Renforcement des tendances à la récession dans l'économie mondiale

Après les turbulences de la semaine dernière sur les marchés boursiers mondiaux, qui ont vu le marché de Tokyo connaître sa plus forte chute en une journée depuis le krach boursier d’octobre 1987 avant de se redresser, l’attention se porte de plus en plus sur le renforcement des tendances à la récession dans l’économie mondiale.

Elles se manifestent dans les quatre principales économies: les États-Unis, la Chine, le Japon et l’Allemagne.

Des piétons passent devant le bâtiment de la Bourse de New York le 25 mars 2024, à New York. [AP Photo/Frank Franklin II]

Selon un rapport largement suivi et généralement fiable sur l’humeur des investisseurs, la confiance s’est effondrée tant en Allemagne que dans la zone euro.

Le Financial Times rapporte que, selon l’indicateur ZEW du climat économique pour la zone euro qui a chuté de 25,8 points pour s’établir à 17,9, ce qui représente la plus forte baisse depuis le début de la pandémie. En Allemagne, l’indice a chuté de 22,6 points, une baisse trois fois plus importante que celle suggérée par un sondage d’économistes, et le niveau le plus bas depuis le début de l’année.

Les commentaires sur les chiffres rapportés par le FT sont tous négatifs. Le président du ZEW, Achim Wambach, a déclaré: «Les perspectives économiques pour l’Allemagne s’effondrent.» Il a déclaré qu’il existait une «grande incertitude» causée par ce qu’il a qualifié de politique monétaire «ambiguë» de la part de la Banque centrale européenne, des données négatives sur les entreprises aux États-Unis et des inquiétudes quant à la perspective d'un conflit militaire au Moyen-Orient.

Alexander Valentin, économiste principal chez Oxford Economics, a déclaré que l’affaiblissement des perspectives de croissance et la détérioration de la confiance des investisseurs constituaient des arguments pour que la BCE réduise ses taux lors de sa prochaine réunion en septembre et une nouvelle fois d’ici la fin de l’année.

D’autres commentaires allaient dans le même sens. L’économiste principal de la Deutsche Bank, Robin Winkler, a déclaré que l’optimisme concernant la reprise de l’économie allemande, qui était présent au printemps, s’était maintenant «complètement évaporé». Le PIB de l’Allemagne s’est contracté de 0,1 pour cent au cours du deuxième trimestre.

Une note adressée aux clients par T. Rowe Price indique qu’il existe un «risque que la croissance du PIB en Allemagne se réduise cette année» et qu’elle soit prise au piège dans un «cercle vicieux où des attentes plus faibles conduiraient à une croissance plus faible».

En Chine, la croissance du PIB pour le deuxième trimestre a été de 4,7 pour cent, ce qui représente une baisse significative par rapport à la croissance de 5,3 pour cent enregistrée au premier trimestre. Le ralentissement de l’économie a déclenché une bataille inhabituelle entre les banques du pays et la Banque populaire de Chine (PBoC), la banque centrale.

Face à la détérioration des perspectives économiques, les banques ont investi de l’argent sur le marché obligataire, faisant chuter les rendements jusqu’à 2,1 pour cent pour les obligations à 10 ans. (Le rendement des obligations diminue lorsque la demande augmente et que le prix augmente.)

Depuis plusieurs mois, la PBoC décourage ces initiatives et, la semaine dernière, elle a pris l’initiative de nommer et de blâmer un groupe de quatre banques rurales, affirmant qu’elles «manipulaient» les prix des obligations sur le marché secondaire.

Les autorités craignent, non sans raison, qu’une situation comme celle qui s’est produite aux États-Unis en mars 2023 ne se produise. La Silicon Valley Bank et d’autres banques régionales se trouvaient confrontées à des pertes importantes sur leurs avoirs en titres du Trésor lorsque les taux d’intérêt ont augmenté, et elles ont fait faillite.

Si la stabilité financière suscite des inquiétudes, des considérations politiques jouent également un rôle. La campagne de la PBoC vise à empêcher que d’autres conclusions soient tirées, à savoir que le recours aux obligations et la baisse des rendements indiquent une inquiétude quant à l’orientation de l’économie et la nécessité d’un changement de cap dans la politique officielle.

Comme l’indique un commentaire paru cette semaine dans le FT, «le marché obligataire chinois lance désormais des signaux d’alarme déflationnistes urgents» et «les décideurs politiques feraient bien d’en tenir compte».

Le président Xi Jinping a reconnu la nécessité d’accroître la demande effective et de stimuler les dépenses de consommation, à la suite d’une réunion du bureau politique du Parti communiste chinois au début du mois. La PBoC a récemment fait référence à «l’insuffisance des mesures [nationales] efficaces». Mais il n’y a aucun signe d’action significative.

La politique économique du gouvernement reste axée sur l’objectif à long terme de l’investissement dans des «forces productives de haute qualité». Mais cette politique, qui vise à accroître les exportations de produits de haute technologie, ne fait rien pour remédier à la situation intérieure. Celle-ci est caractérisée par les problèmes liés à l’endettement du marché immobilier et à la baisse de confiance des consommateurs, ce qui conduit à des appels à l’action de la part des autorités centrales.

Signe du ralentissement de l’économie chinoise, en particulier dans le secteur de la construction, le sidérurgiste Baowu a mis en garde contre un «hiver long et rude» pour l’industrie, dans des conditions où le prix de référence du minerai de fer a déjà chuté de 30 pour cent depuis le début de l'année.

Après une certaine reprise en 2023, l’économie japonaise semble retomber dans un cycle de faible croissance. Au premier trimestre, elle s’est contractée à un taux annualisé de 2,9 pour cent en raison de la baisse des dépenses de consommation, qui ont enregistré un déclin pendant quatre trimestres consécutifs, la plus longue série depuis 2009, et de la baisse des exportations.

Selon un sondage Reuters, les prévisions pour le deuxième trimestre tablent sur un rebond, avec des attentes de 2,1 pour cent sur une base annuelle. Mais des doutes subsistent quant à la durée de cette reprise. Les perspectives sont assombries par la décision de la Banque du Japon (BoJ) de relever ses taux d’intérêt, ce qui augmente la valeur du yen et pourrait nuire aux exportations. Les perspectives d’exportation sont également assombries par les signes de ralentissement, voire de récession, de l’économie américaine.

Les turbulences du marché de la semaine dernière soulignent la fragilité du système financier basé sur une montagne de dettes, surtout aux États-Unis.

La liquidation a été provoquée par un rapport sur l’emploi américain qui était inférieur aux attentes et la décision de la BoJ sur les taux d’intérêt. Par conséquent, la valeur du yen a subi une augmentation. Cela a résulté dans l’effondrement de ce qu’on appelle les «carry trades» (opérations spéculatives sur écart de rendement) où l’argent japonais bon marché était utilisé pour financer des investissements sur les marchés financiers américains.

Comme l’a noté le Wall Street Journal, les turbulences ont constitué un épisode de «désendettement» dans lequel les investisseurs utilisant de l’argent emprunté ont dû vendre des actifs dans un secteur du marché pour couvrir les pertes dans un autre. Le reportage indique que selon Goldman Sachs, «le mois de juillet a été l’un des plus importants épisodes de désendettement pour les clients des fonds spéculatifs» au cours des dix dernières années.

Ces derniers jours, les responsables de la Réserve fédérale se sont succédé sur les ondes pour rassurer les gens que l’économie n’entrait pas en récession. Mais les faits sur le terrain racontent une autre histoire. La confiance des consommateurs est en berne et les travailleurs les moins bien payés vivent sur leur carte de crédit face à la forte hausse des prix des produits de première nécessité, qui dépasse largement les chiffres officiels de l’inflation. L’endettement total par carte de crédit a atteint le chiffre record de 1140 milliards de dollars.

Un massacre de l’emploi a commencé avec des milliers de licenciements dans le secteur de la haute technologie au cours des derniers mois et des licenciements dans l’industrie automobile. Depuis le début de l’année, plus de 8.000 emplois ont été supprimés par les «Trois Grands» de l’automobile aux États-Unis. Il a été annoncé que 2.450 travailleurs seraient licenciés à l’usine Warren Truck de Stellantis, ce qui risque d’entraîner la fermeture complète de l’usine.

Paramount a annoncé la fermeture de ses studios de télévision et le licenciement de 15 pour cent de ses effectifs.

Pendant ce temps, Wall Street, toujours désireuse de mettre la main sur de l'argent moins cher pour soutenir la montagne de dettes, a demandé à la Réserve fédérale de commencer à réduire son taux lors de sa prochaine réunion en septembre, d'au moins 25 points de base (0,25 pour cent), voire de 50, et de procéder à d’autres coupes avant la fin de l’année.

Face à la multiplication des signes d’instabilité financière et aux indications croissantes de récession, tous les regards seront tournés vers les remarques du président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, lors du conclave annuel des banquiers centraux à Jackson Hole, dans le Wyoming, à la fin du mois.

(Article paru en anglais le 15 août 2024)

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