Des ouvriers de Maruti Suzuki India emprisonnés à vie sur la base de fausses accusations de meurtre s’entretiennent avec le WSWS

Le World Socialist Web Site est fier de publier le présent entretien en ligne mené avec deux des 13 travailleurs de Maruti Suzuki India qui, en 2017, ont été condamnés à perpétuité sur la base de fausses accusations de meurtre montées de toutes pièces.

Ces travailleurs – dont 11 seulement sont toujours en vie aujourd’hui – sont victimes d’une conspiration impliquant le constructeur automobile transnational japonais Suzuki, ainsi que la police, les tribunaux et les gouvernements de l’Inde et de l’État du Haryana.

Les 13 de Maruti Suzuki [Photo: MSWU]

Le «crime» de ces travailleurs est de s’être opposés aux conditions brutales qui prévalent dans les ateliers de misère de l’industrie automobile indienne intégrée mondialement.

Le World Socialist Web Site a exposé en détail les machinations montées contre eux, notamment dans une série de cinq articles publiés en avril et mai 2017, dans le cadre d’une campagne pour mobiliser la classe ouvrière indienne et internationale afin d’exiger la libération et la disculpation immédiates des travailleurs de Maruti Suzuki.

Sur ces 13 travailleurs, 12 constituaient l’ensemble de la direction du syndicat des travailleurs de Maruti Suzuki (MSWU). Syndicat indépendant, le MSWU a été créé par les travailleurs de l’usine d’assemblage automobile de Maruti Suzuki à Manesar, dans l’État du Haryana, dans le cadre d’une lutte acharnée contre un syndicat soutenu par l’entreprise et reconnu par l’État. En 2011-2012, les travailleurs de Manesar ont organisé à plusieurs reprises des actions militantes en milieu de travail, avec entre autres une grève avec occupation d’usine.

Leur défiance a suscité la colère non seulement de la direction du plus grand constructeur automobile indien, mais aussi des employeurs de la ceinture industrielle de Gurgaon-Manesar, qui est l’un des deux principaux centres de construction automobile du pays, et de l’élite dirigeante indienne dans son ensemble, parce qu’ils contestaient le système de travail contractuel utilisé pour diviser les travailleurs et leur imposer des salaires de misère et des conditions de travail brutales.

Grévistes occupant l’usine Maruti Suzuki scandant des slogans depuis l’enceinte de l’usine automobile lors d’un rassemblement organisé tout juste à l’extérieur de leur lieu de travail à Manesar, en Inde, le jeudi 13 octobre 2011. [AP Photo/Gurinder Osan]

Quatre mois environ après que les travailleurs aient obtenu la reconnaissance juridique du MSWU, l’entreprise a organisé une provocation. Le 18 juillet 2012, un contremaître a pris des mesures disciplinaires en suspendant un travailleur qui s’était opposé à une injure raciste de caste. Les travailleurs protestant contre la suspension de Jiyalal ont été attaqués par des hommes de main de l’entreprise. Au cours de la mêlée qui a suivi, un incendie a éclaté, entraînant la mort d’un responsable des ressources humaines.

L’entreprise et l’État indien se sont ensuite servis de cette tragédie pour mener une chasse aux sorcières contre les travailleurs et les piéger. Sur la base de listes fournies par l’employeur Maruti Suzuki, la police a arrêté des centaines de travailleurs. Nombre d’entre eux ont été battus pendant leur garde à vue. De graves accusations criminelles ont été portées contre plus de 150 travailleurs, et l’entreprise a éliminé 2.300 emplois parmi les travailleurs supplémentaires à son usine d’assemblage de Manesar.

Le procès des 13 travailleurs de Maruti Suzuki s’est ouvert en mars 2017, après qu’ils aient déjà enduré près de cinq ans d’incarcération dans l’enfer des geôles indiennes. Du début à la fin, leur procès a été une parodie, le juge excluant arbitrairement tous les témoignages des travailleurs, y compris des témoins oculaires des événements du 18 juillet 2012, en prétextant qu’ils seraient «biaisés favorablement» à l’égard du MSWU. Des preuves ont été fabriquées et les témoins influencés par l’accusation. Le fardeau de la preuve a été transféré sur les épaules des travailleurs, le juge déclarant que s’ils ne pouvaient prouver que c’était quelqu’un d’autre qu’eux qui avait mis le feu à l’usine, c’était donc là la preuve que ce ne pouvait qu’être eux qu’ils l’avaient fait.

La chasse aux sorcières a été supervisée par l’ensemble de l’establishment politique, commençant sous les gouvernements du Parti du Congrès de l’État du Haryana et national, pour ensuite se poursuivre sans interruption après l’élection du parti suprématiste hindou Bharatiya Janata Party (BJP). À l’issue du procès, le procureur spécial de l’État, Anurag Hooda, a demandé que les travailleurs soient condamnés à la peine de mort, invoquant comme motif que les investisseurs devaient être rassurés. «Le Premier ministre Narendra Modi prône le slogan “Make in India”, mais de tels incidents ternissent notre image!»

Les partis staliniens – le Parti communiste indien (marxiste) et le Parti communiste indien – et leurs syndicats affiliés, respectivement le Centre for Indian Trade Unions (CITU) et le All-India Trade Union Congress (AITUC), ont refusé d’organiser quelque campagne que ce soit pour mobiliser la classe ouvrière et venir à la défense des 13 de Maruti Suzuki. Ils craignaient qu’une telle action ne perturbe leur alliance politique avec le Parti du Congrès, défenseur de la grande entreprise, et leurs relations cordiales avec les employeurs.

Jiyalal accompagné de sa femme et de son fils [Photo: MSWU supplied]

En 2021, deux des 13 travailleurs de Maruti Suzuki condamnés sont morts. Jiyalal a succombé à un cancer à l’âge de 35 ans. L’État indien est directement responsable de sa mort, car les autorités pénitentiaires ne lui ont pas fourni de traitement en temps voulu. Au début de la même année, Pawan Dahiya, 37 ans, est mort électrocuté alors qu’il bénéficiait d’un congé temporaire à la suite de la pandémie de la COVID-19.

Au cours des deux dernières années et demie, les onze autres – Ram Meher, Sandeep Dhillon, Ram Bilas, Sarabjeet Singh, Pawan Kumar, Sohan Kumar, Ajmer Singh, Suresh Kumar, Amarjeet, Dhanraj Bambi et Pradeep Gujjar – ont pu obtenir une libération sous caution dans l’attente de l’appel de leurs condamnations. L’État s’est opposé à leur libération mais leurs avocats ont toutefois pu citer des précédents judiciaires prévoyant la suspension temporaire des peines de gens ayant déjà subi une longue incarcération avant et après un procès et dont les appels ne pouvaient être entendus «dans un avenir proche».

Bien qu’il faille se féliciter de la libération provisoire de ces 11 travailleurs, la campagne visant à dénoncer le coup monté dont ils sont victimes et à exiger leur disculpation totale doit se poursuivre.

Ils restent, il faut le souligner, gravement menacés. Les autorités indiennes n’ont pas cédé d’un pouce dans leur coup monté, même si celui-ci est totalement discrédité et percé de part en part. L’État du Haryana a en effet fait appel pour contester l’issue du premier procès afin de faire pression pour que les 11 ouvriers toujours vivants de Maruti Suzuki soient condamnés à mort.

Deux travailleurs autrefois dirigeants du MSWU, Mahan et Bahadur (noms changés afin de les protéger contre toutes nouvelles représailles vindicatives) se sont entretenus avec le WSWS. Malgré les immenses difficultés qu’ils subissent toujours, ils sont fiers de la lutte militante qu’ils ont lancée et menée en 2011, conservent leur esprit combatif et tiennent à contribuer aux luttes de leurs frères et sœurs de classe dans le monde entier et à tirer des enseignements de celles-ci.

Nous reproduisons ci-dessous leurs réponses traduites originalement de l’hindi.

WSWS: Pourquoi pensez-vous que vous et les autres dirigeants du MSWU avez été accusés du meurtre d’Awanish Kumar Dev, le directeur des ressources humaines de Maruti Suzuki? Qui, selon vous, est responsable de ce coup monté? Quel rôle pensez-vous que les gouvernements, tant de l’Inde que de l’État ont joué dans cette affaire?

Mahan: Dans l’affaire du meurtre du directeur des ressources humaines, les dirigeants du MSWU ont été piégés par l’entreprise désireuse de briser le syndicat des travailleurs. L’entreprise a réussi à mener à bien cette conspiration. Le gouvernement d’État formé par le Parti du Congrès a apporté son soutien total à l’entreprise afin de piéger les travailleurs de Maruti Suzuki. Le gouvernement a engagé un avocat renommé contre les travailleurs, et celui-ci s’est opposé à plusieurs reprises à notre libération et empêché que nous ne soyons libérés de prison.

Bahadur: On ne sait toujours pas comment la mort d’Awanish Dev est survenue. Cela s’est produit dans une grande salle, mais son corps a été brûlé à 100%. Il n’y avait rien dans cette salle qui puisse provoquer un brasier pouvant brûler une personne à 100%. D’où vient cette histoire de meurtre partagée par la direction et l’administration? Notre syndicat était très puissant à Gurgaon. C’est pour cela que la direction a joué tout ce jeu. La direction est entièrement responsable de ce qui s’est passé. Le gouvernement est une marionnette entre les mains des capitalistes, alors que pouvons-nous faire avec le gouvernement? Quel espoir pouvons-nous avoir en lui?

WSWS: Il est désormais bien connu que les travailleurs arrêtés par la police en 2012 ont été torturés. Pourriez-vous décrire ce qui s’est passé?

Mahan: Les travailleurs ont été arrêtés par la police puis torturés. Ils ont été battus avec des bâtons et torturés de diverses manières qu’il est impossible de décrire.

Bahadur: Pendant notre détention provisoire, nous avons beaucoup souffert. C’était bien pire que ce qu’ils font aux criminels professionnels. Ils nous ont pendus au plafond avec les mains attachées jusqu’à ce que l’on perde connaissance. En outre, deux policiers nous étiraient les jambes des deux côtés pour les écarteler. Ils mettaient aussi une barre de 100 kg sur nous, puis s’assoyaient sur nous. C’était une expérience très, très douloureuse, mon frère.

WSWS: Quel soutien avez-vous reçu, vous et vos familles, de la part des travailleurs de Maruti Suzuki ou d’autres syndicats pendant cette longue période d’emprisonnement?

Mahan: Pendant l’emprisonnement à vie, d’autres syndicats ont apporté un soutien total, en payant les frais d’avocats et aidant financièrement les membres de nos familles.

Bahadur: Pendant la longue période d’emprisonnement, nous et notre famille avons reçu un soutien total de la part du syndicat. Ces personnes ont beaucoup aidé notre famille sur le plan financier. Je les remercie du fond du cœur.

«Les travailleurs de tous les pays doivent s’unir et être solidaires face à la bourgeoisie.»

WSWS: Vous êtes au courant que les syndicats CITU et AITUC n’ont pas fait campagne pour la libération des travailleurs de Maruti Suzuki lynchés par les tribunaux? Avez-vous une opinion à ce sujet?

Mahan: Ils ont «aidé autant qu’ils pouvaient», c’est du moins c’est ce qu’ils ont dit. Mais après nous avoir mis en confiance, ils n’ont rien fait pour nous. Comme nous sommes en liberté sous caution, je suis contraint par le fait de me mettre en danger si je fais des déclarations contre ces appareils syndicaux.

Bahadur: Je ne peux pas parler du CITU, mais de nombreux syndicats nous ont pleinement soutenus et ont coopéré avec nous et notre famille. Je les remercie de tout cœur. Mais à mon avis, les grands dirigeants syndicaux travaillent pour sauvegarder leur gagne-pain et c’est tout. Si les dirigeants syndicaux travaillaient tous ensemble, cela pourrait être bénéfique pour les travailleurs. C’est pourquoi je demande aux syndicats de lutter pour les droits des travailleurs et d’être du côté des travailleurs afin que ceux-ci puissent lutter pour leurs droits et répliquer de façon appropriée aux agissements des gestionnaires.

WSWS: Le capitalisme est la cause première des souffrances infligées aux travailleurs de Maruti Suzuki. Nous pensons que les travailleurs doivent consciemment s’engager dans la lutte pour le socialisme en se joignant à leurs frères et sœurs de classe du monde entier. Le WSWS et le CIQI (Comité international de la Quatrième Internationale) luttent pour construire l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC) à cette fin. Que pensez-vous de cela?

Mahan: Les travailleurs du monde entier doivent s’unir et élever leur voix contre le capitalisme. L’initiative de l’IWA-RFC lancée par le WSWS et le CIQI est donc très louable.

Bahadur: Nous, les victimes, sommes bien placées pour savoir que partout dans le monde les travailleurs sont confrontés à l’injustice, mais les travailleurs ne comprennent toujours pas cela. Nous ne sommes que des travailleurs, mais si nous nous unissons tous, nous pouvons faire céder n’importe qui. C’est pourquoi je demande aux frères de se battre ensemble et je remercie de tout cœur l’organisation de se battre pour les travailleurs.

WSWS: Vous avez passé dix ans en prison pour des crimes que vous n’avez pas commis. Décrivez-nous vos conditions de détention. Avez-vous été autorisé à sortir de prison pour assister à des cérémonies?

Mahan: En prison, nous avons dû faire face à de grandes difficultés et vécu beaucoup de chagrin. Pour assister à des cérémonies, il fallait d’abord obtenir la permission du tribunal de pouvoir sortir, puis nous étions autorisés à le faire.

Bahadur: Il est vrai que nous avons passé dix ans en prison pour un crime que nous n’avons jamais commis. Les conditions de vie en prison sont comparables à l’enfer. On vit toutes sortes de problèmes, que ce soit pour manger, boire, se laver ou même rester propre en prison. La prison coute 7.000 roupies par mois! Bien des fois, la famille n’est pas en mesure de payer. Mais nos familles s’occupent de nos enfants et le syndicat s’est également occupé d’elles. Grâce à nos familles et au syndicat, nous avons survécu en prison.

WSWS: Pourquoi pensez-vous qu’ils vous ont finalement laissé sortir de prison après 10 ans?

Mahan: Ils ne nous ont pas autorisés à sortir; c’est plutôt à cause d’une règle du tribunal que nous avons été libérés sous caution.

Bahadur: Nous avons suivi les règles établies par le gouvernement et le tribunal pour sortir de prison. C’est pourquoi nous sommes maintenant sortis de prison. La règle du tribunal dit qu’après avoir purgé un quart de sa peine, le prisonnier peut être libéré sous caution. Aujourd’hui, nous sommes donc libérés sous caution.

WSWS: Quelles restrictions vous sont imposées dans le cadre de votre libération sous caution?

Mahan: Pour notre libération sous caution, nous avons dû payer ou promettre deux lakhs de roupies (200.000 roupies, soit environ 2700 dollars US). La restriction est de ne pas faire de travail dit illégal à l’extérieur.

Bahadur: Après avoir été libérés sous caution, nous sommes soumis à une restriction: nous ne pouvons ni nous rendre à l’entrée de l’entreprise ni nous promener à l’intérieur de la propriété de l’entreprise. Il nous est également interdit de prendre la parole où que ce soit à Gurgaon.

WSWS: Avez-vous pu trouver un travail pour gagner votre vie? Comment vos familles s’en sortent-elles?

Mahan: Jusqu’à présent, nous n’avons pas trouvé de travail pour gagner notre vie. Personne ne nous donne de travail. Notre famille est très triste et vit dans la pauvreté.

Bahadur: Jusqu’à présent, nous n’avons pas pu trouver de travail permanent, mais nous faisons de petits boulots pour subvenir aux besoins de notre famille. Vous savez, après dix ans de prison, il est très difficile de trouver du travail. Certains essaient de se bâtir une carrière. Pour bien faire, il faut disposer d’une bonne somme d’argent, comme pour ouvrir un magasin, etc. Pour l’instant, c’est au-delà de nos moyens. Je crains que notre punition ne disparaisse jamais et qu’elle nous poursuive jusqu’à la fin de nos jours.

WSWS: Avez-vous d’autres idées à transmettre aux travailleurs d’autres pays?

Mahan: Il est essentiel que les travailleurs de tous les pays s’unissent et soient solidaires face à la bourgeoisie.

Bahadur: Je veux adresser un message aux travailleurs de partout dans le monde: de la même façon que nous brandissons le slogan que «Nous sommes tous unis!», nous devons aussi dans les faits rester unis. On n’obtiendra rien en lançant seulement des slogans. Tant que nous n’abandonnerons pas la division entre castes héritée du castéisme, ou encore la division entre hindous et musulmans, nous continuerons d’être opprimés. Si nous voulons être respectés en tant qu’êtres humains, nous devrons tous élever la voix ensemble. En mon nom, je salue tous les travailleurs du pays et de l’étranger. Je vous remercie, chers camarades, d’avoir jugé utile d’écouter nos points de vue. Nous sommes avec tous les travailleurs et nous allons continuer d’élever nos voix pour eux.

(Article paru en anglais le 15 juillet 2024)

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