Les taux d’intérêt devraient rester élevés, selon le FMI

Les taux d'intérêt fixés par les banques centrales resteront élevés plus longtemps que prévu, car l'inflation ne diminue pas aussi rapidement qu'on l'espérait. C'est la principale conclusion qui ressort de la mise à jour par le Fonds monétaire international (FMI) de ses perspectives pour l'économie mondiale, publiée mardi.

Pierre-Olivier Gourinchas, économiste en chef du Fonds monétaire international, lors de la conférence de presse du 16 avril 2024 [AP Photo/Jacquelyn Martin]

Dans un entretien avec le Financial Times sur le rapport, Pierre-Olivier Gourinchas, économiste en chef du FMI, a déclaré que les responsables des banques centrales «devraient être prêts à faire face à d’autres obstacles», alors qu’ils cherchent à faire baisser le taux d’inflation.

Il a déclaré que les pressions croissantes sur les prix des services aux États-Unis et en Europe étaient «persistantes», malgré la baisse de l’inflation globale.

Où les risques de hausse de l’inflation se sont matérialisés, la mise à jour du FMI indique que les banques centrales devraient «s’abstenir d’assouplir trop tôt et rester ouvertes à un nouveau resserrement si cela s’avérait nécessaire».

Mais le maintien de taux plus élevés aura des conséquences.

«Le risque d’une inflation élevée a augmenté les perspectives de taux d’intérêt élevés pendant encore plus longtemps, ce qui accroît les risques extérieurs, budgétaires et financiers.»

En décrivant certains de ces risques, le rapport avertit que des taux d’intérêt américains plus élevés, qui tendent à augmenter la valeur du dollar, entraîneront des disparités de taux d’intérêt à l’échelle mondiale. Cela «pourrait perturber les flux de capitaux et entraver l’assouplissement monétaire prévu, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur la croissance».

Lorsque les taux d’intérêt restent élevés, les gouvernements doivent réduire leurs dépenses.

Comme l’indique la mise à jour, «La persistance de taux d’intérêt élevés pourrait accroître encore les coûts d’emprunt et affecter la stabilité financière si les améliorations budgétaires ne compensent pas la hausse des taux réels dans un contexte de croissance potentielle plus faible.»

Traduit du jargon économique, cela signifie que les taux d’intérêt plus élevés augmentent la facture des intérêts payés par les gouvernements sur leur dette, et qu’ils doivent donc réduire leurs dépenses pour que l’augmentation constante de la dette, en particulier aux États-Unis, ne conduise pas à une augmentation des turbulences financières.

Pour souligner ce point, le rapport, les yeux rivés sur les élections américaines de novembre, a mis en garde contre «des changements importants dans la politique économique», qui comportent des «risques de gaspillage budgétaire» qui aggraveraient la «dynamique de la dette».

Ces questions ont été commentées par Gourinchas dans un blogue sur la mise à jour du FMI. Dans un appel à la réduction des dépenses publiques – non pas sur les dépenses militaires, que le FMI reconnaît comme intouchables, mais sur les services sociaux – il a déclaré que des «amortisseurs fiscaux» plus solides étaient nécessaires pour fournir les ressources nécessaires pour faire face à des chocs inattendus.

«Cependant,» a-t-il poursuivi, «trop peu de mesures sont prises, ce qui accroît l’incertitude des politiques économiques. Les consolidations budgétaires prévues [expression codée pour désigner les réductions de dépenses] sont largement insuffisantes dans un trop grand nombre de pays. Il est préoccupant qu’un pays comme les États-Unis, qui connaît le plein emploi, maintienne une position budgétaire qui fait augmenter régulièrement son ratio dette/PIB, ce qui présente des risques pour l’économie nationale et mondiale. La dépendance croissante des États-Unis à l’égard des financements à court terme est également préoccupante».

Il a averti qu’avec une dette plus élevée, une croissance plus lente et des déficits plus importants, il ne faudrait pas beaucoup de temps pour que «les trajectoires de la dette deviennent beaucoup moins confortables dans de nombreux endroits, en particulier si les marchés augmentent les écarts de taux des obligations d’État, ce qui présente des risques pour la stabilité financière».

Le FMI a déclaré que la croissance mondiale était conforme aux prévisions établies dans son rapport sur les perspectives de l'économie mondiale en avril. Il s’agit d’une croissance de 3,2 pour cent en 2024 et de 3,3 pour cent en 2025.

Mais il a souligné des changements significatifs dans la composition de cette croissance – des surprises à la hausse dans de nombreux pays, ainsi que des «surprises à la baisse» notables aux États-Unis et au Japon.

«Aux États-Unis, après une période soutenue de forte surperformance, un ralentissement plus marqué que prévu de la croissance a reflété une modération de la consommation et une contribution négative du commerce», a déclaré le rapport.

Les prévisions de croissance pour 2024 ont été revues à la baisse de 0,1 point de pourcentage, à 2,6 pour cent, et la croissance pour 2025 devrait s'établir à 1,9 pour cent, car «le marché du travail se refroidit et la consommation se modère, la politique budgétaire commençant à se resserrer progressivement».

On a revu le taux de croissance du Japon à la baisse de 0,2 point de pourcentage en raison de perturbations de l’approvisionnement et de la faiblesse de l’investissement privé au premier trimestre.

Le FMI a déclaré qu’il y avait «des signes de reprise économique en Europe», mais ceux-ci semblent au moins quelque peu ténus, car, comme l’a communiqué le rapport, «les faiblesses persistantes dans l’industrie manufacturière suggèrent une reprise plus lente dans des pays comme l’Allemagne [la plus grande économie d’Europe]».

Alors que les première, troisième et quatrième économies mondiales – respectivement les États-Unis, l’Allemagne et le Japon – ralentissent, l’économie mondiale dans son ensemble est soutenue par la croissance de la Chine, de l’Inde et des économies dites émergentes et en développement.

Le FMI a révisé la croissance de la Chine à la hausse à 5 pour cent pour 2024, mais a indiqué que cela ne durerait pas, la croissance ralentissant à 4,5 pour cent en 2025 et continuant à décélérer à moyen terme, tombant à 3,3 pour cent en 2029.

Comme c’est toujours le cas dans les rapports des banques centrales et des institutions financières mondiales, la mise à jour du FMI a mis l’accent sur les salaires dans la prétendue lutte contre l’inflation.

Dans son billet de blogue, Gourinchas a déclaré que «les prix des services et l’inflation des salaires sont les deux principaux sujets de préoccupation en ce qui concerne la trajectoire de désinflation» et a affirmé que «les salaires réels sont maintenant proches des niveaux prépandémiques dans de nombreux pays».

Cette affirmation est en contradiction directe avec l’expérience vécue par des centaines de millions de travailleurs dans le monde, qui ont été frappés par l’augmentation des coûts des biens essentiels et la réduction de leurs revenus disponibles, en raison de l’augmentation des remboursements d’emprunts hypothécaires résultant de la hausse des taux d’intérêt.

Il est indéniable que la flambée de l’inflation, qui a débuté en 2021, n’avait rien à voir avec les revendications salariales, mais était le résultat de la crise de la chaîne d’approvisionnement déclenchée par la pandémie, des effets de la guerre en Ukraine provoquée par les États-Unis et l’OTAN et des super profits engrangés par les géants mondiaux de l’alimentation et de l’énergie.

Mais le capital financier et ses représentants tels que le FMI exigent que la classe ouvrière paie, par la répression des revendications salariales via des accords salariaux sous l’inflation, imposés par les bureaucraties syndicales, et l'augmentation du chômage désignée par euphémisme comme le «refroidissement» de l'économie.

Le FMI a également averti que «l’escalade des tensions commerciales pourrait accroître les risques d’inflation à court terme en augmentant les coûts des biens importés tout le long de la chaîne d’approvisionnement».

Dans son blogue, Gourinchas s’est attardé sur cette question, notant que «le démantèlement progressif de notre système commercial multilatéral est une autre préoccupation majeure».

«De plus en plus de pays font désormais cavalier seul, imposant des droits de douane unilatéraux ou des mesures de politique industrielle dont la conformité avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce est, au mieux, discutable.»

Ces mesures menacent de «fausser les échanges et l’allocation des ressources, d’entraîner des représailles, d’affaiblir la croissance, de diminuer le niveau de vie et de rendre plus difficile la coordination des politiques qui visent à relever les défis mondiaux, tels que la transition climatique».

La mise à jour elle-même se termine par un faible appel à tous les pays pour qu’ils «réduisent le recours aux mesures de distorsion des échanges et s’efforcent plutôt de renforcer le système commercial multilatéral».

Mais bien qu’il ne puisse pas le reconnaître publiquement, le FMI sait très bien que cela n’aura pas lieu, alors que l’ordre économique d’après-guerre se désintègre visiblement dans des conditions de rivalités économiques et géostratégiques croissantes et de plongée vers la guerre.

(Article paru en anglais le 18 juillet 2024)

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