Québec : Le gouvernement et les syndicats tentent d’étouffer la vague de grève montante du secteur public

Un affrontement de classe est en train de se produire au Québec, et les implications sont vastes pour les travailleurs d’Amérique du Nord et du monde entier.

Depuis jeudi dernier, 66.500 enseignants des écoles publiques affiliés à la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) sont en grève, ce qui a entraîné la fermeture de 40 % des écoles primaires et secondaires de la deuxième province la plus peuplée du Canada.

Des dizaines de milliers d’enseignants en grève ont participé à une manifestation à Montréal jeudi dernier, premier jour de leur grève générale illimitée.

Mardi, les dirigeants du Front commun – une alliance intersyndicale qui négocie au nom de 425 000 travailleurs hospitaliers, techniciens médicaux, éducateurs, personnel de soutien des écoles publiques et autres travailleurs du secteur public provincial – ont annoncé des plans pour une grève de sept jours dans toute la province, à partir du vendredi 8 décembre.

Les travailleurs qui forment le Front commun ont voté à 95 % en faveur d’une grève illimitée à l’échelle de la province lors d’un scrutin qui s’est tenu fin septembre et début octobre. Ils sont déterminés à obtenir des augmentations de salaire supérieures à l’inflation, à réduire le nombre d’élèves par classe et le ratio infirmières-patients, et à obtenir les investissements dont les services publics et sociaux ont désespérément besoin.

Cependant, les appareils syndicaux pro-capitalistes manœuvrent frénétiquement pour empêcher une grève totale et parvenir à un accord avec le gouvernement de droite de la Coalition Avenir Québec (CAQ), dirigé par le Premier ministre François Legault.

Depuis une année de négociations contractuelles, le gouvernement de Legault exige que les travailleurs subissent des baisses de salaire réel, des réductions de pension et de nouvelles augmentations de leur charge de travail déjà pénible.

Les bureaucrates syndicaux – et cela vaut autant pour la FAE que pour ceux qui composent le Front commun – sont terrifiés à l’idée qu’une grève totale et unie des plus de 600.000 travailleurs du secteur public québécois pourrait provoquer un soulèvement plus large de la classe ouvrière au Québec et dans tout le Canada, qui menacerait non seulement le gouvernement de la CAQ, mais aussi le programme d’austérité et de guerre de la bourgeoisie canadienne dans son ensemble.

Selon le « plan de mobilisation » des dirigeants du Front commun, la grève de trois jours de la semaine dernière devait être le dernier débrayage préparatoire avant qu’ils n’autorisent une grève générale illimitée. Au lieu de cela, ils ont utilisé le prétexte de la nomination d’un conciliateur par le gouvernement, le lundi 20 novembre, pour continuer à tergiverser. Ils ont d’abord déclaré qu’ils reportaient l’annonce de toute nouvelle action à cette semaine pour donner une « chance » aux négociations ; puis ils ont unilatéralement introduit un autre débrayage limité et reporté à 2024 la fixation d’une date limite pour une grève illimitée ou totale.

Contrairement aux efforts des bureaucrates syndicaux pour diviser les travailleurs du secteur public et les confiner à des grèves limitées, un puissant sentiment se développe parmi la base en faveur d’une grève unifiée. Comme l’a déclaré une travailleuse au World Socialist Web Site, « Ça ne touche pas juste les enseignants, c’est les concierges, les éducatrices, les secrétaires. On ne peut pas vivre sans eux. Les gens de la santé aussi. On a besoin de tout le monde. »

L’hostilité de la bureaucratie syndicale à l’égard des travailleurs qu’elle prétend représenter a été illustrée de façon éloquente lors d’un rassemblement du Front commun jeudi devant l’Assemblée nationale du Québec. Là, devant les travailleurs, ils ont fait défiler les dirigeants du Parti libéral et du Parti québécois, les deux partis de la grande entreprise qui, pendant des décennies et jusqu’en 2018, ont alterné au gouvernement de la province, imposant ronde après ronde des coupes sauvages dans les dépenses sociales, souvent par le biais de lois antigrève draconiennes.

Aux efforts des syndicats québécois pour maintenir la lutte des travailleurs du secteur public dans les limites du système de négociation collective pro-employeur, réglementé par l’État, et à la politique de l’establishment québécois s’ajoutent les actions du Congrès du travail du Canada (CTC) et des syndicats du Canada anglais. Ils se sont joints aux médias corporatifs hors Québec pour cacher aux travailleurs du reste du pays toute information sur la vague de grèves et la confrontation de classe qui se développe dans la province.

Lors de leur conférence de presse de mardi matin, les dirigeants du Front commun ont clairement indiqué que leur principale préoccupation était de se donner une couverture politique pour court-circuiter le mouvement de grève, de préférence en obtenant quelques miettes, sous la forme d’une réduction des demandes de concessions du gouvernement, mais, à défaut, en prétendant avoir « résisté » jusqu’à ce qu’ils soient confrontés à la menace ou à l’imposition d’une loi spéciale de retour au travail du gouvernement.

Une fois de plus, les dirigeants de la Fédération des travailleurs du Québec, de la Confédération des syndicats nationaux, de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et du syndicat des professionnels de la santé APTS ont souligné que les travailleurs de la base sont en colère après avoir subi le poids de décennies de déficits dans les domaines de la santé, de l’éducation et d’autres services publics. Ils se sont félicités de ce qu’ils considèrent du « mouvement » de la part du gouvernement à la table des négociations, et ont insisté sur le fait qu’ils étaient impatients de parvenir à des accords contractuels. « La grève c’est un outil, un moyen de pression », a déclaré le président de la CSQ, Éric Gingras, ajoutant que les syndicats du Front commun « jamais [ils] ne feront de grève, s’il y a une entente à portée de main ».

Le gouvernement de la CAQ n’a pas réagi immédiatement à la menace du Front commun de déclencher dans 10 jours ce qui serait, même si elle était limitée dans le temps, l’une des plus grandes grèves de l’histoire du Canada, ni à l’annonce de la FIQ, qui représente 80.000 infirmières et aides-infirmières, de tenir quatre journées de grève du 11 au 14 décembre.

Ces derniers jours, le premier ministre Legault et la présidente du Conseil du Trésor du Québec, Sonia LeBel, ont déclaré qu’ils étaient prêts à « améliorer » leur proposition de contrat de cinq ans prévoyant des « augmentations » salariales totales de 10,3 pour cent – en réalité, compte tenu de l’inflation, une énorme réduction des salaires. Cependant, toute « augmentation » devrait être payée par les travailleurs eux-mêmes. En d’autres termes, les syndicats devraient d’abord céder aux exigences du gouvernement qui demande des concessions massives sur les règles de travail, ce qui, au nom d’une plus grande « flexibilité », augmenterait la charge de travail et réduirait la rémunération des heures supplémentaires.

Le gouvernement n’a pas encore brandi ouvertement la menace d’une loi criminalisant la grève des travailleurs du secteur public. Mais l’ensemble de l’establishment politique, y compris la bureaucratie syndicale, sait très bien que le gouvernement de la CAQ est prêt à le faire, si les syndicats se révèlent incapables de contenir et d’étouffer le mouvement de grève. Dans une entrevue accordée la semaine dernière, la présidente de la FAE, Mélanie Hubert, a indiqué qu’elle se soumettrait à une loi antigrève. Elle a déclaré au Devoir que si le gouvernement pouvait l’emporter à « court terme », la criminalisation de la grève des enseignants ne contribuerait en rien à enrayer la crise de l’éducation publique. Comme si le gouvernement, qui poursuit la privatisation des soins de santé et de l’éducation, s’en souciait le moindrement.

Les travailleurs sont confrontés à une lutte politique

Objectivement, les travailleurs du secteur public québécois sont en position de force. Mais cette puissance ne peut être libérée que s’ils reconnaissent les enjeux et les dimensions internationales de leur lutte, s’ils en prennent la direction en la retirant des mains de l’appareil syndical corporatiste nationaliste et s’ils la développent en tant que lutte politique de la classe ouvrière.

Même les médias corporatifs ont dû admettre qu’il existe une énorme sympathie et un vaste soutien pour les travailleurs du secteur public parmi les travailleurs du Québec, bien que les syndicats, dans le cadre de leurs efforts pour contenir et étouffer le mouvement de grève, n’aient rien fait pour mobiliser ce soutien. Les travailleurs reconnaissent que la lutte des travailleurs du secteur public pour de meilleurs salaires et conditions de travail est cruciale pour la défense des services publics, qui ont été ravagés par des décennies d’austérité et par la réponse désastreuse de la classe dirigeante à la pandémie de COVID-19, fondée sur le principe des « profits avant la vie ».

Si un appel à leur soutien était lancé, les travailleurs de tout le Canada, des États-Unis et d’ailleurs se rallieraient également au soutien des travailleurs québécois, car les questions soulevées dans leur lutte sont celles auxquelles sont confrontés les travailleurs du monde entier. Il s’agit notamment du démantèlement des services publics et sociaux pour financer les réductions d’impôts et le renflouement des grandes entreprises et des riches, et pour financer les guerres que le Canada et ses alliés impérialistes mènent ou se préparent à mener contre la Russie et la Chine et au Moyen-Orient, ainsi que de l’attaque croissante de la classe dirigeante contre les droits démocratiques, y compris la criminalisation des luttes des travailleurs.

Lors de discussions sur les piquets de grève avec le WSWS, les travailleurs des secteurs de la santé et de l’éducation ont opposé l’état déplorable des services publics et les affirmations du gouvernement selon lesquelles il n’y a « pas d’argent » aux milliards consacrés aux subventions aux entreprises, à l’achat d’armes et à la guerre. « Il faudrait prendre les dizaines milliards donnés aux entreprises et aux militaires et les mettre dans nos écoles et nos hôpitaux pour alléger la tâche et augmenter les services publics », a déclaré un enseignant.

Au Canada, comme aux États-Unis et ailleurs dans le monde, la dernière année a été marquée par une vague de grèves alimentée par l’inflation et des décennies d’austérité et de reculs contractuels. Les plus importantes d’entre elles – la grève de 55.000 travailleurs de soutien à l’éducation de l’Ontario en novembre dernier et la grève des débardeurs de la côte ouest l’été dernier – permettent de tirer trois leçons essentielles qui doivent animer la lutte des travailleurs du secteur public du Québec et son développement en une lutte politique de la classe ouvrière.

Ces leçons sont les suivantes : premièrement, la classe ouvrière dispose d’un énorme pouvoir social lorsqu’elle est mobilisée dans la lutte ; deuxièmement, la lutte des travailleurs pour défendre leurs droits sociaux et démocratiques les met en confrontation directe avec l’État capitaliste, l’appareil répressif qui sert d’ultime exécutant de l’exploitation des travailleurs au profit de la classe dirigeante ; et troisièmement, si les travailleurs veulent faire valoir leur force de classe et l’emporter, ils doivent se libérer des appareils syndicaux pro-capitalistes qui, au cours des quatre dernières décennies, ont été intégrés au patronat et à l’État.

En Ontario, la situation politique s’est transformée du jour au lendemain, lorsque les travailleurs de soutien ont défié une loi brutale qui criminalisait de manière préventive une grève imminente. Leur action militante a galvanisé un mouvement de grève à l’échelle de la province contre le gouvernement conservateur dirigé par Doug Ford. Mais le CTC, le SCFP et les autres grands syndicats canadiens sont intervenus pour mettre fin arbitrairement à la grève et ont finalement imposé un contrat rempli de reculs aux travailleurs de l’éducation en échange de l’acceptation par le gouvernement d’abroger sa loi anti-grève.

La grève des débardeurs de la Colombie-Britannique, qui a duré 13 jours, a paralysé une grande partie du commerce d’exportation de l’Amérique du Nord. Néanmoins, les travailleurs n’ont pas réussi à obtenir des augmentations de salaire, une plus grande sécurité de l’emploi et un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. L’ILWU a travaillé en étroite collaboration avec le CTC et le NPD – qui soutient le gouvernement libéral fédéral pro-austérité et pro-guerre au Parlement – pour isoler la grève et empêcher qu’elle devienne un mouvement de défiance de la classe ouvrière envers le gouvernement de Justin Trudeau. Ils se sont appuyés sur les décisions anti-ouvrières du Conseil canadien des relations industrielles et sur les menaces du gouvernement de criminaliser la lutte des débardeurs pour faire passer un accord presque identique à celui que les travailleurs avaient déjà rejeté.

Le Parti de l’égalité socialiste (Canada) lutte pour que les travailleurs du secteur public du Québec créent des comités de la base dans chaque hôpital, école et lieu de travail, comme le préconise l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC). Ces comités peuvent et doivent contrer les tentatives des diverses bureaucraties syndicales de diviser les travailleurs et court-circuiter le mouvement de grève. Ils se battront pour mobiliser le soutien puissant, mais encore inexploité, des travailleurs du Québec et lanceront un appel systématique aux travailleurs du Canada, des États-Unis et d’ailleurs pour qu’ils les soutiennent.

S’ils veulent l’emporter, les travailleurs du secteur public québécois doivent faire de leur lutte le fer de lance d’une contre-offensive de la classe ouvrière contre l’austérité, la guerre et l’assaut de l’État contre les droits démocratiques des travailleurs. Une telle contre-offensive doit être guidée par une perspective socialiste et internationale : la lutte pour le pouvoir politique de la classe ouvrière et la réorganisation de la vie socio-économique afin que la satisfaction des besoins sociaux, et non la production de profits et l’avancement des intérêts géostratégiques d’une élite capitaliste, soit son principe directeur.

Les 66.500 enseignants en grève ne doivent pas être laissés seuls face au gouvernement. Les enseignants en grève, les membres de la FIQ et du Front commun doivent s’organiser indépendamment des appareils syndicaux pour développer une lutte commune et se préparer à défier toute loi briseuse de grève. La mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière exige la répudiation de la politique nationaliste des syndicats, tant au Québec qu’au Canada anglais, et une opposition implacable à la politique étrangère prédatrice de l’impérialisme canadien, à commencer par son rôle de premier plan dans la guerre contre la Russie déclenchée par les États-Unis et l’OTAN et son soutien à l’assaut génocidaire d’Israël contre les Palestiniens.

(Article paru en anglais le 29 novembre 2023)

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