Le week-end dernier, le président américain Joe Biden accueillait au Delaware une réunion des dirigeants du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (Quad), une alliance de facto des puissances militaires du bassin Indo-Pacifique hostiles à la Chine que sont les États-Unis, le Japon, l’Inde et l’Australie.
Comme toutes les rencontres de ce type, la réunion a été ponctuée de platitudes déclarées sur le «développement» et la «coopération» dans le bassin Indo-Pacifique. Les représentants de l’administration Biden ont affirmé que l’alliance Quad n’était pas dirigée contre un pays en particulier.
Des affirmations vite réfutées toutefois suite à un incident où un micro resté allumé a révélé la véritable orientation de l’alliance.
Ignorant apparemment que son micro était allumé, on a pu entendre Biden dire aux autres chefs de gouvernement présents que «la Chine continue de se comporter de manière agressive, et nous met à l’épreuve dans toute la région, que ce soit en mer de Chine méridionale, en mer de Chine orientale, en Chine méridionale, en Asie du Sud ou dans le détroit de Taïwan». Il a ensuite ajouté que cela était «vrai dans l’ensemble de nos relations, y compris sur les questions économiques et technologiques».
Ces remarques sont en fait de la projection. En réalité, ce sont les États-Unis qui sont engagés dans une campagne militaire, diplomatique et économique contre la Chine, fondée sur la crainte explicite que la croissance économique de Beijing menace l’hégémonie régionale et mondiale de l’impérialisme américain.
Blâmant à tort la Chine, les remarques de Biden mettent néanmoins en évidence l’ampleur de la confrontation, identifiant les points chauds dans l’ensemble de la région ainsi que des questions cruciales en matière de développement économique et technologique.
Même dans ces commentaires qui se voulaient privés, il y avait une contradiction évidente. Dans un contexte de ralentissement de l’économie chinoise, Biden soutient que le président «Xi Jinping cherche à se concentrer sur les défis économiques intérieurs et à minimiser les turbulences dans les relations diplomatiques de la Chine».
Biden s’est toutefois empressé d’ajouter que Xi cherche simplement à «s’offrir un peu de marge diplomatique, à mon avis, pour mieux poursuivre agressivement les intérêts de la Chine». Pour lui, il s’agirait d’un changement de «tactique» et non de «stratégie».
La couverture médiatique s’est concentrée sur l’«embarras» de l’incident du «micro resté allumé». Mais les remarques de Biden sont toutefois révélatrices. Elles soulignent le fait que, quoi que fassent Xi et les dirigeants chinois, les États-Unis sont déterminés à poursuivre leur confrontation agressive. Le message de Biden avait également le caractère d’une insistance auprès des dirigeants alliés pour qu’ils ne relâchent pas leur engagement dans les activités antichinoises menées par les États-Unis, quels que soient les changements et les manœuvres de Beijing.
L’épisode du «micro resté allumé» est la toile de fond avec laquelle il convient de lire les 6.000 mots de la «Déclaration de Wilmington», adoptée par les dirigeants. Bien que cette déclaration ne mentionne pas la Chine explicitement, elle contient l’habituelle série d’accusations américaines à peine voilées à l’encontre de Beijing. Depuis plus d’une décennie, l’objectif de l’alliance Quad est d’approfondir la collaboration contre la Chine entre les quatre pays.
La mer de Chine méridionale fait l’objet d’une attention particulière dans la déclaration: «Nous continuons d’exprimer notre vive inquiétude face à la militarisation de régions contestées et aux manœuvres de coercition et d’intimidation en mer de Chine méridionale». Elle fait référence à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, que Washington ne cesse d’invoquer contre Beijing, bien que les États-Unis aient eux-mêmes refusé de signer l’accord.
La déclaration insiste sur le droit de mener des exercices de «liberté de navigation», qui amènent des navires de guerre américains et alliés à naviguer dans des eaux revendiquées par la Chine ou à proximité de celle-ci, lors de provocations qui risquent de déclencher des échanges de tirs. La déclaration soulève des points similaires pour la mer de Chine orientale.
Un paragraphe entier est consacré à la dénonciation des «tirs de missiles balistiques déstabilisants et la poursuite de la fabrication d’armes nucléaires» par la Corée du Nord, dont le gouvernement est accusé de violer le droit international et de menacer «la paix et la stabilité».
Ces allégations, à l’encontre d’un régime de pacotille assiégé, sont d’une hypocrisie absurde de la part de l’impérialisme américain, en guerre perpétuelle depuis 30 ans et constamment en train de mettre des régions entières à feu et à sang. La dictature du Myanmar a également été dénoncée pour ses violations des droits de l’homme, la véritable préoccupation étant sans doute ses liens avec Beijing.
Les mesures concrètes énoncées dans la déclaration visent essentiellement à faciliter et à étendre l’agression maritime contre la Chine.
La déclaration salue l’établissement par l’alliance Quad en 2022 de l’IPMDA, le «Partenariat Indo-Pacifique pour la connaissance du domaine maritime». Il s’agit essentiellement d’un pacte de surveillance et de contrôle des océans Indien et Pacifique par les États-Unis et leurs alliés qui verra la création d’un centre de surveillance et d’espionnage des données en Inde et leur diffusion aux différents pays partenaires de la région.
La déclaration précise que l’IPMDA aidera les pays à «surveiller les activités dans leurs zones économiques exclusives, y compris les activités illégales». L’Australie s’engage à renforcer sa coopération avec l’Agence des pêcheries du Forum des îles du Pacifique (FFA) afin d’améliorer la connaissance du domaine maritime régional dans le Pacifique grâce aux données satellitaires, à la formation et au renforcement des capacités.
Les quatre dirigeants ont annoncé une «nouvelle initiative maritime régionale en matière de formation dans le bassin Indo-Pacifique». Cette initiative permettra aux alliés de «surveiller et de sécuriser leurs eaux, d’appliquer leurs lois et de décourager les comportements illicites». Une commission juridique parallèle est en train d’être mise en place pour «faire respecter l’ordre maritime fondé sur les règles dans le bassin Indo-Pacifique» – ce qui revient à dire entre les lignes que les États-Unis dominent la région.
Dans le cadre de leur renforcement militaire dans le bassin Indo-Pacifique qu’ils poursuivent depuis plus d’une décennie, les États-Unis attisent délibérément les différends territoriaux entre la Chine et plusieurs États de la région, les transformant en points de déclenchement potentiels pour la guerre.
Au cours de la dernière année, ce programme a encore été intensifié. Le gouvernement philippin, dirigé par le président de droite Bongbong Marcos, provoque des affrontements avec les garde-côtes et les navires de pêche chinois dans le cadre de différends portant sur le contrôle territorial de certaines régions en mer de Chine méridionale. Dans un contexte où le régime Marcos est étroitement lié aux forces armées des États-Unis, ces affrontements font peser la menace imminente d’une guerre beaucoup plus vaste.
C’est dans ce contexte que les dirigeants de l’alliance Quad ont annoncé que «les garde-côtières des États-Unis, du Japon et de l’Inde, ainsi que les Services frontaliers de l’Australie prévoient lancer en 2025 une toute première mission d’observation en mer avec des navires de l’alliance Quad dans le but d’améliorer leur interopérabilité et de renforcer leur sécurité maritime, et avec l’intention de poursuivre d’autres missions dans les années à venir dans le bassin Indo-Pacifique». Essentiellement, il s’agit d’une opération interarmées destinée à venir soutenir les provocations contre la Chine.
Certains médias se sont précipités pour rapporter que la mission interarmées des garde-côtes se concentrerait en mer de Chine méridionale. Interrogé à ce propos en conférence de presse, le premier ministre australien, Anthony Albanese, a refusé de confirmer ou d’infirmer cette information. Une telle initiative constituerait une escalade majeure, avec un risque d’affrontements directs entre les forces américaines et chinoises.
Tout en pontifiant sur la «paix», la «liberté», etc., les dirigeants de l’alliance Quad ont exprimé leur solidarité avec le régime israélien et son génocide des Palestiniens en dénonçant l’opération militaire palestinienne du 7 octobre, tout en ne disant rien contre les attaques terroristes d’Israël menées au Liban une semaine auparavant.
Le génocide financé par les États-Unis et les actions favorisant un prolongement de la conflagration dans toute la région du Moyen-Orient constituent l’un des fronts de la guerre mondiale en train de se développer, avec la guerre par procuration menée par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine et la confrontation des États-Unis avec la Chine dans le bassin Indo-Pacifique.
Tout en exprimant «la plus grande inquiétude face à la guerre qui fait rage en Ukraine», la déclaration reste quelque peu muette sur ce conflit, dans un contexte où les États-Unis s’apprêtent à autoriser des frappes ukrainiennes à l’intérieur du territoire russe dans le cadre de leur politique menaçant de déclencher une guerre totale entre l’OTAN et la Russie. Ce langage feutré s’explique probablement par le fait que l’Inde, bien que pleinement engagée dans l’agression contre la Chine, entretient des liens économiques importants avec la Russie.
La réaction des commentateurs des services de renseignement militaire les plus optimistes à l’égard de cette réunion a été mitigée. Des frustrations persistantes ont été exprimées quant au fait que l’alliance Quad n’a toujours pas mis en œuvre de mesures plus agressives et concrètes contre la Chine, et que ses réunions intermittentes se caractérisent souvent par l’annonce d’initiatives déjà dévoilées.
La crise politique des gouvernements capitalistes à l’échelle internationale a également marqué le sommet. Biden ne sera en effet plus président des États-Unis après les élections du 5 novembre. Le Premier ministre japonais Fumio Kishida a annoncé pour sa part sa démission en août dernier. Et Albanese est confronté à des élections d’ici le mois de mai prochain, le tout dans un contexte d’hostilité massive à l’égard de son gouvernement, notamment en raison de la crise du coût de la vie et de son soutien au génocide de Gaza.
Parmi les quatre dirigeants, seule la position du président indien Narendra Modi semble plus sûre, mais cela ne fait que souligner le caractère factice des références aux «droits de l’homme» et à la «démocratie». Modi est en effet un personnage autocratique dont le règne, fondé sur le nationalisme hindou, s’accompagne d’une répression des libertés civiles et de l’assassinat d’opposants politiques à l’étranger.
Malgré cette crise politique, les dirigeants de l’alliance Quad ont souligné que le pacte se poursuivrait, même en cas d’une éventuelle présidence Trump aux États-Unis. Le pacte s’inscrit dans tout un réseau d’alliances militaires et diplomatiques dans le bassin Indo-Pacifique, dirigé par les États-Unis et visant à préparer la guerre contre la Chine.
Peu importe les bouleversements, les dirigeants insistent sur la poursuite de la guerre. C’est la seule réponse que les puissances impérialistes, entrainées par les États-Unis, peuvent apporter à la crise historique du système capitaliste mondial.
(Article paru en anglais le 23 septembre 2024)