Perspective

Will Lehman, ouvrier socialiste de l’automobile, gagne un procès contre le ministre du Travail de Joe Biden à propos des élections de 2022 à l’UAW

Mardi, Will Lehman, ouvrier de l’automobile de Macungie, en Pennsylvanie, et candidat socialiste à la présidence du syndicat United Auto Workers (UAW), a gagné son procès contre le ministère américain du Travail et la secrétaire par intérim du gouvernement Biden, Julie A. Su, en raison de leur refus de donner suite à ses plaintes concernant le musèlement systématique du vote lors des élections à la direction nationale de l’UAW en 2022.

Will Lehman à la convention de négociation de l’UAW, 28 mars 2023

David Lawson, juge du tribunal fédéral de district pour le district Est du Michigan, s’est adressé directement à la secrétaire au Travail du président Joe Biden dans sa décision, estimant que son refus de donner suite à la plainte de Will Lehman était «arbitraire et capricieux». Lawson a «renvoyé» l’affaire au ministère du Travail pour qu'il réexamine la plainte de Lehman, ce qui constitue la réparation maximale qui aurait pu être imposée en vertu du droit du travail américain.

Dans ce que Bloomberg Law a qualifié de «rare réprimande du rôle du ministère du Travail dans le contrôle des syndicats», Lawson a rejeté avec force la décision du ministère du Travail selon laquelle les plaintes de Lehman étaient supposément «inopportunes». Lawson a qualifié le raisonnement du ministère du Travail de «pédanterie», «irrationnel» et «fondé sur une interprétation arbitraire et capricieuse des règles électorales qui n’est pas étayée par leur texte clair ou par la jurisprudence dominante».

Reprenant l’affirmation du ministère du Travail selon laquelle les protestations de Lehman étaient invalides parce que «le contrôleur n’a statué sur aucune des questions soulevées dans les communications électroniques [de Lehman] comme cela aurait été nécessaire si ces communications avaient été des protestations préélectorales formelles», Lawson a qualifié ce raisonnement de «circulaire» qui n’était «rien d’autre qu’une tentative apparente d’imputer les manquements du contrôleur» à Lehman.

En ce qui concerne l’affirmation du ministère du Travail selon laquelle Lehman n’a pas inclus le mot «protestation» dans l’objet ou le texte de certains de ses courriels, Lawson a déclaré qu’il s’agissait d’un «autre exemple de raisonnement après coup par lequel le secrétaire tente simplement d’incorporer dans les règles des exigences formelles qui n’apparaissent nulle part dans leur texte».

Le jugement donne raison à la lutte prolongée et fondée sur des principes menée par Lehman et des milliers de ses partisans pour défendre les droits démocratiques de plus d’un million de travailleurs de l’automobile de la base, de travailleurs universitaires et de retraités.

Le jugement démasque également le rôle du gouvernement Biden, qui a eu recours à ces méthodes grossières pour défendre l’actuel président de l’UAW, Shawn Fain, une figure clé de la campagne électorale de Biden et de la stratégie nationale globale du Parti démocrate. Bien que le jugement soit défavorable au secrétaire au Travail, Lawson fait référence aux «manquements du contrôleur», c’est-à-dire aux cabinets d’avocats nommés par le tribunal pour superviser les élections.

Plus important encore, cette décision reflète la crise réelle de l’ensemble de l’appareil pro-entreprise de l’UAW, y compris toutes ses factions, face à une insurrection montante de la base, reflétée dans la campagne de Lehman.

Les élections à la direction nationale de 2022, les premières élections directes dans l’histoire de l’UAW, ont été organisées à la suite d’un référendum imposé par le gouvernement dans le sillage d’un scandale de corruption impliquant l’ensemble de la bureaucratie syndicale. Le référendum a été adopté en 2021 malgré l’opposition de la direction en place, et Lehman a été désigné comme candidat à la présidence lors de la convention de juillet 2022, une fois de plus face à l’opposition de la bureaucratie.

Lehman, trotskiste et principal défenseur de l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC), a fait campagne lors des élections de l’UAW pour que le pouvoir revienne à la base et pour qu’une lutte soit menée afin d’annuler des décennies de concessions. La campagne a attiré et mobilisé des volontaires et des sympathisants sur les lieux de travail de l’UAW dans tout le pays, avec des slogans tels qu’«abolir la bureaucratie» et «exiger ce dont nous avons besoin, et non ce que les entreprises et les bureaucrates de l’UAW jugent acceptable».

La réaction de la bureaucratie de l’UAW à la campagne de Lehman a été de faire tout son possible pour empêcher les membres de la base et les retraités d’apprendre que l’élection avait lieu. En même temps, comme Lehman l’a démontré par la suite, la bureaucratie s’est efforcée d’informer ses alliés et ses complices de la tenue de l’élection par le biais de canaux internes, afin de s’assurer que la bureaucratie soit représentée de manière disproportionnée dans les résultats du vote.

Aujourd’hui encore, de nombreux membres de l’UAW ignorent qu’il y a eu une élection à laquelle ils avaient le droit de participer. Sur 1,1 million d’électeurs éligibles, seuls 104.776 ont voté au premier tour. Ce taux de participation – 9 pour cent – est le plus bas de l’histoire des États-Unis pour une élection syndicale nationale. Cependant, malgré le musèlement systématique du vote des membres, Lehman a obtenu 4.777 voix, soit près de 5 pour cent des suffrages exprimés.

Il est avéré que personne n’a revendiqué avec plus de persistances les droits démocratiques de la base tout au long de l’élection que Lehman et ses partisans. Comme l’explique Lawson dans sa décision, Lehman «a contacté le Contrôleur par courriel au moins 18 fois entre le 12 juillet et le 12 novembre 2022 pour se plaindre d’irrégularités électorales».

Après que le contrôleur nommé par le tribunal ait largement rejeté ou ignoré ces plaintes, Lehman a intenté une action en justice. Lehman a soutenu, selon les propres termes de Lawson, que le syndicat «n’avait pas informé efficacement ses membres de la tenue d’élections ; que les listes de membres et la communication avec les membres étaient gravement défaillantes ; que par conséquent les membres du syndicat ignoraient largement l’élection ou qu’ils avaient le droit de voter et n’avaient pas accès aux bulletins de vote ; et que le taux de participation était terriblement bas».

Lawson a rejeté la première action en justice de Lehman, estimant qu’il devait d’abord présenter ses griefs au contrôleur et au secrétaire au Travail. Mais lorsque Lehman a tenté de le faire, comme le reconnaît la décision de Lawson, il a été confronté à des lenteurs et à des manœuvres procédurales de la part des institutions qui devaient apparemment jouer le rôle d’arbitres neutres.

Si Lehman avait été un travailleur isolé présentant un grief de manière individuelle, il ne fait guère de doute que l’obstruction du type de celle employée par le ministère du Travail à l’encontre de Lehman aurait été couronnée de succès, comme c’est le cas quotidiennement pour les réclamations de travailleurs individuels fondées sur des accidents du travail, des vols de salaires et d’autres abus.

La décision en faveur de Lehman reflète sans aucun doute la crainte que l’utilisation de telles méthodes contre lui ne fasse qu’attiser la véritable insurrection dont il se fait le porte-parole et qu’une publication du secteur du fret a appelée «le facteur Lehman».

Dans ce contexte, la décision de Lawson, qui a été nommé à la magistrature fédérale par le président Bill Clinton en 1999, ne reflète pas une sympathie pour la politique de Lehman, mais de profondes inquiétudes quant à la viabilité et à la légitimité à long terme de l’UAW.

«Les cas d’espèce montrent qu’une telle pédanterie, écrit Lawson, est particulièrement inappropriée lorsqu’il s’agit de griefs électoraux, et que les exigences procédurales doivent refléter les besoins des membres du syndicat de la base, ceux-là mêmes que l’exigence est censée servir en fin de compte.»

L’UAW traverse une grave crise. Depuis qu’il a été «élu» par à peine 6 pour cent des électeurs, Fain a défendu la désormais tristement célèbre politique de la «grève debout», qui consiste à maintenir les travailleurs en poste et à protéger les profits des entreprises. Chez les Trois Grands de l’automobile, l’administration Fain a fait passer à toute vitesse des contrats de capitulation qui ont ouvert la voie à des licenciements massifs. Depuis le début de l’année 2024, 21.000 emplois ont été supprimés dans le secteur automobile aux États-Unis, les employeurs profitant de la transition vers les véhicules électriques pour restructurer les rapports de classe en leur faveur.

Fain a également présidé à l’isolement du mouvement de grève politique parmi les 48.000 travailleurs universitaires de l’Université de Californie au sein de la section locale 4811 de l’UAW, qui cherchaient à faire valoir le pouvoir de la classe ouvrière pour s’opposer à la répression policière des manifestations sur les campus contre le génocide à Gaza. Fain, un proche allié de «Joe le génocidaire» Biden, a tenu l’ensemble des membres de l’UAW dans l’ignorance de la grève avant d’y mettre fin immédiatement après que les autorités du Parti démocrate en Californie ont demandé avec succès une injonction du tribunal.

La crise de l’UAW s’est aggravée par la corruption intransigeante des bureaucrates eux-mêmes, malgré les «élections» et les trois ans et demi passés sous un «décret de consentement» imposé par le gouvernement. Au début du mois, il a été révélé que Fain lui-même faisait l’objet d’une enquête pour utilisation abusive des ressources du syndicat et pour obstruction à la divulgation de documents. Fain est un représentant éprouvé de la bureaucratie et un promoteur éhonté de Biden et du Parti démocrate. Grâce à la victoire de Lehman devant les tribunaux, un astérisque figure à côté du titre de Fain en tant que président de l’UAW, puisque les résultats de l’élection restent légalement contestés.

L’issue du procès de Lehman est une confirmation de l’évolution objective de la lutte des classes, de l’importance authentique de la campagne de Lehman et de la crise réelle de l’UAW. Elle indique que le moment est venu pour les travailleurs de prendre l’initiative de promouvoir leurs intérêts de classe indépendants.

Le réseau des comités de base indépendants de la bureaucratie doit être étendu. Sur le plan politique, comme Lehman l’a souligné tout au long de sa campagne, la base doit affirmer ses droits et ses intérêts en tant que classe, face à la bureaucratie, à la direction et à l’État. Cela signifie qu’il faut contester la dictature des propriétaires capitalistes sur l’économie, rejeter le cadre du nationalisme et s’orienter vers le socialisme.

(Article paru en anglais le 28 juin 2024)

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