Perspective

L’UAW perd le vote des travailleurs de Mercedes-Benz en Alabama: Les enjeux politiques

Le président de l’UAW, Shawn Fain, après une conférence de presse à Tuscaloosa, en Alabama, le 17 mai 2024 [AP Photo/Kim Chandler]

Le vote des ouvriers de l’automobile de Mercedes-Benz en Alabama, qui ont rejeté l’affiliation à l’United Auto Workers dans une proportion de 56 contre 44 pour cent, est une débâcle pour la bureaucratie syndicale.

Cette défaite, dans une élection où le taux de participation était de 90 pour cent, reflète le fait que la campagne de l’UAW venait entièrement d’en haut, lancée et dirigée par l'appareil bureaucratique, et non un véritable mouvement de la base visant à défier le pouvoir du patronat.

En effet, la principale différence entre la victoire de l’UAW à l’usine Volkswagen de Chattanooga (Tennessee) et sa défaite à Vance (Alabama), près de Tuscaloosa, est que VW a accueilli favorablement la campagne syndicale, tandis que Mercedes-Benz s’est opposée au syndicat et a mis en place une campagne de propagande antisyndicale.

VW considère l’UAW comme un partenaire clé dans l’exploitation des travailleurs de l’automobile, sur le modèle de ses relations corporatistes avec IG-Metall en Allemagne et avec les syndicats des usines du Brésil, du Mexique et d’ailleurs. L’usine de Chattanooga était la seule usine non syndiquée de son empire mondial.

Mercedes-Benz, pour sa part, a fait campagne contre l’UAW, en envoyant quotidiennement des SMS et en organisant des réunions avec un public captif, au cours desquelles l’entreprise dénonçait le syndicat comme un tiers indésirable dans les relations entre la direction et la main-d’œuvre. Ces actions ont été combinées à une campagne de propagande antisyndicale menée par le gouverneur de l’Alabama, Kate Ivey, et d’autres gouverneurs républicains du Sud (dont les efforts ont échoué au Tennessee en raison de la position pro-syndicale de VW).

La campagne de l’UAW visant à «organiser le Sud» est tombée à plat dès la première opposition sérieuse de la direction qu’elle a rencontrée, malgré le soutien du gouvernement Biden et les reportages favorables des médias bourgeois.

Après l’annonce des résultats, le président de l’UAW, Shawn Fain, s’est immédiatement efforcé de limiter les dégâts, déclarant que le syndicat contesterait les résultats en invoquant l’ingérence illégale de la direction de Mercedes. «Cette entreprise s’est livrée à un comportement nuisible et illégal», a-t-il déclaré.

Mais depuis quand les luttes de la classe ouvrière dépendent-elles du bon comportement de la direction? Dans les années 1930, lorsque l’UAW a été créé, les entreprises se livraient à une violence systématique, en battant et en assassinant les travailleurs militants et en déployant des brutes armées, la police et la garde nationale pour attaquer les piquets de grève et casser les grèves.

Cela n’a pas empêché les travailleurs de l’emporter, car ils considéraient que l’organisation syndicale était essentielle pour mener une lutte de classe afin d’augmenter les salaires, d’améliorer les conditions de travail, de garantir les soins de santé et les pensions payées par l’entreprise et d’obtenir des conditions de travail tolérables. Ils organisaient des piquets de grève, des grèves générales et des occupations d’usines au cours desquelles ils s’emparaient des usines et remettaient directement en cause la propriété capitaliste.

En revanche, la campagne de l’UAW dans le Sud n’est associée à aucun programme radical. Le syndicat n’a formulé aucune revendication concernant les salaires, les avantages sociaux ou d’autres conditions. Les travailleurs n’ont donc aucune raison de croire que leurs conditions seront matériellement améliorées s’ils adhèrent au syndicat.

Cette attitude est tout à fait délibérée de la part de Fain et cie. L’appareil de l’UAW, qui a installé plusieurs membres des Socialistes démocrates d’Amérique» (DSA) à des postes de direction, ne veut pas d’un mouvement de la base. Cela saperait ses propres relations avec les entreprises et l’establishment politique capitaliste. Fain travaille en étroite collaboration avec le gouvernement Biden pour imposer une «économie de guerre», forçant les travailleurs à payer avec leur emploi et leur niveau de vie le coût gargantuesque de la guerre contre la Russie en Ukraine, la nouvelle aide considérable à Israël pour le génocide à Gaza, la guerre avec l’Iran et la poursuite du renforcement militaire américain contre la Chine.

Bien que l’UAW ait revendiqué une «victoire historique» dans la lutte contractuelle du «Big Three» en 2023, sa politique corporatiste propatronale, qui dure depuis des décennies, s’est poursuivie sous la direction de Fain. Ce dernier a déclenché une grève «debout» bidon, en réalité le contraire d’une grève, qui a laissé la plupart des travailleurs à leur poste, continuant d’engranger des profits pour la direction.

L’accord final a abandonné toutes les principales revendications des travailleurs, offrant une augmentation de salaire inférieure à l’inflation, saluée comme un «contrat record» par Fain et Joe Biden. Depuis la ratification de la convention collective, les trois constructeurs automobiles basés à Detroit ont procédé à des suppressions massives d’emplois sans aucune opposition de la part de l’UAW. Ils ont notamment licencié des milliers de travailleurs temporaires à qui l’on avait faussement promis un emploi à temps plein dans le cadre du nouveau contrat.

Les conditions imposées par l’appareil de l’UAW chez GM, Ford et Stellantis ne sont guère meilleures que celles de Mercedes-Benz. Il s’agit notamment de salaires et d’avantages inférieurs aux normes, d’échelons salariaux, de la généralisation du travail à temps partiel, des heures supplémentaires forcées et du manque de sécurité. Dans les messages publiés sur les réseaux sociaux, de nombreux travailleurs ont attiré l'attention sur la récente vague de suppressions d’emplois qui a frappé les usines représentées par l’UAW et sur les antécédents bien documentés de l’UAW en matière de corruption. La direction de Mercedes-Benz a récemment augmenté les salaires pour compenser les augmentations dérisoires et inférieures à l’inflation prévues par les accords de l’UAW avec le «Big Three».

L’intérêt pour la syndicalisation dans le Sud, qui a longtemps été une région extrêmement opprimée et appauvrie, reflète une compréhension croissante de la nécessité d’une résistance collective. Mais la campagne de syndicalisation de l’UAW dans le Sud n’est pas un effort pour exploiter cet état d’esprit combatif et fournir aux travailleurs une direction et une orientation militantes. Son objectif est de bloquer une véritable lutte en attachant les travailleurs à un réseau corporatiste de collaboration entre le syndicat et la direction.

En raison des politiques pro-patronat de la bureaucratie de l’AFL-CIO, la plupart des efforts syndicaux récents dans le Sud ont échoué, y compris deux votes successifs dans l’énorme centre de distribution d’Amazon à Bessemer, en Alabama, à quelques kilomètres de l’usine Mercedes-Benz.

Le sentiment grandissant de résistance conduit à une rébellion ouverte contre la bureaucratie syndicale. L’expression la plus nette en est le vote de grève de la semaine dernière par 48.000 universitaires de l’Université de Californie pour s’opposer à la répression policière des manifestations contre le génocide sur le campus.

Cette grève explicitement politique a placé les membres de base de l’UAW dans une confrontation directe avec Fain et le reste de la bureaucratie syndicale, qui a donné son appui à la réélection de Biden, le même président qui supervise le massacre des Palestiniens par Israël et la répression violente des manifestations étudiantes aux États-Unis.

Immédiatement après le vote de grève, l’UAW a annoncé que le débrayage se limiterait à un seul campus dans le vaste système national. Il est donc nécessaire que les travailleurs de la base mettent en œuvre leur propre mandat de grève et étendent la grève à tous les membres de l’UAW.

Que l’UAW soit ou non impliqué dans l’une ou l’autre usine, les travailleurs sont confrontés au même problème fondamental: la nécessité de développer des organisations de la base, dirigées par les travailleurs eux-mêmes et indépendantes de l’appareil corporatiste.

Lors des élections de l’UAW qui ont abouti à la victoire de Fain en mars 2023, Will Lehman, travailleur de la base de Mack Trucks, a obtenu près de 5.000 voix, lors d’une élection marquée par un musèlement systématique des électeurs organisée par l’appareil syndical avec le soutien du gouvernement Biden.

Lehman, un socialiste, a fait campagne sur un programme visant à abolir l’ensemble de l’appareil syndical et à transférer le pouvoir à la base. Il a appelé à la création d’un réseau de comités de la base, dans le cadre de l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC), afin de relier les travailleurs de l’automobile d’autres usines et d’autres industries, aux États-Unis et dans le monde entier.

Le vote en faveur de Lehman a reflété le large soutien dont bénéficie la rébellion des travailleurs qui s’efforcent de mettre fin aux reculs et de briser l’emprise dictatoriale de l’appareil syndical réactionnaire. C’est grâce à un tel mouvement, unissant les travailleurs à l’intérieur et à l’extérieur des syndicats, qu’une lutte peut être menée contre l’exploitation capitaliste.

(Article paru en anglais le 20 mai 2024)

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