Lors des récentes élections, des millions de personnes ont voté pour le Nouveau Front populaire (NFP) de Jean-Luc Mélenchon, ou pour des candidats du parti de Macron soutenus par le NFP, afin d'empêcher une victoire néofasciste. Ces élections ayant conduit à un parlement sans majorité, il devient évident que l'alliance NFP-Macron trahit les aspirations des travailleurs et des jeunes.
Le NFP est arrivé en tête, mais Macron refuse de nommer Mélenchon Premier ministre. Comme l'a rapporté le quotidien Libération, des dirigeants macronistes tiennent des pourparlers secrets avec le RN néofasciste sur la crise gouvernementale. Macron lui-même s'est rendu au sommet de l'OTAN à Washington discuter de l'escalade militaire et des projets de frappes sur les villes russes, financés par des mesures d'austérité comme la réforme des retraites l'année dernière.
Mélenchon a gardé un silence assourdissant sur les pourparlers secrets de Macron avec le RN. Loin d'attaquer la collaboration de Macron avec le RN sur les politiques de guerre et d'austérité massivement rejetées par le peuple français, il prolonge son alliance avec Macron. Il n'appelle pas à mobiliser les travailleurs et les jeunes dans des manifestations et des grèves contre la guerre et la réforme des retraites; il bloque un mouvement de la classe ouvrière contre Macron et le RN.
Le discours de Mélenchon vendredi soir intitulé « Le moment politique » montre pourquoi il fait le silence sur les liens de Macron avec le RN. S'attaquer aux liens de Macron avec le RN ferait exploser la stratégie de Mélenchon d’alliance avec Macron, soi-disant pour arrêter l'extrême droite, alors même que Macron appelle à envoyer des troupes en Ukraine pour la guerre avec la Russie et impose un régime d'État policier chez lui.
Vendredi soir, Mélenchon a défendu le changement de nom de l'alliance entre son parti populiste des classes moyennes, La France insoumise, avec le PS bourgeois et le PCF stalinien, de Nouvelle Union populaire en Nouveau Front Populaire. Il a affirmé que cette proposition avait stupéfait le PS et le PCF, les poussant à lutter contre l’extrême-droite:
«Leur surprise, leur stupeur c’est que la NUPES morte, surgit le Nouveau Front populaire. Je n’entre pas dans les détails, tout ça est présent à votre esprit. … Nous nous avons dit que rien ne serait trop cher parce que nous savions que si nous reconstituions l’Union, quel qu’en soit le prix, ce serait le chemin le plus rapide pour déjouer ce qu’était en train de faire le président Macron, en se disant que ce qu’il faisait comportait le risque immense que ça se termine par la victoire de l’extrême-droite.»
La présentation par Mélenchon du NFP comme un adversaire déterminé de l'extrême droite est un mensonge politique. S'il voulait combattre l'extrême droite, il dénoncerait les pourparlers secrets de Macron avec le RN et les utiliserait pour mobiliser l'opposition ouvrière à Macron. Mais il fait le contraire. Gardant un silence complice, il approfondit son alliance avec la coalition Ensemble de Macron, permettant ainsi qu RN de se positionner comme seul opposant à Macron.
Vendredi soir, Mélenchon a salué sa stratégie de désistements des candidats du NFP en faveur des candidats d'Ensemble pour faire barrage au RN. Il s'est vanté que le NFP est entré dans cette alliance avec Macron sans «illusions» sur le rôle anti-ouvrier de Macron, mais a retiré ses candidats et soutenu les candidats de Macron quand même. Mélenchon a dit :
«Comme nous n’avions pas d’illusions, nous ne pouvions pas les perdre. Voilà la raison pour laquelle pour trois points d’écart, nous avons mis dans la balance 100 circonscriptions. Il y a des camarades qui ont mal vécu cette histoire. Il a fallu beaucoup de courage à des camarades pour accepter que la circonscription dans laquelle la fois d’avant ça leur été passé au raz des moustaches, la victoire, et le coup d’après c’est plus eux, c’est quelqu’un d’autre qui vient en quelque sorte ‘profiter du travail’ qui a été fait. Mais c’est comme ça, c’est la loi du combat.»
Si c'est ça le «combat» contre Macron et le RN, à quoi ressemblerait une capitulation? Ensuite, Mélenchon a fait un aveu remarquable de faillite politique en expliquant pourquoi l’alliance avec Macron aurait été le seul choix possible pour LFI et le NFP. Au début des élections, a-t-il affirmé, le NFP n’avait «pas la même capacité que le Rassemblement national».
Le NFP, selon Mélenchon, était tellement affaibli par la défense du génocide de Gaza par le PS et par la trahison des appareils syndicaux des grèves l'année dernière contre la réforme des retraites qu'il ne pouvait rien faire d'autre que de s'allier avec Macron. Traitant les dénonciations sinistres par le PS des déclarations de solidarité avec Gaza de «division», Mélenchon a poursuivi:
«Nous avons sur le dos 1. la division 2. les batailles perdues … 91 pour cent de la population est contre la retraite à 64 ans, et à la fin qu'est-ce qui se passe? Rien. Il ne se passe rien. Aucune des deux assemblées, l'Assemblée nationale n’a pas eu le temps de voter le texte puisqu'il y a eu 49-3 [pour imposer la réforme sans vote parlementaire] et ça s’impose.
Dans toutes les langues du monde ça s’appelle une défaite. Il n'y a aucune explication par ceux qui ont été les leaders du mouvement, c'est-à-dire notamment les organisations syndicales, personne ne nous dit comment et pourquoi nous avons perdu. … Les gens, dans cette affaire, ce qu’ils ressentent c’est de la résignation en disant, ‘Ecoutez bon d’accord, on perd tout le temps mais il faut quand même recommencer tout le temps’. C’est très difficile.»
Cette confession confirme les avertissements du Parti de l'égalité socialiste (PES) sur l'alliance de LFI avec le PS et les appareils syndicaux. C'est un piège pour les travailleurs. Les remarques de Mélenchon soulèvent une question: si les alliances avec le PS et les bureaucraties staliniennes du PCF et de la CGT affaiblissent l'opposition des travailleurs à Macron et au RN, pourquoi Mélenchon forme-t-il de telles alliances ?
Il faut dire, d'abord, que l'argument de Mélenchon pour l’alliance avec Macron – que le NFP était trop discrédité pour faire autre chose – est une fraude. Le NFP a reçu les votes de millions de travailleurs et de jeunes qui ne voyaient pas d'autre moyen d'exprimer leur opposition à Macron et à Le Pen. Ce sursaut de gauche aurait été plus important, si LFI n'avait pas œuvré pendant des années à subordonner les travailleurs à des alliances avec le PS, le PCF et à présent Macron.
La trahison par les appareils de la lutte pour les retraites a créé amertume et confusion. Mais cela démasque aussi le rôle joué par Mélenchon. LFI n'a pas appelé à mobiliser ses millions d'électeurs en lutte, mais à canaliser l'opposition à travers l’Assemblée. Mélenchon avoue à présent qu'il n'y avait pas de tactique parlementaire viable pour arrêter la réforme de Macron, et donc que cette stratégie était en faillite. Mais Mélenchon poursuit toujours cette stratégie, pour des raisons qu’il faut trouver dans la base de classe et le programme du NFP.
Le NFP est rassemble la bourgeoisie impérialiste derrière le PS avec des couches des classes moyennes aisées dans les universités et les bureaucraties syndicales derrière le PCF et LFI. Le programme du NFP appelle à envoyer des troupes en Ukraine et à renforcer la gendarmerie et le renseignement. Le NFP s'efforce de bloquer l'opposition de masse à Macron, à la guerre, à l'État policier et au RN parce qu'il n’a que des différences tactiques limitées avec Macron.
Mélenchon a commencé sa carrière politique dans l'Organisation communiste internationaliste (OCI) de Pierre Lambert, peu après que l'OCI ait rompu avec le Comité international de la IVe Internationale (CIQI), le mouvement trotskyste. L'OCI a soutenu l'Union de la gauche entre le PCF et le Parti socialiste (PS) bourgeois de l'ex-collaborationniste François Mitterrand. Des membres de l'OCI comme Lionel Jospin et Mélenchon ont rejoint le PS et sont devenus ministres dans des gouvernements capitalistes PS austéritaires.
L’appel de Mélenchon à un mouvement «citoyen» font écho aux promesses du PS et du PCF de bâtir un gouvernement «du peuple» sur leur Programme commun conclu en 1972. Mais depuis que cette alliance a pris le pouvoir en 1981 en France – abandonnant leurs promesses de réformes lors du « tournant d'austérité » de 1982-1983 – et surtout depuis la dissolution stalinienne de l'URSS en 1991, la base ouvrière du PCF s'est effondrée. Les forces qui subsistent aujourd'hui dans le NFP sont des mouvements de la classe moyenne consciemment hostiles au marxisme.
C'est ce qui ressort des remarques de Mélenchon vendredi soir. Se moquant de ceux qui lisent «les œuvres comparées de Karl Marx et de Léon Trotsky», il a souligné qu'il rejette la construction d'une avant-garde marxiste dans la classe ouvrière :
«Nous croyons que l'acteur de l'histoire c'est le peuple lui-même qui n'a pas besoin qu'on lui injecte de la conscience comme le ferait une avant-garde révolutionnaire, qui n'a pas besoin qu'on le dirige. Il a besoin qu'on l'éclaire. Il a besoin qu'on déclenche des fois des événements, et ensuite c’est lui qui fait.»
Il a ensuite applaudi le programme pro-guerre et pro-policier du NFP en tant qu’héritier du Programme commun de 1972 de Mitterrand et du PCF :
Toutes les grandes actions qui ont conduit la gauche à la victoire, ce sont toujours des actions à partir d'un programme. Vieux comme je suis, je vous raconte que c’est le Programme commun qui a permis la victoire de 1981. …
On va s'entendre sur ce qu'on va faire et c'est comme ça qu'arrive le Programme commun. Et plein de gens qui ont des idées complètement différentes sur le socialisme youoslave et le socialisme chinois ou pas de socialisme du tout finissent par se retrouver d'accord, parce qu'ils disent ‘Bah ça, oui, ça tient la mer’. C'est exactement la culture que nous avons repris quand nous avons écrit le programme l'Avenir en commun.»
La crise avtuelle révèle la faillite de tels arguments. La lutte pour les retraites de l'année dernière offre des leçons très nettes qu’il faut tirer. Pour être «éclairée», la classe ouvrière doit construire sa propre avant-garde révolutionnaire afin de briser politiquement les efforts d’organisations contre-révolutionnaires comme le NFP pour saboter leurs luttes. C'est particulièrement urgent maintenant que le NFP bloque l'opposition aux manœuvres corrompues de Macron avec le RN et pour intensifier la guerre avec la Russie.
La question décisive est de préparer et mobiliser un mouvement des travailleurs contre la guerre, le génocide, l'austérité, l'État policier d’extrême-droite et le capitalisme. La condition préalable à un tel mouvement est de s’opposer au NFP et de répudier son hostilité envers le socialisme. Les problèmes essentiels de la société contemporaine ne peuvent être résolus qu’en menant la lutte des classes indépendamment des appareils du NFP. Pour stopper la guerre et le néofascisme, il faut construire un mouvement socialiste anti-guerre international dans la classe ouvrière.