Mercredi, un mois après un coup d’État militaire au Niger, l’armée a chassé le président Ali Bongo Ondimba du Gabon, une ancienne colonie française riche en pétrole située en Afrique centrale.
Le coup d’État au Gabon porte à huit le nombre total de coups d’État survenus en Afrique depuis août 2020 et le retrait des troupes d’occupation françaises du Mali qui a suivi. Il y a eu deux coups d’État au Mali, trois dans les pays voisins — deux au Burkina Faso et un au Niger — et un en Guinée et au Soudan. Tous ces pays, à l’exception du Soudan, étaient d’anciennes colonies françaises qui, aujourd’hui encore, sont opprimées et exploitées par l’impérialisme français.
Le coup d’État gabonais a fait suite à des élections présidentielles contestées, à l’issue desquelles la Commission électorale nationale a annoncé que Bongo avait remporté les élections avec 64,27 pour cent des voix.
Les militaires ont alors lancé un coup d’État, annulant l’élection et déclarant la dissolution de toutes les institutions de la République gabonaise. Le commandant militaire qui a pris le pouvoir au Gabon, le général, Bryce Oligui Nguma, a été nommé « chef de la transition » par l’armée. Il doit prêter serment en tant que « président par intérim » lundi prochain.
Les militaires ont maintenu le couvre-feu, imposé quatre jours plus tôt par le régime Bongo, après l’élection. Les frontières du Gabon sont fermées et l’Internet est coupé dans tout le pays.
La junte autoproclamée, le « Comité de Transition et de Restauration des Institutions » (CTRI) a annoncé à la télévision d’État que Bongo, sa famille et ses médecins étaient tous assignés à résidence. Elle a également arrêté le fils et plus proche conseiller de Bongo, Noureddin Bongo Valentin, le chef de cabinet de Bongo, Ian Ghislain Ngoulou, son adjoint Mohamed Ali Saliou, un autre conseiller présidentiel, Abdul Hosseini, et le porte-parole de la présidence, Jessye Ella Ekogha, ainsi que plusieurs membres importants du Parti démocratique gabonais (PDG) de Bongo.
La junte les accuse de « haute trahison des institutions de l’État, de détournement massif de fonds publics, de malversations financières internationales en bande organisée, de faux et usage de faux, de falsification de la signature du président de la République, de corruption active et de trafic de stupéfiants ».
Bongo, qui est assigné à résidence depuis le coup d'État, a déclaré dans une vidéo anonyme qu’il «ne sait pas ce qui se passe » et a appelé « ses amis du monde entier à faire du bruit ».
Dans les rues de la capitale gabonaise, Libreville, des manifestations ont toutefois eu lieu pour célébrer la chute de la brutale dynastie politique des Bongo.
Le parcours de la famille Bongo est un exemple classique de l’incapacité de la bourgeoisie des pays à développement capitaliste tardif à assurer leur indépendance vis-à-vis de l’impérialisme. Omar Bongo, le père d’Ali, est devenu président en 1967, sept ans après que le Gabon a obtenu son indépendance formelle du régime colonial français en 1960. Après la mort d’Omar Bongo au Gabon en 2009, son fils Ali Bongo a poursuivi le règne oppressif de son père pendant 14 ans.
Omar Bongo s’est maintenu au pouvoir en confiant les ressources pétrolières du Gabon à des compagnies pétrolières étrangères, principalement françaises. Pendant des décennies, l'industrie pétrolière a été dirigée par la compagnie pétrolière française Elf, aujourd'hui absorbée par Total Energy. Les revenus pétroliers ont été volés par des hommes d'affaires et des politiciens français corrompus, à l'exception d'une petite partie qui a été utilisée pour corrompre la clique au pouvoir autour de Bongo. Ce pillage de l'économie gabonaise a plongé de larges couches de la population gabonaise dans une misère noire.
Même si le régime Bongo a quelque peu diversifié ses liens économiques au cours des dernières décennies, la France a toujours environ 400 soldats stationnés au Gabon pour la formation et le soutien militaire, y compris une base à Libreville pour protéger ses intérêts économiques considérables dans ce pays.
Riche en pétrole, membre de l’OPEP, le Gabon produit environ 181.000 barils de pétrole brut par jour. C’est le huitième producteur de pétrole de l’Afrique subsaharienne. En aidant l’impérialisme à piller ces ressources, la clique dirigeante autour de la famille Bongo a accumulé d’énormes richesses, achetant des propriétés de luxe en France, au Maroc et dans d’autres pays.
Dans le même temps, vivre avec moins de 2 dollars par jour est une dure réalité pour de nombreux citoyens gabonais. Un tiers de la population vit officiellement en dessous du seuil de la pauvreté.
Vingt pour cent de la population gabonaise possèdent à eux seuls 90 pour cent des richesses du pays. Le taux de chômage en 2022 a atteint 21,47 pour cent. Plus de la moitié de la population vit dans les deux villes de Libreville et Port-Gentil. Dans les bidonvilles surpeuplés de Libreville, de nombreux travailleurs migrants et Gabonais locaux vivent dans une pauvreté absolue. Des milliers de personnes dans les zones urbaines du Gabon ne disposent pas de sources fiables de nourriture, d’eau ou d’un accès adéquat à l’assainissement.
La junte militaire gabonaise n’a aucune solution aux problèmes sociaux et économiques auxquels font face les travailleurs, les jeunes et les masses rurales au Gabon et dans toute l’Afrique. Comme les dirigeants des récents coups d'État dans d'autres pays africains, elle est issue d’un corps d’officiers qui ont une longue tradition de liens étroits et incestueux avec l’impérialisme. Cette junte a décidé d’évincer Bongo lors d’un changement soudain motivé par l’inquiétude suscitée par la colère croissante des masses à travers l’Afrique contre les puissances impérialistes de l’OTAN, en particulier la France, et leurs opérations militaires.
Nguma, qui doit assurer la fonction de « président par intérim », était en fait l’un des piliers du système de sécurité de Bongo, à la tête de la célèbre brigade répressive de la Garde républicaine de l’armée gabonaise. Depuis avril 2020, il se trouve à la tête de cette unité formée par les Français, qui assure la sécurité du président et des principales institutions gouvernementales et étrangères au Gabon.
Les grandes puissances internationales ont critiqué le coup d’État, mais n’ont pas précisé les relations qu’elles pourraient développer avec la junte du CTRI à Libreville. Contrairement aux juntes militaires du Mali, du Niger et du Burkina Faso, la junte du CTRI n’a pas encore déclaré son intention d’expulser les troupes françaises déployées au Gabon.
La France « condamne le coup d’État militaire au Gabon », a déclaré le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, à la presse à Paris. Véran a déclaré que la France « suivait avec beaucoup d’attention les événements au Gabon » et que les résultats de l’élection présidentielle de samedi dernier « devaient être respectés ».
Le magazine financier L’Opinion s’est exprimé sans détour sur les inquiétudes des cercles dirigeants français face au coup d’État. « Le putsch au Gabon menace les activités de quelque 85 sociétés françaises présentes dans le pays », indique le magazine, ajoutant que le Gabon est un fournisseur clé de matières premières essentielles. « Uranium, manganèse, pétrole… la France a beaucoup à perdre en Afrique », écrit le magazine.
Le ministère britannique des Affaires étrangères a déclaré dans un communiqué que le Royaume-Uni condamnait «la prise de pouvoir militaire inconstitutionnelle au Gabon et appelait à la restauration d’un gouvernement constitutionnel ».
Washington a exhorté les militaires à « protéger le pouvoir civil » sans condamner explicitement le coup d’État. Le porte-parole de la Maison-Blanche pour la sécurité nationale, John Kirby, a déclaré que les États-Unis restaient « un soutien des peuples de la région, un soutien du peuple gabonais et de sa demande de gouvernance démocratique ».
Le 31 août, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA) a annoncé la suspension immédiate de «la participation du Gabon à toutes les activités de l’UA, de ses organes et de ses institutions ».
Le quotidien d’État, Global Times, de Chine, partenaire commercial majeur et développeur d’infrastructures dans les pays d’Afrique, a écrit : « La Chine appelle au rétablissement de la paix et de l’ordre au Gabon. Dans le même temps, l’Occident s’inquiète de ses propres intérêts. Les coups d’État militaires montrent l’échec des réformes politiques et de régime promues par l’Occident ».
Les coups d’État à travers l’ancien empire colonial de la France sont le produit de plus d’une décennie de guerres sanglantes de pillage de l’OTAN, y compris la guerre de l’OTAN de 2011 en Libye, la guerre française de 2013-2022 au Mali, et maintenant la guerre sanglante de l’OTAN et de la Russie en Ukraine. Alors que la colère monte parmi les travailleurs et les jeunes africains, des juntes militaires renversent des gouvernements africains impopulaires et exigent une renégociation de leurs liens avec la France pour expulser ses troupes de leur territoire.
La question politique cruciale est le passage à une politique indépendante, socialiste, internationaliste pour la classe ouvrière. Cela nécessite l’unification des luttes de la classe ouvrière et de la jeunesse africaine, au-delà des frontières nationales artificielles créées par les anciennes puissances coloniales, et avec les luttes croissantes des travailleurs en Europe et au-delà, dans un mouvement international contre l’impérialisme et la guerre.
(Article paru d’abord en anglais le 1er septembre 2023)