Le nombre des morts augmente alors que le gouvernement bangladais déchaîne la répression militaire et policière contre les étudiants protestataires

Vendredi, la Première ministre bangladaise Sheikh Hasina a imposé un couvre-feu à l'échelle nationale. Elle a fait déployer des troupes avec ordre de «tirer à vue» pour réprimer les manifestations étudiantes généralisées qui ont éclaté contre les quotas d'emploi et l'augmentation des inégalités sociales.

Des forces militaires bangladaises à bord de véhicules blindés patrouillent dans les rues de Dhaka, au Bangladesh, samedi 20 juillet 2024 [AP Photo/Rajib Dhar]

On estime que 139 personnes ont été tuées et plusieurs milliers blessées au cours de la semaine écoulée dans de violentes attaques perpétrées par la police et des nervis de la Ligue Awami, au pouvoir. La majorité des personnes tuées sont des étudiants. Alors que la police affirme qu'elle n'a tiré que des balles en caoutchouc, les hôpitaux rapportent que de nombreux corps ont des blessures par balle à la tête.

Craignant de nouveaux troubles, le gouvernement a déclaré que dimanche et lundi étaient des jours fériés et que le couvre-feu serait maintenu. Des troupes militaires et des policiers lourdement armés patrouillent dans les rues, des hélicoptères survolant Dacca, la capitale.

Les manifestations étudiantes, qui ont débuté le 1er juillet, demandent l'abolition du système de quotas pour les emplois publics au Bangladesh, qui est rétrograde et source de division. Ce système de quotas est utilisé au profit des partisans politiques de la Ligue Awami d’Hasina.

Dans ce système, 30 % des emplois gouvernementaux sont attribués aux proches des «combattants de la liberté» (ceux ayant participé à la lutte pour établir le Bangladesh en 1971), 10 pour cent aux femmes et aux personnes originaires des régions sous-développées du pays, 5 pour cent aux minorités ethniques et 1 pour cent aux personnes handicapées physiques. Les 44 pour cent restants sont destinés à ceux qui ont été choisis dans le cadre du système actuel de mérite.

Dans l'espoir d'apaiser les troubles antigouvernementaux de masse, la Cour suprême du Bangladesh a statué hier que le quota pour les proches des «combattants de la liberté» devrait être réduit à 5 pour cent contre 30 pour cent actuellement et que chacune des autres catégories devrait être réduite à 1 pour cent. Les étudiants protestataires, soutenus par une grande partie de la population, réclament toutefois l'abolition du système de quotas.

Le mouvement Students Against Discrimination (étudiants contre la discrimination) a appelé à une fermeture nationale lundi. Un leader étudiant a déclaré à l'AFP dimanche: «Nous n'arrêterons pas nos manifestations tant que le gouvernement n'aura pas publié un décret reflétant nos demandes». Al Jazeera a rapporté que les étudiants demandent également la libération immédiate de toutes les personnes détenues pendant la répression et la démission des fonctionnaires qui ont ordonné la répression.

Nahid Islam, un coordinateur des manifestations étudiantes, a déclaré dans un message sur Facebook: «Le gouvernement devrait assumer l'entière responsabilité si les forces de l'ordre n'étaient toujours pas retirées des rues, si les dortoirs, les campus et les établissements d'enseignement n'étaient pas ouverts, et si les tirs continuaient.»

Des étudiants affrontent la police lors d'une manifestation contre le système de quotas dans la fonction publique, à Dhaka, au Bangladesh, le 19 juillet 2024 [AP Photo/Rajib Dhar]

Le mouvement Students Against Discrimination a émergé le 1er juillet avec des manifestations d'étudiants des universités de Dhaka et de Chittagong. Celles-ci étaient en réaction à un appel de la Haute Cour le 5 juin pour le rétablissement du système de quotas d'emploi. Le système avait été mis au rebut en 2018, après une vague de protestations étudiantes.

Ces dernières manifestations se sont rapidement propagées dans tout le pays après que le gouvernement Hasina a refusé de discuter avec les étudiants et a déclaré que l'affaire avait été réglée par le tribunal. Dans une émission télévisée, Hasina a déclaré que les étudiants «perdaient leur temps» et qu'il n'y avait «aucune justification au mouvement anti-quotas».

Tentant de dissiper les protestations, la Cour suprême a suspendu le jugement de la Haute Cour le 10 juillet, déclarant qu'elle réexaminerait le verdict et annoncerait sa décision le 7 août. Cette date a toutefois été avancée au 21 juillet, à la suite d'une demande du gouvernement.

Les manifestations étudiantes, qui avaient été largement pacifiques, ont pris une tournure sanglante la semaine dernière lorsque l'organisation étudiante de la Ligue Awami, la Ligue Chhatra du Bangladesh (BCL), a violemment attaqué des manifestants, le 15 juillet. Lorsque les étudiants ont refusé d'être intimidés par les membres de la BCL, la police a commencé à attaquer les membres de Students Against Discrimination avec des bâtons et des balles en caoutchouc.

Furieux des meurtres commis par la police, les citoyens ordinaires ont commencé à se joindre aux manifestations. Selon les médias, des centaines de milliers de personnes ont affronté la police et les hommes de main du gouvernement à Dhaka. D'autres se sont joints aux manifestations et ont affronté la police dans d'autres villes.

Comme l'a déclaré à la BBC la Dre Samina Luthfa, professeure adjointe de sociologie à l'Université de Dacca: «Ce ne sont plus juste les étudiants, il semble que des gens de tous les horizons aient rejoint le mouvement de protestation.» Elle a ajouté : «La colère contre le gouvernement et le parti au pouvoir s'accumule depuis longtemps.»

Le gouvernement Hasina a réagi en ordonnant la fermeture de toutes les universités, écoles et autres établissements d'enseignement publics et privés. Jeudi, il a coupé Internet et bloqué les connexions de téléphonie mobile et les systèmes de messagerie courte. Tous les sites web des médias bangladais, y compris le Daily Star et le Dhaka Tribune, ont également été bloqués et vendredi il a mobilisé l'armée contre les manifestations.

Le régime Hasina accuse le Parti national du Bangladesh (BNP), parti d'opposition, d'être à l'origine des troubles antigouvernementaux, mais c’est un mensonge. L'association Students Against Discrimination s'est expressément distanciée de toute affiliation à un parti politique.

Le gouvernement a ordonné à la police de faire une descente au siège du BNP et a affirmé qu'elle y avait trouvé des explosifs. La police a également arrêté Ruhul Kabir Rizvi Ahmed, le secrétaire adjoint du BNP. Si le BNP a soutenu de manière opportuniste les manifestations de jeudi, ce parti de droite n'a aucune sympathie pour les étudiants, les travailleurs et les pauvres, et lorsqu'il était au pouvoir, il a lancé des attaques antidémocratiques brutales contre les masses.

Si Hasina a été déclarée vainqueur des élections nationales de janvier et qu'elle entame son quatrième mandat consécutif, seuls 41,8 pour cent des électeurs ont participé à ce scrutin. Les manifestations étudiantes et le large soutien qu'elles reçoivent témoignent de la profonde hostilité envers son régime.

Le gouvernement Hasina, arrivé au pouvoir en 2009, a pris une direction de plus en plus autocratique, limitant les droits démocratiques, réprimant ses adversaires politiques et la liberté d'expression. En novembre dernier, il a déployé la police contre les travailleurs de l'habillement qui manifestaient pour un salaire décent. Quatre travailleurs ont été tués dans cet affrontement.

Hasina se vante que le pays a un taux de croissance économique de 5,8 pour cent et a atteint un revenu par habitant de 2 528 dollars en 2023, mais en 2018, son taux de croissance était de 7,9 pour cent et ses réserves de change sont tombées à 26,5 milliards de dollars, soit la moitié du montant de 2018. L'inflation s'élève actuellement à 9,7 pour cent. L'année dernière, son gouvernement a été contraint d'obtenir un prêt de 4,7 milliards de dollars du Fonds monétaire international pour couvrir la baisse des réserves de change et l’élargissement du déficit de la balance des paiements.

La pauvreté et le chômage augmentent rapidement, environ 18 millions de jeunes, y compris des diplômés universitaires, étant actuellement sans emploi. Selon les derniers chiffres du Bureau des statistiques du Bangladesh, environ 40 pour cent des jeunes du Bangladesh n'ont pas d'emploi et ne reçoivent pas d'éducation ou de formation professionnelle. On estime à 400000 le nombre de diplômés universitaires qui se disputent les 3 000 emplois de la fonction publique devenant disponibles chaque année. En 2022, 18,7 pour cent de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté national, selon la Banque asiatique de développement.

Le système gouvernemental de quotas d'emplois, qui a été établi en 1972 par le Premier ministre Sheikh Mujibur Rahman, a été modifié à plusieurs reprises par les gouvernements successifs pour construire des groupes pro-gouvernementaux contre la classe ouvrière.

Comme l' a expliqué le World Socialist Web Site en 2018, lors de précédentes manifestations contre ce système: « La réservation de quotas est source de division, de régression et utilisée pour détourner l'opposition de masse de la remise en question de l'ordre social existant et du système capitaliste, source de chômage et de pauvreté de masse ».

Alors que les médias bangladais ont présenté la décision de la Cour suprême comme une «victoire partielle», le système réactionnaire demeure, permettant aux élites dirigeantes de le manipuler à l'avenir. La bourgeoisie bangladaise, comme ses homologues au Pakistan et en Inde, est incapable de résoudre les problèmes sociaux ou démocratiques fondamentaux auxquels sont confrontés la classe ouvrière et les masses opprimées.

La répression brutale contre les étudiants est un avertissement à la classe ouvrière et à la jeunesse et un indicateur de plus que le régime de Hasina se tourne vers des formes dictatoriales de gouvernement afin de réprimer l'opposition croissante à ses attaques sociales.

La seule voie vers l’avant pour les étudiants et les travailleurs bangladais est la lutte contre le régime capitaliste et pour un gouvernement ouvrier et paysan dans le cadre d'une Union des républiques socialistes d’Asie du Sud. Nous exhortons les travailleurs et les étudiants à étudier le programme socialiste révolutionnaire du Comité international de la Quatrième Internationale pour développer cette lutte.

(Article paru en anglais le 22 juillet 2024)

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