Le gouvernement grec renforce son offensive et instaure la semaine de travail de six jours

La Grèce a officiellement instauré la semaine de travail de six jours début juillet, premier pays de l'Union européenne (UE) à le faire. Cette mesure s'appliquera d’abord aux secteurs qui fonctionnent selon un système de rotation d’équipes, comme les fabricants et les détaillants, mais elle pourrait être étendue ensuite à des secteurs comme le tourisme.

Le gouvernement conservateur de la Nouvelle Démocratie (AND) nie que cette mesure s'appliquera au secteur public, mais elle pourrait être étendue à des domaines comme l'assainissement, où il y a des équipes tournantes.

Le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis à la Foire internationale de Thessalonique le 10 septembre 2022 [AP Photo/Giannis Papanikos]

Cette nouvelle mesure est une exigence de longue date de la Fédération des industries de Grèce (SEV). Elle permettra aux entreprises d'augmenter la charge de travail de leur personnel existant sans avoir à embaucher de personnel supplémentaire pour couvrir les changements d’équipe ou à payer les heures supplémentaires.

La semaine de six jours a été inscrite dans une loi sur le travail, votée par le gouvernement conservateur de Nouvelle Démocratie en septembre dernier. La base de cette loi est une directive européenne de 2019 qui vise à introduire dans la zone européenne les pratiques exploiteuses telles que les «contrats zéro heure», les employeurs n’étant pas tenus de garantir un nombre d’heures déterminé aux travailleurs. La nouvelle loi précise qu’un employeur ne peut pas interdire «à un travailleur d’accepter un emploi auprès d’autres employeurs», tout en donnant aux travailleurs la «possibilité» de travailler jusqu’à 13 heures par jour, la seule limite étant les 11 heures de repos légaux prévus par la loi grecque.

Avec un salaire minimum fixé à seulement 830 euros par mois, de nombreux travailleurs grecs sont déjà contraints de travailler plus longtemps pour joindre les deux bouts, et un sur six est contraint d'avoir plusieurs emplois.

L’objectif de la nouvelle loi est d’officialiser et d’étendre les conditions de travail brutales auxquelles les travailleurs sont déjà confrontés. Le ministre du Travail de l’époque, Adonis Georgiadis, avait déclaré juste avant l’adoption de la loi: «Notre objectif est de rendre nos relations de travail plus honnêtes. Nous n’avons rien inventé de nouveau. Nous ne faisons que cartographier ce qui se passe déjà dans le monde.»

Selon les chiffres de 2023 compilés par l'agence statistique de l'UE Eurostat, les travailleurs grecs ont la durée de travail la plus élevée de l'UE (39,8 heures par semaine contre une moyenne de 36,1 heures dans l'UE). 11,6 pour cent travaillent déjà 49 heures par semaine ou plus, soit la proportion la plus élevée de l'UE, dont la moyenne est de 7,1 pour cent.

Les maigres revenus des travailleurs grecs sont constamment érodés par la flambée des prix. Selon les chiffres d’avril publiés par Eurostat, la Grèce a enregistré la deuxième plus forte inflation alimentaire de l’UE, avec 5,4 pour cent, contre une moyenne européenne de 1,86 pour cent. Près de 50 pour cent de l’inflation alimentaire globale est due à l’augmentation du prix de l’huile d’olive, un aliment de base en Grèce, dont le prix a augmenté de 63,7 pour cent. Le complément de salaire de 40 pour cent pour le sixième jour de travail, auquel s’ajoutent 75 pour cent si ce jour est un dimanche ou un jour férié, n’offre qu’une maigre compensation aux travailleurs grecs qui ont du mal à joindre les deux bouts.

La dévastation qui frappe la classe ouvrière aujourd’hui est la conséquence directe des vagues successives d’austérité imposées dans la décennie précédente par l’UE et le Fonds monétaire international. Cela, en échange de prêts destinés à rembourser une dette nationale qui s’élevait à 330,57 milliards d’euros en 2010. L’économie s’est contractée de 25 pour cent, chiffre sans précédent pour un pays européen en temps de paix. Selon les chiffres de l’OCDE, les salaires réels ont diminué d’un tiers entre 2007 et 2022, les travailleurs grecs étant aujourd’hui les plus pauvres de l’UE après la Bulgarie.

S'exprimant devant le parlement avant l'introduction de la loi, le chef de file de la ND, Kyriakos Mitsotakis, a déclaré que «le noyau de cette législation est favorable aux travailleurs, qu'elle est profondément axée sur la croissance et qu'elle aligne la Grèce sur le reste de l'Europe».

Une circulaire de la nouvelle ministre du Travail, Niki Kerameus, décrit les modalités de mise en œuvre de la semaine de six jours. Selon celle-ci, la décision d’un employeur d’imposer une semaine de six jours remplace toute convention collective déjà en vigueur et stipulant une semaine de cinq jours. La circulaire précise que le temps de préparation de 30 minutes pour enfiler et retirer les uniformes et l’équipement de sécurité avant et après un quart de travail ne fait pas partie de la journée de 8 heures.

Les attaques concertées du gouvernement de la ND contre la classe ouvrière lui ont valu les louanges de l’élite financière mondiale. Dans son rapport d’avril, l’agence de notation Standard and Poor’s a révisé ses perspectives sur la Grèce, les faisant passer de «stables» à «positives». L’agence écrit que «les autorités grecques entreprennent un vaste programme de réformes structurelles et s’attaquent à des goulets d’étranglement existant de longue date».

Le rapport note que «les perspectives positives reflètent notre attente que le régime budgétaire strict continuera à stimuler une réduction du ratio de la dette publique, tandis que la croissance devrait continuer à surpasser celle des pairs de la Grèce dans la zone euro». En 2023, l'économie grecque avait progressé de 2 pour cent, contrairement à l'Allemagne dont l'économie s'est contractée de 0,3 pour cent.

Il n’est pas surprenant que l’introduction de la semaine de six jours ait été accueillie avec enthousiasme par les médias allemands, qui la voient comme un exemple à suivre. Ayant la plus forte économie de l’UE, la bourgeoisie allemande a été en tête des attaques contre le niveau de vie des travailleurs grecs. «Nous devrions prendre exemple sur les Grecs», déclare la chaîne d’information allemande RDS, tandis que la Deutsche Welle se demande si cette mesure pouvait servir de modèle à d’autres pays.

Le journal économique allemand Handelsblatt commente que «le pays que les Allemands, guidés par d’innombrables articles des tabloïds, dépréciaient comme paresseux il y a dix ans, est à l’avant-garde du débat sur la durée de la journée de travail. Le gouvernement conservateur d’Athènes a donné aux employeurs la possibilité d’instaurer une semaine de six jours». L’article déplore que «si les économistes et les employeurs s’accordent pour dire que la durée moyenne du travail doit augmenter [en Allemagne], les conventions collectives et les évolutions sociales vont en sens contraire».

Handelsblatt ajoute que l'introduction de la semaine de six jours n'a pas suscité «une tempête de protestations», attribuant cela au fait que «la pénurie de travailleurs qualifiés affecte trop le pays».

L’absence de manifestations est due au fait que toute opposition au programme d’austérité des gouvernements successifs de ces 15 dernières années a été étouffée par la bureaucratie syndicale. Depuis 2010, des dizaines de grèves générales ont été appelées par la fédération syndicale du secteur privé GSEE et son homologue du secteur public ADEDY contre l’attaque du niveau de vie et les conditions de travail imposées au Parlement à la demande de l’UE et du FMI. Selon la GSEE, elle a organisé entre mai 2010 et fin 2015 28 grèves générales (20 d’une durée de 24 heures et 4 d’une durée de 48 heures). Mais l’objectif de ces grèves était de s’assurer que la colère sociale soit sous son contrôle et de permettre aux travailleurs de se défouler pendant que des mesures anti-ouvrières étaient votées.

Des manifestants scandent des mots d’ordre alors qu'ils marchent pendant une grève nationale de 24 heures dans le centre d'Athènes, la capitale grecque, le mercredi 6 avril 2022.

Cette fois, la «protestation» de la GSEE contre la nouvelle mesure s’est limitée à une lettre ouverte du secrétaire général Nikos Fotopoulos à Kerameus, affirmant que la loi émanait du «gouvernement le plus barbare, anti-ouvrier et réactionnaire qui ait jamais dirigé le pays».

Derrière ces fanfaronnades, la GSEE a précisé dans une déclaration distincte que la mesure ne devait pas être mise en œuvre «tant qu’un dialogue substantiel n’aura pas eu lieu entre [le ministère du Travail], les représentants des travailleurs (GSEE) et ceux des employeurs». La préoccupation ultime de la GSEE est de s’assurer une place dans la décision sur la meilleure façon de faire passer la mesure.

Le principal parti d’opposition, Syriza (Coalition de la gauche radicale), a dénoncé pour la forme la mesure, affirmant que «le retour aux conditions de travail du 19e siècle est une honte pour le pays». Syriza en sait quelque chose.

Syriza a été porté au pouvoir en janvier 2015 grâce à un programme anti-austérité dont le mandat a été abandonné quelques semaines plus tard. Après le référendum de juillet 2015, au cours duquel les travailleurs ont massivement rejeté un troisième plan d’austérité, Syriza – avec son partenaire de coalition, le parti d’extrême droite Grecs indépendants – a rapidement accepté un nouveau plan d’austérité avec l’UE et le FMI.

Durant les quatre années suivantes, Syriza a imposé une austérité plus draconienne que celle appliquée par les gouvernements sociaux-démocrates et ND précédents. En 2018, Syriza a mis en œuvre sa propre législation anti-ouvrière, augmentant le seuil de vote pour une grève d’un tiers à au moins 50 pour cent des membres d’un syndicat.

Derrière les attaques chauvines des grands médias internationaux contre les «Grecs paresseux» pendant la vague d’austérité de la décennie précédente, dont l’article du Handelsblatt reconnaît aujourd’hui qu’elles «n’ont jamais été fondées», se cachait un projet visant à revenir sur les acquis obtenus par les travailleurs au prix de luttes acharnées dans toute l’Europe au cours du siècle dernier. Les programmes d’austérité successifs imposés à la Grèce ont servi de test pour une restructuration des relations de travail sur tout le continent.

Cette tendance s’est intensifiée à mesure que la classe dirigeante de toute l’Europe cherche à mettre fin aux «dividendes de la paix» en mettant l’économie du continent sur le pied de guerre. La Grèce, membre clé de l’OTAN, consacre déjà 3,76 pour cent de son PIB à son armée – un chiffre qui va augmenter à mesure que l’OTAN se prépare à une confrontation directe avec la Russie en Ukraine, l’Iran et la Chine.

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