La semaine dernière a eu lieu l’assemblé générale (AG) de mon syndicat local portant sur les ententes de principes conclues par le Front commun intersyndical et le gouvernement Legault.
Selon les témoignages de travailleurs sur les réseaux sociaux, autant au Front commun qu’à la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), les AG se sont déroulées avec un objectif commun: favoriser un vote en faveur des ententes et décourager les travailleurs opposés à poursuivre la lutte.
Mon expérience reflète ce que plusieurs ont vécu d’une manière ou d’une autre à travers la province.
La réunion a débuté par une véritable campagne de démobilisation. Dans son discours d’ouverture, le président du syndicat, Jean-François Guilbault, a déclaré que «des reculs, il y en a dans toutes les négociations», tout en cherchant à minimiser leur ampleur en les qualifiant de «marginaux».
Il a ensuite servi une série de prétextes identiques à ce qu’on s’était fait servir lors des négos de 2015 pour justifier la capitulation des dirigeants syndicaux et intimider les travailleurs qui voudraient voter contre les offres.
«Si on refuse, le gouvernement pourrait offrir pire», a-t-il lancé. Il a ensuite demandé: «si on vote contre, est-ce que l'opinion publique va suivre? Les médias alimentent déjà le débat du côté gouvernemental».
Guilbault a ensuite explicité la stratégie de division du Front commun. «Qu'en sera-t-il du Front commun?», a-t-il demandé aux membres. Considérant que des sections ont voté en faveur, «si vous votez contre, la force du nombre ne sera plus le même».
Guilbault a conclu par une antiphrase qui exprimait l’objectif de son allocution: «Je ne suis pas en train de vous décourager là».
Commencée à 18h30, la réunion a pris fin après 23h30, heure à laquelle un nombre important de travailleurs avaient quitté pour aller au lit et se préparer pour une autre journée de travail éreintante le lendemain.
Il aura donc fallu attendre plus de 5 heures avant la délibérante, période au cours de laquelle les travailleurs ont pu enfin donner leur opinion sur le contenu des ententes et expliquer à leurs collègues pourquoi ils devraient les accepter ou les refuser.
À ce moment, tel que mentionné plus haut, les deux tiers des travailleurs avaient déjà quitté. De 600 au début de la réunion, nous étions rendus à peine 200 participants lors de la délibérante.
Seulement deux travailleurs se sont exprimés, la plupart étant fatigués et étourdis par le bombardement de détails bureaucratiques auxquels ils ont été confrontés pendant de longues heures. Je mets au bas le court texte que j’ai à peine eu le temps de lire en deux minutes avant de me faire couper le micro.
La rencontre était divisée en plusieurs sections portant sur les menus détails des conventions collectives proposées. En somme, les ententes sont présentées essentiellement comme un fait accompli, sans la moindre possibilité pour les travailleurs d’émettre leur opinion, mais seulement de questionner tel ou tel aspect, à quoi les leaders répondaient plus comme des représentants du gouvernement que comme des représentants des travailleurs.
Aucun des enjeux réels auxquels nous faisons face n’a été abordé pour la simple et bonne raison que ces ententes ne représentent en rien une avancée pour les travailleurs. Dans le meilleur scénario, les travailleurs auront un salaire se rapprochant de l’inflation et le statu quo au niveau des conditions de travail déjà insupportables. Mais les coupures majeures que le gouvernement prépare dans les emplois et les services publics auront un impact négatif majeur pour tous les travailleurs du Québec et même du Canada.
Finalement, mes collègues du soutien scolaire, comme des milliers d’autres travailleurs de l’éducation et de la santé, ont voté contre les offres dans une proportion de 52%. Le taux de participation de 36% n’est qu’une expression d’une opposition plus large aux ententes et une aliénation des travailleurs envers les appareils syndicaux traitres.
Les méthodes anti-démocratiques dont j’ai été témoin ne sont qu’un exemple de ce qu’on a vu ailleurs, y compris à l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal (APPM), le plus gros syndicat enseignant de Montréal affilié à la FAE.
L’APPM a tenu un vote immédiatement au terme de l’AG présentant les offres. Cette réunion en ligne a duré plus de 9 heures et s’est terminée vers 2h du matin lorsque nombre de travailleurs avaient déjà quitté. La direction de l’APPM a refusé de tenir le vote un autre jour, malgré les demandes répétées des membres. L’entente a finalement été entérinée à seulement 52%.
Les manœuvres des appareils syndicaux pour imposer ces ententes de trahison sont la poursuite de la politique qu’ils ont suivie dès le début. Ils ont refusé de mobiliser le puissant appui populaire dont jouissent les travailleurs du secteur public pour faire de leur lutte le début d’une contre-offensive ouvrière contre l’austérité capitaliste. Et ils ont gardé cette lutte dans les limites d’une simple négociation collective confinée à la province du Québec, alors que les enjeux soulevés concernent l’ensemble des travailleurs au Canada, aux États-Unis et outremer, à savoir la défense des salaires, des conditions de travail et des services publics pour tous.
Voici le bref texte que j’ai à peine eu le temps de lire avant de me faire retirer la parole par les bureaucrates syndicaux qui dirigeaient ce simulacre d’assemblée générale:
Avec ces ententes, le gouvernement nous voit comme de la main-d’œuvre bon marché, interchangeable, dont il peut se débarrasser comme bon lui semble.
Les vrais enjeux que nous confrontons sont: des salaires minables, une pénurie de personnel, une surcharge de travail, une instabilité d’emploi, et en général, un manque de respect de nos compétences et de notre autonomie.
En plus de rester dans nos mauvaises conditions et de nous appauvrir avec des augmentations salariales sous l’inflation réelle, nous confrontons des problèmes systémiques plus profonds qui ne seront pas réglés avec ces ententes.
Nous aimons notre métier, mais nous ne devons pas accepter d’être des esclaves des temps modernes. J’appelle tous mes collègues à la rejeter d’un Non retentissant.
Si on signe, on va avoir les mains liées pendant 5 ans alors que Legault va pouvoir continuer de saccager les services publics et les privatiser, comme il le fait avec le projet de loi 15 en santé.
Le rejet des ententes doit être vu comme le premier pas pour relancer la lutte sur une nouvelle base, c’est-à-dire d’unifier tous les travailleurs du secteur public et mobiliser toute la classe ouvrière dans une lutte politique pour défendre les services publics.