Ouganda : Les manifestations contre l'austérité sont violemment réprimées

Mardi, des manifestations contre la hausse du coût de la vie, la corruption et la pauvreté ont éclaté à Kampala, en Ouganda. Elles ont été brutalement réprimées par le régime de Yoweri Museveni, soutenu par les États-Unis, qui dirige le pays d'une main de fer depuis 1986, lorsqu'il a mis fin à une guerre civile sanglante et imposé un régime capitaliste brutal pour permettre aux riches ressources du pays d'être pillées par ses maîtres impérialistes.

Des centaines de manifestants mobilisés sous le hashtag #March2Parliament ont défié Museveni, qui a déployé la police, des unités antiterroristes, la police militaire, des policiers en civil et l'armée autour et à l'intérieur de la ville de Kampala. Des véhicules blindés et des policiers ont patrouillé dans les rues toute la journée, tandis que les principales routes menant au Parlement étaient fermées et que des barricades gardées par la police étaient érigées. « C'est comme une zone de guerre », a déclaré à Reuters Edwin Mugisha, qui travaille à Kampala.

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Plus de 20 arrestations et enlèvements ont eu lieu, y compris dans les heures précédant la manifestation. Tout signe de protestation a été rapidement réprimé par la police et des dizaines de personnes ont été arrêtées.

Un manifestant crie alors qu'il est emmené avec d'autres après avoir été arrêté par la police militaire lors de la manifestation anticorruption à Kampala, en Ouganda, le 23 juillet 2024. [AP Photo/Hajarah Nalwadda]

Malgré cela, les manifestants ont réussi à défiler dans la rue principale Nasser Road, scandant contre le président corrompu du Parlement « Anita Among doit partir », faisant écho à l'appel kenyan « Ruto doit partir », avant d'être arrêtés.

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Les manifestations ont semé la crainte au sein du régime de Museveni de troubles similaires à ceux du Kenya voisin. Dans un discours télévisé samedi soir, Museveni a menacé les manifestants : « Nous sommes occupés à produire de la richesse […] et vous voulez nous déranger. Vous jouez avec le feu parce que nous ne pouvons pas vous permettre de nous déranger. »

« Certains éléments ont planifié des manifestations illégales et des émeutes », a ajouté Museveni.

Alors que l’élite dirigeante pille les recettes de l’État consacrées à l’éducation, à la santé et aux infrastructures, pratique le vol de terres, reçoit d’importants pots-de-vin de la part des entreprises et exploite impitoyablement la classe ouvrière travaillant dans les secteurs clés des matières premières mondiales ; ce qu’elle décrit comme « produire de la richesse » est un euphémisme pour dire garantir leurs propres modes de vie privilégiés.

Museveni, 79 ans, l'un des plus anciens dictateurs d'Afrique, a maintenant promu son fils, le lieutenant-général Muhoozi Kainerugaba, au rang de général et l'a nommé chef des forces de défense des Forces de défense populaires ougandaises (UPDF), afin de maintenir sa dynastie.

Muhoozi est diplômé de Fort Leavenworth, l’École militaire de commandement et d'état-major de l'armée américaine, surnommé le « Centre intellectuel » de l'armée américaine. C'est un chouchou de Washington.

Plus tôt cette année, Muhoozi a tenu une réunion avec l'attaché de défense américain en Ouganda, le lieutenant-colonel Chris Noumba. Selon un message du bureau du chef des Forces de défense, la réunion a discuté du « renforcement des relations traditionnelles solides entre l’UPDF et l’armée américaine ».

L'Ouganda agit comme une force par procuration de Washington dans la Corne de l'Afrique et en Afrique centrale, riche en ressources, déployant l'UPDF pour soutenir les gouvernements alignés sur les États-Unis au Soudan du Sud et en Somalie. En Somalie, l’UPDF a rejoint la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) soutenue par les États-Unis pour contrer la milice Al Shabaab. Auparavant, Washington avait fourni des équipements et une formation aux forces ougandaises pour combattre l'Armée de résistance du Seigneur (LRA) dans le nord de l'Ouganda. Les interventions militaires américaines dans la région sont devenues cruciales pour tenter de contrer les investissements chinois dans des projets d’infrastructure visant à faciliter l’extraction des richesses pétrolières et minières africaines.

Un autre bailleur de fonds clé est l’impérialisme français. La semaine dernière, le vice-président du Parlement ougandais, Thomas Tayebwa, a salué la coopération entre l'Ouganda et la France, anticipant les bénéfices pour l'élite corrompue ougandaise des quelques miettes que lui jettent les sociétés françaises provenant de leurs activités dans les secteurs de l'agriculture, l'agroalimentaire, les minéraux, le pétrole et le gaz, et le tourisme.

« Nous sommes impatients d'augmenter les volumes commerciaux entre nos deux pays et l'Union européenne en général. […] L'Ouganda est prêt à continuer d'améliorer l'environnement d'investissement pour attirer les investisseurs stratégiques et garantir un bon retour sur investissement. Les entreprises françaises en Ouganda, au nombre de plus de 40, sont aujourd'hui réputées employer environ 3000 Ougandais et contribuent directement et fortement aux revenus par le biais de la fiscalité », a déclaré Tayebwa.

L'ambassadeur français Xavier Sticker a félicité les troupes ougandaises pour avoir aidé les tentatives de l'impérialisme français de contrôler les ressources de l'Afrique, nécessaires à sa guerre contre la Russie et à ses préparatifs de guerre contre la Chine. « Cela est illustré notamment par la coopération entre l'UPDF et les forces françaises stationnées à Djibouti, en soutien aux opérations de paix en Somalie et en République démocratique du Congo », a déclaré Sticker.

Museveni était l'un des étudiants de la classe moyenne attirés par le maoïsme à l'Université de Dar es Salaam à la fin des années 1960, sous le régime nationaliste bourgeois de Julius Nyerere, qui a gouverné de 1961 à 1985. Il mena à bien ensuite une guerre de guérilla de cinq ans contre le régime de Milton Obote sous le signe de l’anti-tribalisme, de la répartition des terres et d’une « démocratie sans partis». Dans son discours d’investiture sur le « Changement fondamental » le 29 janvier 1986, Museveni déclara :

personne ne devrait penser que ce qui se passe aujourd'hui est un simple changement de garde : il s'agit d'un changement fondamental dans la politique de notre pays. En Afrique, nous avons assisté à tant de changements que le changement, en tant que tel, n’est rien d’autre que la tourmente. Nous avons vu un groupe se débarrasser d’un autre, mais celui-ci s’est révélé pire que le groupe qu’il avait déplacé. S’il vous plaît, ne nous comptez pas dans ce groupe de personnes.

Au cours des décennies suivantes, le régime de Museveini imposa des privatisations massives et vendit les biens ougandais à des financiers internationaux, tandis que lui et ses acolytes bénéficiaient d’affaires de corruption. Ce vol massif et ce pillage des ressources ont eu un effet catastrophique sur la classe ouvrière et les masses rurales.

Le taux de pauvreté national s'élève à 41 pour cent. Entre 2013 et 2017, le nombre de personnes vivant dans la pauvreté en Ouganda est passé de 6,7 millions à 10 millions, selon l'association caritative Oxfam. Les 10 pour cent les plus riches de la population reçoivent 35,7 pour cent du revenu national ; les 10 pour cent les plus pauvres reçoivent un maigre 2,5 pour cent et les 20 pour cent les plus pauvres seulement 5,8 pour cent.

Au cours des dernières années seulement, le régime de Museveni a tué et mutilé de nombreux manifestants, tandis que des centaines d'autres restent prisonniers politiques sans procès. En 2020, les forces de sécurité ougandaises ont abattu des manifestants, tuant 54 personnes et en blessant des dizaines, et en ont arrêté plus de 2000. Au cours des dernières décennies, ses victimes se comptent par dizaines de milliers.

Museveni a ciblé à plusieurs reprises le parti d’opposition Plateforme d'unité nationale (NUP), dirigée par le rappeur devenu homme politique Robert Kyagulanyi, plus connu sous le nom de Bobi Wine. Wine, qui a grandi dans l'un des quartiers les plus pauvres d'Ouganda, à Kampala, la capitale, a obtenu un large soutien pour sa musique, qui dénonce la pauvreté et Museveni. Lors des élections de 2021, malgré une répression massive (article en anglais), Wine a remporté 34,83 pour cent des voix (3,5 millions de voix) dans un contexte d'abstention importante.

Lundi, les routes menant au siège du NUP à Kampala ont été bloquées par les forces de sécurité. Dans des messages sur X/Twitter, Wine a déclaré que l'armée avait encerclé le quartier général, interdisant à quiconque d'entrer ou de sortir. Wine a ajouté : « Ce n'est pas moi qui ai organisé cette manifestation, mais le parti et moi-même la soutenons. » Plusieurs dirigeants et hauts responsables du NUP ont été arrêtés.

La plateforme pro-capitaliste de Wine n’est pas une alternative à Museveni. Hormis ses discours sur la corruption, le chômage et la « liberté », le NUP n’offre guère plus que de remplacer les pilleurs qui dirigent l’État ougandais par leurs semblables. Wine est un millionnaire, ayant une fortune estimée à 12 millions de dollars, possédant un manoir à Kampala, un parc de voitures de luxe, dont une Toyota Land Cruiser V8 blindée, une plage privée d'un kilomètre de long sur One Love Beach sur le lac Victoria et faisant des affaires dans l'immobilier, les loisirs, l’agriculture et la distribution.

Malgré le soutien populaire du NUP parmi la classe ouvrière et la jeunesse, il exprime les intérêts de la classe moyenne supérieure dont les aspirations à diriger des entreprises et l'État capitaliste ont été bloquées par la domination de Museveni et de ses acolytes politiques liés à l'impérialisme.

D’après Wine : « J'étais un jeune homme très intelligent et talentueux. J'ai réussi bien plus tôt. En fait, si nous étions tous bien gouvernés, j’aurais beaucoup plus de succès », citant le rappeur américain Jay Z, dont la fortune s’élève à 1,3 milliard de dollars.

Le programme du NUP, Un nouvel Ouganda, est un manifeste pro-capitaliste qui affirme : « Pour restaurer la confiance dans notre économie, nous devons stabiliser notre environnement des affaires et le rendre plus prévisible grâce à une bonne gouvernance qui permet au secteur privé de créer des emplois et de stimuler la croissance économique. »

Wine a également encouragé des illusions à l’égard des puissances impérialistes, notamment le Royaume-Uni et les États-Unis. Le mois dernier, Wine a remercié les États-Unis pour l'imposition de sanctions à la présidente du Parlement Anita Annet Among et à quatre autres responsables entachés de corruption et de violations des droits de l'homme. « Nous espérons que davantage d’individus et d’organisations responsables des souffrances de notre peuple seront sanctionnés », a-t-il déclaré. Wine a révélé qu'il avait fait pression pour que le Royaume-Uni sanctionne Among en avril.

Les puissances de l’OTAN ne sont pas les alliées des masses ougandaises. Elles ne défendent pas les droits de l’homme, mais se positionnent au cas où elles auraient besoin de retirer leur soutien à Museveni et à son fils, détestés. Elles soutiennent actuellement un génocide contre les Palestiniens à Gaza, lié à des plans de nouveau partage militaire du monde et de ses ressources, centrés sur des préparatifs avancés de guerre avec la Russie, l’Iran et la Chine. En Europe de l’Est, elles arment le régime d’extrême droite de Kiev en Ukraine contre la Russie, ce qui pourrait entraîner une catastrophe nucléaire.

L’Ouganda et le Kenya sont embarqués dans les conflits géopolitiques qui s’aggravent entre les États-Unis et la Chine. Les élites dirigeantes en Ouganda, qu’il s’agisse de Museveni ou de Wine, sont incapables de résoudre les problèmes sociaux et démocratiques fondamentaux auxquels sont confrontées la classe ouvrière et les pauvres des campagnes.

Seul un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière ougandaise, rassemblant les travailleurs ruraux pour renverser le régime bourgeois et établir un gouvernement des travailleurs et des masses rurales engagé dans une politique socialiste, peut résoudre les problèmes sociaux brûlants. Cela fait partie d’une lutte indissociable plus large pour le socialisme à travers l’Afrique et au niveau international, et de la construction d’une section ougandaise du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru en anglais le 24 juillet 2024)

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