De l'extrême droite à la pseudo-gauche: chasse aux sorcières anti-réfugiés après l'attentat de Solingen en Allemagne

Après l'attaque meurtrière au couteau de Solingen la semaine dernière, on pourrait croire qu'il n'existe qu'un seul parti en Allemagne: le parti d’extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD). Les politiciens de tous les horizons politiques se sont surpassés les uns les autres pour réclamer davantage d'expulsions, un durcissement des lois d'asile, davantage de pouvoirs pour la police et la stigmatisation de populations entières.

Le chancelier allemand Olaf Scholz visite les lieux de l’attaque au couteau, à Solingen, en Allemagne, le lundi 26 août 2024. [AP Photo/Henning Kaiser]

Vendredi soir de la semaine dernière, lors du 650e anniversaire de la fondation de la ville de Solingen, un homme dans la foule a soudainement attaqué plusieurs personnes au couteau. Il a tué trois visiteurs et en a blessé huit autres, dont quatre grièvement. La fête de la ville a été immédiatement annulée.

Un Syrien de 26 ans a été arrêté comme auteur présumé de l'attentat. Il avait bénéficié d'une protection subsidiaire en Allemagne après l'échec de son expulsion vers la Bulgarie. L'État islamique (EI) a revendiqué la responsabilité de l'attentat et a publié une vidéo à cet effet sur Internet. On ignore toutefois si l'homme masqué que l'on voit dans la vidéo est le Syrien arrêté.

Samedi et dimanche, de nombreuses personnes se sont rassemblées à Solingen pour faire leur deuil ensemble. Beaucoup ont déclaré qu’elles ne voulaient pas abandonner la ville à l’extrême droite. «L’attaque au couteau est une attaque contre la société ouverte, contre la diversité de la ville», a déclaré une femme à la presse.

Mais lundi, à Solingen, le chancelier Olaf Scholz (SPD) a appelé à des expulsions plus nombreuses et plus rapides.

Un rassemblement d'une trentaine de sympathisants de Junge Alternative, l'organisation de jeunesse du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD), protégé par deux rangées de policiers, a été accueilli par au moins dix fois plus d’habitants de Solingen mobilisés par l'initiative «Solingen est colorée, pas brune» (en référence aux chemises brunes d'Hitler). De milliers de personnes vivent à Solingen, une ville du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, qui luttent contre le racisme et la xénophobie depuis l'attentat de 1993 perpétré par des extrémistes de droite qui a coûté la vie à cinq membres de la famille Genc, d'origine turque.

Cependant, les politiciens de tous les partis de l'establishment allemand ont réagi en lançant une violente agitation contre les étrangers, comme s'ils n’attendaient qu’un prétexte.

Le chef de file de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), Friedrich Merz, a tenu tous les réfugiés syriens et afghans pour collectivement responsables de l'attaque, même si nombre d'entre eux ont fui le terrorisme de l'EI. «Nous n'accepterons plus de réfugiés de ces pays», a déclaré Merz. Les réfugiés devaient être expulsés vers la Syrie et l'Afghanistan, quels que soient les dangers mortels auxquels ils sont exposés dans ces pays, a-t-il déclaré. Merz a réclamé des pouvoirs beaucoup plus étendus pour la police fédérale.

Le Parti social-démocrate (SPD) a adopté la même position. Son chef, Lars Klingbeil, a appelé à un meilleur contrôle d’Internet et des communautés musulmanes pour stopper «les prêcheurs radicaux de haine». «Les forces de sécurité au niveau fédéral et des Länder doivent à nouveau tout soumettre au test», a-t-il déclaré, ajoutant qu’il faudrait leur donner des pouvoirs encore plus étendus.

Le président allemand Frank-Walter Steinmeier a également plaidé pour une augmentation des pouvoirs et du personnel des forces de sécurité. La ministre de l’Intérieur Nancy Faeser (SPD) a déclaré: «En tant qu’État, nous répondrons à cet acte terroriste avec toute la sévérité nécessaire.» Faeser a déclaré au quotidien WAZ: «Nous discutons intensément des instruments que nous devons encore améliorer pour lutter contre le terrorisme et la violence, et des pouvoirs dont nos forces de sécurité ont besoin en ces temps difficiles.»

Sahra Wagenknecht, qui dirige le BSW, une scission du Parti de gauche, en campagne dans l'est de l'Allemagne, appelle à un «changement complet sur la question de l'asile» et à un «signal d'arrêt au monde: ne vous rendez pas en Allemagne». Dans son agitation sur X/Twitter elle écrit: «Ceux qui autorisent une migration incontrôlée seront confrontés à une violence incontrôlable.»

Lundi, le chancelier allemand Olaf Scholz (SPD) s’est rendu à Solingen et a immédiatement annoncé de nouvelles expulsions. Celles-ci seront accélérées «si nécessaire, avec des dispositions légales». Dans le même temps, il a déclaré qu’il fallait «des mesures coercitives cohérentes et concrètes».

Il y a six mois, Scholz affirmait déjà à la une du principal hebdomadaire allemand Der Spiegel : «Nous devons enfin procéder à des expulsions à grande échelle.» Il a rencontré mardi le chef de file de la CDU, Merz, pour discuter de la marche à suivre.

Alice Weidel, la cheffe de file de l’AfD, a déclaré que «la violence des migrants contre les Allemands» était «devenue une nouvelle normalité horrible». Dès que l’AfD serait au pouvoir, a-t-elle déclaré, ces personnes «ne seraient même pas autorisées à entrer dans notre pays». Elle a appelé à un «arrêt de l’immigration, de l’admission et de la naturalisation pendant au moins cinq ans».

La construction d'un État policier totalitaire, que tous les hommes politiques appellent de leurs vœux, n'empêchera pas des actes de violence comme ceux de Solingen. En réalité, ces mesures autoritaires sont dirigées contre la classe ouvrière et contre tous ceux qui s'opposent à la politique de guerre et aux attaques sociales du gouvernement.

Ce qui manque complètement au débat sur Solingen, c'est la question de la cause de la violence terroriste, qui fait à maintes reprises de nombreuses victimes non seulement en Allemagne, mais aussi en France, en Grande-Bretagne, en Russie et dans de nombreux autres pays, comme en 2016 sur la Breitscheidplatz à Berlin, où 12 personnes visitant un marché de Noël ont perdu la vie.

L'EI et les organisations similaires ne sont pas tombées du ciel. Elles sont le résultat des guerres brutales que les puissances impérialistes mènent au Moyen-Orient depuis des décennies, depuis la guerre contre la Russie en Afghanistan dans les années 1980 jusqu’au génocide contre les Palestiniens à Gaza. Elles ont été, comme l’Al-Qaida d'Oussama ben Laden, souvent créées par les services de renseignement occidentaux, qui les manipulent et les contrôlent.

L'État islamique est né en Irak après la destruction du pays et le renversement du régime de Saddam Hussein par l'impérialisme américain. En 2011, il a aidé les puissances impérialistes à renverser le gouvernement de Mouammar Kadhafi en Libye. Par la suite, l'EI s'est déployé en Syrie avec le soutien de la CIA, où il a combattu le gouvernement de Bachar al-Assad. Il s’y est rendu autonome et a établi un califat dans certaines régions de Syrie et d'Irak, qui a ensuite été écrasé par Washington au prix de centaines de milliers de morts supplémentaires.

Mais l'EI continue d'exister et n'a pas coupé les ponts avec les services secrets des puissances occidentales et de leurs alliés dans la région. Par exemple, une branche particulièrement brutale de l'EI, l'Etat islamique du Khorasan, organise des attaques terroristes contre le régime taliban en Afghanistan. Il a également revendiqué la responsabilité de l'attentat contre le Crocus City Hall à Moscou en avril dernier, qui a fait 137 morts et plus de 180 blessés.

En 2017, à la suite d’une série d’attentats sanglants à Téhéran, Manchester et Londres, le WSWS décrivait le modus operandi de la collaboration entre les services de renseignement occidentaux et les terroristes dans un article intitulé «Comprendre la géopolitique du terrorisme» qui s’appuyait sur des faits connus concernant plusieurs assaillants. Il vaut la peine d’en citer un passage plus long à la lumière de la campagne actuelle de Loi et d’Ordre :

Ce qui est clair après 16 ans de la prétendue «guerre contre le terrorisme» – remontant jusqu’aux pirates de l’air du 11 septembre – c’est que ces éléments entrent et sortent du Moyen-Orient, d’Europe et même des États-Unis non seulement sans entraves, mais sous la protection effective de l’État…

Que de temps en temps ces éléments se retournent contre leurs sponsors, et que des civils innocents le paient avec leur vie, c’est considéré comme le prix à payer pour faire des affaires.

Au lendemain des attentats terroristes, les gouvernements répondent avec des mesures renforcées de répression et de surveillance. Les troupes sont déployées dans les rues, les droits démocratiques sont suspendus et, comme en France, l’état d’urgence est devenu la loi primordiale du pays. Toutes ces mesures sont inutiles en ce qui concerne la prévention d’attaques futures, mais elles servent très bien à contrôler la population à l’intérieur du pays et à réprimer les troubles sociaux.

Rien de ce que les médias et les politiciens disent actuellement de l’attentat de Solingen ne peut être pris au pied de la lettre. On ne peut exclure l’implication des services secrets impérialistes. Même si le coupable est le Syrien arrêté, la question se pose de savoir qui a créé les conditions dans lesquelles un tel crime a pu être commis.

Une chose est sûre: l’armement de l’appareil d’État et la fermeture des frontières ne mettront pas fin à de tels actes meurtriers. Le génocide contre les Palestiniens, les bombardements du Liban, les menaces de guerre contre l’Iran et d’autres crimes impérialistes produisent de nouvelles recrues pour de telles attaques.

Les attaques de ce type ne peuvent être évitées que si le marais dans lequel elles prospèrent est asséché. Cela nécessite la lutte contre la guerre impérialiste et pour les droits démocratiques. Le Sozialistische Gleichheitspartei (SGP, Parti de l'égalité socialiste) s'oppose vigoureusement à l'agitation anti-réfugiés. Nous appelons tous les travailleurs conscients de leur classe à défendre avec nous les droits des réfugiés et des migrants! Leurs droits sont nos droits.

(Article paru en anglais le 29 août 2024)

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