La Cour suprême s'aligne sur Trump à l'audience sur la décision de l’exclure du scrutin au Colorado

Un portrait de groupe des membres de la Cour suprême après l’arrivée du juge associé Ketanji Brown Jackson, dans le bâtiment de la Cour suprême à Washington, le 7 octobre 2022 [AP Photo/J. Scott Applewhite]

La Cour suprême des États-Unis a entendu plus de deux heures de plaidoiries jeudi sur la question de savoir si l’État du Colorado pouvait exclure l’ex-président fasciste Donald Trump du scrutin présidentiel en raison de son rôle dans l’attaque du Congrès le 6 janvier 2021.

L’assaut mené par la horde de ses partisans visait à bloquer la certification par le Congrès de la défaite de Trump aux élections de 2020 et à créer les conditions permettant à Trump de rester à la Maison-Blanche en tant que président-dictateur. Il s’est fallu de peu qu’il ne réussisse.

L’audition, qui a porté sur la possibilité de retirer du scrutin le favori de l’investiture républicaine, non seulement dans le Colorado mais aussi au plan national, met en évidence l’intensification de la crise du système politique américain.

Les juges de la Cour suprême ont toutefois semblé absolument réticents à discuter la question fondamentale de savoir ce qui s’est passé le 6 janvier, quel a été le rôle de Trump dans cette attaque et si la section 3 du 14e  amendement de la Constitution des États-Unis, qui interdit aux insurgés d’occuper des fonctions nationales, s’appliquait à son cas.

Le colloque s’est déroulé entre les neuf juges et trois avocats, l’un représentant Trump, l’autre les six plaignants ayant intenté un procès contre une figuration de Trump sur le bulletin de vote, et un troisième représentant le secrétaire d’État du Colorado, le plus haut responsable des élections dans cet État.

Pendant la majeure partie de l’audience, c’était vraiment Hamlet sans le prince, avec d’interminables discussions sur des points de détail juridiques, et aucune discussion sur l’insurrection du 6 janvier ni la menace plus large pesant sur la démocratie américaine.

Des membres de la milice fasciste ‘Oath Keepers’ sur le front est du Capitole, le 6 janvier 2021, à Washington [AP Photo/Manuel Balce Ceneta]

Pendant la première heure, alors que l’avocat de Trump Jonathan Mitchell répondait aux questions des juges, le 6 janvier n’a été évoqué que par la juge Ketanji Brown Jackson, à la fin de l’interrogatoire de Mitchell. Elle a demandé à Mitchell si le 6 janvier «pouvait être considéré comme une insurrection telle que définie par la Section 3».

Mitchell: Nous n’avons jamais considéré qu’il s’agissait d’une insurrection. Ce que nous avons dit, c’est que le président Trump ne s’est pas engagé dans un acte qui pourrait être qualifié d’insurrection.

Jackson: Quel est votre argument pour dire que ce n’est pas le cas? Votre réponse [brève] dit — je pense que vous dites qu’il n’y a pas eu de tentative organisée de renverser le gouvernement.

Mitchell: C’est l’une de nombreuses raisons. Il faut qu’il y ait un effort organisé pour renverser les États-Unis par la violence.

Jackson: Un effort chaotique n’est pas une insurrection ?

Mitchell: Nous n’avons pas admis qu’il s’agissait d’une tentative de renversement du gouvernement. C’était honteux, mais ce n’était pas une insurrection au sens où ce terme est utilisé dans la Section trois.

Ce fut la seule discussion de la Cour sur l’’importance du 6 janvier pendant les 150 minutes qu’a duré l’audition.

L’avocat Jason Murray, représentant six électeurs du Colorado, dont quatre républicains et plusieurs anciens élus, a cherché à faire revenir l’argument au 6 janvier dans sa brève déclaration d’ouverture. Ses premiers mots ont été:

Monsieur le président de la Cour suprême, nous sommes ici parce que, pour la première fois depuis 1812, la capitale de notre pays a été violemment attaquée. Cette attaque a été incitée par un président des États-Unis en exercice afin de perturber le transfert du pouvoir présidentiel. S’engageant dans une insurrection contre la Constitution des États-Unis, le président Trump s’est disqualifié quant à exercer une fonction publique.

Aucun juge n’a choisi de contester cette caractérisation du rôle de Trump. Au lieu de quoi ils ont bombardé Murray de questions techniques relatives à la formulation de la Section trois.

Dans sa déclaration d’ouverture, Murray a répondu à l’une de ces questions en déclarant: «Comme nous l’avons entendu, le principal argument du président Trump est que cette cour devrait créer une exception spéciale à la Section trois, qui s’appliquerait à lui et à lui seul».

Il faisait référence aux affirmations de l’avocat de Trump selon lesquelles, étant donné que le serment prêté par le président et le serment décrit dans la Section 3 sont légèrement différents, tout président qui n’aurait prêté que le serment présidentiel ne serait pas couvert par ce passage de la Constitution. Cette exemption ne s’appliquerait qu’à George Washington, le premier président, dont le service dans l’armée révolutionnaire était antérieur à l’adoption de la Constitution, et à Trump, le seul président à n’avoir jamais occupé de fonction étatique, fédérale ou militaire avant d’entrer à la Maison Blanche.

La plupart des plaidoiries ont tourné autour de ces détails juridiques. L’avocat de Trump a fait valoir entre autre que le président n’était pas un «officier» au sens de la Constitution, comme le précise la Section 3, que cet article n’était pas «auto-exécutoire», qu’il fallait une législation fédérale pour permettre à un des États de l’utiliser et que la Section 3 interdisait aux insurgés uniquement d’occuper un poste, et non de se présenter à un poste, et qu’il ne pouvait donc pas s’appliquer à une candidature.

Lors d’un échange avec le juge Brett Kavanaugh, Mitchell a admis que Trump soutenait qu’un État n’avait pas le pouvoir de le sanctionner pour l’insurrection du 6 janvier, que le seul recours était des poursuites fédérales, mais qu’en même temps il soutenait, dans une affaire distincte qui doit elle aussi aller à Cour suprême, qu’en tant qu’ex-président il était à l’abri de poursuites fédérales. En d’autres termes, il était entièrement au-dessus de la loi.

Les commentaires de la presse sur les plaidoiries ont souligné l’attitude des juges, en particulier des trois juges nommés par des présidents démocrates qui ne semblaient pas vouloir remettre en question le discours pro-Trump exprimé dans les questions des six juges de droite nommés par des présidents républicains, dont trois par Trump même.

Il semblait y avoir un consensus pour régler l’affaire sur la base la plus étroite possible, en évitant complètement le 6 janvier et en décidant que les États ne pouvaient intervenir dans une élection fédérale à la présidence, qui était intrinsèquement une question politique nationale à décider par le Congrès.

La juge Elena Kagan, nommée par Barack Obama, a déclaré à Murray: «Je pense que la question à laquelle vous devez faire face est de savoir pourquoi un seul État devrait décider qui sera président des États-Unis. En d’autres termes, il s’agit de savoir si un ancien président est disqualifié pour cause d’insurrection. Cela me paraît terriblement national».

Le président de la Cour suprême, Roberts, a déclaré: «Je m’attends à ce qu’un bon nombre d’États disent: “Quel que soit le candidat démocrate, vous êtes exclu du scrutin”. C’est une conséquence assez redoutable».

Roberts a également fait remarquer que le 14e amendement avait été adopté pour permettre au gouvernement fédéral d’empêcher les anciens États confédérés d’élire d’anciens confédérés de premier plan à de hautes fonctions. Il était «en guerre» avec la position avancée par le Colorado, qui affirmait le droit des États individuels à exercer un contrôle sur les élections fédérales.

Les arguments de Roberts, Kagan et d’autres, selon lesquels une politique uniforme devrait être appliquée dans les 50 États et que les actions du Colorado remettaient cela en question, présentent des lacunes fatales. Tout d’abord, le Colorado cherchait précisément à obtenir une décision de la Cour suprême qui s’appliquerait à l’ensemble des 50 États. Jusqu’à ce que cette question soit tranchée, la Cour suprême de l’État a suspendu sa propre décision, et Trump figure sur le bulletin de vote du Colorado pour les élections primaires du «Super Mardi» du 5 mars.

Deuxièmement, comme le Socialist Equality Party en a fait l’amère expérience, les conditions d’accès au scrutin ne sont pas uniformes dans les divers États lorsqu’il s’agit de candidats se présentant en dehors du système bipartite. Un État peut permettre aux candidats indépendants et aux partis tiers d’obtenir le statut de candidat avec une relative facilité, alors que la majorité des États utilisent des règles de procédure obscures et des exigences onéreuses en matière de signatures pour rendre l’accès au scrutin difficile, voire impossible.

Le consensus sur la nécessité de règles uniformes ne s’applique qu’aux deux grands partis capitalistes, qui ne sont mentionnés nulle part dans la constitution américaine, mais qui jouissent d’un quasi-monopole politique en termes d’accès au scrutin, de publicité dans les médias, de collecte de fonds et d’exercice de fonctions électives. Les démocrates et les républicains bénéficient d’un statut semi-officiel, et toute menace à leur domination, comme l’exclusion de Trump du scrutin, est traitée comme supposément illégale et inconstitutionnelle par la Haute Cour.

L’un des juges les plus à droite, Samuel Alito, a brossé le tableau le plus désastreux des conséquences d’une exclusion de Trump du scrutin. «Il me semble que si la position du Colorado est confirmée, les conséquences de ce qu’a fait la Cour suprême du Colorado, comme certains le prétendent, seraient très graves.

Il a évoqué implicitement la possibilité d’une guerre civile, en demandant si les commandants militaires pouvaient désobéir aux ordres du «commandant en chef» s’ils décidaient que le président était engagé dans une insurrection.

Il a laissé entendre que des accusations similaires pourraient être portées contre d’autres présidents en vertu d’une clause de la Section 3 qui exclut de ses fonctions toute personne ayant «apporté aide ou réconfort aux ennemis» des États-Unis. Cela pourrait disqualifier un président qui autorise la distribution de fonds à un pays qui «proclame encore et encore» que les États-Unis sont son ennemi, a-t-il déclaré.

Il s’agissait d’une référence claire aux affirmations fascistes selon lesquelles Obama et Biden auraient donné de l’argent à l’Iran dans le cadre de divers accords visant à freiner le programme nucléaire iranien. L’argent était en fait la propriété de l’Iran, obtenu grâce à la vente de pétrole, mais gelé sur les comptes des banques occidentales en vertu des sanctions imposées par les États-Unis.

(Article paru en anglais le 9 février 2024)

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