Le CN et le CPKC se préparent à mettre les cheminots en lock-out dans tout le Canada

Deux des plus grands chemins de fer d'Amérique du Nord, le Canadien National (CN) et le Canadien Pacifique Kansas City (CPKC), ont annoncé leur intention de mettre en lock-out 9300 travailleurs membres de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (CFTC) le 22 août. En menaçant de paralyser le trafic ferroviaire de marchandises au Canada, les patrons des chemins de fer cherchent à faire pression sur le gouvernement libéral pour qu'il intervienne immédiatement, prive les cheminots de leur droit à la négociation collective et à la grève, et impose d’immenses reculs en matière de santé et de sécurité par le biais d'un arbitrage exécutoire.

Un train du CN traverse le pont Second Narrows au-dessus de Burrard Inlet à Vancouver, en Colombie-Britannique. [Photo by cmh2315fl / CC BY-NC 2.0]

Les compagnies ont annoncé leur plan de lock-out vendredi après que le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a statué que les chemins de fer ne répondent pas à la définition juridique d'un « service essentiel » en vertu du Code canadien du travail et que, par conséquent, les travailleurs ne peuvent être empêchés de faire la grève ou les compagnies de décréter un lock-out pendant un différend contractuel.

« Il ne fait aucun doute qu'un arrêt de travail au CPKC/CN entraînerait des inconvénients, des difficultés économiques et, peut-être, comme certains groupes et organisations l'ont suggéré, une atteinte à la réputation mondiale du Canada en tant que partenaire commercial fiable », a déclaré le CCRI.

« Bien que ce préjudice éventuel soit loin d'être négligeable, il ne s'agit pas de facteurs dont le Conseil doit tenir compte lorsqu'il examine un renvoi en vertu de l'article 87.4 » du Code canadien du travail, qui porte sur les menaces à la sécurité publique.

La décision du CCRI a déclenché le début d'une période de réflexion de 13 jours avant qu'une grève ou un lock-out ne puisse avoir lieu.

Le CN a réagi à la décision du CCRI en demandant au gouvernement canadien d'appliquer l'arbitrage obligatoire en vertu du Code du travail favorable aux employeurs, afin de « protéger l'économie canadienne », affirmant qu'il n'avait pas d'autre choix que de procéder à un lock-out si aucune solution n'était trouvée d'ici le 22 août. De même, le CPKC a exigé que la CFTC renonce aux droits de ses membres et accepte que leurs salaires et conditions de travail soient soumis à un arbitrage contraignant.

Les compagnies ferroviaires, qui exploitent impitoyablement les cheminots dans des conditions de travail dangereuses afin de réaliser un maximum de profits, bénéficient d'un soutien massif de la classe dirigeante pour leur appel au gouvernement afin qu'il intervienne pour priver les cheminots de leurs droits à la négociation collective.

Les chemins de fer d'Amérique du Nord sont considérés par le gouvernement libéral canadien de Justin Trudeau et par le gouvernement Biden aux États-Unis comme essentiels à la sécurité nationale. Selon l'Association des chemins de fer du Canada, les chemins de fer du pays transportent 70 % du fret interurbain de surface et la moitié des exportations du Canada. Au Canada et aux États-Unis, ils constituent un réseau essentiel pour le transport des matières premières destinées à l'industrie, des importations et des exportations, ainsi que des équipements militaires dont les puissances impérialistes ont besoin pour mener la guerre dans le monde entier. Lorsque les cheminots américains se sont apprêtés à faire grève fin 2022, le gouvernement Biden est intervenu directement pour la bloquer et a réussi, avec le soutien des démocrates au Congrès, à faire appliquer une interdiction de grève qui répondait aux exigences des entreprises.

Christopher Monette, directeur des affaires publiques de la CFTC, a feint la surprise à l'annonce des entreprises, déclarant que la menace de lock-out était « inattendue et inutilement antagoniste ».

Cependant, la situation est exactement la même qu'en 2022, lorsque le Canadien Pacifique de l'époque avait mis en lock-out 3000 mécaniciens, chefs de train et agents de triage dans l'ensemble de ses installations au Canada. La CFTC n'avait émis un avis de grève que 24 heures après le début du lock-out. Peu après, la bureaucratie syndicale s'est pliée à la demande de la compagnie et du gouvernement libéral de soumettre le conflit contractuel à un arbitrage obligatoire, privant ainsi les travailleurs de leur droit de voter sur une entente de principe et les enfermant dans des augmentations de salaire qui ont été dévorées par l'inflation.

« Alors qu'il reste encore au moins treize jours de négociations, cette décision représente une escalade inutile qui va à l'encontre des principes de négociation de bonne foi que le CN et le CPKC prétendent défendre », a fait remarquer Monette.

Ayant travaillé dans le cadre de conventions collectives expirées depuis le 31 décembre 2023, les travailleurs du CN et de CPKC ont voté à la quasi-unanimité plus tôt cette année pour autoriser une grève. Mais à l'approche de la date limite du 22 mai, le ministre du Travail de l'époque, Seamus O'Regan, s'est tourné vers le CCRI non élu et pro-employeur pour bloquer la grève en lui demandant d'enquêter sur les « répercussions possibles d'une grève sur la santé et la sécurité des Canadiens » en vertu de l'article 87.4 du Code du travail. Cette ingérence scandaleuse du gouvernement dans le processus de négociation n'a pas été considérée comme une « escalade inutile » par la CFTC. En fait, le syndicat s'est écrasé et a accepté ce qui était essentiellement une interdiction de grève.

Avec l'intervention du ministre du Travail, qui a annulé la date limite de la grève, les cheminots ont clairement exprimé leur détermination à lutter contre les concessions demandées par les entreprises en votant pour la grève.

Les dirigeants de la CFTC ont proposé en juin d'échelonner les négociations entre le CN et le CPKC. « L'étalement des négociations est une solution sensée qui minimiserait les perturbations et permettrait à toutes les parties d'aborder leurs préoccupations d'une manière plus structurée et plus productive », a déclaré Paul Boucher, président de la CFTC.

« Un arrêt de travail n'a jamais été notre objectif final. Nos membres des deux transporteurs veulent simplement une convention collective juste et équitable – une convention qui ne compromet pas leur qualité de vie ou leur sécurité. Le CN et le CPKC y font obstacle. »

Ce que le syndicat entendait par « minimiser les perturbations » était une proposition qui priverait les travailleurs de l'immense pouvoir dont ils jouiraient en faisant grève ensemble et les diviserait arbitrairement par employeur, alors même que les patrons du rail s'entendent pour imposer des reculs et implorent le gouvernement de criminaliser toute grève des travailleurs.

Une date limite de grève « échelonnée » permettrait aux barons du rail de s'en prendre séparément aux travailleurs du CN ou du CPKC avant de s'attaquer au reste de la main-d'œuvre quelques semaines plus tard, le tout sous le couvert de négociations « justes et équitables » approuvées par la CFTC. Unifor et son prédécesseur, les Travailleurs canadiens de l'automobile, utilisent cette méthode depuis des décennies pour diviser les travailleurs de l'automobile des trois constructeurs de Detroit en choisissant une « entreprise cible » au cours de chaque cycle de négociation qui établit un « modèle » pour les travailleurs des trois entreprises. Cette tactique a facilité l'application de toute une série de reculs.

Les entreprises ont toutefois rejeté la proposition de la CFTC d'échelonner les échéances. Confiantes dans la lâcheté et la complicité de la bureaucratie des Teamsters, elles préfèrent utiliser l'échéance commune de prolongation des conventions collectives et la menace d'une perturbation économique à l'échelle du continent pour convaincre le gouvernement Trudeau, soutenu par les syndicats, d'intervenir et de prendre les devants dans l'application de leurs attaques contre la santé et la sécurité des travailleurs du rail.

Plus tôt cette année, le président de Teamsters Canada, François Laporte, a participé à une réunion avec l'ambassadeur des États-Unis au Canada, le ministre du Travail O'Regan et d'autres dirigeants syndicaux, convoquée à la demande du président Joe Biden. Cette réunion était une conspiration transfrontalière visant à étouffer la lutte des classes au Canada et aux États-Unis. Washington et Ottawa ont collaboré pour réprimer les grèves puissantes des dockers de la côte ouest et pour maintenir les travailleurs de l'automobile de toute l'Amérique du Nord divisés selon des lignes nationales lorsque leurs conventions collectives ont expiré simultanément l'année dernière.

La colère est immense parmi les travailleurs du rail, qui veulent compenser des années de concessions de la part de la CFTC et la flambée du coût de la vie au Canada. Les travailleurs du CN et du CPKC doivent se préparer à déclencher une grève dès que possible, au lieu de laisser l'initiative aux compagnies sous la forme d'un lock-out ou d'un arbitrage contraignant. Mais pour ce faire, ils doivent reconnaître qu'ils mènent une lutte politique contre les patrons du rail et l'ensemble de la classe dirigeante, qui sont déterminés à faire porter aux cheminots le fardeau de l'aggravation de la crise économique et de l'effort de guerre impérialiste dans le monde.

En 2022, les travailleurs du CP ont créé le Comité de base des travailleurs du CP afin de défendre leurs intérêts indépendamment de la bureaucratie syndicale et de définir une stratégie pour vaincre la conspiration syndicats-gouvernements-entreprises. Cette initiative doit être relancée, en unissant les travailleurs du CN et du CPKC pour prendre le contrôle de la lutte contractuelle et placer le pouvoir entre les mains de la base. Une véritable lutte pour les besoins des travailleurs du rail, et non pour ce que les entreprises déclarent pouvoir se permettre, mettra la base en conflit direct avec l'alliance gouvernementale syndicats-Libéraux-NPD et sa conspiration transfrontalière avec le gouvernement Biden.

Pour que la lutte des cheminots canadiens soit couronnée de succès, il faut donc qu'ils lancent un appel direct à leurs frères et sœurs des États-Unis et du Mexique pour qu'ils les soutiennent. Le CPKC se targue d'exploiter le premier et le seul réseau ferroviaire à ligne unique reliant le Canada, les États-Unis et le Mexique. Le réseau du CN, quant à lui, relie Vancouver, à l'ouest, et Halifax, à l'est, au port de La Nouvelle-Orléans, en Louisiane. Un comité des travailleurs du rail canadien s'efforcerait de briser les divisions nationales que les syndicats et les entreprises imposent aux travailleurs alors même qu'ils assurent la libre circulation des marchandises et des capitaux à travers les frontières. Il s'efforcerait également d'élargir la lutte à d'autres sections de travailleurs à travers le Canada, qui font face aux mêmes attaques et constituent la force sociale qui peut arrêter l'assaut de l'élite dirigeante en faveur de l'austérité et de la guerre.

Tous les travailleurs du rail intéressés par cette perspective doivent nous contacter. Le WSWS fournira toute l'assistance nécessaire à la formation et à la construction d'un comité des travailleurs dans le cadre de l'Alliance ouvrière internationale des comités de base.

(Article paru en anglais le 12 août 2024)

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