«On ne peut pas finir nos routes et on se fait intimider»: Une employée de Postes Canada décrit ses conditions de travail déplorables

Les commentaires suivants d’une employée des postes de longue date de l’Alberta sont extraits d’une discussion récente avec le World Socialist Web Site. Nous encourageons tous les travailleurs de Postes Canada qui veulent dénoncer le harcèlement de la direction et la complicité du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes dans l’application des concessions à nous contacter.

Succursale de Postes Canada à Winnipeg, au Manitoba [AP Photo/Trevor Hagan]

Alors que les conventions collectives d’environ 50.000 postiers sont échues depuis plus de trois mois, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) fait traîner les pourparlers avec l’employeur et refuse d’appeler à tout vote de grève, révélant ainsi clairement son objectif d’imposer une fois de plus un nouveau cycle de conventions collectives remplies de concessions. Un groupe de postiers a adopté une déclaration de soutien pour la formation d’un comité de base. Une réunion aura lieu le 16 juin à 13 h (heure de l’Est) pour discuter d’une déclaration de fondation. Contactez-nous pour y participer.

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La Société canadienne des postes est devenue un véritable cauchemar, c’est le moins qu’on puisse dire.

Je travaille pour cette société depuis 17 ans. Après la convention de 2011, contre laquelle moi-même et une très petite minorité avons voté, c’est presque comme si le nombre de gestionnaires avait doublé. Et ils étaient là pour nous intimider. C’était incroyable. À l’époque, le président du syndicat, Danny Lamont, nous a téléphoné pour nous demander de voter en faveur de cette convention négociée avec [le Premier ministre conservateur Stephen] Harper, affirmant que c’était la meilleure convention possible que nous pouvions obtenir, et depuis, nous vivons l’enfer des postes actuelles.

Lorsque j’ai commencé à travailler dans ce dépôt, il y avait 128 routes, trois superviseurs et un chef. Aujourd’hui, ce même dépôt compte 45 routes, 5 superviseurs, un chef et un directeur. Vous voyez ce que je veux dire? Nous avons subi des coupes et des réductions d’au moins deux tiers de nos effectifs. Et la charge de travail est incroyable.

On ne peut pas finir nos routes et on se fait intimider. J’en ai été témoin la semaine dernière: mardi, un intérimaire a été convoqué par la direction. J’ai déjà été déléguée syndicale, mais c’est comme porter une cible dans le dos maintenant. J’ai donc cessé d’être déléguée syndicale il y a environ trois ans. Mais j’ai quand même dit que cette personne avait le droit d’être représentée. Il a rencontré seul le gestionnaire, et un autre superviseur est venu me voir pour me dire : «Nous avons le droit d’avoir une conversation.» J’ai répondu : «Oui, mais il a le droit d’être représenté dans cette conversation.» C’est un autre superviseur d’un autre département qui a rencontré l’employé temporaire, l’a réprimandé et a fermé la porte. Essentiellement, on lui a dit de ne plus rapporter de courrier en fin de journée et qu’il devait accélérer son rythme de travail et tout livrer dans les 8 heures. Plus d’heures supplémentaires.

Les quantités de courrier à livrer sont incroyables et nous n’arrêtons pas de subir des restructurations. Le dépôt où je travaille actuellement a fait l’objet d’une restructuration: ils ont coupé deux routes et ajouté un superviseur. Aucun bon sens!

Je n’ai pas la langue dans ma poche, alors je parle beaucoup. Et j’ai été financièrement malmenée par cette société au point que je ne fais plus confiance à aucun superviseur, aucun chef, aucun directeur. Au cours des trois dernières années, j’ai interpellé par courriel Doug Ettinger [le président-directeur général de Postes Canada] et je me suis fait répondre par sa porte-parole Susan Thomas. Au bout du compte, je me suis fait traitée de «lanceuse d’alerte».

Les choses sont devenues complètement débiles. Je dénonce ce monde là parce que je veux eque ça aboutisse à quelque chose. Je pense qu’il y a de quoi intenter un procès, mais j’en ai déjà trop dit à ce sujet. Quiconque parle est suspendu.

Un jour en 2019, je discutais avec le superviseur de plancher devant mon lieu de travail. J’étais arrivée vers midi. Lorsqu’une factrice avec qui il flirtait toujours est passée près de lui, il a étendu son bras en simulant de la toucher de la paume de la main. J’ai alors dit: «C’est quoi çà?» Ce à quoi il m’a répliqué si je savais ce que c’était qu’«empoigner le paquet» [agripper le sexe]? J’ai donc par la suite rempli une déclaration pour signaler que j’avais été exposée à des propos que je jugeais inappropriés de la part d’un superviseur sur les lieux de travail.

Je suis allé voir la factrice et lui ai raconté ce qui s’était passé. Elle m’a répondu qu’elle n’avait rien remarqué et qu’elle ne voulait rien savoir. Je lui ai alors dit que je me sentais mal à l’aise et que j’allais tout de même rédiger une déclaration dans laquelle je ne mentionnerais pas son nom. Ma déclaration fait clairement et anonymement référence à «une factrice». J’ai rédigé la déclaration et je suis partie en vacances. Trois jours après le début de mes vacances, j’ai reçu un appel d’un délégué syndical m’informant que « [le nom de la factrice] a reçu un 2-4, à la suite de votre réclamation.» J’aimerais bien savoir comment a-t-il pu savoir que c’était elle?

Je suis retournée au travail et j’ai confronté le chef à ce sujet. Il m’a répondu qu’il était certain que ma déclaration mentionnait son nom. Je lui ai répondu: «Mais l’avez-vous seulement lue? Parce que ce n’est clairement pas le cas» et j’ai posé la lettre devant lui. Il ne pouvait évidemment rien dire. Il s’est finalement contenté de dire: «Nous avons déterminé qu’il ne s’était rien passé et que ça suffit.»

La gestion de la pandémie a aussi été une blague, parce que nos activités ont alors explosé. Nous devions suivre des règles que la direction inventait. Les règles étaient les suivantes: le monde ayant un bureau n’avait pas à porter de masque, mais ceux qui travaillaient en cubicule devaient porter le masque. J’ai des photos de gestionnaires ne portant pas de masque, et ces gens-là ont continué d’être promus.

J’ai développé un zona par hasard juste un mois après avoir dénoncé le type qui avait fait la remarque de «toucher le sexe» devant moi. J’ai donc été absente pendant sept mois au début de la pandémie. Je suis retournée au travail en septembre et nous étions alors très occupés.

Je n’ai jamais vu une telle activité. Chaque jour, on recevait cinq tonnes de colis. Tout était fermé, mais le service postal gagnait énormément d’argent.

Nous avons apparemment 23 vice-présidents. On les appelle les leaders en sécurité des personnes, des titres inventés de toutes pièces. Tous ce monde-là sont de collusion.

Nous ne soutenons que la direction qui fait avancer les choses. Il y a beaucoup de bonnes personnes qui travaillent des deux côtés et qui font vraiment avancer les choses. Mais j’ai parlé régulièrement à l’un d’entre eux dans mon nouveau dépôt et il m’a dit: «Nous ressentons tous la même chose. Nous en avons assez. C’est nous qui sommes épuisés parce que tout le monde vient nous voir.»

Et si vous n’obtempérez pas, vous êtes suspendu sans salaire. Puisque j’ai «gradué» [en raison du grand nombre de suspensions que j’ai déjà reçu], je n’ai plus droit à des suspensions d’un ou trois jours. Dans mon cas, j’en reçois de cinq jours automatiquement.

L’autre jour, la cheffe du dépôt où je travaille m’a infligé des suspensions de 2 à 4 jours. J’ai beaucoup entendu parler d’elle. Elle punit du monde à tous les jours. Elle est la pire en matière de suspensions. Je connais son histoire rien qu’à entendre les gens en parler.

La plupart du temps, elle vous parle comme si vous étiez un enfant et vous rabaisse sur le lieu de travail devant les autres pour voir comment vous allez réagir. Et dès que vous réagissez de manière excessive, c’est une suspension sans salaire, ils peuvent vous suspendre d’urgence.

Nous disposons d’un système de griefs tellement bizarre que la direction en profite et accumule les griefs.

Aujourd’hui, il faut attendre de 3 à 5 ans avant qu’un grief ne soit entendu. Même si vous obtenez gain de cause, vous êtes frappé financièrement de ces suspensions pendant cinq ans.

Postes Canada prend de plus en plus d’ampleur, mais réduit ses services. La Société peut vous suspendre en un clin d’œil et doit alors vous remplacer par deux, sinon trois intérimaires. Et c’est pour cela que les intérimaires restent mal payés.

Je suis payée 30 $ de l’heure, mais un intérimaire est payé 19 $ de l’heure. Quand on fait le calcul, il faut embaucher deux ou trois intérimaires pour remplacer une personne expérimentée. Alors Postes Canada perd de l’argent.

Si vous êtes intérimaire, vous travaillez pendant deux ans et demi avant de devenir permanent, en admettant que vous teniez aussi longtemps. En effet, à la sortie de l’école des postiers, on n’est jamais appelé. Donc, selon la date à laquelle vous sortez de l’école, vous n’avez plus accès à la moindre formation avant d’être appelé au travail trois ou quatre mois plus tard, et vous oubliez donc tout ce que vous avez appris pendant la formation, non? Vous vous retrouvez alors dans une situation impossible, à moins de demander de l’aide et de dire: «Je suis nouveau et je n’ai aucune chance de pouvoir faire une route au complet.» Mais beaucoup ne diront rien. Ils se retrouvent donc bloqués et ne savent pas quoi faire.

Les nouveaux superviseurs restructurent les dépôts. Si un superviseur parvient à comprendre comment manipuler l’ordinateur en utilisant des informations périmées datant d’il y a trois ou dix ans, il peut, s’il remonte suffisamment loin, trouver des chiffres réduits qui lui permettent de réajuster et de reconstruire l’itinéraire.

Nous, nous avons perdu deux routes. Nous sommes maintenant passés de 1.100 à 1.400 points de remise. Encore une fois, tout se joue à la minute près chez Postes Canada.

Il est vrai que ce n’est pas tout le monde qui utilise nos services de nos jours, mais la plupart de notre courrier est du courrier publicitaire, une dépendance énorme de Postes Canada qui a ruiné l’industrie de la presse. Postes Canada s’est attaquée à ces autres secteurs de l’industrie et s’en est tirée à bon compte.

D’un autre côté, si nous sommes censés servir le client, le nombre de routes ne devrait-il pas augmenter puisque le Canada est en pleine croissance? Alors pourquoi les Albertains ne reçoivent-ils pas le service qu’ils méritent? Pourquoi permettons-nous encore une fois que cette direction nous marche sur les pieds et change l’avenir de Postes Canada?

(Article paru en anglais le 10 juin 2024)

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