Royaume-Uni : Le discours du roi pour présenter le programme du Labour ne promet rien aux travailleurs

L'astuce tentée par le nouveau gouvernement travailliste dans le discours du roi de mercredi était de donner l'impression qu'il s'occupait de la crise sociale qui s'aggrave en Grande-Bretagne, tout en rassurant les grandes entreprises sur le fait que les dépenses du gouvernement seront quasiment nulles.

Cela a laissé au Premier ministre Sir Keir Starmer la tâche de promouvoir les revendications grandioses du « renouveau national » du Labour, tout en insistant du même souffle sur le fait qu’il n’y aurait « aucune solution miracle » proposée aux problèmes auxquels la classe ouvrière est confrontée.

Le roi Charles (à gauche) lors de l'ouverture officielle du Parlement, le 15 juillet 2024 [Photo: UK Parliament/Twitter]

L'austérité et les coupes budgétaires étaient inscrites dans le programme législatif du nouveau gouvernement travailliste. Le premier projet de loi annoncé par le roi Charles III – le monarque lit le discours rédigé par le gouvernement – était le projet de loi sur la responsabilité budgétaire. Il garantissait que « toutes les modifications importantes en matière de fiscalité et de dépenses seraient sujettes à une évaluation indépendante par le Bureau de la responsabilité budgétaire ».

Étant donné que les créanciers du Royaume-Uni n'autoriseront aucune augmentation de la dette publique, comme l'ont clairement montré les marchés qui ont torpillé le mandat éphémère de Liz Truss. l'ancienne Première ministre conservatrice, à cause de ses réductions d'impôts non financées, et la promesse du Labour de ne pas imposer d'impôts supplémentaires sur les riches et les trusts, toutes les autres promesses de dépenses sont devenues sans objet.

La promesse la plus médiatisée a été celle de construire 1,5 millions de nouveaux logements au cours de ce Parlement, soit 300 000 par an, contre environ 235 000 par an par le gouvernement conservateur au cours des cinq dernières années. Mais aucun argent n’est prévu pour financer même cette modeste augmentation. Elle s'appuie entièrement sur une directive donnée aux autorités locales pour stimuler le développement privé, avec une légère augmentation du nombre de planificateurs et un assouplissement des restrictions de la loi sur l’aménagement du sol.

Les logements construits par le secteur privé sont en grande majorité aux prix du marché, bien au-dessus des moyens de la plupart des gens. Les bailleurs des logements sociaux comme les municipalités et les associations de logement ont vu leurs budgets décimés.

Une lettre envoyée par la Fédération nationale du logement (NHF), représentant 600 associations de logement, et l’Association des collectivités locales pendant la campagne électorale, a mis en garde contre un trou noir de 2,2 milliards de livres sterling dans les budgets du logement et a plaidé pour un financement supplémentaire, avertissant : « Les nouveaux projets de construction sont déjà retardés et annulés dans tout le pays en raison de pressions financières importantes et de l’incertitude. »

Une partie importante du programme travailliste a été empruntée en bloc à ses prédécesseurs conservateurs. L'objectif de 300 000 logements par an avait été annoncé dans le manifeste de Boris Johnson en 2019, mais n'a jamais été atteint et a été abandonné fin 2022 sous la pression des députés conservateurs.

Des projets visant à accorder aux locataires davantage de droits face à leurs propriétaires – notamment en mettant fin aux expulsions sans faute – ont été lentement présentés au Parlement par Michael Gove, mais ont été stoppés par les députés ayant à cœur les intérêts des propriétaires. Le gouvernement de Rishi Sunak était également sur le point de promulguer l'interdiction de fumer en fonction de l'âge, désormais adoptée par le parti travailliste, lorsqu'il a annoncé des élections anticipées.

Le plan du Labour visant à créer une organisation des chemins de fer britanniques gérée par l'État et supervisant les services ferroviaires est presque identique au projet établi par le secrétaire conservateur aux transports de l'époque, Grant Shapps, en collaboration avec Keith Williams, un homme d'affaires bien placé, qui a approuvé la stratégie du nouveau gouvernement.

L’étape supplémentaire prévue par Labour, consistant à permettre aux différentes franchises régionales gérées par des opérateurs privés de revenir dans la propriété publique à la fin de leurs contrats, a été acceptée comme inévitable par tous, sauf les députés conservateurs les plus fanatiques du libre marché. Les franchises privées ont été un désastre, avec quatre réseaux déjà abandonnés par leurs propriétaires et désormais gérés par le gouvernement.

Autrement dit, le plan de Starmer vise un capitalisme plus fluide, débarrassé de certains des abus les plus flagrants et des excès parasitaires développés sous 14 ans de régime conservateur, afin de mieux maintenir l’exploitation brutale des travailleurs, le sous-financement des services publics et un régime social punitif.

Par exemple, rien n'a été dit dans le discours du roi concernant la crise paralysante du système national de santé – seulement des promesses anodines de « réduire les délais d'attente, de se concentrer sur la prévention et d'améliorer les services de santé mentale ». Le secrétaire d’Etat à la Santé, Wes Streeting, a clairement indiqué que cette réduction des temps d'attente était basée sur une privatisation accélérée et sur le prolongement des heures de travail pour le personnel du Service national de la Santé (NHS).

Il n’y a même pas eu la moindre référence aux faillites imminentes auxquelles sont confrontées des municipalités, des écoles et des universités à travers le pays – un signe que les travaillistes permettront que cela suive son cours.

L'une des rares mentions de l'éducation comprenait une référence à la façon dont la suppression de l'exonération de la TVA sur les ventes dans les écoles privées financerait 6 500 nouveaux postes d’enseignants - dans un secteur qui souffre de la pire crise d'épuisement professionnel et de rétention du personnel de son histoire, dans des bâtiments qui s'effondrent faute d'entretien. Le nouveau personnel promis par Labour ne suffira pas à remplacer le nombre de personnes qui devraient quitter la profession chaque année après seulement 12 mois en poste d'ici la mi-parcours de ce parlement.

Tout aussi creux est l’engagement de fonder Great British Energy, « une société publique d’énergie propre dont le siège est en Écosse, qui contribuera à accélérer les investissements dans les énergies renouvelables telles que l’éolien offshore ». Elle est censée atteindre ces objectifs, en alliance avec le secteur privé bien sûr, avec seulement 8,3 milliards de livres sterling de financement sur cinq ans.

Il n'y avait aucune référence sérieuse à la pauvreté – qui touche environ une personne sur cinq au Royaume-Uni ni au système de protection sociale britannique. Malgré les grommellements de certains députés travaillistes, aucune référence n’a été faite à la suppression du plafond des allocations pour deux enfants, empêchant les ménages de demander une allocation ou un crédit d’impôt pour un troisième enfant ou tout enfant ultérieur.

Des dizaines de restrictions et de plafonds plus cruels seraient à supprimer, mais l’architecture brutale des prestations sociales établie par les conservateurs sera entre de bonnes mains sous la direction de la secrétaire au Travail et aux Retraites, Liz Kendal, une blairiste qui a profité de la campagne électorale pour contester « les affirmations des conservateurs selon lesquelles ils seraient restrictifs avec les allocations sociales » et dénonceraient « la dépendance à vie des allocataires ».

La méthode préférée de Labour pour faire face aux conséquences de la pauvreté et des inégalités est la répression policière, le gouvernement promettant de « rendre les rues plus sûres » et de « donner à la police de plus grands pouvoirs pour lutter contre les comportements antisociaux ». Il a l'intention d'embaucher 3 000 policiers supplémentaires et 4 000 policiers municipaux.

La rhétorique la plus violente en matière d’ordre public était dirigée contre les demandeurs d’asile. Le discours du roi a réitéré l'engagement du Labour à « renforcer » la frontière en «établissant un nouveau commandement de la sécurité des frontières et en assurant des pouvoirs antiterroristes renforcés ».

Les mesures destinées à donner une façade progressiste au nouveau gouvernement travailliste étaient une fraude évidente.

L'engagement « d'introduire de nouvelles mesures en faveur des travailleurs afin d'interdire les pratiques d'exploitation et de renforcer les droits du travail » faisait référence à un projet de loi sur les droits en matière d'emploi promis dans le manifeste du parti, mais depuis truffé d’exceptions et réduit en peau de chagrin au fil des jours. Parmi celle-ci se trouve la promesse réécrite de mettre fin uniquement aux contrats d’intermittence « abusifs », plutôt qu’à la pratique pure et simple.

Les mesures visant à abandonner le projet de loi sur le niveau de service minimum (contre les grèves) – mais pas les plus anciennes des lois anti-grèves – sont liées à la stratégie du Labour visant à une collaboration corporatiste plus étroite avec la bureaucratie syndicale pour réprimer les grèves, comme cela s’est déjà vu concernant l’intervention du British Medical Association pour supprimer la grève des médecins internes des hôpitaux et avec le syndicat Unite annulant la grève suite à la fermeture de l’usine sidérurgique Tata Steel à Port Talbot, au Pays de Galles.

Il n’y a aucune raison de croire que même le programme dérisoire établi par le Labour de Starmer sera réalisé, compte tenu de la situation mondiale en crise et de l’engagement total du gouvernement envers l’impérialisme britannique et ses guerres de plus en plus coûteuses.

Starmer s'est par exemple engagé à soutenir la modernisation des armes nucléaires britanniques et à porter les dépenses militaires à 2,5 pour cent du PIB lorsque cela est possible. Le discours du Roi a annoncé la création d'un nouveau poste statutaire de « commissaire des forces armées, chargé d'agir en tant que fervent défenseur indépendant de nos vaillantes forces armées et de leurs familles », afin de maintenir ces engagements sur la bonne voie.

Labour termine le discours du roi en promettant que « son engagement envers l’OTAN restera inébranlable. Il maintiendra des forces armées importantes, y compris la dissuasion nucléaire, pour faire face aux « menaces stratégiques mondiales ». Cela impliquait de continuer « à apporter tout son soutien à l’Ukraine » et de jouer « un rôle de premier plan pour fournir à l’Ukraine une voie claire vers l’adhésion à l’OTAN », ainsi que de s’engager en faveur d’un « Israël sécurisé ».

(Article paru en anglais le 18 juillet 2024)

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