Le Canada, les États-Unis et la Finlande concluent un pacte trilatéral de construction de brise-glaces pour contrer la Russie et la Chine dans l'Arctique

Dans un contexte d'escalade rapide de la guerre entre l'OTAN et la Russie en Ukraine, le Canada, les États-Unis et la Finlande ont annoncé un accord trilatéral pour la construction de nouvelles flottes de brise-glaces. L'accord, baptisé « Pacte de collaboration sur les brise-glaces » ou « Pacte ICE », a été annoncé le 11 juillet en marge du récent sommet de l'OTAN à Washington.

L'accord souligne l'importance géostratégique critique de l'Arctique dans le contexte d'une nouvelle tentative des puissances impérialistes de rediviser le monde. Lors du sommet, qui s'est tenu du 9 au 11 juillet, l'OTAN s'est vantée qu'avec l'ajout récent de la Suède et de la Finlande, elle incluait désormais « toutes » les nations de l'Arctique, à l'exception notable de la Russie. Dans une escalade provocatrice de la guerre, l'OTAN a également dévoilé la création d'un bureau permanent en Ukraine, qui pourrait servir d’élément déclencheur pour le déploiement de troupes en cas d'attaque, et que les livraisons d'armes à Kiev seraient désormais gérées directement par l'OTAN depuis ses installations en Allemagne.

Des brise-glaces de la Garde côtière canadienne naviguent dans les eaux du Nord. [Photo: Government of Canada]

En plus de la guerre contre la Russie, le Pacte ICE est également un produit du conflit croissant entre les puissances impérialistes de l'OTAN et la Chine. Le sommet de l'OTAN a consacré une grande partie de ses travaux à la préparation de la guerre contre la Chine, notamment en officialisant un « partenariat » anti-chinois avec les pays de la région Indo-Pacifique. Le communiqué du sommet, dans un langage extraordinairement belliqueux, a condamné la Chine en tant que « soutien décisif de la guerre de la Russie contre l'Ukraine ». La Chine, qui s'est récemment déclarée « puissance proche de l'Arctique », est une cible explicite du Pacte ICE.

Bien qu'ils ne soient pas eux-mêmes des navires de guerre, les brise-glaces sont essentiels aux chaînes de transport et d'approvisionnement dans l'Arctique, y compris pour les opérations militaires. Le changement climatique entraîne un recul rapide de la glace de mer aux pôles, ce qui ouvre de nouvelles voies maritimes. Ainsi, les routes maritimes les plus rapides entre l'Amérique du Nord, l'Asie et l'Europe passent désormais par l'Arctique et pourraient, dans un peu plus d'une décennie, être navigables tout au long de l'année. L'extraction de minéraux de terres rares, de pétrole, de gaz et d'autres ressources essentielles, y compris du fond de l'océan Arctique, est un autre facteur motivant la ruée vers l'Arctique. Un facteur qui, du point de vue des puissances de l'OTAN, met encore plus en évidence leur besoin d'affirmer leur suprématie sur l'Arctique et ses voies maritimes.

Selon un communiqué de la Maison-Blanche, dans le cadre de la modernisation de la flotte de brise-glaces, le Pacte ICE a trois objectifs stratégiques principaux : l'amélioration de « l'échange d'informations » entre les partenaires trilatéraux concernant la technologie de construction des brise-glaces ; la collaboration en matière de « développement de la main-d'œuvre » afin de former le personnel ; et l'obtention de contrats auprès d'autres alliés de l'OTAN pour l'achat de brise-glaces construits dans des chantiers navals américains, canadiens ou finlandais. Le partenariat devrait permettre de produire jusqu'à 90 brise-glaces afin de contrer les incursions russes et chinoises dans l'Arctique.

Cette initiative représente le deuxième partenariat trilatéral sur la technologie et la production maritimes annoncé par le président américain Joe Biden, après l'établissement d'AUKUS avec la Grande-Bretagne et l'Australie en 2021. AUKUS, un accord d'un tout autre ordre de grandeur, est une alliance ouvertement anti-chinoise lancée dans le but de fournir à l'Australie des sous-marins à propulsion nucléaire. Le Canada cherche activement à se faire admettre dans l'AUKUS pour poursuivre ses propres ambitions impérialistes contre la Chine et considère probablement le pacte ICE comme un tremplin potentiel vers l'alliance. Dans le même temps, les intérêts considérables d'Ottawa dans l'Arctique constituent une préoccupation majeure en soi.

L'établissement du Pacte ICE fait suite à une série d'annonces par les impérialismes canadien et américain de plans visant à étendre considérablement leur présence militaire dans l'Arctique. La « modernisation » du NORAD, le commandement conjoint canado-américain de défense aérospatiale et maritime établi au plus fort de la guerre froide, est au cœur de cette campagne de militarisation. La modernisation du NORAD s'accompagnera de l'acquisition par le Canada de nouvelles flottes d'avions de chasse, de navires de guerre et de sous-marins, ainsi que d'autres instruments de violence. Lors du sommet de l'OTAN, le Canada s'est également engagé à fournir une aide militaire supplémentaire de 500 millions de dollars à l'Ukraine.

La déclaration commune des trois signataires du pacte ICE explique que « dans l'Arctique, de nouvelles voies de navigation plus rapides sont susceptibles de créer de nouvelles opportunités économiques et de faire baisser les coûts de transport ». Dans un commentaire séparé, un haut responsable américain de la sécurité a précisé encore plus clairement les objectifs du programme :

Le pacte ICE renforcera le message adressé à la Russie et à la Chine selon lequel les États-Unis et leurs alliés ont l'intention [...] de poursuivre résolument leur collaboration en matière de politique industrielle afin d'accroître notre avantage concurrentiel dans des secteurs stratégiques tels que la construction navale, pour construire à grande échelle une flotte de brise-glaces polaires de classe mondiale. Sans cet accord, nous risquerions de voir nos adversaires acquérir un avantage dans une technologie spécialisée d'une grande importance géostratégique, ce qui pourrait également leur permettre de devenir le fournisseur privilégié de pays également intéressés par l'achat de brise-glaces polaires.

Immédiatement après l'annonce, le Premier ministre canadien Justin Trudeau a déclaré dans un communiqué :

En tant que dirigeants des nations arctiques, le Canada, la Finlande et les États-Unis, conscients de l'importance durable de la région pour notre économie collective, notre climat et notre sécurité nationale, [...] décident d'approfondir leur coopération afin de garantir que les régions polaires et arctiques restent pacifiques, coopératives et prospères. Au cours des six prochains mois, nous élaborerons conjointement un plan de mise en œuvre de cette collaboration en vue de construire ces navires hautement complexes et essentiels pour nos alliés et partenaires ayant des intérêts et des responsabilités dans les régions arctiques et antarctiques.

Parce que l'Arctique, longtemps négligé, est devenu une nouvelle arène de compétition stratégique et de conflit, les flottes vieillissantes de brise-glaces sont devenues une source d'anxiété pour les classes dirigeantes américaines et canadiennes. Il y a huit ans, un rapport réalisé pour le compte de Transports Canada avertissait le gouvernement libéral que la flotte des garde-côtes du pays était gravement désuète et qu'elle avait désespérément besoin de nouveaux navires. En janvier, les garde-côtes américains ont lancé un avertissement similaire, affirmant qu'ils avaient besoin de nouveaux brise-glaces dans les plus brefs délais. Plus précisément, les garde-côtes ont déclaré qu'ils auraient besoin de huit à dix nouveaux brise-glaces. À eux deux, les garde-côtes et la marine américaine ne disposeraient plus que de deux navires brise-glace en état de marche. Les États-Unis n'ont pas construit de nouveau brise-glace depuis les années 1970.

La Russie, dont la croissance économique dépend beaucoup plus de l'Arctique, possède une flotte de 40 brise-glaces et d'autres sont en cours de construction. De son côté, la Chine a lancé un vaste programme de construction de brise-glaces.

Les bureaucraties syndicales nord-américaines, conformément à leur orientation pro-guerre et anti-classe ouvrière, se sont montrées d'enthousiastes partisans de la « lutte » contre la Chine. Les Métallurgistes unis (Métallos – USW) et d'autres syndicats nord-américains, par exemple, ont appelé de manière provocante à une enquête sur les pratiques « déraisonnables et discriminatoires » de la Chine dans les secteurs maritime, logistique et de la construction navale. Il ne fait aucun doute que les gouvernements Biden, Trudeau et Orpo s'appuieront de plus en plus sur les syndicats pour étouffer artificiellement la résistance de la classe ouvrière à la campagne de guerre des puissances de l'OTAN. D'ailleurs, Biden a récemment qualifié les syndicats d'« OTAN nationale ».

Davie Shipbuilding, basée à Lévis, au Québec, jouera un rôle de premier plan dans le programme de construction de la flotte de brise-glaces des puissances de l'OTAN, avec l'aide de Seaspan, basée à Vancouver. Davie a récemment racheté le chantier naval finlandais Helsinki Shipyard Oy qui, jusqu'à l'imposition des sanctions occidentales à Moscou, était un important fournisseur de coques de brise-glace pour la flotte russe à propulsion nucléaire. Un communiqué de presse de la Davie saluant le pacte ICE indique que « tandis que les industries de construction navale des adversaires fonctionnent sur un pied de guerre efficace, les alliés occidentaux manquent cruellement de brise-glaces et d'autres navires spécialisés. Aucun pays ne peut relever seul ce défi, mais des alliés de confiance ayant des objectifs communs et une construction navale de pointe peuvent le faire ». Davie a ajouté que son chantier naval d'Helsinki avait construit plus de la moitié de la flotte mondiale de brise-glaces.

Aux États-Unis, Bollinger Shipyards (Lockport, Louisiane) a commencé à travailler sur le premier des trois Polar Security Cutters, un type de navire brise-glace multi-missions. En mai, le Bureau du budget du Congrès américain a estimé que la construction de ces trois navires coûterait à elle seule la somme astronomique de 5,1 milliards de dollars américains. Un fonctionnaire du gouvernement Biden a déclaré que l'ensemble du programme des Polar Security Cutter pourrait coûter jusqu'à 10 milliards de dollars américains « pour déployer complètement la flotte que nous voulons ».

L'Arctique joue un rôle de plus en plus important dans la campagne de redécoupage du monde des puissances impérialistes, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il s'agit d'une région riche en matières premières essentielles, notamment en pétrole et en gaz, ainsi qu'en terres rares, qui sont cruciales pour l'économie de l'« énergie propre » en pleine expansion. Les revendications territoriales concurrentes sur les fonds marins de l'océan Arctique joueront un rôle majeur dans la détermination des puissances qui pourront revendiquer ces ressources naturelles et s’en emparer. Deuxièmement, le passage du Nord-Ouest sur la côte nord du Canada et la route maritime du Nord le long de la côte arctique de la Russie deviennent rapidement des routes commerciales viables qui réduiraient énormément les temps et les coûts de transport de marchandises entre l'Europe et l'Asie. Troisièmement, le contrôle de l'Arctique et de ses abords offrirait des avantages militaires cruciaux au cours d'une troisième guerre mondiale. Les missiles tirés par les puissances impérialistes nord-américaines contre la Russie et la Chine pourraient rapidement atteindre leur cible en traversant l'Arctique.

Le mouvement de militarisation ne se limite pas à l'Arctique canadien, mais concerne également la région atlantique du Canada. C'est certainement le cas de Terre-Neuve qui, en raison de sa position de masse terrestre la plus à l'est de l'Amérique du Nord et de sa proximité avec le golfe du Saint-Laurent, a servi d'étape critique à l'impérialisme britannique et américain pour l'approvisionnement militaire/stratégique de l'Europe pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, St-John's, la capitale de la province et l'une des principales « portes d'entrée » vers le passage du Nord-Ouest, est en train de devenir un point d'arrêt essentiel pour les forces militaires canadiennes et américaines en route vers l'Arctique. Dans le contexte d'une escalade rapide du conflit avec la Russie, la classe dirigeante canadienne considère de plus en plus la province comme une base avancée pour un futur conflit militaire.

Les plans belliqueux de l'impérialisme canadien pour ses provinces atlantiques ont été soulignés par une cérémonie du 1er juillet impliquant le rapatriement de la dépouille d'un « soldat inconnu » au monument aux morts du centre-ville de St-John's, à Terre-Neuve. Justin Trudeau, qui a assisté à l'événement largement médiatisé, a versé des larmes de crocodile sur le massacre insensé de 1914-1918 tout en affirmant que c'était la première fois que l'impérialisme canadien « montrait au monde que nous pouvions jouer dans la cour des grands ». La dépouille du soldat, probablement mort en 1916, était restée intacte en Belgique jusqu'à présent. À l'heure où le monde se dirige vers un troisième conflit mondial, le moment choisi pour cet événement ne pouvait être plus révélateur. Sous couvert de rhétorique nationaliste canadienne et provincialiste terre-neuvienne, la cérémonie visait à attiser les sentiments militaristes de la population à l'encontre de la Russie et de la Chine.

(Article paru en anglais le 19 juillet 2024)

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