Le 12 juin, des dizaines de milliers de travailleurs et d'étudiants en grève ont défilé dans le centre de Buenos Aires et se sont rassemblés sur la place du Congrès pour protester contre des attaques législatives historiques visant la classe ouvrière, finalement approuvées par le Sénat vers minuit.
Alors qu’ils approchaient de la place du Congrès, les manifestants scandaient: «Expulsez-les tous! Que personne ne reste!» en référence au gouvernement fascisant de Javier Milei et au parlement. Ce mot d’ordre devint célèbre lors du soulèvement ouvrier de 2001 qui força la démission du président de l'époque, Fernando De La Rúa, et de quatre autres successeurs désignés en l'espace de quelques semaines.
La ministre de la Justice Patricia Bullrich a envoyé des contingents de la police nationale pour réprimer les manifestations, affirmant que les manifestants représentaient une tentative de «coup d'État moderne» contre le gouvernement Milei. La police a bloqué les manifestants et les a attaqués à coup de gaz poivré, de canons à eau et de balles en caoutchouc. Des dizaines de manifestants ont été arrêtés à Buenos Aires. Beaucoup ont été blessés et ont dû être hospitalisés, notamment cinq membres de la Chambre des députés qui avaient rejoint la manifestation.
Bullrich a affirmé que les manifestants avaient attaqué la police avec des cailloux et des cocktails Molotov. Elle les a accusé d'avoir incendié un véhicule d’une chaîne de télévision et une autre voiture. Elle a appelé à l’inculpation des personnes arrêtées et à ce qu’on les accuse de sédition. Elle a ouvertement accusé les partisans des péronistes, des syndicats et des partis de la pseudo-gauche d’être des «provocateurs de violence qui parlent de renverser le gouvernement parce qu’ils n’aiment pas ce que fait ce gouvernement».
Les dirigeants de la manifestation ont imputé la responsabilité des quelques incidents aux agents provocateurs de la police. La députée de l'opposition Cécilia Moreau (Coalition Union pour la Patrie) a décrit la répression comme l'un des pires actes répressifs depuis 40 ans.
A mesure que la nouvelle de la répression se répandait, des manifestations ont éclaté dans les quartiers populaires de Buenos Aires, accompagnées de casserolades dénonçant le gouvernement.
Milei a félicité Bullrich pour sa réponse militariste, déclarant: «Le Bureau du Président félicite les forces de sécurité pour leur excellente performance dans la répression des groupes terroristes, qui ont tenté un coup d'État avec des bâtons, des cailloux et même des grenades.»
Ce soir-là, lors d'un forum à l'Institut Cato avant de se rendre au sommet du G7 en Italie le soir même, Milei a imputé de manière préventive aux manifestants les morts potentielles dues à la répression.
«Il ne faut pas exclure qu'ils utiliseront la tactique consistant à jeter des morts dans la rue et à piller – quelque chose que les journalistes promeuvent dans leurs espaces», a-t-il déclaré.
Il s’agit là de la même propagande que celle employée par la dictature fasciste soutenue par les États-Unis de 1976 à 1983, qui a massacré des dizaines de milliers de travailleurs, de jeunes et d’intellectuels de gauche tout en les calomniant, les appelant «terroristes».
Au siège législatif, le Sénat discutait de la soi-disant ‘Loi Bases’ ou «projet de loi omnibus», qui contient plus de 200 contre-réformes, notamment des mesures d'austérité, des mesures pro-marché, des privatisations et des attaques contre le droit du travail et les droits démocratiques. Après de longs débats, la Loi Bases a été adoptée au Sénat avec peu de modifications, et uniquement grâce au vote décisif de la vice-présidente Victoria Villaruel.
Villaruel, une partisane déclarée de la dictature militaire fasciste, a cyniquement déclaré qu’elle votait oui au nom de ceux qui «souffrent» et quittent le pays.
Le parti de Milei, Libertad Avanza, détient sept des 72 sièges du Sénat; il lui fallait donc les voix d’autres partis, y compris celles de législateurs péronistes, ainsi que le soutien de l’appareil syndical pour réprimer l’opposition.
La Confédération générale du travail (CGT) et la Fédération argentine du travail (CTA) ont refusé d'appeler aux grèves le 12 juin ou de mobiliser leurs membres pour les manifestations. Après que les travailleurs eurent voté pour une grève nationale illimitée contre le projet de loi, les syndicats des travailleurs des huiles alimentaires ont mis fin à leur grève en réponse à une ordonnance de tribunal. L'appareil syndical limite son rôle à des négociations avec Milei.
Parmi les mesures les plus controversées du projet de loi figure un système de subventions aux grandes entreprises appelé Régime d’incitation aux grands investissements (initiales espagnoles RIGI) qui comprend une réduction de 10 pour cent de l’impôt sur les sociétés pour les très grandes entreprises. Le RIGI s'applique aux investissements de plus de 200 millions de dollars américains, notamment dans l'agriculture, la foresterie, les mines, les combustibles fossiles, l'énergie et la technologie. Il exempte les grandes entreprises du paiement des droits de douane sur l’importation de machines et de biens d’équipement ainsi que des taxes sur les revenus provenant des exportations. La Loi Bases ouvre également la voie à la privatisation de nombreuses entreprises publiques.
Les mesures supprimées par le Sénat comprenaient la réimposition des impôts sur le revenu et l'élimination des subventions gouvernementales aux plus pauvres [mesure ajoutée par la Chambre des députés à la proposition initiale]. Le projet de loi retourne maintenant à la chambre basse pour un vote final sur les amendements.
Le vote du 12 juin a reçu l'approbation du Fonds monétaire international, qui a approuvé sa dernière tranche de prêt au gouvernement Milei et a peut-être aidé à négocier avec la Chine le renouvellement d'un accord d'échange de dette récemment annulé, négocié par le gouvernement précédent, qui mettra à la disposition de l’Argentine 6,5 milliards de dollars de crédit de réserve.
Wall Street a salué l’adoption de la Loi Bases. Dans un premier temps, les prix des actions et des obligations concernées ont augmenté. Bloomberg a cité un communiqué de la Bank of America qui qualifiait l'adoption de cette législation de preuve que le «dialogue» est possible entre Milei et son opposition politique au sein de l'Assemblée législative.
Non seulement la classe dirigeante et l’impérialisme américain considèrent l’adoption de cette législation anti-classe ouvrière et du RIGI comme positive; ils sont également encouragés par les attaques fascistes du gouvernement Milei contre les travailleurs qui s’opposent à lui, qui s’accompagnent de la répression des groupes de gauche.
Au cours de ses six mois au pouvoir le gouvernement Milei a bloqué les approvisionnements de nourriture aux banques alimentaires, essentielles aux familles pauvres. Il a dévalué la monnaie, entraînant une inflation dramatique. Il a licencié des milliers de travailleurs, réprimé maintes fois les manifestations des employés du gouvernement et des enseignants, des professionnels de santé et des étudiants. Il a perquisitionné les domiciles et sièges de groupes de gauche tout en établissant des liens avec des politiciens fascistes du monde entier comme l’ex-président américain Donald Trump, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et la Première ministre italienne Georgia Meloni.
Tous ces événements révèlent un gouvernement déterminé à détruire les droits démocratiques et à marcher ouvertement vers une dictature dirigée contre la classe ouvrière.
(Article paru en anglais le 19 juin 2024)