Des bénévoles du secteur de la santé recensent un décès tous les dix jours parmi les sans-abri de Hamilton, une ville canadienne de taille moyenne

Insatisfait des informations disponibles pour évaluer l'impact de l'exclusion liée au logement à Hamilton (Ontario), un groupe de prestataires de soins de santé locaux a commencé à collecter des données de sa propre initiative en juin 2021. Le rapport qu'ils viennent de publier fait état de 91 décès parmi les sans-abri de la ville en moins de deux ans et demi, soit un décès tous les dix jours.

Le projet de données sur la mortalité des sans-abri de Hamilton est composé d'un médecin de famille et professeur clinique adjoint, de plusieurs médecins résidents et d'un étudiant en recherche de l'université McMaster. Un travailleur social expérimenté et un médecin urgentiste qui travaille principalement avec des sans-abri participent également au projet. En collaboration avec des refuges pour sans-abri, des agences communautaires, Hamilton Health Sciences et St Joseph's Healthcare Hamilton, et avec l'approbation du Hamilton Integrated Research Ethics Board, le rapport du Mortality Data Project du 30 avril donne un aperçu des conditions sociales misérables imposées aux membres les plus vulnérables de la société par le capitalisme canadien et ses représentants politiques.

Âge du décès parmi la population sans-abri de Hamilton, juin 2021-novembre 2023. [Photo: Hamilton Homeless Mortality Data Project ]

Au cours des six mois écoulés entre juin et novembre 2023, au moins 21 sans-abri sont décédés. L'âge moyen de ces personnes était de 46 ans, bien en deçà de l'espérance de vie de 81 ans des personnes logées dans la ville. Plusieurs des personnes de ce groupe avaient été délogées d'un centre d'hébergement, libérées de prison, sorties d'un hôpital ou vues dans un service d'urgence dans les 30 jours précédant leur décès. L'overdose a été mentionnée comme cause de décès pour 52 % d'entre elles.

Un an avant que le projet de données sur la mortalité des sans-abri de Hamilton ne commence ses travaux, un épisode particulièrement tragique s'était conclu pour une personne de manière très publique. Attila Csanyi n'avait que 28 ans en mai 2020 lorsqu'il a fait une overdose de fentanyl et de méthamphétamine et qu'il est mort sur le toit du centre commercial Jackson Square, dans le centre-ville de Hamilton. Son frère jumeau Richard a expliqué comment Attila avait été diagnostiqué schizophrène après une enfance tumultueuse. Il a également décrit comment, pendant quatre ans, Attila n'a bénéficié que d'interventions palliatives à Toronto, Mississauga et Brampton. Il est sorti de l'hôpital sans diagnostic, sans plan de traitement et sans suivi. Attila est décédé moins de deux mois après avoir été expulsé d'un établissement de soins résidentiels alors qu'il était censé recevoir un traitement à l'hôpital St-Joseph de Hamilton.

Le fait qu'un groupe volontaire de prestataires de soins de santé doive assumer la responsabilité de suivre les décès parmi les sans-abri montre le peu d'importance accordée à cette question par ceux qui prétendent gouverner dans l'intérêt de la société. Ce que le groupe du projet de données sur la mortalité a documenté est tragique, mais pas vraiment surprenant, dans une société où des millions de travailleurs reconnaissent que la classe dirigeante donne la priorité à l'accumulation de richesses privées et à la dilapidation de milliards de dollars dans des guerres de pillage.

Hamilton est une ville en pleine expansion qui compte plus de 700.000 habitants. Pendant la majeure partie de la période d'après-guerre, la ville était une ville ouvrière qui dépendait fortement des industries sidérurgiques et manufacturières. Cependant, la décimation des emplois industriels à Hamilton et dans tout l'Ontario au cours des trois dernières décennies, menée avec la complicité des Métallurgistes unis et d'autres syndicats, a entraîné la disparition d'un grand nombre de ces emplois relativement mieux rémunérés. Ces dernières années, Hamilton est devenue une alternative plus abordable pour ceux qui souhaitent fuir des villes beaucoup plus grandes comme Toronto, où la spéculation financière et l'assaut de la classe dirigeante contre le logement social, qui dure depuis des décennies, ont fait exploser les prix des logements et des loyers.

Dans l'après-guerre, les gouvernements fédéral et provinciaux ont mis en place un programme de logements sociaux qui a permis à la population croissante du Canada d'avoir accès à des logements abordables. Mais cette époque est révolue depuis longtemps. Un tournant majeur s'est produit au début des années 1990, lorsque le premier et unique gouvernement néo-démocrate de l'Ontario, dirigé par le premier ministre Bob Rae, a radicalement réduit le budget du logement public dans le cadre de son vaste programme de réduction des coûts. Le gouvernement libéral fédéral Chrétien-Martin a ensuite imposé les réductions de dépenses sociales les plus importantes de l'histoire du Canada en termes de pourcentage. La construction de logements publics s’est brusquement arrêtée.

Le manque de nouveaux logements, la hausse des prix de l'immobilier provoquée par une orgie de spéculation de la part de l'oligarchie financière et la montée en flèche des loyers ont créé une crise à la fois de l'offre de logements et de l'accessibilité financière. Face à la colère populaire croissante, le gouvernement libéral Trudeau, soutenu par les syndicats, a annoncé récemment quelques programmes de construction de logements très médiatisés, mais ceux-ci sont avant tout conçus comme des subventions massives au profit des promoteurs immobiliers privés et des entreprises de construction. Pour la classe ouvrière et les personnes les plus vulnérables de la société, la crise du logement se poursuit sans relâche et le nombre de sans-abri augmente de façon spectaculaire.

À la lumière de ce bilan, on peut supposer que les données de Hamilton sont assez représentatives de dizaines d'autres villes du Canada. À Vancouver, en Colombie-Britannique, les autorités locales estiment qu'un sans-abri est décédé en moyenne tous les huit jours entre décembre 2023 et janvier 2024. Au total, 43 décès de sans-abri ont été enregistrés au cours de l'année 2023.

Parmi les décès signalés par le Hamilton Homeless Mortality Data Project, un nombre important concernait des personnes qui étaient sans logement depuis plus d'un an. Selon l'Observatoire canadien sur le sans-abrisme, le terme « sans-abri » désigne « les personnes qui n'ont pas de logement et qui n'ont pas accès à des refuges ou à des hébergements d'urgence, sauf en cas de conditions météorologiques extrêmes. Dans la plupart des cas, les personnes séjournent dans des lieux qui ne sont pas conçus ou adaptés à l'habitation humaine ».

La croissance rapide des campements de sans-abri à travers le Canada illustre ce point. En février, le défenseur fédéral du logement de la Commission canadienne des droits de l'homme a publié un rapport sur les campements de sans-abri dans le pays. Ce rapport indique qu'entre 20 et 25 % de la population non logée du Canada vit aujourd'hui dans des campements, qui ne se limitent plus aux grandes villes. Bien qu'il n'existe pas de données nationales complètes sur le nombre de sans-abri au Canada, des chercheurs de l'université de York estiment qu'environ 35.000 personnes sont sans-abri à tout moment, ce qui suggère qu'entre 7000 et 9000 personnes pourraient vivre dans des campements à tout moment.

Les autorités de la ville de Toronto ont brutalement attaqué et démantelé des camps de sans-abri. [Photo: Mark McAllister/Twitter (X)]

En raison du manque de protection, de la menace d'incendie et des overdoses, la situation des personnes vivant dans les campements est précaire. Les camps manquent d'eau potable et de salles de bains, et ne sont pas suffisamment protégés contre les éléments.

La principale réponse de l'establishment politique à l'augmentation des campements a été la criminalisation des sans-abri. L'argent a été débloqué pour les services de police, le budget de la police de Toronto dépassant désormais largement le milliard de dollars. Enhardie, la police a de plus en plus recours à des opérations de démantèlement brutales, de type militaire, de grands campements, comme le démantèlement d'un campement du centre-ville de Toronto au cours de l'été 2021, qui a donné lieu à des dizaines d'arrestations lorsque les résidents et les sympathisants ont tenté de résister.

La police de Calgary, en Alberta, a démantelé de force un campement en mars. Elle a invoqué des raisons de sécurité publique et n'a donné aux résidents du campement qu'un préavis d'un mois avant de faire appel à des engins lourds pour se débarrasser de leurs quelques effets personnels. Des opérations de démantèlement similaires ont été menées ces derniers mois à Edmonton et à Halifax.

La montée en flèche du coût du logement menace de pousser de plus en plus de Canadiens dans la rue. Le coût moyen d'une maison dépasse aujourd'hui 700.000 dollars, soit environ 140 % de plus que ce qu'une famille au revenu médian peut se permettre. Dans des villes comme Toronto et Vancouver, la valeur moyenne d'une maison dépasse largement le million de dollars.

De même, les loyers ont grimpé en flèche, avec des taux nationaux moyens supérieurs à 2193 dollars par mois en février, soit une augmentation de 21 % depuis 2022. Les enquêtes indiquent que près de deux tiers des Canadiens sont en situation de surcharge locative, c'est-à-dire qu'ils consacrent plus de 30 % de leurs revenus au logement.

Les tentatives des différents niveaux de gouvernement de se rejeter la faute les uns sur les autres sont tout à fait frauduleuses. Tous sont responsables de l'austérité incessante imposée aux travailleurs et ont œuvré à l'augmentation des richesses des mieux nantis. La classe dirigeante, qui soutient avec enthousiasme la guerre impérialiste en Ukraine et appuie le génocide israélien des Palestiniens à Gaza, n'a aucun intérêt à détourner des ressources pour répondre aux besoins des couches les plus pauvres de la population dans son pays.

Le droit à un logement abordable, comme tous les droits sociaux de la classe ouvrière, est incompatible avec le système de profit capitaliste. La garantie des droits sociaux fondamentaux pour tous n'est possible que par le développement d'un mouvement socialiste de masse au sein de la classe ouvrière luttant pour réorganiser la vie économique de fond en comble sous un gouvernement ouvrier afin que les ressources de la société puissent être déployées pour surmonter la profonde crise sociale.

(Article paru en anglais le 5 juin 2024)

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