Mardi de la semaine dernière, le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) dirigé par François Legault a tenu un point de presse pour intensifier sa campagne contre l’immigration en dépeignant celle-ci comme une «menace» pour les services publics et une «manière de vivre» dans la province.
Cela fait suite à une escalade effrénée, depuis quelques semaines, de l’agitation anti-immigrants qui voit l’élite dirigeante adopter un discours autrefois relégué aux groupuscules d’extrême droite.
Au cours des dernières années, le chauvinisme québécois a pris des formes de plus en plus virulentes, présentant les minorités ethniques et religieuses comme une menace existentielle pour la «nation québécoise» et faisant des immigrants les boucs émissaires de la profonde crise sociale causée par le capitalisme en faillite – une crise qui condamne de plus en plus de travailleurs et de jeunes à la précarité, l’insécurité économique et la pauvreté.
Lors du point de presse, quatre ministres en vue du gouvernement Legault ont sollicité l'intervention d'Ottawa afin de limiter le flux des demandeurs d'asile et d’en réduire le nombre qui s’installe au Québec. Le gouvernement de la CAQ soutient que les dépenses liées à l'accueil de ces demandeurs d'asile excèdent désormais un milliard de dollars et exige davantage de fonds de la part du gouvernement fédéral.
C’est de la pure démagogie de droite. Comme l’a souligné la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), «les personnes en demande d’asile représentent 1,8% de la population québécoise» et «le budget alloué à ces personnes ne représente environ que 0,25% du portefeuille global du Québec».
Si le gouvernement déforme la réalité, c’est pour justifier son agitation xénophobe, le véritable objectif de la conférence de presse. Dénonçant l’immigration «excessive», le ministre de la Langue française Jean-François Roberge a affirmé: «Oui, il y a des choses qui sont menacées, il y a des services qui sont menacés, il y a une manière de vivre qui est menacée lorsque les nombres [de demandes d’asile] sont trop grands».
Puis, le ministre de l’Éducation Bernard Drainville a menacé de priver les enfants de réfugiés de l’accès à l’éducation. «On a atteint un point», selon Drainville, «où on ne peut pas écarter la possibilité qu’éventuellement, on ne sera plus en mesure de scolariser les jeunes demandeurs d’asile qui nous arrivent».
Cette menace a été réitérée deux jours plus tard par le Premier ministre, après la décision de la Cour d’appel que c’était discriminatoire pour le gouvernement du Québec d’exclure les demandeurs d’asile – même ceux ayant un permis de travail – du programme d’accès aux services de garde subventionnés. Qualifiant la Cour d’appel de «cour fédérale», Legault a accusé celle-ci de «nous dire qu’on est obligés de donner des services de garde subventionnés aux demandeurs d’asile, alors qu’on n’arrive déjà pas à en donner aux citoyens québécois».
Ce discours ultra-nationaliste est à présent un aspect central des programmes de tous les partis de l’Assemblée nationale. Et pendant que le gouvernement Legault blâme l’immigration pour la crise des services publics, il s’attaque aux travailleurs du secteur public. Ce sont là les deux faces d’une même médaille: diviser la classe ouvrière en pointant du doigt les travailleurs immigrants facilite l’assaut sur les conditions de travail et les services sociaux.
À la fin de l’année passée, la plupart des 600.000 travailleurs du secteur public au Québec ont débrayé pour la défense de meilleures conditions de travail et des services publics. La grève avait le potentiel de déclencher une contre-offensive ouvrière contre l’austérité, non seulement au Québec, mais dans toute l’Amérique du Nord. Elle s’est terminée en défaite parce que les appareils syndicaux ont systématiquement isolé leurs membres et refusé d’élargir la grève en faisant appel à d'autres sections de la classe ouvrière.
La défaite de la grève des travailleurs du secteur public a laissé le champ libre à l’hystérie anti-immigrants qui domine dans les grands médias et tout l’establishment politique afin de détourner la colère sociale des travailleurs vers le chauvinisme réactionnaire.
Aucun des partis de l’Assemblée nationale ne remet en question ce déferlement de xénophobie. Cela vaut pour le parti supposément «de gauche», Québec solidaire (QS), dont la timide critique des aspects les plus grossiers de cette agitation ne va jamais jusqu’à en dévoiler les causes fondamentales de classe.
QS ne dénonce jamais le chauvinisme québécois en tant qu’arme idéologique utilisée par la classe dirigeante pour diviser la classe ouvrière, attaquer son niveau de vie, et renforcer son emprise politique par la promotion d’une fausse solidarité «nationale».
En fait, QS s’adapte de plus en plus à l’agitation chauvine de l’élite dirigeante. Il courtise de nouveau le Parti québécois, qui a largement donné le ton à la campagne contre l’immigration. Et QS s’est empressé d’affirmer son accord avec la formulation du problème et de proposer ses propres mesures anti-immigrants.
Après un commentaire de son principal porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois sur X selon lequel l’immigration était un «facteur aggravant» de la crise du logement, QS est devenu le champion d’un plus grand contrôle du gouvernement québécois sur l’immigration.
Dans une lettre rapportée par le quotidien montréalais La Presse, le député de Québec solidaire Guillaume Cliche-Rivard, porte-parole du parti en matière d’immigration, a réclamé l’invocation de l’article 33 de l’Accord Canada-Québec de 1991 sur l’immigration qui permettrait au Québec de rapatrier les pleins pouvoirs en matière d’immigration. Précisant les motifs de son parti dans un commentaire rapporté par La Presse, Cliche-Rivard a affirmé qu’on «est rendu à 530.000 immigrants temporaires, la capacité d’accueil actuelle est dépassée».
Invité au talk-show Tout le monde en parle dimanche dernier (un autre exemple de l’obsession médiatique sur la question de l’immigration), Cliche-Rivard a fait quelques déclarations sentimentales de sympathie pour les réfugiés avant de marteler: «c’est pas au Québec d’accueillir 55% des demandeurs d’asile».
QS accepte donc non seulement le cadre du débat, mais la conclusion principale de ses «collègues» de droite: la crise du logement et des services sociaux est causée par l’immigration, et celle-ci doit être davantage limitée.
En réalité, la dégradation des services publics découle directement des actions de la classe dirigeante, qui a drastiquement réduit les dépenses sociales pour augmenter les richesses des plus aisés grâce à des réductions d'impôts et des subventions de plusieurs milliards de dollars aux grandes entreprises.
Par ailleurs, l'exode massif des populations est causé par l'impact destructeur de l'impérialisme canadien et de ses partenaires internationaux, en particulier les États-Unis. Ces forces ont ravagé de nombreuses sociétés à travers des guerres et des politiques économiques sévères imposées par le FMI et la Banque mondiale, affectant des régions entières telles que le Moyen-Orient, l'Asie centrale, l'Afrique et l'Amérique latine. En l’occurrence, la vaste majorité des demandeurs d’asile au Québec proviennent de l’Amérique latine, notamment de Haïti.
La classe dirigeante, au Québec et de plus en plus ouvertement au Canada anglais, blâme les victimes de sa politique étrangère d’agression pour les conséquences de sa politique intérieure de démantèlement des programmes sociaux. Dans un contexte de tensions sociales et géopolitiques croissantes, le recours à ce mensonge est une nécessité ressentie par les classes dirigeantes de tous les pays impérialistes.
C’est en particulier leur réponse à la fulgurante remontée des luttes de classe sur une échelle planétaire, qui démontre l’unité objective de la classe ouvrière internationale. Le venin anti-immigrants de l’establishment vise à empoisonner l’atmosphère et attiser les pires formes de chauvinisme dans un effort désespéré pour empêcher que la vague montante de luttes ouvrières ne se transforme en défi conscient à l’ordre capitaliste en faillite.
L’année dernière, le Journal de Montréal (du richissime ex-chef du Parti québécois Pierre-Karl Péladeau) a publié un épais dossier accusant le gouvernement libéral fédéral de préparer une vaste expansion de la population anglophone du Canada au moyen d’une immigration «massive» dans le but de «noyer» la «nation québécoise» francophone.
Il s’agit d’une version québécoise de la théorie fasciste du «Grand Remplacement» prônée par des figures d'extrême droite telles que Marine Le Pen et Éric Zemmour en France, ou des partisans de Donald Trump aux États-Unis. Cette théorie présente l'immigration «de masse» comme un complot des «élites» – souvent sous-entendu comme étant juives – pour remplacer la population «blanche» et chrétienne par des immigrants africains et arabes en Europe, ou latino-américains et asiatiques aux États-Unis.
Le tournant de la classe dirigeante vers des éléments fascistes n’est pas un signe de force, mais de faiblesse. Il s’agit du réflexe nerveux d’un système historiquement désuet et en crise profonde, qui fait face à une opposition croissante en son sein. Afin que cette opposition aboutisse au progrès historique, il est essentiel que les travailleurs au Québec et au Canada comprennent qu’ils partagent des intérêts de classe communs avec les travailleurs immigrants, et qu’ils doivent mener une lutte commune contre la véritable source des guerres et des inégalités sociales – le capitalisme.