestants. «Je suis votre président de la loi et de l'ordre», a-t-il crié devant les caméras.

Les manifestations contre le génocide de Gaza qui ont débuté en octobre se sont distinguées à la fois par leur intensité et par l'intensité de la répression.

Selon le New York Times du 22 juillet, plus de 3100 personnes ont été arrêtées ou détenues sur les campus du pays jusqu'à présent. Les campements formés par les étudiants sur les campus universitaires en réponse à la répression à Columbia ce printemps ont fait l'objet d'opérations militaires menées par des centaines de policiers lourdement armés. Les étudiants qui manifestaient pacifiquement ont reçu des projectiles dits «moins létaux», ont été battus à coups de matraque, ont été aspergés de gaz poivré et ont été attachés avec des menottes en plastique. Un étudiant de l'université de Santa Cruz que j'ai interrogé m'a raconté comment les étudiants s'étaient liés par les bras et que les policiers avaient tenté de briser la ligne en frappant les étudiantes à la poitrine. Sur les campus de tout le pays, la police a arraché les masques N95 des étudiants et les hijabs des étudiantes musulmanes. Lorsque les groupes d'autodéfense de la suprématie blanche ont uni leurs forces à celles des sionistes pour attaquer physiquement les étudiants de l'UCLA, la police s'est abstenue d’intervenir.

Une nouvelle politique de l'université du Michigan, imposée le semestre dernier, considère comme une violation du règlement de l'université le fait de «perturber» les «célébrations, activités et opérations normales de l'université». La «perturbation» est définie comme «le fait d'obstruer les lignes de vue, de faire des bruits forts ou amplifiés, de projeter de la lumière ou des images, ou de créer de toute autre manière des distractions substantielles». Comme l'ont souligné les étudiants de l'IYSSE à l'université, cette politique vague équivaut à une règle qui peut être appliquée arbitrairement pour interdire toute forme de protestation. Toutes les manifestations, et en particulier les grèves, sont nécessairement «perturbatrices» du point de vue des administrateurs et des employeurs.

En Californie, les étudiants protestataires ont également été soumis à des expulsions sans discernement pour «perturbation», ce qui a eu pour effet de les mettre à la rue, de leur couper l'accès à la nourriture et aux soins médicaux et de les empêcher de passer leurs examens. La Californie, le Michigan et New York, qui ont été les premiers à réprimer les manifestations à Gaza, sont des régions gouvernées par le Parti démocrate. La répression des manifestations sur les campus a été dirigée depuis les plus hauts niveaux par l'administration Biden-Harris, qui s'est associée à de véritables antisémites comme Elise Stefanik pour calomnier les manifestations sur les campus en les qualifiant d'«antijuives».

Parallèlement à la criminalisation des manifestations, nous avons assisté à l'escalade de la répression des grèves. Cette question sera abordée dans les rapports ultérieurs de Jerry White et Tom Hall, mais il suffit de souligner, dans le cadre de ce processus, qu'en décembre 2022, Biden a signé une loi interdisant la grève des chemins de fer, une mesure autoritaire qui a effectivement forcé les cheminots à reprendre le travail à la pointe du fusil.

La grève de l'Université de Californie de cette année a été une expérience importante. Quarante-huit mille travailleurs universitaires du système de l'UC ont voté une grève politique pour s'opposer à la répression extrême sur le campus, ainsi que pour montrer leur soutien aux manifestations contre le génocide organisées par de larges sections d'étudiants. Après que la lutte ait été entravée et isolée par la bureaucratie de l'UAW alignée sur Biden, les autorités de l'État dirigées par les démocrates ont réussi à obtenir une injonction pseudo-juridique illégitime. Mais même si l'administration de l'université et la bureaucratie de l'UAW ne cessent de faire claquer leur fouet sur la tête des travailleurs, la lutte menace d'éclater à nouveau à la reprise des cours dans les mois à venir.

Même si les démocrates se sont verbalement opposés à ce que l'immunité soit accordée à Trump personnellement par la Cour suprême, il est clair que l'administration Biden-Harris et le Parti démocrate n'ont aucune objection de principe à l'utilisation de méthodes dictatoriales, tant que ce sont eux qui les imposent.

Le caractère de la Cour suprême: Corruption, justice de classe et absence de responsabilité démocratique

Pendant la majeure partie de l'histoire des États-Unis, la Cour suprême a largement fonctionné comme un rempart de la réaction. Elle a confirmé l'esclavage dans l'affaire Dred Scott (1857), défendu la ségrégation raciale Jim Crow dans l'affaire Plessy v. Ferguson (1896) et s'est opposée aux réformes du New Deal dans les années 1930. Dans le contexte de la guerre froide et du conflit idéologique avec l'Union soviétique, la Cour suprême a été brièvement associée à un certain nombre de réformes limitées et tardives, en particulier lorsque Earl Warren était président de la Cour suprême, de 1953 à 1969.

Toutefois, depuis l'arrêt Bush contre Gore, qui a volé l'élection de 2000, la Cour suprême a basculé plus à droite que jamais depuis la guerre de Sécession, reflétant l'évaporation de tout groupe d'intérêt significatif au sein de la classe dirigeante américaine en faveur du maintien des normes démocratiques.

Ce processus s'est accéléré avec la nomination par Trump de trois loyalistes : Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et la fondamentaliste chrétienne Amy Coney Barrett. Cela a donné à l'aile pro-Trump un avantage de 6-3 à la Cour suprême.

En 2022, la Cour suprême a aboli le droit fédéral à l'avortement pour 175 millions de femmes dans tous les États et territoires des États-Unis. Cette décision a été rendue plus d'un siècle après que la révolution russe a garanti le droit à l'avortement gratuit pour les femmes en URSS. Dans La révolution trahie, Trotsky écrivait: «Le pouvoir révolutionnaire a donné aux femmes le droit à l'avortement qui, dans des conditions de pauvreté et de détresse familiale, est l'un de leurs droits civils, politiques et culturels les plus importants.»

Alors que l'URSS existait encore, la Cour suprême a accordé aux femmes américaines le droit partiel et conditionnel à l'avortement dans l'affaire Roe v. Wade en 1973. L'élimination de ce droit n'était qu'un élément des vastes attaques en cours contre toutes les réformes sociales mises en œuvre au cours du siècle dernier, y compris la loi sur le droit de vote et les réformes associées aux luttes pour les droits civiques, ainsi que le cadre de base de la réglementation fédérale mise en œuvre à la suite du krach boursier de 1929 et de la Grande Dépression.

Cinq des six juges de la majorité ont été nommés par des présidents qui ont perdu le vote populaire, y compris les trois nommés par Trump lui-même, ainsi que Samuel Alito et John Roberts. Parmi les juges qui ont voté en faveur de Trump dans l'affaire Trump v. US, au moins deux juges, Samuel Alito et Clarence Thomas, sont eux-mêmes impliqués dans le coup d'État. Dans le cas de Clarence Thomas, sa propre épouse Virginia Thomas a participé au complot de Trump, si le juge n'y a pas participé personnellement.

Le processus électoral lui-même aux États-Unis, dont nous avons fait l'expérience concrète cette année, est tout à fait antidémocratique, comme nous le soulignons au paragraphe 31. Il est pratiquement impossible pour les partis n'appartenant pas aux deux mafias politiques qui constituent l'establishment politique américain d'obtenir l'accès au scrutin. Et même si l'on parvient à obtenir l'accès au scrutin, un reportage de NBC que nous avons mis en lumière cette année décrit comment le Parti démocrate prépare une «guerre totale» contre les tiers partis, en mobilisant une «armée d'avocats» pour mettre en œuvre un «plan de contre-insurrection État par État». Pendant ce temps, les réglementations de la Commission électorale fédérale (FEC) permettent aux super-riches de dépenser des centaines de millions de dollars, tout en enterrant des organisations comme le WSWS et le SEP sous des montagnes de restrictions techniques.

Alors qu'elle mène une guerre sans merci contre les droits démocratiques, la Cour suprême est plongée dans un scandale de corruption historique. Des rapports d'enquête publiés par ProPublica l'année dernière ont montré que Clarence Thomas avait reçu des millions de dollars de cadeaux non déclarés de la part du milliardaire Harlan Crow, un donateur d'extrême droite du Parti républicain qui est également connu pour être un collectionneur passionné d’objets nazis.

Si Thomas est de loin l'auteur des infractions les plus graves, Samuel Alito s'est vu offrir un luxueux voyage de pêche en Alaska par le fondateur de fonds spéculatifs et milliardaire Paul Singer. Le directeur général du cabinet d'avocats Greenberg Traurig a acheté au juge Neil Gorsuch un bien immobilier dans le Colorado pour 1,8 million de dollars, alors que le cabinet plaidait une affaire devant la Cour. Jane Roberts, l'épouse du président de la Cour suprême John Roberts, a reçu 10,3 millions de dollars en commissions supposées de la part de cabinets d'avocats d'élite, alors que ces mêmes cabinets plaidaient des affaires devant la Cour.

Lorsque l'on pense aux transformations qui affectent le système judiciaire à travers le pays dans le cadre de ce glissement vers l'autoritarisme, un exemple qui vient à l'esprit est le procès du justicier suprématiste blanc Kyle Rittenhouse en 2021. Rittenhouse a tiré sur trois personnes, en tuant deux, lors d'une manifestation contre les brutalités policières à Kenosha, dans le Wisconsin, en 2020. Lors de son procès pour meurtre, le juge portait une cravate à l'effigie du drapeau américain, son téléphone a sonné pendant la procédure avec une sonnerie Trump, il a crié sur les procureurs lorsqu'ils ont essayé de contre-interroger Rittenhouse, et il a conduit le jury à applaudir le témoin expert de Rittenhouse. Le juge a également interdit l'utilisation du mot «victime» pour décrire les personnes sur lesquelles Rittenhouse a tiré, autorisant à la place les manifestants à être appelés «pyromanes», «pillards» et «émeutiers».

À la Cour suprême, des personnages comme Alito et Thomas se comportent de manière scandaleuse et provocante. Mais il ne s'agit pas seulement de leur personnalité individuelle: à des degrés divers, ils ont leurs imitateurs sur les bancs des tribunaux d'État et fédéraux dans tout le pays, dans les tribunaux de première instance comme dans les cours d'appel. La Cour suprême n'est composée que de neuf personnes, mais elles président tout un système.

Les États-Unis comptent 5 pour cent de la population mondiale et 20 pour cent des prisonniers du monde. Plus de 2 millions de personnes sont incarcérées, dont beaucoup dans des camps de prisonniers de la taille d'une petite ville, qui sont notoirement sales, violents, corrompus et surpeuplés.

Les personnes qui ont les moyens d'engager des avocats dans des cabinets d'élite qui facturent 1000 dollars de l'heure peuvent ensevelir leurs adversaires sous la paperasse et faire traîner les procédures pendant des années, sans jamais avoir à rendre de comptes, comme Trump a particulièrement bien réussi à le faire. Les droits de la classe ouvrière, innocente ou coupable, sont quotidiennement bafoués par le soi-disant «système judiciaire».

Le meurtre de George Floyd par la police de Minneapolis en 2020 a suscité des protestations massives, mais les meurtres quotidiens et incessants commis par la police se poursuivent. L'année 2023 a été l'année la plus meurtrière jamais enregistrée en matière de violences policières. Malgré cela, le chiffre de 1300 morts est certainement sous-estimé car il exclut les asphyxies qui sont couramment attribuées à d'autres causes. Devant les tribunaux, les policiers assassins bénéficient régulièrement d'une «immunité qualifiée», une variante à petite échelle de l'immunité présidentielle accordée à Trump.

En plus de l'affaire Trump v. US, une autre décision clé de la Cour suprême a été de rendre le fait d’être sans-abris illégal.

«Le “Dred Scott” de notre époque»

Enfin, je voudrais reprendre l'évaluation de l'historien de Princeton Sean Wilentz selon laquelle l'affaire Trump v. US est le «Dred Scott de notre époque».

La décision, a récemment écrit Wilentz, «a radicalement changé la structure même du gouvernement américain, ouvrant la voie à l'autoritarisme du MAGA [Make America Great Again] tout comme la Cour Taney a tenté d'ouvrir la voie à la consécration du pouvoir esclavagiste. Tout cela fait de Trump v. United States le Dred Scott de notre époque».

Wilentz est signataire d'une lettre adressée au New York Times en 2019, également signée par quatre historiens interviewés par le WSWS et critiquant le Projet 1619. Wilentz a publié sa propre critique du Projet 1619 dans la New York Review of Books.

L’affaire Dred Scott était – jusqu’à peut-être l’affaire Trump contre États-Unis – la décision la plus tristement célèbre de la Cour suprême, qui a joué un rôle majeur dans la crise qui a conduit à la guerre civile.

Dred Scott, un esclave, avait intenté un procès pour obtenir sa liberté au motif qu'il avait vécu dans des régions où l'esclavage était illégal. Lorsque la Cour suprême a été saisie de l'affaire, elle a choisi, parmi tous les motifs possibles de décision, les motifs les plus réactionnaires que l'on puisse imaginer. Elle ne s'est pas limitée à l'affaire Scott. Elle a déclaré que Scott ne pourrait jamais être citoyen en raison de son ascendance africaine – et, en outre, que personne d'ascendance africaine ne pourrait jamais être citoyen. Ils ont déclaré qu'il était un bien sans droits constitutionnels et que le Congrès n'avait pas le droit de restreindre l'esclavage dans les territoires.

L'arrêt Dred Scott a enflammé l'hostilité populaire à l'égard de l'esclavage. Mais cette décision n'a jamais été annulée par la Cour suprême. Elle a été « renversée » non pas par la Cour suprême, mais par la guerre de Sécession, c'est-à-dire par une lutte révolutionnaire désespérée et violente qui a mobilisé des masses de gens et qui a abouti à l'abolition de l'esclavage et à l'émancipation de 3,5 millions d'êtres humains.

Ainsi, lorsqu’un éminent historien américain affirme que l’affaire Trump contre les États-Unis est le «Dred Scott de notre époque», il reconnaît nécessairement que les États-Unis se dirigent vers l’éruption d’une lutte de masse et que la décision de la Cour suprême annonçant une dictature présidentielle ne peut être «annulée» par de nouveaux appels devant les tribunaux, mais par une lutte révolutionnaire.

L'affaire Dred Scott a été reconnue à l'époque comme l'expression de l'influence néfaste du Slave Power (pouvoir esclavagiste) (souvent écrit avec un S et un P majuscules) sur l'establishment politique américain.

La décision Dred Scott exprimait l'arrogance démesurée des propriétaires d'esclaves, qui utilisaient la richesse dérivée de l'esclavage pour dominer la politique à Washington. Pour renverser la décision Dred Scott, il fallait s'attaquer de front à l'esclavage lui-même, fondement de la richesse et de l'influence des propriétaires d'esclaves. Pour battre les propriétaires d'esclaves, il fallait attaquer et démanteler le système esclavagiste qui était la source de leur pouvoir.

Si Dred Scott exprimait le pouvoir des propriétaires d'esclaves en tant que force sociale, quelle force sociale Trump v. United States exprime-t-il? Il exprime l'arrogance démesurée des oligarques capitalistes. Dred Scott reflétait une nation affligée par l'esclavage; Trump v. US reflète un monde affligé par le capitalisme, l'inégalité sociale et la guerre. Pour renverser l'arrêt Trump v. US, il faut attaquer de front la dictature des oligarques sur l'économie mondiale. Pour battre les capitalistes, il faut s'attaquer au système qui est la source de leur pouvoir: le système de profit.

Les États-Unis, en particulier, sont l'une des sociétés les plus inégalitaires de l'histoire. Des milliardaires comme Bezos et Musk ont une fortune personnelle qui dépasse celle de nations entières, et ils dirigent leurs entreprises comme des rois dans leur quête pour devenir billionaires.

Il ne peut y avoir de démocratie dans l'arène politique lorsque l'arène économique est essentiellement une dictature. Et c'est ce que l'économie mondiale est, une dictature des oligarques. Lorsque vous êtes embauché ou licencié, vous n'avez pas le droit de voter, c'est une prérogative unilatérale de l'employeur. C'est une contradiction qui ne peut pas rester stable indéfiniment. Elle peut peut-être durer un jour, une semaine, un mois, une année, mais la réalité sociale, à savoir qu'une personne possède des dizaines de milliards de dollars et que l'autre n'a rien, finira par submerger un cadre juridique dans lequel ces deux personnes ont, en théorie, les mêmes droits et le même pouvoir politique.

Quelqu'un croit-il que, dans cette soi-disant démocratie, un ouvrier d'une usine Tesla a les mêmes droits et le même pouvoir politique que Musk? Non, évidemment. Si Musk veut licencier l'ouvrier, il a légalement le droit, dans le cadre du capitalisme, de le faire unilatéralement, sans tenir compte de l'opposition de l'un ou l'autre des ouvriers ou de tous les ouvriers.

Pour ce qui est de la relation entre la guerre impérialiste et les droits démocratiques, elle est simple à démontrer. La guerre impérialiste exige que les ressources de la société soient détournées des besoins sociaux pour alimenter la machine de guerre. Elle nécessite du sang, des membres et des vies. L'extraction de ces ressources de la classe ouvrière est inévitablement impopulaire parce que la classe ouvrière ne bénéficie pas de la guerre impérialiste. La classe ouvrière doit faire des sacrifices et ne reçoit rien en retour. Cela signifie que l'opposition de la classe ouvrière à la guerre impérialiste doit être surmontée par la force et la répression. C'est pourquoi la guerre impérialiste et les attaques contre les droits démocratiques vont toujours de pair.

Le paragraphe 19 de la résolution stipule «Les causes objectives fondamentales du tournant de la classe dirigeante vers le fascisme et la dictature sont : 1) l'escalade de la guerre impérialiste mondiale ; et 2) l'extrême croissance des inégalités sociales.» Ainsi, la mobilisation de la classe ouvrière sur la base de ses intérêts indépendants, qui s'opposent à l'inégalité sociale et à la guerre, est la seule stratégie rationnelle pour défendre les droits démocratiques et s'opposer à la dictature et à la guerre mondiale.

C'est pourquoi nous disons au paragraphe 34:

Tous les discours sur la défense de la démocratie et la lutte contre le fascisme qui ignorent la question fondamentale des classes et du pouvoir économique – reconnaissant par conséquent la nécessité de la mobilisation de la classe ouvrière à l’échelle mondiale pour le renversement du capitalisme – sont de la démagogie cynique et politiquement impuissante.

Nous ne nous qualifions pas de révolutionnaires dans cette résolution parce que l'un d'entre nous est un grand amateur de violence à titre personnel. Le caractère révolutionnaire de notre programme découle de la nature de la situation objective, indépendamment des désirs de chacun d'entre nous en tant qu'individu. Notre programme, enraciné dans un siècle et demi d'expérience politique, est révolutionnaire parce que nous reconnaissons qu'objectivement, la civilisation humaine est affligée d'un système social malade qui est dépassé par ses contradictions et qui doit soit céder la place à la dictature, à la répression et à un carnage dépassant toutes les guerres et dictatures précédentes, soit céder la place au socialisme, au progrès et à l'égalité sociale, et à la renaissance à un niveau plus élevé et plus avancé d'une véritable démocratie, en commençant par la démocratie sur le lieu de travail. Il n'y aura pas de retour à la «normale», ce sont les deux seules options.

Mais c'est une chose pour la Cour suprême d'annoncer une dictature présidentielle sur le papier – c'en est une autre d'imposer réellement une telle dictature à la classe ouvrière. La classe ouvrière, aux États-Unis et dans le monde, se battra pour s'opposer à la dictature. Elle tentera, du mieux qu'elle peut, avec tous les outils et la compréhension dont elle dispose, de se défendre contre l'imposition d'une dictature. La classe ouvrière américaine, en particulier, malgré ses nombreuses difficultés, a une profonde tradition démocratique, enracinée dans tous les événements et expériences passés en revue par le camarade Tom Mackaman. Comme la classe dirigeante le sait certainement, on ne peut pas imposer une dictature et s'attendre à ce que la classe ouvrière ne riposte pas. La classe ouvrière résistera également inévitablement à la conscription de masse dans l'armée et au détournement incessant de vastes ressources des besoins sociaux vers la machine de guerre.

La lutte est inévitable, l'issue ne l'est pas. Dans cette lutte, comme l'histoire l'a démontré à maintes reprises, l'issue dépend d'un facteur subjectif, du rôle du parti qui représente la direction de la classe ouvrière. Comme nous le disons au paragraphe 9:

la transformation de ce processus objectif en un mouvement conscient pour le socialisme n’est pas automatique. La construction de la direction révolutionnaire, aux États-Unis et dans le monde, est la question stratégique décisive dont dépend le sort de l’humanité.

Pour toutes ces raisons, je soutiens l'adoption de la résolution proposée.

(Article paru en anglais le 26 août 2024)

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