La grève des enseignants au Québec sabotée par le syndicat FAE: les leçons à tirer

En dépit du fait que la majorité des enseignants se sont opposés à l'entente à rabais conclue entre les dirigeants de la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) et le gouvernement de droite de la Coalition Avenir Québec (CAQ), l'entente a été «entérinée» par les membres. Mais, toute la procédure était antidémocratique.

Le vote est survenu plusieurs semaines après que la FAE ait conclu une entente avec le gouvernement pendant le temps des Fêtes et ait mis fin de façon antidémocratique à la grève. Ses dirigeants, tout comme ceux du Front commun inter-syndical, ont dissimulé le contenu de l'entente pour ensuite la «présenter» aux membres dans des assemblées tenues le soir, qui ont souvent duré plusieurs heures et qui ont vu une bonne partie des travailleurs quitter avant la fin. Plusieurs ont mentionné les commentaires partiaux des chefs syndicaux, qui les poussaient plus ou moins explicitement à voter en faveur de l'entente.

Une manifestation d’enseignants du primaire et du secondaire organisée par la FAE durant leur grève qui a commencé le 23 novembre dernier

Selon les règlements internes du syndicat, une «double majorité» était nécessaire. Premièrement, les membres d'au moins 5 syndicats sur 9 devaient voter en faveur de l’entente pour que celle-ci passe. Alors que 4 syndicats avaient voté pour et 4 contre, les membres du dernier syndicat à voter, celui de la région de Granby, ont accepté l'entente par un maigre 50,58 pour cent. Deuxièmement, si les membres d'un syndicat acceptaient l'entente, même à faible majorité comme ce fut le cas à Montréal qui compte plus de 14.000 membres, tous les membres de ce syndicat étaient comptés dans le camp du «vote en faveur», ce qui a permis la «double majorité».

Mais, selon la règle «un enseignant, un vote», une majorité des membres a rejeté l'entente. De plus, les membres des syndicats qui l'ont rejetée l'ont fait en plus forte proportion que ceux qui l'ont acceptée, incluant deux régions près de Montréal (Laval était contre à 68 pour cent et les Basses-Laurentides à 72 pour cent) ainsi que Québec (60 pour cent contre).

La dirigeante de la FAE, Mélanie Hubert, a dû reconnaître la vive opposition de ses membres à l'entente. En point de presse suite au vote de Granby, elle a reconnu que l'entente est «insuffisante» pour améliorer les conditions de travail et que «nous n’avons pas eu l’entente que les profs méritent». «Il faudra travailler», a-t-elle avoué plus tard, «à rallier nos membres, qui ont douté, qui sont fâchés contre nous, contre le gouvernement et tout ça».

Sur la page Facebook du syndicat, il y a un déluge de commentaires hostiles aux dirigeants de la FAE. Plusieurs enseignants se sentent trahis que les chefs syndicaux aient soumis une entente aussi pourrie à leurs 65.000 membres, après que ceux-ci aient été en grève pendant 22 jours sans indemnité.

Les chefs syndicaux cherchent maintenant à se dérober en demandant aux travailleurs de voter pour des partis d'opposition qui défendent tout autant l'austérité que la CAQ. En point de presse, Mélanie Hubert a dit de façon absurde que l'objectif du syndicat est de «défendre l'école publique». En fait, la FAE vient de saboter une immense opportunité pour défendre tous les services publics. Le syndicat n’a rien fait pour mobiliser le vaste appui populaire dont jouissaient les enseignants et l’ensemble des travailleurs du secteur public.

L'entente poursuit la baisse des salaires réels, qui dure depuis des décennies et ne fait rien pour satisfaire les principales revendications des enseignants au niveau des conditions de travail, y compris la charge de travail et les ratios élèves-enseignants. Quant à la composition des classes, une revendication centrale des enseignants, l'entente est une véritable claque au visage. 60% des élèves d'une classe au primaire et 50% au secondaire devront être comptés comme «en difficulté» pour que l'enseignant reçoive une quelconque aide. Cette «mesure» du gouvernement se chiffre à un maigre 33 millions de dollars.

La défaite des enseignants a été causée, d'abord et avant tout, par le rôle traître des appareils syndicaux, qui ont tout fait pour diviser et démobiliser leurs membres et, en fin de compte, étouffer la lutte des travailleurs du secteur public. Sans la pression d'une section militante d'enseignants, la direction de la FAE n'aurait jamais déclenché une grève générale illimitée. Mais, dès que la FAE a déclenché la grève, elle a tout fait pour la mener dans un cul-de-sac.

Non seulement les enseignants étaient sans fonds de grève, mais la FAE a systématiquement refusé de sortir la grève de son isolement en faisant appel à d'autres sections de la classe ouvrière, y compris les 420.000 travailleurs du Front commun (que la FAE avait refusé de rejoindre). Il n’y a eu aucun appel à des grèves de solidarité, aucun appel aux travailleurs en dehors de la FAE à rejoindre les enseignants sur les lignes de piquetage.

La défaite encaissée par les enseignants survient près de 20 ans après la fondation de la FAE comme un syndicat soi-disant «militant» suite à la trahison de la lutte des enseignants par la CSQ contre la «réingénierie sociale» du gouvernement libéral de Jean Charest. La trahison de la lutte actuelle par les syndicats exprime leur rôle anti-ouvrier depuis des décennies, non seulement au Québec et au Canada, mais partout dans le monde.

La perspective d'une «lutte syndicale militante», partagée par plusieurs enseignants de la base, s'est avérée nettement inadéquate et a mené à une impasse. Devant l'assaut intensifié sur les services publics et un regain de combativité au sein de toute la classe ouvrière, plusieurs enseignants se sont dit que c'était le moment de «brasser la cage». Ils espéraient ainsi pousser la bureaucratie syndicale à faire pression sur le gouvernement Legault dans le vain espoir de convaincre ce dernier à adopter une politique favorable aux travailleurs et aux services publics – alors qu’il est leur pire ennemi, en tant que représentant impitoyable de la haute finance et de la grande entreprise.

Au plus fort de la grève, des centaines d'enseignants ont bloqué le Port de Montréal. Sans doute que certains manifestants avaient l’intuition qu’il fallait élargir la grève. Mais la perspective qui animait cette action, entérinée par la direction de la FAE, était différente. C’était un geste de protestation pour dissiper la colère venant de la base, et non le début d’une véritable mobilisation de masse contre le démantèlement des services publics et la détérioration des conditions de travail.

Il faut ici être direct: la période de réformes sociales limitées des années 60 et 70, qui a vu la classe dirigeante octroyer certaines concessions aux travailleurs devant la montée de la lutte des classes, est loin derrière nous. Cela est prouvé une fois de plus par la détermination du gouvernement Legault à implanter de nouvelles attaques frontales contre les services publics.

Au nom de la «compétitivité internationale» du Québec, ce gouvernement poursuit le programme d'austérité de ses prédécesseurs du Parti québécois et du Parti libéral qui dure depuis plus de 40 ans. C’est le même programme – la défense inconditionnelle des profits de la grande entreprise – qui est implanté par la classe dirigeante dans tous les pays, peu importe que des partis «de gauche» ou ouvertement de droite soient au pouvoir.

La courageuse grève menée par les enseignants ne pouvait aller de l’avant sans l’adoption d’une perspective radicalement différente, celle défendue par le Comité de base de coordination des travailleurs du secteur public qui a été mis sur pied pendant la grève. Comme l’a écrit le Comité:

Notre mouvement de grève a démontré l’immense pouvoir social qu’exercent les travailleurs dans la société et le potentiel que pourrait avoir une véritable mobilisation de masse de la classe ouvrière. Même si les syndicats ont dû reconnaître eux-mêmes l’ampleur du soutien que nous avions dans la classe ouvrière, ils n’ont rien fait pour mobiliser cet appui sans précédent.

Notre mouvement pour améliorer nos conditions et sauver les services publics aurait été 1000 fois renforcé si les syndicats avaient lancé des appels de solidarité aux travailleurs des autres secteurs et industries, qui ont tous intérêt à défendre les services publics. Or, les chefs syndicaux étaient terrifiés par cette possibilité, car elle aurait remis en question tout le système de profit sur lequel les bureaucrates syndicaux basent leur position sociale privilégiée.

Un élément clé de la perspective mise de l'avant par le Comité est que la lutte devait sortir du cadre nationaliste suffocant des «négociations collectives» avec un gouvernement provincial anti-ouvrier. La lutte des travailleurs du secteur public fait partie de la résurgence des luttes de la classe ouvrière au niveau international.

C'est vers l'ensemble de la classe ouvrière, qui fait face aux mêmes enjeux d'austérité et de guerre, que les travailleurs du secteur public doivent faire appel. Les enseignants et tous les travailleurs du secteur public qui sont en colère face aux agissements antidémocratiques de leurs syndicats, et face aux conditions de travail qui vont continuer de se détériorer, doivent tirer la leçon essentielle de cette lutte.

La tâche n’est pas de créer de nouveaux syndicats, mais d'abord et avant tout, de rompre avec les appareils syndicaux sclérosés afin de former de nouvelles organisations de luttes. Seules de telles organisations pourront faire renaître les meilleures traditions de solidarité ouvrière et de lutte de classe, mais à un niveau plus élevé, basé sur la compréhension qu’il s’agit d’une lutte politique contre le système de profit historiquement dépassé.

Nous appelons tous les travailleurs intéressés par cette perspective à lire notre couverture de la lutte des travailleurs du secteur public sur le World Socialist Web Site, à s’abonner à la page Facebook Travailleurs du secteur public en grève et à rejoindre le Comité de base de coordination des travailleurs du secteur public.

Contactez-nous à cbsectpub@gmail.com ou en remplissant le formulaire au bas de cet article!

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