L'un des mythes populaires véhiculés par le gouvernement canadien sur son territoire et à l'étranger dans la poursuite de ses intérêts géopolitiques est que le Canada est un pays qui défend les «droits de l'homme». Outre le fait que ce mensonge est contredit par le soutien de l'impérialisme canadien au génocide israélien en cours à Gaza et par sa participation à pratiquement toutes les guerres d'agression menées par les États-Unis au cours du dernier quart de siècle, il a été dénoncé dans un récent rapport de l'ONU sur les conditions auxquelles sont confrontés les travailleurs migrants dans le pays.
Ce rapport révèle que les formes contemporaines d'esclavage et d'exploitation abondent dans le cadre du programme canadien de travailleurs étrangers temporaires (PTET), qui est principalement utilisé pour fournir aux employeurs des travailleurs mal payés originaires de pays pauvres, en particulier dans les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire.
Dans une récente interview accordée au Globe and Mail, Tomoyo Obokata, rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines d'esclavage, a maintenu sa condamnation du PTET. Dans une déclaration de fin de mission publiée le 6 septembre dernier, Obokata a déclaré sans ambages que le PTET du Canada était «un terreau fertile pour les formes contemporaines d'esclavage».
Les commentaires d'Obokata se fondent sur une tournée de deux semaines au Canada à la fin de l'été dernier pour évaluer la capacité et la volonté du gouvernement canadien de s'attaquer aux formes modernes d'esclavage, notamment le travail forcé, le travail des enfants, la servitude domestique, la servitude pour dettes et l'exploitation sexuelle. Le rapport s'appuie sur des entretiens et des réunions avec des fonctionnaires, des universitaires, des syndicalistes, des parlementaires, des commissions des droits de l'homme et des médiateurs aux niveaux fédéral et provincial. Le rapporteur a également rencontré des travailleurs migrants dans un large éventail de domaines couverts par le PTET, notamment l'agriculture, les soins, la transformation de la viande et des fruits de mer.
Remarquant le nombre disproportionné de travailleurs migrants exploités dans le secteur agricole, le rapporteur a écrit : «Je suis profondément troublé par les récits d'exploitation et d'abus dont m'ont fait part les travailleurs migrants». Le rapport note que «les régimes de permis de travail spécifiques à l'employeur, y compris certains programmes de travailleurs étrangers temporaires, rendent les travailleurs migrants vulnérables aux formes contemporaines d'esclavage, car ils ne peuvent pas dénoncer les abus sans craindre d'être expulsés».
Un réquisitoire accablant contre le PTET du Canada
Les travailleurs du PTET entrent au Canada avec un permis de travail fermé. Cela signifie qu'ils ne peuvent pas changer d'employeur sans l'autorisation du gouvernement et qu'ils risquent d'être expulsés ou de perdre leur emploi s'ils enfreignent les règles strictes favorables à l'employeur. Dépendant de leur employeur pour l'accès au logement et aux services de base, les travailleurs n'ont aucun recours et sont incapables de s'exprimer par crainte de leur employeur. Tout cela est contraire à la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, adoptée par les Nations unies en 1990, une convention que ni le Canada, ni aucune des grandes puissances impérialistes, n'a ratifiée. Ce fait ne fait l'objet d'aucun commentaire de la part d'Obokata et des grands médias.
L'objectif du PTET est de fournir au capital canadien une main-d'œuvre bon marché et facilement exploitable.
Les conditions des travailleurs agricoles – dont beaucoup sont originaires du Mexique et des Caraïbes – sont particulièrement désastreuses et le rapport de 12 pages d'Obokata est d'une lecture sinistre.
Voici quelques-unes des conditions atroces décrites dans le rapport :
- Des permis de travail fermés destinés à lier les travailleurs migrants à leurs employeurs sous la menace d'une expulsion ;
- Des conditions de vie épouvantables et surpeuplées ;
- Les bas salaires, l'absence de rémunération des heures supplémentaires et les longues heures de travail (les quarts de travail de 12 heures sont courants) ;
- Le fait d'imposer aux travailleurs des tâches extracontractuelles qui ne sont pas stipulées dans leurs accords ;
- Le harcèlement sexuel, l'intimidation et la violence de la part des employeurs ;
- Le refus d'accès aux soins de santé et/ou au transport vers les établissements médicaux ;
- Le manque d'accès aux services sociaux, y compris les cours de langue et autres aides pour les nouveaux arrivants ;
- La servitude pour dettes fréquente auprès des recruteurs dans leur pays d'origine.
La plupart des travailleurs migrants ne connaissent pas les mécanismes de plainte existants et, lorsqu'ils en connaissent l'existence, ils ne signalent souvent pas les abus par crainte de représailles de la part de l'employeur.
En plus de tous les abus flagrants et inhumains commis par les employeurs, le rapporteur a été forcé de conclure que les inspections menées par les autorités fédérales et provinciales sont «grossièrement inefficaces». Il serait plus juste de parler de faux-semblants. Le rapport documente le fait qu'un grand nombre de ces soi-disant inspections sont effectuées par téléphone. Lorsqu'elles ont lieu en personne, les employeurs sont prévenus à l'avance, ce qui leur permet de se préparer. Les inspecteurs du travail collaborent avec les services de l'immigration pour cibler et expulser les travailleurs sans papiers.
Si les critiques acerbes d’Obokata à l'égard du PTET ont été au centre du peu de commentaires politiques et médiatiques suscités par son rapport, il s'est également penché sur le traitement réservé à d'autres groupes marginalisés.
Son rapport souligne le lien entre le trafic sexuel et le grand nombre de femmes autochtones disparues ou assassinées. Les enfants autochtones sont surreprésentés dans les services de prise en charge extrafamiliale et font l'objet d'une exploitation sexuelle, criminelle et professionnelle. Selon le rapport, la traite est répandue dans les régions reculées «à proximité des camps mobiles d'extraction de ressources, ou “camps d'hommes”, peuplés d'hommes non autochtones fortunés et souvent situés dans des zones reculées. Le degré de contrôle exercé sur elles par les trafiquants ou les exploiteurs est tel que certains cas peuvent s'apparenter à de l'esclavage sexuel, qui est la forme la plus grave d'exploitation sexuelle». Obokata indique que la pauvreté et l'inégalité sont des causes profondes.
Le rapport souligne également l'exploitation des personnes handicapées mentales dans ce qu'on appelle les «ateliers protégés», où elles sont employées par des entreprises privées et reçoivent un salaire inférieur au salaire minimum.
Les sans-abri sont également abordés dans le rapport, Obokata notant que les conditions de vie précaires causées par la pénurie chronique de logements abordables au Canada sont un point où les personnes vulnérables peuvent être ciblées pour l'exploitation.
Les solutions proposées à la fin du rapport sont un plaidoyer pathétique en faveur de réformes limitées, telles que la ratification de la Convention internationale des Nations unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, la reconnaissance des droits syndicaux, l'application effective de la loi, l'augmentation des inspections sur les lieux de travail, les voies d'accès à la citoyenneté pour les travailleurs migrants, la modification du PTET pour permettre aux travailleurs migrants de changer librement d'employeur, etc.
Il faut dire sans détour que les exigences insatiables du système de profit sont à l'origine de ces pratiques atroces. De plus, comme le montrent les expériences politiques des dernières décennies, aucun changement fondamental des formes d'exploitation impitoyables du PTET ne peut être attendu des partis engagés dans la défense du système de profit capitaliste.
Les conditions décrites dans le rapport ont été soulignées par les travailleurs eux-mêmes. Les travailleurs migrants jamaïcains d'une ferme du sud de l'Ontario ont adressé une lettre ouverte au ministre jamaïcain du Travail, qualifiant le PTET d'«esclavage systémique». Cette lettre ouverte a précédé de quelques jours le décès d'un travailleur migrant dans cette ferme. Trois travailleurs migrants sont morts dans des exploitations agricoles l'année dernière, selon l'Alliance des travailleurs migrants pour le changement, un groupe de défense ayant des liens avec les Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce (TUAC).
Dans une déclaration déplorable publiée le mois dernier, les TUAC se sont engagés à faire allégeance au système de profit. Commentant une réunion entre des représentants des gouvernements canadien et mexicain, un responsable des TUAC a déclaré : «Nous nous réjouissons de l'occasion qui nous est donnée de nous asseoir à la table des négociations pour défendre les intérêts des travailleurs». Comme l'indique le rapport des TUAC, c'est la première fois qu'un syndicat est invité à s'asseoir à la table des négociations depuis le début du Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS), qui fait partie du PTET. Cette opportunité est en fait un moyen d'approfondir l'alliance corporatiste entre la bureaucratie syndicale, les employeurs et les gouvernements respectifs.
La complicité de l’ensemble de l’establishment politique
Le Canada a une longue histoire d'exploitation de la main-d'œuvre migrante. Il suffit de rappeler le recours massif à la main-d'œuvre irlandaise pour la construction des canaux Welland et Rideau dans les années 1820 et 1830, ainsi que l'utilisation d'environ 15.000 travailleurs chinois pour effectuer les travaux les plus dangereux de la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique dans les années 1880. La politique d'immigration du gouvernement était expressément raciste, avec des quotas raciaux et une préférence marquée pour les peuples de Grande-Bretagne et d'Europe du Nord. La loi d'exclusion des Chinois de 1923, adoptée par le gouvernement libéral de William Mackenzie King, n'est qu'un des épisodes sordides de cette tragique saga.
Le gouvernement fédéral, alors dirigé par Pierre-Elliott Trudeau, le père de l'actuel premier ministre libéral, Justin Trudeau, a officialisé ce qui allait devenir le PTET en 1973. Son principal objectif était de remédier aux «pénuries de main-d'œuvre» en important des travailleurs. Il est issu de programmes antérieurs tels que le Programme des travailleurs agricoles saisonniers, un accord bilatéral avec certains pays d'Amérique latine, dont le premier a été conclu avec la Jamaïque en 1966, et le Programme des travailleurs domestiques des Antilles, qui a été mis en place de 1955 à 1967.
Les développements survenus au cours du demi-siècle qui s'est écoulé depuis l'officialisation du PTET ont démasqué le programme pour ce qu'il est réellement : une forme brutale d'esclavage salarial. Mikal Skuterud, professeur d'économie du travail, a fait les remarques suivantes lors d'un entretien téléphonique avec Bloomberg au printemps dernier : «Ces travailleurs sont prêts à accepter presque n'importe quoi parce qu'ils sont prêts à tout pour réussir cette transition. Ils ont des taux d'absentéisme beaucoup plus faibles. Ils acceptent des salaires plus bas [...] Du point de vue de l'employeur, ce sont d'énormes profits qui peuvent être réalisés sur le dos de ces travailleurs.»
Tous les partis de l'establishment ont veillé à ce que rien ne soit fait pour entraver le flux de profits vers les poches des capitalistes, quel qu'en soit le coût humain. Aucun parti n'a demandé l'abolition du monstrueux programme PTET.
Le ministre libéral de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Mark Miller, n'est que l'un des nombreux représentants du gouvernement et de l'opposition à s'être insurgé contre le rapport d'Obokata. Le Globe and Mail a cité les remarques de Miller lors d'une réunion de comité en novembre, où il a tenté de rejeter le rapport en disant : «Je ne sais pas ce que les descendants d'anciens esclaves penseraient de cette caractérisation par rapport à l'abus de leurs ancêtres». Ce n'est rien d'autre qu'une tentative d'éluder la question de l'abus évident des travailleurs migrants par les employeurs tout en couvrant le bilan des libéraux en matière de défense du PTET.
L'attitude de dénigrement moral adoptée par les libéraux est cynique à l'extrême. En 2014, un article d'opinion sous le nom de Justin Trudeau, alors chef de l'opposition, a été publié dans le Toronto Star. Elle critiquait le gouvernement conservateur de Harper pour l'expansion du PTET. Trudeau y déclare explicitement que «[l]'abus n'est pas rare. C’est beaucoup trop fréquent et doit cesser immédiatement». L'article poursuit dans cette veine, en demandant que le PTET «soit considérablement réduit» et en appelant à «une transparence et une responsabilité réelles». Trudeau est même allé jusqu'à déclarer que «le programme des travailleurs étrangers temporaires ne fonctionne pas». Terminant sur une note moralisatrice, il a écrit : «Je pense qu'il n'est pas bon que le Canada suive la voie des pays qui exploitent un grand nombre de travailleurs invités, qui n'ont aucune perspective réaliste d'obtenir la citoyenneté. C'est mauvais pour notre économie, car cela fait baisser les salaires de tous les Canadiens».
Aucune de ces nobles promesses n'a été mise en œuvre depuis l'arrivée au pouvoir, en 2015, des libéraux de Trudeau, qui se présentent comme les amis des réfugiés et des immigrants. En fait, le PTET s'est considérablement développé sous le mandat des libéraux. Les règlements dérisoires qui existaient ont été assouplis au printemps 2022, ce qui a entraîné une augmentation du nombre d'approbations pour les TET. Un rapport publié dans le Globe and Mail l'été dernier indiquait qu'Ottawa avait approuvé l'embauche de 80.000 travailleurs étrangers temporaires dans le secteur des bas salaires, soit le triple du volume depuis que les règles avaient été modifiées 12 mois auparavant.
Le gouvernement Harper a supervisé une augmentation substantielle du nombre de travailleurs étrangers temporaires, qui est passé de moins de 30.000 au début du siècle à plus de 110.000 en 2008-2009. Jason Kenny, ministre de l'Emploi sous le gouvernement Harper, a vigoureusement défendu le programme comme un moyen de remédier à l'euphémisme «pénurie de main-d'œuvre». Il s'agit de la même position que celle adoptée par les libéraux dix ans plus tard. Pierre Poilievre, le leader d'extrême droite du parti conservateur fédéral, a adopté une position nationale-chauvine ces derniers mois, allant jusqu'à demander une enquête publique sur les rapports selon lesquels des travailleurs étrangers temporaires de Corée du Sud sont employés dans la construction de l'usine de batteries NextStar à Windsor, en Ontario. Cette tentative transparente d'attiser le chauvinisme est destinée à plaire à sa base d'extrême droite et n'a absolument rien à voir avec une quelconque préoccupation concernant les conditions misérables auxquelles sont confrontés les travailleurs étrangers temporaires.
Pour sa part, le NPD a limité ses critiques du PTET à la demande d'une voie claire vers la citoyenneté pour les travailleurs migrants. Dans une déclaration datée du 5 avril 2022, Jenny Kwan, porte-parole du NPD pour l'immigration, les réfugiés et la citoyenneté, et Daniel Blaikie, porte-parole du NPD pour l'emploi et le développement de la main-d'œuvre, ont critiqué les libéraux qui « n'écoutent que les employeurs [...] et ne tiennent pas compte des droits des travailleurs migrants ». Cependant, leur solution au problème consiste à «régulariser les travailleurs temporaires et sans papiers au Canada et à fournir aux nouveaux travailleurs migrants une résidence permanente à leur arrivée». Ces propositions timides n'ont pas empêché le NPD de soutenir les libéraux de Trudeau au cours des quatre dernières années, en s'assurant que le gouvernement minoritaire dispose d'une majorité parlementaire pour son programme de droite d'austérité, de guerre et d'exploitation brutale des TET.
La crise aiguë du système de profit capitaliste pousse le capital canadien, comme ses rivaux, à parcourir le monde à la recherche d'une main-d'œuvre toujours moins chère. Des programmes comme le PTET doivent être abolis. Les travailleurs doivent opposer aux appels de la classe dirigeante en faveur de quotas et à ses appels nationaux chauvins des demandes de droits de citoyenneté à part entière pour tous les travailleurs migrants et le droit de tous les travailleurs de vivre où bon leur semble, quelle que soit leur appartenance ethnique ou leur lieu d'origine. Ces exigences sont incompatibles avec le système de profit, qui est enraciné dans la division du monde en États-nations rivaux, et doivent être défendues dans le cadre d'une lutte globale de la classe ouvrière pour la transformation socialiste de la société.
(Article paru en anglais le 18 janvier 2024)