Si l’on s’en tenait à ce qui s’appelle les «attentes du marché» du début de l’année, l’économie mondiale s’en sortait relativement bien.
L'inflation était en baisse, la Réserve fédérale [banque centrale] américaine allait réduire les taux d'intérêt jusqu'à six fois cette année, au moins trois fois, le boom boursier se poursuivrait grâce au potentiel de l'intelligence artificielle et il y aurait une un «atterrissage en douceur» pour l’économie mondiale.
Quatre mois plus tard, cet heureux scénario a volé en éclats. Les dernières données en provenance des États-Unis, de même que d'autres pays, indiquent que l'inflation, après avoir chuté par rapport à ses précédents niveaux élevés, est restée bloquée au-dessus de l'objectif de 2 pour cent, ce qui signifie que les baisses de taux d'intérêt réclamées par les marchés sont repoussées à une date ultérieure, bien plus éloignée.
Le président de la Fed, Jerome Powell, l’a indiqué dans des remarques plus tôt ce mois-ci, affirmant que la banque centrale devait avoir la «confiance» que l’inflation baissait durablement vers l’objectif visé avant qu’il ne soit approprié d’assouplir la politique monétaire.
« Les données récentes ne nous ont clairement pas donné une plus grande confiance, mais indiquent au contraire qu'il faudra probablement plus de temps que prévu pour atteindre cette confiance », a déclaré Powell.
Le changement dans le paysage des taux d'intérêt a vu les marchés d'options suggérer une probabilité d'environ 20 pour cent d'une hausse des taux au cours des 12 prochains mois, le rendement des bons du Trésor à 10 ans atteignant plus de 5 pour cent. Wall Street a connu sa plus longue séquence de baisse depuis 18 mois avant de rebondir quelque peu en début de semaine.
À plus long terme, les problèmes grandissants de l'économie américaine et mondiale ont été soulignés dans les rapports préparés pour la réunion annuelle de printemps du Fonds monétaire international (FMI) qui s'est tenue la semaine dernière.
Alors qu’elles présentaient ce qui a été décrit comme des perspectives relativement «ensoleillées» pour le court terme – les estimations de la croissance mondiale ont été révisées à la hausse – les prévisions du FMI pour le long terme montraient un tableau différent.
L’institution notait que depuis la crise financière mondiale, dans un contexte de fluctuations, la tendance générale de la croissance était à la baisse, ce qui donnerait lieu à une chute de croissance mondiale à la fin de la décennie de plus d'un point de pourcentage en dessous de la moyenne d'avant la pandémie.
Le FMI a déclaré que c’était là le résultat d'une faible productivité, d'un recul de la mondialisation alors que les pays poursuivaient des politiques économiques de plus en plus nationalistes, d'une mauvaise allocation des ressources en capital et de troubles géopolitiques croissants.
Dans ses remarques à la réunion, la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, a averti que l’économie mondiale risquait de sombrer dans ce qu’elle a appelé «les tièdes années vingt».
La lutte des classes n’est en général guère mentionnée dans les rapports du FMI, bien qu’elle soit toujours présente dans la pensée des gardiens des intérêts du capital mondial. Mais à cette occasion, la cheffe du FMI y a fait directement référence, avertissant que la chute de la croissance mondiale pourrait conduire à un «mécontentement populaire» à l’égard de l’establishment politique.
La tendance à la baisse et la façon d’y faire face étaient «ce à quoi je pense quand je me réveille au milieu de la nuit», a déclaré Georgieva.
Un autre sujet de préoccupation concernait la stabilité du système financier en raison de l'augmentation de la dette publique américaine. Atteignant à peu près l’équivalent du PIB américain, et susceptible d’augmenter encore dans les années à venir, elle est parvenue à ce qui est universellement reconnu comme étant un niveau «insoutenable».
Le rapport Fiscal Monitor du FMI regorgeait d’appels aux États-Unis et aux autres gouvernements pour qu’ils s’attaquent à ce problème en rétablissant des «tampons fiscaux» en ciblant les dépenses sur la santé, les retraites et les programmes de prestations sociales.
Le mélange toxique de taux d’intérêt plus élevés et prolongés et d’une croissance plus lente commence à se faire sentir.
Cette semaine, Bloomberg a rapporté que la Corée du Sud «apparaît comme un maillon faible étroitement surveillé dans le monde du système bancaire parallèle, estimé à 63 000 milliards de dollars» – le rôle croissant des fonds spéculatifs, des fonds d’actions et d’autres institutions non bancaires dans le système financier mondial.
La cause de l’inquiétude est la hausse des taux d’impayés dans des conditions où, en raison de la hausse des taux d’intérêt, les économistes de Citigroup estiment qu’environ 80 milliards de dollars de dette liées au financement de projets sont «en difficulté».
Le financement par le système bancaire parallèle du secteur immobilier est aujourd’hui plus de quatre fois supérieur à ce qu’il était il y a dix ans.
Selon Bloomberg, le rôle du secteur bancaire parallèle sud-coréen dans les domaines susceptibles de mettre en danger la stabilité financière est «juste derrière celui des États-Unis en termes de taille relative».
Quentin Fitzsimmons, directeur financier du groupe T. Rowe Price, a déclaré à l'agence de presse: «Ce qui se passe en Corée est probablement un microcosme de ce qui pourrait se passer ailleurs. Cela m’inquiète ».
Les problèmes financiers grandissant de la Corée du Sud, l'un des principaux centres industriels du monde, surviennent sur fond d’inquiétudes croissantes quant à l'essoufflement de son «modèle» de croissance économique – une industrie lourde et une production de puces informatiques soutenues par l'État.
Cette semaine, le Financial Times (FT) a publié un article intitulé «Le miracle économique de la Corée du Sud est-il terminé?»
La réponse qu’il a donnée est un oui presque certain.
Le FT rapporte que le gouvernement cherche à stimuler le développement de nouvelles technologies de puces informatiques et leur fabrication «dans un contexte d’inquiétude croissante quant à l’usurpation de la principale industrie d’exportation du pays par des concurrents en Asie et en Occident».
Selon un rapport de la Banque de Corée de l'année dernière, cité dans l'article, après avoir augmenté en moyenne de 6,4 pour cent entre 1970 et 2022, la croissance annuelle devrait ralentir pour atteindre une moyenne de 2,1 pour cent dans les années 2020; 0,6 pour cent dans les années 2030 et puis commencera à diminuer de 0,1 pour cent par an dans les années 2040.
En ce qui concerne la Chine, centre manufacturier du monde dont la croissance est essentielle à l'expansion de l'économie mondiale depuis plus d'un quart de siècle, la situation n'est guère meilleure.
La crise du secteur chinois de l'immobilier et de la promotion immobilière, qui a vu l'effondrement d'au moins 50 entreprises, dont Evergrande est la plus connue, n'a pas été résolue car les problèmes de l'économie sont aggravés par un ralentissement économique mondial et l’escalade des mesures de guerre de la part des États-Unis et, de plus en plus, des puissances européennes.
Mercredi, le New York Times a fait état de la crise croissante dans l'industrie automobile résultant du ralentissement de la demande et du passage aux véhicules électriques, en commençant par une description du sort d'un grand complexe à Chongqing, la plus grande ville occidentale de la Chine.
Le complexe, qui était une coentreprise d'une entreprise chinoise et de Hyundai, le géant industriel sud-coréen, a été ouvert en 2017 avec de nombreux robots et autres équipements pour produire des voitures à essence. Il a été vendu à la fin de l’année dernière pour une fraction des 1,1 milliard de dollars que sa construction a coûté et «l’herbe non tondue sur le site a déjà poussé jusqu’aux genoux».
Selon l’article: «Des dizaines d’usines pour la production de véhicules à essence tournent à peine ou ont déjà été mises en sommeil.»
Ce ralentissement va au-delà des voitures à essence et s’étend au marché des véhicules électriques non seulement en Chine mais dans le monde entier, les grands constructeurs automobiles, dont Tesla, annonçant des baisses de prix.
La crise qui se développe dans l'industrie automobile est symptomatique du ralentissement marqué de l'économie mondiale, qui sera exacerbé par le maintien de taux d'intérêt élevés.
Les États-Unis sont la seule grande économie à connaître une croissance, mais ils le font dans des conditions où le coup de pouce apporté par le gouvernement Biden – aide aux entreprises dans le cadre de la loi sur la réduction de l’inflation et augmentation des dépenses militaires – augmente la montagne des dettes insoutenables.
L'économie européenne, tirée par la troisième économie mondiale, l'Allemagne, connaît à peine une croissance. L'économie britannique est en récession ou proche de celle-ci, tandis que la croissance du Japon, la quatrième économie au monde, est à peine au-dessus de zéro.
L’objectif de croissance de la Chine est de 5 pour cent. Mais il s’agit du niveau le plus bas depuis plus de trois décennies et le gouvernement aura du mal à l’atteindre.
(Article paru en anglais le 26 avril 2024)