«On s’est aperçu que notre syndicat, c’est un syndicat de boutique»

Entrevue avec une travailleuse de la santé au Québec

Le World Socialist Web Site s'est entretenu avec une technologue membre de l'APTS (Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux), laquelle est affiliée au Front commun inter-syndical. Cette travailleuse a participé, aux côtés de 420.000 collègues du secteur public, aux journées de grèves de novembre et décembre dernier. L’entrevue est anonyme pour la protéger.

Une section de la manifestation de 100.000 travailleurs du secteur public qui a eu lieu à Montréal le 23 septembre dernier

Que fais-tu comme métier?

Je suis technologue en électrophysiologie médicale depuis plus de 15 ans. Je fais partie d’un ordre professionnel. J’enregistre l’activité électrique du corps humain dans le but de diagnostiquer, de suivre l’évolution d’une maladie ou d’évaluer l’efficacité des différents traitements. Je fais aussi une préanalyse des examens avant de le transmettre aux médecins spécialisés qui en feront la lecture officielle. C’est un emploi avec des responsabilités importantes. Il faut toujours être alerte et adapter son examen aux différents patients. Malheureusement, c’est une profession très peu valorisée.

Comment sont les conditions de travail?

Depuis les dernières années mes conditions se sont détériorées. Le gouvernement rentabilise le plus possible le temps passé avec le patient. Il a instauré un système de statistiques où tout est calculé à la minute près. Si on a 15 minutes de libres dans la journée, il va tenter de les utiliser à son maximum. Ça rend la tâche difficile puisque nos patients ce sont des humains avec des besoins et des sentiments, ce ne sont pas des objets. La technologie a beaucoup évolué ces 20 dernières années et par le fait même a augmenté nos responsabilités comme technologues.

Et au niveau salarial?

Même avant l’inflation, ce n’était déjà pas évident. Quand j’ai commencé vers 2010, je faisais pas loin de 3 fois le salaire minimum, j’étais à $19 de l’heure au premier échelon. Aujourd’hui, un technologue commence à 24,36$ et atteint un maximum de 33.95$ à son dernier échelon. Nous, nous sommes appauvris depuis plusieurs années, et avec l’inflation, les coûts pour combler les besoins de base sont devenus plus difficiles à couvrir. À mon avis, le cheminement de 12 ans pour atteindre le dernier échelon (le salaire maximal) n’est pas pertinent. J’aimerais aussi mentionner que la province du Québec est celle où l’on paie le moins bien les technologues du réseau de la santé.

Comment s'est passée la pandémie pour toi au début?

Dans le réseau de la santé, ils ont tout fermé au niveau des cliniques externes. Les patients externes ne pouvaient plus rentrer dans les hôpitaux, alors je n’avais presque plus d’examens à faire. Je me suis fait délester. Au début, j’ai fait des tâches administratives et par la suite on m’a demandé d’aider en renfort sur les étages. Je suis donc allée prêter main forte sur les étages COVID. Ce n'était pas évident puisque j’exécutais des tâches que je n’exerçais pas normalement. C’est là qu’on a vu des inégalités. Les technologues n'avaient pas droit à la prime escalier COVID, alors que mes collègues préposées et infirmières y avaient droit, ainsi que l’entretien ménager.

Qu’est-ce que le syndicat a fait par rapport aux primes?

Notre syndicat l’APTS n’a pas fait grand chose, voire rien du tout, pour nous aider là-dedans. On n'a malheureusement pas un titre d’emploi que le public reconnaît, nous sommes des invisibles.

Concernant votre lutte pour l’entente de principe, que penses-tu de la façon dont les syndicats l'ont menée?

On s’est aperçu que notre syndicat, c’est un peu comme un syndicat de boutique. On a revendiqué directement sur la page Facebook du syndicat de l’APTS. Je trouvais qu’on était dans une excellente lutte avec une bonne conscience des enjeux, le rattrapage salarial, etc. Maintenant, on dirait que ça s’est comme essoufflé avec le temps. On lit qu’on va accepter l’entente, c’est tout ce qu’on voit dans les médias. Le vote par secteur est également une tactique des syndicats pour influencer le vote. Il y a très peu de publications pour inciter à voter, mais beaucoup pour l’acceptation de l’entente de principe. Je trouve aussi que l’APTS informe le moins possible ses membres parce qu’un membre mal informé vote pour l’entente. Cette centrale représente 108 titres d’emplois différents mais seulement quelques-uns ont réussi à avoir des gains.

Quel effet aura l’entente sur les conditions de travail?

Moi je ne vois aucune amélioration, premièrement j’aurais aimé que mon horaire soit sur 37,5 au lieu de 35 heures. Mais mon syndicat a bloqué ça. Je dois prendre une heure de dîner non payée, j’aurais aimé la rentabiliser autrement. Le déplacement inter-établissement pose aussi problème. Nous nous appauvrissons encore et rien n’est en place pour valoriser nos professions et aider à la rétention de personnels. 

Vois-tu l’impact de la privatisation des soins de santé?

La médecine à deux vitesses est commencée depuis quelques années. Je trouve la privatisation déplorable pour les patients du public et les moins nantis. Ce sont bien souvent des médecins du public qui œuvrent dans les cliniques privées et qui ramènent leurs cas moins légers dans le public pour les opérer en utilisant les ressources humaines et matérielles. Je constate parfois que des patients du privé sont priorisés par rapport à ceux du public dans les listes d’attente pour les chirurgies et examens.

Qu’est-ce que ça prendrait à la lumière de la lutte dans le secteur public?

Ça prendrait l'équité salariale au travers des types d’emplois. Il y a une pénurie de technologues en ce moment entre autres parce que des titres se sont vu offrir des offres différenciées. Par exemple, un technologue commence à $24,35 l'heure alors qu’un préposé aux bénéficiaires commence à $26/h. Le fait d’améliorer nos salaires, ça améliorerait beaucoup la rétention et donc nos conditions. Il manque de technologues, mais il manque aussi des infirmières.

Que penses-tu des comités de base, indépendants des syndicats, pour élargir la lutte?

Je trouve ça super intéressant. C'est comme un vent de fraîcheur! On voit qu'on n'est pas seul à penser que les syndicats ne sont pas si bons que ça. Ça prend du temps expliquer l'appauvrissement, le rattrapage salarial. Il y a un gros manque d’informations et je trouvais que votre page Facebook [Travailleurs du secteur public en grève] rallie tous les travailleurs, ça parle aussi des inégalités, de ce qui se passe, on voit que c’est à travers le monde, ces problématiques-là.

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