S'exprimant lundi 12 février au Sommet mondial des gouvernements à Dubaï, le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, a exhorté les gouvernements à finaliser les négociations sur l'accord de l'OMS sur la prévention des pandémies afin de garantir son adoption lors de la prochaine Assemblée mondiale de la santé qui se tiendra en mai.
Les efforts poursuivis pour un accord de l’OMS sur la prévention des pandémies ont commencé en décembre 2021 lors de la deuxième session extraordinaire de l’Assemblée mondiale de la santé, qui est l’organe directeur de l’OMS. À cette époque, coïncidant avec la propagation mondiale rapide du variant Omicron, la désignation par l’OMS de la pandémie de COVID-19 comme urgence de santé publique était toujours en vigueur. La session extraordinaire s'est réunie pour le seul point de l'ordre du jour :
Examen des avantages de l'élaboration d'une convention, d'un accord ou d'un autre instrument international de l'OMS sur la préparation et la riposte à une pandémie en vue de la mise en place d'un processus intergouvernemental pour rédiger et négocier une telle convention, un accord ou un autre instrument international sur la préparation et la riposte à une pandémie, en tenant compte du rapport du Groupe de travail sur le renforcement de la préparation et de la réponse de l’OMS aux urgences sanitaires.
La mission du Royaume-Uni à Genève (Suisse) avait alors tweeté: «Le variant #Omicron montre une fois de plus pourquoi nous avons besoin d’une compréhension commune de comment nous nous préparons et répondons aux pandémies et respectons donc tous les mêmes règles.»
L’élaboration de l’accord a progressé lentement depuis lors, une «proposition de texte de négociation» étant publiée fin octobre 2023.
Selon ce texte, l’objectif global de l’accord est de renforcer les capacités mondiales à prévenir et à se préparer aux futures pandémies. Il vise à garantir que tous les pays surveillent les événements de contagion potentiels et aient accès aux ressources nécessaires, telles que les médicaments, les vaccins et la capacité hospitalière, pour répondre aux menaces de maladies infectieuses. Il cite spécifiquement comme motivation de l’accord la préparation inégale du monde à la pandémie de COVID-19 et les inégalités entre États-nations pour l’accès aux ressources.
Cependant, depuis la publication de la proposition en octobre, les négociations sont au point mort sur plusieurs questions. Les remarques de Ghebreyesus lors du Sommet mondial des gouvernements visaient à inciter les équipes de négociation à résoudre les problèmes.
De même, une lettre de 50 personnalités scientifiques, politiques et sociales de premier plan exhorte les politiciens du monde entier à contribuer à garantir l’adoption réussie de l’accord. La lettre précise:
En résumé, nous appelons aujourd’hui les dirigeants à intensifier leurs efforts et à donner à vos négociateurs les moyens de prendre les décisions qui garantiraient un accord ambitieux et juridiquement contraignant sur la prévention des pandémies.
Il est de votre responsabilité de collaborer à l’échelle mondiale pour rendre le monde plus sûr et plus stable. Une nouvelle menace de pandémie est inévitable. Il n’y aura pas de nouvelle pandémie – si nous agissons maintenant. La mise en œuvre d’un accord efficace est essentielle pour faire de la COVID-19 la dernière pandémie aussi dévastatrice. Ne manquez pas cette opportunité historique.
Les remarques de Ghebreyesus au Sommet mondial des gouvernements étaient cependant totalement hypocrites. Tout en exhortant le monde à se préparer à la prochaine pandémie, il a parlé maintes fois de la pandémie actuelle de COVID-19 au passé, déclarant: «Aujourd’hui, je me tiens devant vous, à la suite de la COVID-19,…» et «Si [une nouvelle pandémie] frappe demain, nous serions confrontés à bon nombre des mêmes problèmes auxquels nous avons été confrontés avec le COVID-19. Ou encore: «En tant que génération qui a vécu la COVID-19, nous avons la responsabilité collective de protéger les générations futures des souffrances que nous avons endurées.»
Il s’agit là des formulations les plus explicites jamais formulées par un responsable de l’OMS présentant faussement la pandémie de COVID-19 comme terminée. Elles contredisent les déclarations très récentes de la responsable technique COVID-19 de l’OMS, Maria Van Kerkhove, qui a déclaré le 12 janvier: «Ce qu’il est essentiel de savoir à l’heure actuelle, c’est que le risque pour la santé publique lié au COVID reste élevé à l’échelle mondiale.» Le 6 février, elle avait déclaré au magazine Scientific American: «Le virus sévit. Nous sommes toujours en pandémie.»
Les États-Unis connaissent actuellement leur deuxième plus forte poussée de COVID-19 jamais enregistrée, surpassée seulement par la vague initiale Omicron. Le COVID-19 se propage de manière incontrôlée en Europe, atteignant en Allemagne des niveaux pas vus depuis l’été 2022.
L’OMS et Ghebreyesus sont entièrement coupables de cette situation, ayant déclaré prématurément la fin de l’urgence de santé publique de portée internationale (PHEIC) liée au COVID-19 le 5 mai 2023. Cette action, comme le notait à l’époque le World Socialist Web Site, n’avait aucun fondement scientifique et représentait «…une abrogation complète et totale de toute politique de santé publique moderne, centrée sur la prévention et l’arrêt des épidémies d’agents pathogènes mortels et sur la lutte pour l’élimination et l’éradication des maladies transmissibles.»
Auparavant, l’OMS n’avait reconnu que tardivement les données scientifiques derrière la transmission aérienne du COVID-19, faisant ainsi que la population mondiale soit extrêmement mal informée sur le mécanisme de base par lequel se propage le virus.
Ghebreyesus s’est également contredit en qualifiant l’accord de «pacte juridiquement contraignant» et en notant en même temps «…l’accord affirme en fait la souveraineté nationale». Comme pour toutes les initiatives des Nations Unies, l’accord sur la pandémie ne prévoit aucun mécanisme contraignant d’application pour les pays qui ne respectent pas leurs obligations.
Cela n’est pas sans rappeler d’autres initiatives inefficaces de l’ONU qui manquent de mécanismes de responsabilisation. En effet, Ghebreyesus a prononcé son discours dans la même ville où s'est tenue en novembre dernier la 28ème Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP28), ce qu'il a souligné dans son discours. Comme le WSWS l'a commenté à propos de cette conférence,
Tout dans le sommet COP28 de cette année exprime l’indifférence totale des gouvernements capitalistes face à l’accélération de la catastrophe climatique. La conférence est organisée par les Émirats arabes unis, un pays qui génère un tiers de son produit intérieur brut grâce à la vente de combustibles fossiles. Elle a nommé comme président du sommet Sultan al-Jaber, PDG de la société publique Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC). Dans ces conditions, le sommet a été qualifié de «salon commercial» de l’industrie des énergies fossiles.
D’autres résolutions et décisions de l’ONU se sont révélées tout aussi incapables de s’opposer aux États-nations, notamment la récente résolution appelant à un cessez-le-feu à Gaza et la décision de la Cour internationale de Justice insistant pour qu’Israël traite la bande de Gaza et la Cisjordanie conformément au droit international. Israël continue d’agir en toute impunité et les puissances impérialistes continuent de lui fournir les moyens de perpétrer génocide et nettoyage ethnique.
Dans ses remarques, Ghebreyesus a blâmé «…la litanie de mensonges et de théories du complot sur l’accord…» pour l’échec à faire avancer les négociations, mais ce faisant, il a raté sa cible. La véritable culpabilité réside dans le système capitaliste et sa contradiction centrale entre une économie mondialisée et sa division en États-nations rivaux. C’est là la véritable origine de l’opposition nationaliste à la coopération mondiale, considérée comme une atteinte à la souveraineté nationale, une critique clé de l’accord sur la pandémie.
En effet, l’un des principaux points de friction des négociations concerne ses dispositions sur la propriété intellectuelle. L’accord prévoit actuellement des renonciations «limitées dans le temps» aux droits de propriété intellectuelle pour permettre aux pays du monde entier de fabriquer des vaccins et d’autres produits nécessaires pour lutter contre les pandémies sur leurs territoires.
La pandémie de COVID-19 a vu les monopoles pharmaceutiques refuser de partager la technologie des vaccins à ARNm avec les pays en développement, un facteur considérable dans les taux de vaccination épouvantables observés dans les pays à faible revenu. Le texte proposé pour la négociation dénonce à juste titre ce comportement comme étant un obstacle au contrôle de la propagation des maladies infectieuses et y répond en incluant des engagements en matière de dérogations à la propriété intellectuelle.
Mais les sociétés pharmaceutiques s’opposent à ces dispositions. La Fédération internationale des associations et fabricants de produits pharmaceutiques (IFPMA) n’a pas perdu de temps pour condamner ces dispositions, les qualifiant de «mauvaises» et de «préjudiciables» et affirmant qu’elles auraient «un effet dissuasif sur le pipeline d’innovation en matière de contre-mesures médicales».
Les gouvernements nationaux qui sont les obligés de ces trusts se sont également prononcés contre les dispositions de l'accord sur la propriété intellectuelle, le ministre allemand de la Santé, Karl Lauterbach, ayant déclaré lors du Sommet mondial de la santé:
Pour des pays comme l’Allemagne et la plupart des pays européens, il est clair qu’un tel accord ne fonctionnera pas s’il existe une limitation majeure des droits de propriété intellectuelle.
Cette stricte opposition à l’accord sur la pandémie existe malgré que les dispositions sur les dérogations soient rendues inefficaces par le qualificatif «… dans la mesure nécessaire». Rien dans le texte ne précise qui déterminera ce qui est nécessaire ni comment. Il s’agit là d’une clause de sauvegarde, et pourtant le système capitaliste s’insurge contre toute forme de renonciation à la propriété intellectuelle.
Les remarques de Ghebreyesus, la stagnation des négociations sur l’accord sur la pandémie et les intérêts des trusts à l’origine de cette stagnation constituent autant d’accusations cinglantes vis-à-vis de l’échec du système capitaliste à relever les défis mondiaux. La résistance de l’IFPMA et du gouvernement allemand illustre la subordination de la santé publique au profit privé.
Bien sûr, toute l’histoire de la réponse du système capitaliste à l’actuelle pandémie de COVID-19 témoigne crûment de ses échecs et crimes massifs. Les trusts ont dicté les prix, forcé la distribution inéquitable des fournitures, notamment des médicaments et des vaccins, influencé les politiques de santé publique contre des mesures scientifiquement fondées, exigé la fin de la politique du zéro COVID en Chine et dans d’autres pays, et incité les gouvernements à ramener les dépenses consacrées aux systèmes de santé publique à des niveaux pré-pandémiques ou inférieurs.
Le résultat final a été la mort inutile de près de 30 millions de personnes et des atteintes graves à la santé de centaines de millions d’autres à travers le monde.
Ces tragédies ont été accompagnées et aggravées par une augmentation spectaculaire des inégalités sociales. Oxfam a récemment publié un nouveau rapport documentant ce phénomène. Cette organisation note que 5 milliards de personnes sont devenues plus pauvres depuis 2020 tandis que les cinq hommes les plus riches du monde ont doublé leur richesse au rythme effarant de 14 millions de dollars par heure. Les milliardaires ont collectivement acquis 3.300 milliards de dollars de richesse au cours de la même période. Le un pour cent des individus les plus riches du monde contrôlent désormais 43 pour cent de la richesse mondiale.
La réponse du capitalisme à la pandémie, à la fois en termes de décès et de maladie, et à cette augmentation massive des inégalités sociales, comme le documente abondamment le World Socialist Web Site, est un grand crime social. Se tourner vers les institutions du capitalisme et exiger qu’elles changent de cap est pure déraison. Elles se révèlent inflexibles alors qu’elles attisent les feux de la Troisième Guerre mondiale et qu’elles permettent à un virus mortel de ravager sans fin les populations vulnérables.
La classe ouvrière internationale doit assimiler les leçons de la pandémie, notamment l’incapacité du capitalisme à s’organiser à l’échelle mondiale pour faire face à l’actuelle pandémie et en prévenir de futures. En effet, ces immenses tâches mondiales incombent à la classe ouvrière-même, qui doit réorganiser l’économie mondiale selon ses propres intérêts pour donner la priorité aux besoins sociaux, dont la santé publique, plutôt qu’aux profits des trusts. Cela ne peut être réalisé que grâce à un programme socialiste international, dont l’objectif est de mettre fin au capitalisme et à ses contradictions et de construire une nouvelle société qui protège et promeut la santé, résout le changement climatique et assure l’égalité sociale.
(Article publié d’abord en anglais le 16 février 2024)