Espagne: Sánchez réélu Premier ministre au milieu de grèves massives et de manifestations contre le génocide de Gaza

Jeudi, le Parti socialiste espagnol (PSOE) du Premier ministre Pedro Sanchez a renouvelé un gouvernement de coalition minoritaire avec la formation pseudo-de gauche Sumar composée de Podemos et de 14 autres partis pro-austérité. Cela fait suite à des mois de négociations entre le PSOE, Sumar et les nationalistes catalans et basques, après que le Parti populaire (PP) de droite a remporté une majorité relative des voix aux élections de juillet, sans pourtant réussir à former une majorité gouvernementale.

Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez (PSOE), deuxième à gauche, à côté du leader de Podemos Pablo Iglesias, deuxième à droite, et de la première vice-Première ministre Carmen Calvo, à gauche, au palais de la Moncloa à Madrid, le mardi 14 janvier 2020

Sánchez a été réélu avec 179 voix au parlement. Avec une majorité de 4 sièges sur les 350 sièges, son nouveau gouvernement sera faible, fragmenté et dépendant du soutien extérieur de six partis pour gouverner. Outre les 152 sièges du PSOE et de Sumar, Sánchez avait besoin du soutien de 7 députés de la Gauche de la République catalane, 6 d'Ensemble pour la Catalogne, 6 du Bildu indépendantiste basque, cinq du Parti nationaliste basque, un du Bloc nationaliste galicien et un de la Coalition canarienne.

Cent soixante-et-onze députés ont voté contre Sánchez, ceux du PP de droite et du parti néo-fasciste, le vote le plus élevé jamais enregistré contre un Premier ministre en exercice. Si les nationalistes catalans ou basques avaient voté contre Sánchez, il aurait été battu.

En échange, Sánchez a accepté d'amnistier 400 personnes faisant l'objet de poursuites judiciaires pour leur rôle dans le mouvement séparatiste catalan au cours de la dernière décennie, et d'annuler 15 milliards d'euros de dette du gouvernement catalan. Parmi les personnes amnistiées figurera Carles Puigdemont, l'ancien premier ministre régional de Catalogne, destitué en 2017 après avoir organisé un référendum sécessionniste interdit. Puigdemont avait alors fui en Belgique pour éviter les poursuites.

Sánchez est confronté à une opposition grandissante depuis la gauche comme depuis la droite: celle des travailleurs et des jeunes qui organisent des grèves et des manifestations contre sa politique anti-ouvrière, et celle des groupes fascistes et anti-catalans appelant à un coup d'État.

Jeudi, des dizaines de milliers d'élèves du secondaire et d’étudiants de toute l'Espagne se sont mis en grève contre la guerre génocidaire menée à Gaza par le régime israélien fascisant de Netanyahou et ses complices impérialistes, dirigés par les États-Unis et les puissances européennes, dont le gouvernement espagnol PSOE-Sumar.

A Valence, la grève a été soutenue par 90 pour cent des élèves des lycées et 70 pour cent des étudiants d’université. Exprimant des sentiments largement partagés, un étudiant, Leiva, a déclaré au quotidien en ligne catalan El Nacional: «Nous demandons aux syndicats de travailleurs de déclencher une grève générale parce que nous savons que la lutte est le seul moyen d’y arriver.» Une autre étudiante, Nina, a déclaré: «Ce conflit m’a fait réfléchir et voir à quel point les grèves sont importantes.»

Cela eut lieu peu de temps après que les travailleurs du chantier naval espagnol Navantia à Ferrol ont dénoncé l'envoi par le PSOE-Sumar de navires de guerre espagnols dans un groupement tactique dirigé par les États-Unis, qui patrouille désormais au large des côtes israéliennes et de Gaza. Ils ont exigé le retour immédiat des navires de guerre construits par Navantia et la rupture des relations commerciales et diplomatiques avec Israël. Une semaine auparavant, 1 200 dockers de Barcelone avaient annoncé qu'ils refuseraient de desservir tout navire transportant du matériel de guerre vers Israël.

Une grève de masse est également en cours parmi 40 000 travailleurs du principal centre logistique de Guadalajara, qui réclament des augmentations de salaires.

Le croisement des manifestations de masse en défense de Gaza et des grèves contre la crise mondiale du coût de la vie aggravée par la guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine montre le potentiel qu’a la classe ouvrière de monter sa propre intervention politiquement indépendante dans la crise capitaliste mondiale.

Ces crises ne feront que s’intensifier dans les mois à venir. Le gouvernement PSOE-Sumar s'est engagé à imposer 24 milliards d'euros de coupes des dépenses sociales et d'augmentations d'impôts en 2024, alors que l'Union européenne finance à coup de milliards d’euros les dépenses militaires pour la guerre menée contre la Russie en Ukraine et celle d'Israël contre Gaza, en s'attaquant aux salaires et aux conditions sociales.

Sánchez, pour sa part, a prononcé lors de l’investiture un discours cynique faisant appel à la politique de genre et d’identité et mentant comme un arracheur de dents sur son bilan d’attaques contre la classe ouvrière.

Il a déclaré: «Nous devons choisir si nous voulons continuer à progresser dans la dignité du travail, l'autonomisation des femmes, le respect de la diversité sexuelle, l'intégration des migrants et la conviction qu'une société plurielle est une société meilleure. Ou si au contraire nous soutenons les prophètes de la haine qui veulent enfermer les femmes dans les cuisines, les personnes LGTBI dans les placards et les immigrés dans les camps de réfugiés.»

Le précédent gouvernement de Sánchez et de la vice-Première ministre par intérim et dirigeante de Sumar Yolanda Díaz avait sabré les retraites et les protections que donnait aux travailleurs le Droit du Travail ; il avait versé 140 milliards d'euros de fonds de sauvetage de l'UE aux entreprises et aux banques, et brutalement réprimé les métallurgistes et les chauffeurs routiers en grève. Sa politique du profit avant la vie face au COVID-19 a conduit à une surmortalité de plus de 160 000 personnes. Son incarcération et son oppression barbares des migrants incluent le tristement célèbre massacre d'au moins 100 réfugiés dans l'enclave espagnole de Melilla.

Sánchez a cyniquement prétendu être un rempart contre l’extrême droite. «Face à eux », a-t-il déclaré « il y a des forces progressistes qui ne reculeront pas, des forces qui connaissent bien les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Et ils sont en outre convaincus que ces problèmes peuvent être surmontés; et que, si nous prenons les bonnes décisions, l’Europe et les valeurs qu’elle incarne ont un avenir radieux devant elles et peuvent éclairer le reste du monde de leur modèle.»

En réalité, Sánchez s’est senti obligé de déployer 1 600 policiers pour encercler le parlement, par crainte d’un coup d’État d’extrême droite. De telles menaces explicites de coup d’État n’avaient pas été entendues depuis la transition espagnole vers le régime parlementaire en 1978, après la mort du dictateur fasciste Francisco Franco.

Pendant des semaines, le leader de Vox, Santiago Abascal, a appelé à la «résistance patriotique», appelant l’armée et la police à intervenir. Pendant 12 jours, les sbires d'extrême droite, dont le démagogue américain Tucker Carlson, ont occupé la rue où se trouve le siège du PSOE à Madrid en chantant l'hymne fasciste Cara al Sol, en faisant le salut fasciste et en criant: «Franco, Franco, Franco». Un conseiller du PSOE à Cadix a été agressé, et des députés du PSOE ont été bombardés d'œufs hier alors qu'ils se rendaient au parlement.

À la fin de l'investiture, le dirigeant du PP, Alberto Núñez Feijóo, a donné à Sánchez la traditionnelle poignée de main de félicitation en tant que chef de l'opposition officielle. Cependant, Feijóo, qui a qualifié à plusieurs reprises les résultats des élections de «fraude», a déclaré d’un ton menaçant à Sánchez: «c’est une erreur. Vous en serez tenu responsable.»

Les mêmes forces de sécurité sur lesquelles le gouvernement PSOE-Podemos s'est appuyé pendant quatre ans pour attaquer les grévistes ont également menacé Sánchez. Une association paramilitaire de la Guarda Civil se déclare «prête à verser jusqu’à la dernière goutte de sang pour défendre la souveraineté et l’indépendance de l’Espagne et son ordre constitutionnel».

Le Conseil général du pouvoir judiciaire a accusé Sánchez d’avoir «aboli l’État de droit en Espagne». Le juge de la Cour nationale García-Castellón a soudainement lancé des accusations ridicules de terrorisme contre Puigdemont pour tenter de bloquer l'investiture.

Selon certaines rumeurs, de hauts officiers militaires en activité et à la retraite seraient en train de rédiger un manifeste contre le gouvernement PSOE-Sumar et son amnistie pour Puigdemont et d'autres nationalistes catalans. En décembre 2020, des centaines d’officiers à la retraite avaient envoyé des lettres au roi Felipe VI l’appelant, en tant que chef des forces armées, à lancer un coup d’État contre le gouvernement PSOE-Podemos. Un officier avait proclamé sa loyauté envers Franco et appelé au meurtre de «26 millions» d’électeurs de gauche et de leurs familles pour «extirper le cancer».

Ces événements confirment les avertissements lancés par le WSWS après les élections de juillet en Espagne. Un gouvernement PSOE-Sumar mettra en avant des politiques anti-classe ouvrière et pro-guerre qui bénéficieront en fin de compte à la montée de Vox et du PP, tout en utilisant cyniquement les exigences d’unité contre la droite comme arme politique pour désamorcer la montée du mécontentement social et politique. La tâche cruciale consiste à présent à unir les luttes grandissantes des travailleurs et des jeunes en Espagne avec celles de leurs frères et sœurs de classe à l’international dans un mouvement mondial contre le génocide, la guerre, le fascisme et le système capitaliste, y compris contre les défenseurs de celui-ci comme Podemos.

(Article paru en anglais le 17 novembre 2023)

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