Québec Solidaire complice des syndicats dans l’étranglement de la lutte des travailleurs du secteur public

Malgré ses prétentions d'être «solidaire» des travailleurs, Québec Solidaire (QS) est fondamentalement hostile à la lutte des classes comme en témoigne sa réponse au récent mouvement de grève dans le secteur public, l’un des plus vastes et des plus militants des dernières décennies.

Fin 2023, la plupart des quelque 600.000 travailleurs du secteur public au Québec ont débrayé – à divers moments et pas toujours en même temps – pour obtenir de meilleures conditions de travail et défendre les services publics. Les députés de QS, y compris son principal dirigeant Gabriel Nadeau-Dubois, ont fait plusieurs apparitions sur les lignes de piquetage et claironné leur «soutien» aux travailleurs en grève.

Mais lorsqu’un journaliste a insisté en point de presse pour savoir si QS allait appuyer la grève «jusqu'au bout», s'il y avait par exemple une grève générale illimitée «pendant deux semaines, trois semaines», Nadeau-Dubois a répondu: «Le droit de grève, au Québec, il est encadré légalement, c'est un droit légitime. Et oui, on va les appuyer dans l'exercice de leurs moyens de pression à l'intérieur de ce cadre-là, bien sûr» [souligné par nous].

En termes clairs, si le gouvernement de la CAQ (Coalition Avenir Québec) se sentait obligé de recourir à une loi spéciale illégalisant la grève, pratique courante au Canada dans les dernières décennies, Québec Solidaire se rangerait rapidement derrière lui et l’aiderait à déployer tout son arsenal répressif, y compris les tribunaux et la police, pour écraser le mouvement de grève.

En ce qui a trait aux revendications salariales des grévistes, QS s’est contenté de dire qu’il fallait éviter un nouvel appauvrissement. Cette position est la même que celle adoptée par les autres partis ouvertement pro-patronaux de l’opposition. Elle revient à bafouer la demande centrale des travailleurs du secteur public pour un véritable rattrapage salarial après des décennies d’érosion systématique de leurs salaires réels.

Parlant pour des sections aisées de la classe moyenne, QS est organiquement hostile à la perspective d’élargir la lutte des travailleurs du secteur public en faisant appel à toute la classe ouvrière, non seulement au Québec mais partout au Canada. Cela irait à l’encontre de ses efforts de longue date pour s'intégrer encore plus à l'establishment politique et jouer un rôle direct dans les attaques anti-ouvrières.

Sur cette photo, on peut voir (en deuxième et troisième position à partir de la gauche) deux députés de Québec Solidaire, Etienne Grandmont et Manon Massé (ex co-porte-parole de QS), flanqués de trois leaders du Front commun (Eric Gingras de la CSQ, François Hénault de la CSN et Magali Picard de la FTQ) ainsi que des représentants du Parti libéral et du Parti québécois (dont le chef du PQ Paul St-Pierre Plamondon), deux partis de la classe dirigeante québécoise qui ont ravagé les services publics et imposé de nombreuses lois spéciales anti-grève lorsqu'ils étaient au pouvoir.

QS veut empêcher la lutte des travailleurs du secteur public de devenir un défi politique explicite aux programmes d'austérité et de guerre des gouvernements François Legault au Québec, Doug Ford en Ontario et Justin Trudeau au fédéral.

Un tel mouvement ne peut se développer qu’en complète opposition à la bureaucratie syndicale. Or QS a été le complice des appareils syndicaux dans leurs efforts constants pour diviser et étouffer le mouvement des travailleurs du secteur public. Il n’a jamais critiqué leur refus de mobiliser l'appui massif pour les travailleurs du secteur public qui existe au sein de la classe ouvrière en son ensemble.

De plus, QS a joué un rôle clé pour enfermer la lutte des travailleurs du secteur public dans le cadre nationaliste suffocant des «négociations collectives» avec le gouvernement provincial, où le rôle des travailleurs en grève se limitait à faire «entendre raison» à Legault pour qu’il se mette au service de «tous les Québécois».

QS a ainsi camouflé les profondes divisions de classe qui traversent la société ainsi que la nature du gouvernement Legault en tant que défenseur impitoyable de la grande entreprise. Ce faisant, il a aidé les syndicats, autant au Québec qu’au Canada anglais, à garder cette lutte militante confinée aux frontières du Québec.

Ce qui suit n’est qu’un échantillon du discours nationaliste et populiste qu’a adopté QS tout au long du conflit:

«Quand est-ce que la CAQ va écouter ce que les Québécois leur demandent de faire et sauver nos services publics?»

«On va être du bord des Québécois, Québécoises, du bord des travailleurs, travailleuses, puis on va les appuyer dans leurs moyens de pression».

«C'est une grève qui est très importante parce qu'elle touche tout le Québec puis elle touche plusieurs secteurs d'activité».

Par ses références incessantes aux «Québécois» et au «Québec», QS cherche à obscurcir le fait que la société est divisée en classes sociales aux intérêts opposés et que les travailleurs francophones du Québec ont plus en commun avec les travailleurs anglophones et allophones d’Amérique du Nord qu'avec les patrons et politiciens bourgeois francophones.

À l'opposé des conceptions nationalistes défendues par QS, le WSWS lutte pour que les travailleurs du secteur public placent leur lutte dans son contexte politique et la conçoivent comme une partie importante des luttes grandissantes des travailleurs au niveau international.

La lutte des travailleurs du secteur public prend place sur fond de manifestations de masse partout dans le monde contre le génocide à Gaza, mené par Israël et appuyé par les États-Unis et leurs alliés impérialistes, dont le Canada. En Allemagne, plus d'un million de personnes ont manifesté contre les plans de la classe dirigeante de déporter des immigrants en masse. Les luttes et grèves de masse se poursuivent et s'intensifient partout. Dans les derniers mois seulement, il y a eu des grèves parmi les dockers canadiens, les travailleurs de l'automobile au Canada et aux États-Unis et les cheminots en Grande-Bretagne et en Allemagne, pour ne citer que ces exemples.

QS fait souvent référence à certains aspects de la crise sociale grandissante, comme la crise du logement, mais en la détachant complètement de la crise mondiale du système capitaliste. La détermination de Legault d'aller de l'avant avec son assaut contre les services publics n'est pas un simple «mauvais choix», comme le prétend QS.

Poursuivant et intensifiant le programme anti-ouvrier de ses prédécesseurs souverainistes du Parti québécois (PQ) et fédéralistes du Parti libéral (PLQ), Legault vise à faire payer les travailleurs pour la crise du système de profit capitaliste. Il agit ainsi comme tous les dirigeants capitalistes à travers le monde, qu'ils se disent «de gauche» ou soient ouvertement fascistes, comme Milei en Argentine ou Meloni en Italie.

Pour QS, il n'y a pas de «classe ouvrière internationale» ni de «crise du système capitaliste mondial». La lutte des travailleurs du secteur public est une lutte «féministe» et «québécoise», mais pas une lutte de classe. Convaincu de la permanence du système capitaliste, QS se présente parfois comme un parti qui vise à «aider les gens». La solidarité qu’il prône a plus en commun avec la charité chrétienne que la solidarité forgée par les travailleurs dans la lutte commune contre l’ordre capitaliste.

La complicité de QS avec les appareils syndicaux et sa défense acharnée du nationalisme québécois ont joué un rôle clé pour donner un certain regain de vie au Parti québécois, qui donne le ton au tournant chauvin de la classe dirigeante québécoise en blâmant sans cesse les immigrants pour la crise sociale causée par le capitalisme.

C'est dans ce contexte que des groupes pseudo-marxistes qui évoluent au sein de Québec Solidaire poussent ce dernier à se rapprocher encore plus de la bureaucratie syndicale comme une façon de maintenir sa posture «pro-travailleurs». La Riposte socialiste (récemment renommée Révolution communiste) appelle par exemple à des «fronts communs intersyndicaux» où les travailleurs joueraient un rôle subordonné à la bureaucratie syndicale. La Riposte ne veut pas et ne peut pas tirer la moindre leçon du «Front commun intersyndical» actuel, qui a mené les travailleurs du secteur public dans une impasse.

Les travailleurs du secteur public doivent rejeter le programme nationaliste québécois de Québec Solidaire ainsi que son orientation vers la bureaucratie syndicale pro-capitaliste. Ils doivent se tourner vers leurs frères et sœurs de classe, non seulement dans la province, mais à travers l’Amérique du Nord, dans une lutte commune contre l’austérité capitaliste et la guerre. Un premier pas vital dans cette direction est la construction de comités de la base, complètement indépendants des appareils syndicaux et chargés de mobiliser la puissance sociale collective des travailleurs pour la défense des salaires, des conditions de travail et des services publics.

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