Canada : Les syndicats célèbrent une loi anti-briseurs de grève pour sauver l’image «progressiste» du gouvernement libéral alors qu’il appuie le génocide israélien à Gaza

Le gouvernement libéral du Canada, soutenu par les syndicats, a déposé un projet de loi visant apparemment à interdire l’utilisation de briseurs de grève par les employeurs sous réglementation fédérale pendant les grèves ou les lock-out. Le projet de loi C-58 a été universellement présenté par le Nouveau Parti démocratique (NPD) – qui a conclu avec les libéraux minoritaires un accord de confiance et d’approvisionnement garantissant au gouvernement Trudeau sa majorité parlementaire – et par les dirigeants syndicaux comme une victoire «historique» pour les «droits des travailleurs».

Cependant, le projet de loi est loin d’être aussi convaincant qu’il y paraît. Sa présentation actuelle est bien plus liée au théâtre politique nécessaire à garder en vie l’image «progressiste» en lambeaux du gouvernement libéral favorable à la guerre et à l’austérité qu’à une véritable préoccupation pour les droits des travailleurs.

Marty Warren, directeur national du Syndicat des Métallos pour le Canada, entouré de Bea Bruske, présidente du Congrès du travail du Canada, et de Jagmeet Singh, chef du NPD, lors de la conférence de presse tenue sur la colline parlementaire pour saluer le dépôt du projet de loi C-58 [Photo: USW District 6]

En mars 2022, lorsque le NPD, avec le soutien enthousiaste des syndicats, a conclu un pacte avec les libéraux pour maintenir Trudeau au pouvoir jusqu’en juin 2025, les bureaucrates syndicaux ont salué la promesse des libéraux de présenter une loi anti-briseurs de grève avant la fin de l’année 2023 comme une concession majeure qu’ils avaient arrachée au gouvernement.

En réalité, c’était et c’est toujours de la bouillie pour les chats. La promesse du NPD de fournir au gouvernement libéral minoritaire une «stabilité politique», c’est-à-dire une marge de manœuvre pour poursuivre le programme de la classe dirigeante, est bien plus significative. Cela inclut : le rôle majeur de l’impérialisme canadien dans la guerre des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie ; l’augmentation massive des dépenses militaires ; et l’austérité des dépenses publiques pour payer les centaines de milliards en aide accordés aux entreprises canadiennes pendant la pandémie.

Aujourd’hui, alors que les travailleurs du Canada expriment leur colère et leur dégoût face au soutien inconditionnel du gouvernement Trudeau au génocide israélien contre les Palestiniens de Gaza, les syndicats et le NPD font tout pour renforcer leur alliance avec les libéraux, parti du grand patronat.

Outre les considérations politiques importantes liées à la présentation du projet de loi C-58, les libéraux affirment que celui-ci aidera la classe dirigeante à étouffer la lutte des classes, en renforçant le système de «négociation collective» réglementé par l’État et en donnant un coup de pouce politique aux appareils syndicaux pro-capitalistes.

Dans un contexte de montée en flèche des luttes ouvrières au Canada et partout dans le monde – luttes qui prennent de plus en plus la forme de rébellions de la base contre la bureaucratie syndicale – le gouvernement Trudeau et ses alliés syndicaux et néo-démocrates sont parfaitement conscients qu’ils doivent créer de nouveaux mécanismes pour détourner, affaiblir et désarmer les luttes militantes qui pourraient servir de catalyseur à une mobilisation plus large de la classe ouvrière contre le programme de guerre de classe de l’élite dirigeante, à savoir l’austérité pour les travailleurs et la guerre impérialiste à l’étranger.

Les politiciens du NPD et les bureaucrates syndicaux se vantent avec enthousiasme d’avoir obtenu une interdiction nationale de l’utilisation des briseurs de grève, ce qui est pour le moins une exagération grossière et délibérée. Cela est vrai même si l’on ne tient pas compte du fait que l’interdiction ne concerne qu’une petite partie de la main-d’œuvre, à savoir les quelque 350.000 travailleurs employés dans des secteurs réglementés par le gouvernement fédéral, tels que les transports et les télécommunications, qui ont des conventions collectives.

Le gouvernement Trudeau a explicitement exclu de ses dispositions les plus de 300.000 fonctionnaires fédéraux, le plus grand groupe de travailleurs réglementés par le gouvernement fédéral. En outre, la législation comporte une série d’échappatoires dont peuvent bénéficier les employeurs. Par exemple, les employeurs auront 18 mois pour se préparer aux nouvelles règles si la législation est adoptée, ce qui signifie que ses dispositions pourraient entrer en vigueur au plus tôt dans les derniers mois de 2025. Les briseurs de grève seront autorisés si une grève constitue une «menace pour la santé et la sécurité» ou risque de causer «de graves dommages à l’environnement ou à la propriété». L’organisme qui déterminera en dernier ressort ce qui constitue une «menace», le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), est notoirement favorable aux employeurs, ce qui leur permet de s’attendre en toute confiance à des interprétations généreuses de ces «failles».

Au cours de la grève des dockers de la côte ouest l’été dernier, le CCRI a servi d’outil servile au gouvernement Trudeau et aux compagnies maritimes pour criminaliser la grève. Tout d’abord, après que les dockers de la base ont massivement rejeté un accord de principe de trahison rédigé par de hauts fonctionnaires et approuvé par la bureaucratie syndicale, le CCRI est intervenu avec une décision «d’urgence» qui reprenait l’affirmation incendiaire du ministre du Travail Seamus O’Regan selon laquelle la reprise de la grève était «illégale». Chargé par le gouvernement de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’autres perturbations dans les ports de la Colombie-Britannique, le CCRI a ordonné aux dockers de voter sur une copie quasi conforme de la convention collective qui avait été refusée. Il a empêché les représentants syndicaux de s’exprimer publiquement sur le contrat proposé et les a menacés de poursuites judiciaires s’ils appelaient à son rejet.

En vertu du projet de loi C-58, il appartiendra au CCRI de déterminer si un employeur viole l’interdiction des briseurs de grève et, dans l’affirmative, il sera habilité à imposer des amendes pouvant aller jusqu’à 100.000 dollars par jour. Le bilan de cet organisme non élu et hostile aux travailleurs ridiculise toutefois les affirmations des bureaucrates syndicaux, des ministres du gouvernement Trudeau et des politiciens du NPD selon lesquelles les travailleurs pourront compter sur le CCRI pour faire respecter de manière significative les dispositions relatives à l’interdiction des briseurs de grève.

La législation proposée fournit en fait un nouveau mécanisme permettant aux employeurs de saper les grèves et élargit le pouvoir de l’État d’empêcher légalement les travailleurs de faire grève. Jusqu’à présent, les accords sur les «services essentiels», que les employeurs exploitent toujours pour maintenir leurs activités, ont été limités à une poignée de secteurs. Le projet de loi C-58 les rendrait obligatoires pour toutes les unités de négociation collective sous réglementation fédérale, les syndicats n’obtenant le droit légal de faire grève qu’après avoir conclu avec les employeurs un accord désignant les travailleurs qui, pour des raisons de sécurité, continueraient à travailler en cas de débrayage.

Si les représentants des syndicats et des employeurs ne parviennent pas à se mettre d’accord dans les 15 jours suivant le début des négociations sur les «services essentiels» qui doivent être maintenus, il appartiendra au CCRI de dicter un tel accord. En outre, à tout moment au cours d’un conflit, le ministre du Travail pourra s’en remettre au CCRI pour déterminer si la «santé et la sécurité» sont menacées.

Autre concession majeure aux grandes entreprises, le projet de loi autorise les sous-traitants non syndiqués à continuer à travailler pendant les grèves, à condition qu’ils le fassent «de la même manière, dans la même mesure et dans les mêmes circonstances qui prévalaient avant cette date» de lock-out ou de grève. Bien qu’il reste à voir comment cette exemption sera interprétée, elle permettrait en théorie à un employeur d’embaucher des briseurs de grève avant le début d’une grève, de les employer pendant une brève période et de les faire travailler pour compenser au moins en partie l’effet de la grève.

Tout en sapant davantage le droit de grève des travailleurs, qui a été saccagé par les gouvernements successifs au moyen de lois de retour au travail, le projet de loi C-58 renforce considérablement le partenariat corporatiste entre les bureaucrates syndicaux, les employeurs et le gouvernement. Cela explique pourquoi les réactions des syndicats, des libéraux et des néo-démocrates ont été si enthousiastes.

La présidente du Congrès du travail du Canada (CTC), Bea Bruske, a félicité l’alliance gouvernementale entre les libéraux et les néo-démocrates pour l’adoption du projet de loi C-58, en déclarant : «Le plaidoyer du NPD auprès des travailleurs en faveur d’une solide loi anti-briseurs de grève a abouti à l’inclusion de ce texte législatif essentiel dans l’accord d’approvisionnement et de confiance conclu entre le NPD et le gouvernement». Le Syndicat des Métallos a commencé son communiqué de presse en déclarant : «La nouvelle loi fédérale anti-briseurs de grève marque une autre victoire pour les travailleurs qui résulte de l’accord d’approvisionnement et de confiance conclu par les néo-démocrates avec le gouvernement». La Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) a salué le gouvernement Trudeau pour le «courage» dont il a fait preuve en tenant tête aux employeurs, tandis que la Confédération des syndicats nationaux du Québec a qualifié le dépôt du projet de loi d’«événement historique».

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a fait l’éloge du «plaidoyer» du NPD qui a rendu possible ce projet de loi, et a ajouté qu’il espérait qu’il «soit adopté dans tout le pays» et que «davantage de juridictions» adopteraient des lois similaires. Le ministre du Travail O’Regan a salué le projet de loi qui «permet aux parties de se concentrer sur la table [de négociation]» et «apporte plus de stabilité et de certitude à l’économie», c’est-à-dire qu’il préserve la rentabilité des entreprises canadiennes.

Bruske a répété les affirmations d’O’Regan selon lesquelles l’adoption du projet de loi C-58 entraînerait «moins de perturbations du travail, moins d’arrêts de travail» et «des négociations plus rapides».

La répression de la lutte des classes a été le principal objectif des bureaucraties syndicales nationalistes et pro-capitalistes au cours des quatre dernières décennies. La mondialisation de la production a transformé les syndicats, d’organisations qui obtenaient autrefois des gains limités pour les travailleurs dans le cadre national, en agents de l’État et des entreprises chargés d’imposer des reculs aux travailleurs et les diktats de la direction. Cela a pris la forme politique d’une alliance entre la bureaucratie syndicale, les libéraux et le NPD, qui est décisive pour l’application par le gouvernement Trudeau de son programme d’austérité à l’intérieur du pays et la conduite de la guerre impérialiste à l’étranger.

Dans une déclaration publiée en juillet, le Parti de l’égalité socialiste a analysé la «guerre sur deux fronts» menée par le gouvernement Trudeau contre ses grandes puissances rivales à l’étranger et contre la classe ouvrière à l’intérieur du pays. La déclaration explique que «les bureaucrates syndicaux ont appliqué la politique pandémique de la classe dirigeante consistant à privilégier les profits avant la vie, ce qui a conduit à des vagues successives de décès massifs. Ils sont de fervents partisans de la guerre en Ukraine et du réarmement. Les syndicats et le NPD ont apporté un soutien tacite à la campagne d’extrême droite menée par le Congrès des Ukrainiens canadiens et soutenue par le gouvernement Trudeau, visant à calomnier et à censurer toutes les voix qui s’élèvent contre la guerre. Ils ont également joué un rôle clé dans la récente renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain, qui visait à consolider un bloc commercial continental dominé par les États-Unis, à partir duquel les impérialismes américain et canadien peuvent se disputer l’hégémonie économique et géostratégique mondiale [...]

Si le gouvernement Trudeau mène une guerre sur deux fronts, les dirigeants syndicaux et néo-démocrates sont ses “lieutenants de la main-d’oeuvre”. Leur tâche spécifique est de contenir, de détourner et de faire dérailler l’opposition montante de la classe ouvrière.»

La législation anti-briseurs de grève vise à renforcer l’alliance corporatiste anti-ouvrière entre les ministres du gouvernement, les dirigeants d’entreprise et les bureaucrates syndicaux. En «renforçant» le système de «négociation collective», leur objectif est d’étouffer l’opposition croissante de la classe ouvrière et de contenir les conflits contractuels au sein d’institutions réglementées par l’État et pro-patronales.

La tâche urgente de la classe ouvrière est de se libérer du carcan politique imposé par la bureaucratie syndicale et le NPD. Cela exige impérativement une lutte politique contre le gouvernement Trudeau et l’alliance libérale, syndicale et néo-démocrate sur laquelle il repose. Cela nécessite de se tourner vers un programme socialiste et internationaliste pour la mobilisation des travailleurs au Canada aux côtés de leurs frères et sœurs de classe en Amérique du Nord et dans le monde entier contre l’austérité capitaliste et la guerre, et pour le pouvoir ouvrier et le socialisme.

(Article paru en anglais le 17 novembre 2023)

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