Le gouvernement allemand a annoncé qu'il soutenait les projets américains et britanniques visant à permettre à Kiev de déployer des missiles de l'OTAN pour attaquer directement la Russie. Lors d'une conférence de presse conjointe avec son homologue lituanien Lurynas Kasčiūnas vendredi dernier, le ministre de la Défense Boris Pistorius (social-démocrate, SPD) a affirmé que l'utilisation d'armes à longue portée de l'OTAN contre des cibles sur le territoire russe était couverte par le droit international.
«Ceux qui ont fourni ces armes» étaient libres de «décider de le faire», a-t-il déclaré, faisant référence aux plans américano-britanniques visant à attaquer des cibles au cœur de la Russie avec des missiles et des missiles de croisière tels que l'ATACMS et le Storm Shadow. «En vertu du droit international, c'est tout à fait normal, et ce que les partenaires bilatéraux décident de faire de leurs armes ne regarde qu'eux.»
Pistorius a rejeté la menace russe de lancer une contre-attaque massive, y compris l'utilisation d'armes nucléaires, en cas d'attaque totale contre la Russie, en déclarant : «Les menaces de Poutine sont les menaces de Poutine. Il n'y a rien à ajouter. Il menace quand il veut et trompe quand il le juge bon».
D'autres représentants des partis de gouvernement et d'opposition ont fait des déclarations similaires. Marie-Agnes Strack-Zimmermann (Parti libéral démocrate, FDP), présidente de la commission de la défense du Parlement européen, a déclaré à rbb inforadio : «Tout le monde sait, nous savons, ce n'est pas un secret, depuis quelles bases Vladimir Poutine lance ses missiles, ses missiles de croisière. Et il est conforme à la loi que ces missiles soient mis hors d’usage.»
Norbert Röttgen, expert en politique étrangère de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), a qualifié les menaces russes d'«absurdes» dans un commentaire sur X (anciennement Twitter). Soutenir l'Ukraine est «conforme au droit international» et sert à «rétablir la paix en Europe. Cela vaut également pour les objectifs militaires situés sur le territoire russe».
Pistorius et consorts devraient expliquer les conséquences de leurs politiques. Combien de millions de vies sont-ils prêts à sacrifier pour atteindre leurs objectifs de guerre ? Il est clair que les attaques de missiles envisagées contre la Russie signifieraient une escalade de la guerre qui entraînerait l'utilisation d'armes nucléaires.
Avant même la rencontre entre le président américain Joe Biden et le premier ministre britannique Keir Starmer la semaine dernière, Poutine avait prévenu que l'utilisation des armes de l'OTAN contre la Russie ferait de l'alliance militaire une partie à la guerre. «Si cette décision est prise, cela ne signifiera rien de moins que l'implication directe des pays de l'OTAN, des États-Unis et des États européens dans le conflit en Ukraine», a déclaré Poutine. «Leur implication directe, bien sûr, change considérablement l'essence et la nature du conflit.»
Le week-end dernier, le chef adjoint du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Dmitri Medvedev, a expliqué la portée des déclarations de Poutine. Le président russe a défini les «conditions formelles» d'une décision sur l'utilisation des armes nucléaires. Une telle décision «serait conforme à notre doctrine de dissuasion nucléaire». Medvedev a averti qu'«une réponse nucléaire est une décision extrêmement difficile aux conséquences irréversibles». Mais la position actuelle de l'OTAN risque de transformer Kiev en un «immense chaos aux contours incertains».
Le discours officiel selon lequel la doctrine militaire de la Russie est un «bluff» joue avec le feu nucléaire. Ce n'est pas parce que le Kremlin n'a pas encore répondu aux provocations de plus en plus agressives de l'OTAN qu'il ne le fera pas à l'avenir. Les médias bourgeois belliqueux le reconnaissent eux-mêmes. Un commentaire de Die Welt intitulé «Il devient dangereux lorsqu'une puissance nucléaire est acculée» met en garde :
Il serait négligent d'interpréter l'absence d'attaque nucléaire russe comme une preuve que les menaces de la Russie ne sont pas à prendre au sérieux. Tant que la Russie ne se verra pas confrontée à un défi existentiel, les choses resteront vraisemblablement telles quelles.
Mais si la politique occidentale va au-delà de la survie de l'Ukraine, comme le demandent de nombreux commentateurs, et cherche à vaincre la Russie, les menaces nucléaires de Moscou prendront une tout autre dimension.
Telle est la situation. L'objectif déclaré des puissances de l'OTAN est d'infliger une «défaite stratégique» à la Russie en Ukraine. «Une logique militaire implacable est à l'œuvre», avons-nous écrit dans une déclaration récente du comité de rédaction du WSWS. «Les puissances de l'OTAN réagissent à une situation dans laquelle leur force mandataire ukrainienne a été épuisée et se trouve devant une débâcle militaire. Ce n'est que par l’intervention plus large et plus directe de l'OTAN que le plan de guerre tout entier pourra être sauvé.»
Toutes les assurances données par le chancelier allemand Olaf Scholz (SPD), qu'il a répétées lors d'une réunion publique à Prenzlau, dans le Brandebourg, le week-end dernier, selon lesquelles il ne livrerait aucun des missiles de croisière allemands Taurus à Kiev, ne peuvent masquer le fait que Berlin joue également un rôle central dans l'escalade actuelle de la guerre. Il est significatif que le général de division Christian Freuding, chef de l'état-major spécial pour l'Ukraine au sein du ministère de la Défense, se soit rendu en Ukraine ces derniers jours.
Dans une interview accordée à l'émission d'information allemande «heute journal», le général a non seulement fait l'éloge de l'invasion de l'armée ukrainienne dans la région russe de Koursk, mais aussi de l'utilisation d'armes à longue portée contre la Russie. Celles-ci étaient «bien sûr très bien adaptées contre les quartiers généraux, les centres logistiques, mais aussi contre les aérodromes» et «contre les concentrations d'aéronefs». C'est «un problème particulier pour l'Ukraine sur la ligne de front» d'être touchée par les missiles de croisière russes ; et «le seul moyen d'écarter ce danger» est d'attaquer «les avions et les aérodromes».
La présence régulière de Freuding à Kiev, où il apparaît en uniforme, et ses remarques soulignent à quel point la Bundeswehr (forces armées) est déjà directement impliquée dans la guerre en Ukraine. «Nous entraînons les Ukrainiens de manière très intensive ici en Allemagne», s'est vanté Freuding. Et l'on peut voir «dans l'entraînement à quel point nous profitons de l'expérience des soldats ukrainiens». Ces «expériences» doivent maintenant «être intégrées dans nos propres forces armées, rendues accessibles, et nous devons en tirer des leçons et des conclusions».
Il s'agit d'un avertissement. L'«expérience» de centaines de milliers de soldats ukrainiens doit servir de chair à canon pour les intérêts impérialistes. Un sort similaire menace les travailleurs et les jeunes en Allemagne et dans d'autres États membres de l'OTAN. Au début de l'année, Pistorius a déclaré dans plusieurs interviews que l'Allemagne devait se préparer à mener une guerre directe contre la Russie dans les «trois à cinq prochaines années». Depuis lors, la Bundeswehr s'est orientée dans cette direction.
Le point central de la rencontre entre Pistorius et Kasčiūnas était la signature d'un accord conjoint pour le déploiement permanent d'environ 5000 soldats de combat allemands en Lituanie. «Notre objectif, sur lequel nous travaillons tous ensemble et avec une grande urgence, est et reste le déploiement d'une brigade allemande déployable en Lituanie d'ici la fin de 2027», a annoncé Pistorius.
Selon un rapport du ministère de la Défense, le détachement précurseur de la brigade allemande se trouve à Vilnius, capitale de la Lituanie, depuis le mois d'avril. Le futur commandant de la brigade se rendra en Lituanie en septembre, et «la constitution de l'état-major de la formation d'environ 150 personnes» aura lieu en octobre et novembre. Dès l'année prochaine, «les premières forces de la brigade seront stationnées jusqu'à ce que l'infrastructure cible soit achevée». L'«appel à la formation de la brigade» est prévu pour le premier semestre 2025.
L'offensive du militarisme allemand en Europe de l'Est contre la Russie s'inscrit dans une terrible tradition. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la Wehrmacht, l'armée d'Hitler, a mené une guerre d'extermination à l'est, qui a atteint son point culminant avec l'holocauste de six millions de Juifs et le massacre de 30 millions de citoyens soviétiques.
Comme à l'époque, la folie guerrière a des causes objectives. Une fois de plus, l'impérialisme allemand poursuit des objectifs géopolitiques et économiques concrets. Scholz l'a ouvertement déclaré lors de son voyage actuel au Kazakhstan et en Ouzbékistan. «L'Asie centrale devient de plus en plus importante, tant d'un point de vue géopolitique qu'en ce qui concerne notre approvisionnement en matières premières», a-t-il écrit sur X.
Et comme dans les années 1930, la réponse de la classe dirigeante à la crise profonde du système de profit capitaliste et à l'opposition croissante parmi les travailleurs et les jeunes est un tournant agressif vers le militarisme, le fascisme et la guerre. La seule façon d'arrêter cette évolution dangereuse est de construire un mouvement anti-guerre de la classe ouvrière internationale, basé sur un programme socialiste.
(Article paru en anglais le 18 septembre 2024)