La conférence suivante a été prononcée par Clara Weiss, membre du Socialist Equality Party (États-Unis), et Johannes Stern, rédacteur en chef de l’édition en langue allemande du World Socialist Web Site, à l’école d’été internationale du SEP (États-Unis), qui s’est tenue du 30 juillet et 4 août 2023.
Le rapport d’ouverture de l’école d’été du président du comité éditorial international du WSWS, David North, «Léon Trotsky et la lutte pour le socialisme à l’époque de la guerre impérialiste et de la révolution socialiste», a été publié la semaine dernière. Le WSWS publiera toutes les conférences de l’école dans les semaines à venir.
Introduction
La tâche de cette conférence est de décrire les expériences historiques dont le mouvement trotskiste a émergé comme la seule continuation du marxisme et d’introduire les conceptions politiques fondamentales du trotskisme qui ont été défendues, à partir de 1953, dans la lutte contre le pablisme par le Comité international.
Nous soulignons souvent que nous sommes un parti de l’histoire. Mais il est important de comprendre quelle approche de l’histoire sous-tend notre travail. Nous n’abordons pas l’histoire subjectivement. C’est-à-dire que nous n’abordons pas l’histoire du point de vue de porter des jugements moraux sur les « bonnes » ou les « mauvaises » actions ou motivations des individus. La tâche des marxistes est, selon les mots célèbres d’Engels, de « découvrir les motifs derrière les motifs » : d’établir les moteurs sociaux objectifs derrière la pensée politique et les actions des tendances et des individus.
Mais cette approche objective de l’histoire ne signifie pas une approche passive. Nous abordons l’histoire du point de vue de la lutte révolutionnaire. Nous comprenons la révolution socialiste comme un processus guidé par des lois, mais aussi comme un processus dynamique, façonné de manière critique par le programme, les décisions et les actions de la classe révolutionnaire et de son parti.
Cette approche de l’histoire est intrinsèquement liée à notre conception de l’époque impérialiste et du rôle de la direction révolutionnaire dans la révolution socialiste. À la suite de la dissolution stalinienne de l’Union soviétique en 1991, trois conceptions différentes du XXe siècle ont été développées. La première, la désormais infâme proclamation de la « fin de l’histoire » par Francis Fukuyama, ne nécessite guère de réfutation détaillée. Fukuyama a récemment participé à une conférence avec des membres du bataillon néonazi Azov à l’Université de Stanford.
La seconde a été développée par le stalinien et historien britannique Eric Hobsbawm. Il a affirmé qu’il y avait eu un « court XXe siècle » parce que, selon lui, la fin de l’URSS marquait la « mort » de la Révolution russe et, par conséquent, la « fin » du siècle. [1]
La troisième conception fut celle développée par le Comité international : « le XXe siècle inachevé ». En substance, cette conception soutient que toutes les contradictions historiques fondamentales du système capitaliste mondial qui ont donné lieu aux deux guerres mondiales et au fascisme, mais aussi à la révolution d’Octobre, demeurent non résolues.
L’enjeu de la conception du « XXe siècle inachevé » était, premièrement, la compréhension marxiste de notre époque comme l’époque des guerres impérialistes et de la révolution socialiste mondiale, et, deuxièmement, le rôle et la continuité de la direction marxiste dans cette révolution. En réponse à un essai de Hobsbawm qui rejetait toute considération de la lutte de l’Opposition de gauche contre le stalinisme comme « spéculative », David North expliqua que dans la révolution socialiste, le rôle du facteur subjectif – des partis, des programmes et du processus même de lutte – ne peut être soustrait au processus historique « objectif ». En fait, le propre essai de Hobsbawm a démontré qu’ignorer ou minimiser le facteur « subjectif » ne peut que déformer l’histoire dans les faits : en rejetant la lutte de l’Opposition de gauche comme un « contrefactuel », il faisait essentiellement l’apologie du stalinisme.
En traitant des conceptions de Hobsbawm à un niveau théorique plus fondamental, North a souligné que la révolution d’Octobre n’était pas, comme le prétendait Hobsbawm, semblable à une catastrophe naturelle comme un tremblement de terre ou une inondation qui pourrait être prédite par les scientifiques, mais ne pourrait être qualitativement influencée par les actions des êtres humains. La révolution socialiste s’est développée d’une manière qualitativement différente de celle des révolutions bourgeoises. David North a expliqué :
Avec l’avènement du marxisme, le rapport de l’homme à sa propre histoire subit une profonde transformation. L’homme a acquis la capacité d’interpréter consciemment sa pensée et ses actions en termes socio-économiques et, par là, de situer précisément sa propre activité dans une chaîne de causalité historique […] les analyses, les perspectives, les stratégies et les programmes des organisations politiques ont assumé un rôle tout à fait sans précédent dans le processus historique. L’histoire cessait de tout simplement se produire. Elle était anticipée, préparée et, dans une mesure jusque-là impossible, dirigée consciemment. [2]
L’alignement de la pensée et de la pratique sociales de la classe révolutionnaire à la réalité objective a atteint son point culminant jusqu’ici inégalé dans la prise du pouvoir par la classe ouvrière en octobre 1917. Le mouvement trotskiste a historiquement émergé au milieu d’un reflux de la vague révolutionnaire qui avait forcé la fin de la Première Guerre mondiale et avait donné lieu à la Révolution de 1917.
En un sens, ce fut l’une des périodes les plus tragiques sinon la plus tragique de l’histoire. Les 30 années qui se sont écoulées entre la révolution d’Octobre et la fin de la Seconde Guerre mondiale ont vu les défaites d’immenses luttes révolutionnaires à travers l’Asie et l’Europe, l’avènement du nazisme en Allemagne, la Seconde Guerre mondiale avec ses 60 millions de morts, l’holocauste et l’anéantissement des générations de marxistes et de socialistes par le stalinisme.
Mais ce ne fut pas seulement une période de défaites tragiques, de réaction et de barbarie capitaliste. C’était aussi une lutte déterminée et héroïque pour la préservation et le développement de la continuité du marxisme et la formation d’un cadre révolutionnaire international qui pourrait diriger la classe ouvrière dans la lutte. Trotsky a résumé la leçon la plus cruciale de cette période dans la première phrase du document fondateur de la Quatrième Internationale : « La situation politique mondiale dans son ensemble se caractérise avant tout par la crise historique de la direction du prolétariat. » [3]
Notre conférence sera consacrée à un résumé des expériences stratégiques de la classe ouvrière internationale qui sous-tendent cette évaluation et restent à la base de la lutte pour le socialisme aujourd’hui.
Première partie : La révolution d’Octobre et l’émergence de l’Opposition de gauche
Les affirmations d’Eric Hobsbawm selon lesquelles la révolution d’Octobre était « morte » en 1991 et le stalinisme inévitable reposaient sur deux arguments interdépendants : premièrement, que la révolution était un processus automatique et largement incontrôlable, et deuxièmement, qu’il s’agissait avant tout d’un événement national qui devait rester isolé. Hobsbawm a rejeté d’emblée l’idée qu’une révolution en Allemagne était « à l’ordre du jour » : « Une révolution allemande d’Octobre », écrit-il, « n’était pas sérieusement à l’ordre du jour et n’avait donc pas à être trahie ». [4]
Ces affirmations sont fausses. La révolution d’Octobre n’est pas tombée du ciel. Elle comportait des conditions préalables objectives et subjectives, et toutes deux avaient, fondamentalement, un caractère international. Sur le plan de base socio-économique, la révolution d’Octobre est née des mêmes contradictions du système impérialiste mondial qui avaient donné lieu à la Première Guerre mondiale. Cependant, si ces contradictions objectives expliquent l’émergence des luttes révolutionnaires en Russie, elles n’expliquent pas la prise de pouvoir réussie par la classe ouvrière.
Le niveau de conscience politique atteint par la classe ouvrière en Russie en 1917 était le fruit d’une « lutte historique prolongée pour le marxisme dans la classe ouvrière européenne et russe qui durait depuis 70 ans ». [5] Cette lutte a atteint son apogée théorique et politique dans les travaux de Lénine et de Trotsky, les deux principaux dirigeants de la révolution. Il comprenait deux éléments clés : le premier était la lutte menée par les bolcheviks de Lénine pour un parti révolutionnaire de la classe ouvrière indépendant dans une lutte contre l’opportunisme national.
Le second était le développement par Trotsky de la conception de la révolution permanente. Se basant sur une évaluation historique de tout le développement précédent de la révolution sociale et de l’économie mondiale, Trotsky reconnaissait qu’à notre époque, même dans un pays économiquement arriéré comme la Russie, la classe ouvrière était la seule classe révolutionnaire, capable de diriger la révolution et accomplissant les tâches de la révolution démocratique bourgeoise. Pendant la Révolution de 1905, il écrivit :
Reliant tous les pays avec son mode de production et son commerce, le capitalisme a converti le monde entier en un seul organisme économique et politique. […] Cela donne immédiatement aux événements qui se déroulent en ce moment un caractère international, et ouvre un large horizon. L’émancipation politique de la Russie menée par la classe ouvrière hissera cette classe à une hauteur encore inconnue dans l’histoire, lui transférera des ressources et un pouvoir colossaux et en fera l’initiatrice de la liquidation du capitalisme mondial, pour laquelle l’histoire a créé toutes les conditions objectives. [6]
Cependant, les contradictions de la dictature de la classe ouvrière dans un pays paysan ne pouvaient être résolues que par une extension de la révolution à l’échelle mondiale. Le sort de la révolution en Russie allait se décider principalement sur la scène mondiale.
Cette conception stratégique de la dynamique de la révolution socialiste a été à la base de la prise du pouvoir en Octobre 1917 et de l’établissement de l’Union soviétique en décembre 1922. Contrairement aux attentes des bolcheviks, cependant, la classe ouvrière en Europe ne réussit pas à prendre le pouvoir, surtout à cause des trahisons de la social-démocratie. Plusieurs mouvements révolutionnaires, notamment en Allemagne en 1918-1919, en Hongrie en 1919 et en Italie en 1919, furent noyés dans le sang.
La république soviétique économiquement dévastée s’est trouvée isolée de manière inattendue dans l’encerclement capitaliste. Le gouvernement soviétique a été contraint d’amorcer un recul important avec la fameuse Nouvelle Politique économique (1921). Cette politique, bien que nécessaire dans les conditions qui prédominaient, a contribué à un renforcement des couches bourgeoises au sein de la société soviétique. Et pis encore, Lénine, le chef le plus influent du parti, tomba gravement malade et fut cloué au lit à partir de 1922. Bien qu’il réussit à engager une lutte contre les tendances bureaucratiques et nationales croissantes au sein du parti, il mourut prématurément en janvier 1924.
Une longue lutte naissante à la direction du parti entre une aile opportuniste nationale de plus en plus enhardie et l’aile gauche marxiste, menée par Trotsky et Lénine, éclata au grand jour dans le contexte de la révolution allemande avortée d’octobre 1923. Trotsky et l’aile révolutionnaire internationaliste du parti ont désormais lancé une lutte ouverte, visant à réorienter la politique du parti. Le 15 octobre 1923, 46 anciens bolcheviks ont publié une déclaration commune, déclarant leur soutien politique à la nécessité, sur l’insistance de Trotsky, d’une démocratie interne dans le parti et à ses appels à mettre davantage l’accent sur la planification et le renforcement de l’industrie d’État.
L’approche de Trotsky dans la lutte de l’Opposition de gauche ne peut être comprise que sur la base de la conception que lui et Lénine avaient développée du rôle de la direction marxiste dans la révolution socialiste. Dans son essai Léon Trotsky et le développement du marxisme, David North a expliqué que les expériences de l’effondrement de la Deuxième Internationale en 1914 et de la prise du pouvoir en 1917 ont investi
[l]e concept de formation des cadres et du rôle de l’Internationale […] d’un nouveau contenu historique […] l’Internationale communiste partait de la prémisse fondamentale que le sort de la révolution socialiste ne pouvait être abandonné au déroulement inexorable des forces économiques objectives et des contradictions sociales conçues de manière abstraite. Les dirigeants des partis révolutionnaires du Komintern […] ont dû reconnaître que leur pratique subjective était un maillon objectif décisif dans la chaîne des événements historiques menant au renversement du capitalisme. [7]
Cette conception de base fut confirmée, par la négative, par les défaites subies par la classe ouvrière entre 1917 et 1923. La raison principale de ces défaites fut l’absence d’une direction révolutionnaire, comparable à celle des bolcheviks en 1917. En 1924, Trotsky conclut :
On ne peut pas penser que l’histoire crée mécaniquement les conditions de la révolution et les présente ensuite à la demande du parti, à tout moment, sur un plateau : voilà, signez le reçu s’il vous plaît. Cela n’arrive pas. Une classe doit, au cours d’une lutte prolongée, forger une avant-garde qui saura s’orienter dans une situation, qui reconnaîtra la révolution quand elle frappera à la porte, qui au moment nécessaire saura saisir le problème de l’insurrection comme problème d’art, pour élaborer un plan, répartir les rôles et porter un coup sans merci à la bourgeoisie. [8]
Dans Les leçons d’Octobre, Trotsky approfondit cette analyse, basée sur un examen de la lutte politique au sein du Parti bolchevik pendant la Révolution de 1917. À l’époque, Grigory Zinoviev, Lev Kamenev et Joseph Staline dirigeaient une faction qui s’opposait à la prise du pouvoir, arguant que les conditions en Russie n’étaient pas assez « mûres » pour une révolution socialiste. Trotsky a souligné que dans des conditions de changements brusques de la situation politique, les pressions pour s’adapter à l’opinion publique bourgeoise et aux tendances nationales étaient inévitables. Un parti révolutionnaire est soumis à la pression de forces de classe hostiles. Le défi d’une direction de parti est de lutter contre de telles pressions pour s’assurer que le parti reste en phase avec les tâches historiques de sa classe. Sinon, a averti Trotsky, le parti « court le risque de devenir l’instrument indirect d’autres classes ». [9]
La direction du parti, désormais dominée par Staline, Zinoviev et Kamenev, répondit à la publication des Leçons d’Octobre en octobre 1924 par une campagne amère contre Trotsky et la révolution permanente. Au cours de cette campagne, toute l’histoire du parti bolchevik et de la révolution de 1917 fut systématiquement falsifiée. En décembre 1924, Staline élabora la conception qu’il était possible de construire « le socialisme dans un seul pays » en Russie, sans la prise du pouvoir par la classe ouvrière en Europe. Cette théorie antimarxiste et nationaliste allait constituer la base politique de la réaction stalinienne contre la révolution d’Octobre.
Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait perdu le pouvoir politique en 1923-1924, Trotsky a toujours rejeté les explications subjectives qui réduisaient les choses à une lutte pour le « pouvoir » et au choc de différentes personnalités. Derrière le changement d’orientation politique de la direction et la dégénérescence du parti se trouvaient de profonds changements dans l’équilibre international des forces de classe qui eurent un impact immense sur les relations politiques et sociales en Union soviétique.
Le retard de la révolution internationale a favorisé des humeurs de désillusion dans la classe ouvrière soviétique numériquement et économiquement affaiblie. Dans le même temps, ces défaites et l’isolement international qui en a résulté ont consolidé la position d’une bureaucratie en croissance rapide dont les intérêts sociaux étaient de plus en plus articulés par des forces à orientation nationale au sein de la direction du parti. Trotsky expliqua plus tard les processus politiques et sociopsychologiques en cours comme suit :
Le sentiment « On ne peut pas tout faire et agir tout le temps pour la révolution ; il faut aussi songer à soi » – cet état d’esprit se traduisait ainsi : « À bas la révolution permanente ! » La protestation élevée contre les exigences théoriques du marxisme et les exigences politiques de la révolution prenaient graduellement, pour ces gens-là, la forme d’une lutte contre le « trotskisme ». Sous cette enseigne, le petit-bourgeois se dégageait dans le bolchevik. Voilà en quoi consista la perte par moi du pouvoir, et ce qui détermina les formes dans lesquelles cette perte eut lieu. [10]
La montée de la bureaucratie soviétique sous-tendait également un profond changement d’orientation du Komintern dans lequel le parti soviétique jouait le rôle dominant. En décembre 1925, le parti bolchevik adopta officiellement le programme nationaliste de construction du « socialisme dans un seul pays ». Cette orientation était explicitement complétée par la conception qu’une « période de coexistence pacifique » entre l’Union soviétique et les pays capitalistes avait commencée. Du point de vue de la bureaucratie, la fonction principale du Komintern ne s’articulait plus autour de la lutte pour diriger la classe ouvrière dans le renversement de la bourgeoisie. Au contraire, la tâche était, comme l’a dit Staline, de « neutraliser » la bourgeoisie et d’empêcher d’éventuelles attaques militaires contre l’URSS.
Cette orientation nationale a conduit à des défaites catastrophiques de la classe ouvrière. La première grande trahison du stalinisme fut la défaite de la grève générale britannique en mai 1926. La direction stalinienne subordonna un puissant mouvement de la classe ouvrière dans l’un des pays impérialistes les plus importants aux bureaucrates syndicaux et aux réformistes travaillistes. La deuxième grande trahison fut celle de la révolution chinoise de 1925-1927.
Si la prise du pouvoir de la classe ouvrière en 1917 était la confirmation positive de la révolution permanente et de la lutte pour un parti révolutionnaire indépendant de la classe ouvrière, la révolution chinoise en était une tragique confirmation par la négative.
En 1925-1926, la Chine a vu émerger un gigantesque mouvement révolutionnaire d’ouvriers et de paysans. Pourtant, au lieu de préparer la classe ouvrière chinoise et sa direction à la prise du pouvoir d’État avec le soutien des masses de paysans pauvres, le Komintern stalinisé a adopté une ligne dans laquelle le Parti communiste chinois devait subordonner toutes ses activités aux intérêts du Guomindang, le parti de la bourgeoisie nationale. Le PCC n’était même pas autorisé à critiquer le Guomindang ou à diriger une presse indépendante.
Cette politique de collaboration de classe était basée sur une renaissance de la vieille conception menchevik d’une révolution en « deux étapes ». Sur la base de cette conception, la classe ouvrière des pays économiquement arriérés devait d’abord aider à amener la bourgeoisie au pouvoir. Ce n’est qu’après une période prolongée de développement capitaliste que la classe ouvrière pourrait alors aspirer à s’emparer elle-même du pouvoir. En ce qui concerne la Chine, Staline soutenait que l’oppression impérialiste formerait la base d’un « bloc de quatre classes » : une alliance entre la classe ouvrière, la paysannerie, la petite-bourgeoisie urbaine et la bourgeoisie nationale. Mais comme l’a expliqué Trotsky :
C’est une grossière erreur de penser que l’impérialisme soude mécaniquement ensemble toutes les classes chinoises depuis l’extérieur. … La lutte des classes entre la bourgeoisie et les masses de travailleurs et paysans n’est pas affaiblie, mais plutôt intensifiée par l’oppression impérialiste, jusqu’au point de provoquer une guerre civile sanglante lors de chaque différend sérieux. [11]
La politique du Komintern eut des conséquences catastrophiques. En avril 1927, le chef du Guomindang, Chiang Kai-Shek, organisa un coup d’État à Shanghai et massacra des dizaines de milliers de travailleurs et de communistes chinois.
Le nouveau revers de la révolution internationale a eu un impact profond sur la classe ouvrière soviétique, encourageant des humeurs de conservatisme et de démoralisation, tout en renforçant la position sociale et politique de la bureaucratie. Au 15e Congrès du Parti communiste en décembre 1927, l’Opposition de gauche fut expulsée du parti. Dans les semaines qui ont suivi, Trotsky et pratiquement tous les autres dirigeants de l’opposition ont été exilés. Tout au long de 1928, des milliers d’opposants furent expulsés, arrêtés et exilés ou emprisonnés.
La principale réponse de Trotsky à ces événements fut une analyse systématique des expériences stratégiques que la classe ouvrière venait de traverser. Le document issu de cette analyse, sa critique du projet de programme du 6e Congrès du Komintern, reste fondamental non seulement pour notre perspective historique, mais aussi pour l’approche même que nous adoptons pour l’analyse politique et le développement du CIQI et du WSWS.
Au cœur de la réfutation par Trotsky de la révision nationaliste du marxisme par le stalinisme se trouvait son insistance sur la définition stratégique de notre époque comme l’époque de la guerre impérialiste et de la révolution socialiste. À cette époque, caractérisée par la prédominance de l’économie mondiale et du capital financier ainsi que par de brusques changements dans la situation objective, le rôle de la direction révolutionnaire prenait une importance exceptionnelle. Par conséquent, la question d’une orientation stratégique et programmatique correcte de cette direction était décisive. Trotsky a résumé les principes internationalistes de base qui devaient sous-tendre l’orientation politique de l’Internationale comme suit :
Le programme international doit procéder directement d’une analyse des conditions et des tendances de l’économie mondiale et du système politique mondial pris dans son ensemble. ... À l’époque actuelle, beaucoup plus que par le passé, l’orientation nationale du prolétariat ne doit et ne peut découler que d’une orientation mondiale et non l’inverse. C’est là que réside la différence fondamentale et primordiale entre l’internationalisme communiste et toutes les variétés de socialisme national. [12]
Par hasard, James P. Cannon, qui assistait au Congrès du Komintern à Moscou à l’été 1928 en tant que délégué du Parti communiste américain, eut accès à une copie de ce document, l’étudia et l’emporta clandestinement vers les États-Unis. Cela a marqué l’émergence du mouvement trotskiste américain et le début du travail systématique de l’Opposition de gauche internationale.
Malgré les trahisons du stalinisme et la répression de plus en plus violente envers l’Opposition de gauche, Trotsky a insisté tout au long de cette période sur le fait que l’opposition devait s’orienter vers une réforme du parti soviétique et du Komintern. Ce cours n’a été modifié qu’en réponse à l’une des plus grandes catastrophes politiques du XXe siècle : l’arrivée au pouvoir d’Hitler en Allemagne.
Partie 2 : 1933 et la lutte contre le fascisme et la traîtrise du Front populaire en France et en Espagne
Le rôle fatal joué par le KPD [Parti communiste allemand] et l’ensemble du Komintern dans la « catastrophe allemande » a rendu nécessaire de commencer à construire une nouvelle Internationale, la Quatrième Internationale. Cette réorientation n’était pas une réaction subjective aux événements dramatiques, mais reposait sur une analyse objective de l’évolution historique et du rôle du stalinisme.
Ce fut le refus du KPD de se battre pour une politique de front unique qui unirait la classe ouvrière sous la direction du KPD dans la lutte pour le pouvoir qui a conduit à la catastrophe allemande.
Bien sûr, Hobsbawm dénoncerait cela comme de la « spéculation », mais il ne fait aucun doute qu’Hitler aurait pu être arrêté. Avec 6 millions de travailleurs socialistes et communistes, l’Allemagne avait le plus grand mouvement ouvrier organisé au monde, qui avait prouvé sa volonté de se battre plus d’une fois et avait une riche histoire marxiste. Les travailleurs étaient prêts à s’opposer à Hitler. Lors des dernières élections raisonnablement libres de novembre 1932, les deux principaux partis de la classe ouvrière, les sociaux-démocrates (SPD) et le Parti communiste ont remporté ensemble 37,3 pour cent, bien plus de voix que le NSDAP d’Hitler (33,1 %). Et les élections officielles n’étaient qu’un pâle reflet du rapport de force réel.
Mais au lieu d’unifier la classe ouvrière sur la base d’une perspective révolutionnaire contre le fascisme, le KPD adopta une ligne d’ultragauche, assimilant la social-démocratie au fascisme, divisant et désorientant ainsi la classe ouvrière et jetant de larges pans de la petite-bourgeoisie dans les bras d’Hitler et sa démagogie fasciste. Ce faisant, le KPD a non seulement rejeté toute collaboration avec le SPD contre le danger fasciste, dans certains cas, il a même fait cause commune avec les nazis – peut-être le plus tristement célèbre étant lorsqu’il a soutenu le « référendum rouge » lancé par le NSDAP en 1931 pour renverser le gouvernement dirigé par le SPD dans le Land allemand de Prusse.
Pour expliquer les objectifs politiques et la signification de la politique du front unique, Trotsky a écrit en mai 1933 :
Aucune politique du Parti communiste n’aurait pu, bien entendu, transformer la social-démocratie en un parti de la révolution. Mais ce n’était pas non plus le but. Il fallait exploiter jusqu’au bout la contradiction entre réformisme et fascisme: pour affaiblir le fascisme, et affaiblir en même temps le réformisme en révélant aux ouvriers l’incapacité de la direction sociale-démocrate. Ces deux tâches fusionnaient naturellement en une seule. La politique de la bureaucratie du Komintern aboutit au résultat inverse : la capitulation des réformistes servait les intérêts du fascisme et non du communisme ; les ouvriers sociaux-démocrates restèrent avec leurs chefs ; les ouvriers communistes ont perdu confiance en eux-mêmes et dans la direction. [13]
Le Komintern a non seulement mis en œuvre des politiques qui ont ouvert la voie à Hitler au pouvoir, mais elle a également interdit toute discussion critique des événements. Cela signifiait que la Troisième Internationale était historiquement épuisée en tant qu’organisation révolutionnaire de la classe ouvrière. Le stalinisme, soulignait Trotsky, comme la social-démocratie en 1914, était finalement passé dans le camp de la contre-révolution bourgeoise.
Les conclusions politiques nécessaires devaient être tirées. Désormais, la perspective de rechercher une réforme des partis communistes et de l’Internationale communiste n’avait plus aucun sens. Comme le note David North dans Léon Trotsky et le développement du marxisme, « l’accumulation quantitative des trahisons politiques avait produit une transformation qualitative du stalinisme lui-même. Il était passé du centrisme bureaucratique à la contre-révolution consciente ». [14]
Trotsky a écrit sur le « changement d’orientation » dans son important article programmatique « Pour construire des partis communistes et une nouvelle internationale » :
Le plus dangereux en politique, c’est de se laisser enfermer dans sa propre formule qui hier convenait, mais qui est aujourd’hui dénuée de tout contenu. […] Une organisation qui n’a pas été réveillée par le tonnerre du fascisme et qui se soumet docilement à des actes aussi scandaleux que de ceux de la bureaucratie démontre ainsi qu’elle est morte et que rien ne pourra jamais la ranimer. Le dire ouvertement et publiquement est notre devoir direct envers le prolétariat et son avenir. Dans tous nos travaux ultérieurs, il est nécessaire de prendre comme point de départ l’effondrement historique de l’Internationale communiste officielle. [15]
Au centre du travail de Trotsky se trouvait la clarification de la situation politique et historique et des tâches qui en découlaient. Ce n’est que sur cette base que le développement de l’Opposition de gauche en tant que nouvelle direction politique de la classe ouvrière allait pouvoir progresser. Le développement d’un cadre n’est « pas simplement un problème organisationnel, c’est un problème politique : les cadres sont formés sur la base d’une perspective définie », a-t-il expliqué dans « KPD ou Nouveau Parti ».
Réchauffer à nouveau le mot d’ordre de la réforme du parti, c’est se fixer sciemment un but utopique et pousser ainsi nos propres cadres vers de nouvelles déceptions toujours plus vives. Avec un tel cours, l’Opposition de gauche ne deviendrait que l’appendice d’un parti en décomposition et disparaîtrait de la scène avec lui. [16]
Alors que la bureaucratie stalinienne en Union soviétique et le Komintern stalinisé agissaient de plus en plus ouvertement en tant qu’opposants à la révolution, la politique de Trotsky était orientée vers le développement de la lutte des classes internationale et de la révolution socialiste mondiale. Trotsky était soucieux d’élaborer une ligne politique correcte pour élever la conscience de la classe ouvrière et l’aligner sur les exigences de la situation historique.
Toute l’expérience historique démontre que le fascisme ne peut être combattu que par la mobilisation indépendante de la classe ouvrière contre le capitalisme. Le fascisme n’est pas simplement une politique erronée ou mauvaise, mais la réponse de la classe dirigeante à la crise du système capitaliste. Comme Trotsky a écrit en janvier 1932 dans « What Next? » : « Le régime fasciste voit son tour arriver lorsque les moyens “normaux”, militaires et policiers de la dictature bourgeoise, avec leur couverture parlementaire, ne suffisent pas pour maintenir la société en équilibre. » [17]
En Allemagne, le 24 mars 1933, tous les partis bourgeois sans exception ont voté la loi d’habilitation d’Hitler, jetant ainsi les bases « légales » de l’instauration de la dictature nazie. Ce faisant, la classe capitaliste allemande poursuivait deux objectifs interdépendants : premièrement, écraser le mouvement ouvrier et, deuxièmement, préparer une autre guerre impérialiste après la catastrophe de la Première Guerre mondiale.
Trotsky a précisé sa pensée à ce sujet dans « Qu’est-ce que le national-socialisme ? » :
La concentration forcée de toutes les forces et moyens du peuple dans l’intérêt de l’impérialisme, qui est la véritable mission historique de la dictature fasciste, implique la préparation de la guerre ; ce but, à son tour, ne tolère aucune résistance intérieure et conduit à une concentration mécanique ultérieure du pouvoir. Il est impossible de réformer le fascisme ou de lui donner son congé. On ne peut que le renverser. L’orbite politique du régime des nazis bute contre l’alternative : la guerre ou la révolution. [18]
En réponse à la victoire des nazis en Allemagne, l’opposition au capitalisme et au fascisme s’est énormément développée dans la classe ouvrière à travers l’Europe. Mais les offensives révolutionnaires de la classe ouvrière en France et en Espagne se sont également soldées par une défaite. La raison de ces défaites était la politique de « front populaire » du Komintern, c’est-à-dire une alliance des partis communistes stalinisés non seulement avec les partis sociaux-démocrates et les syndicats, mais aussi avec les principaux partis capitalistes. Idéologiquement, cette alliance était justifiée par les staliniens avec l’argument qu’il s’agissait de défendre la démocratie contre le fascisme. Mais, essentiellement, il s’agissait de la défense des intérêts capitalistes contre les aspirations révolutionnaires des travailleurs.
Trotsky a combattu la position selon laquelle, dans la lutte contre le fascisme, la classe ouvrière doit soutenir l’aile prétendument démocratique de la bourgeoisie – ou, comme dirait la pseudo-gauche d’aujourd’hui, le « moindre mal ». Il l’a fait du point de vue de la clarification des questions politiques centrales et des tâches auxquelles la classe ouvrière était confrontée.
Trotsky a écrit dans « Les leçons de l’Espagne : le dernier avertissement » :
Le fascisme, c’est la réaction, non féodale, mais bourgeoise : que, contre cette réaction bourgeoise, on ne puisse lutter avec succès que par les forces et les méthodes de la révolution prolétarienne, c’est là une motion que le menchévisme, lui-même rameau de la pensée bourgeoise, ne veut ni ne peut faire sienne.
Le point de vue bolchevik, exprimé seulement aujourd’hui par la jeune section de la IVe Internationale, procède de la théorie de la révolution permanente, à savoir que même des tâches purement démocratiques, telles que la liquidation de la propriété foncière semi-féodale, ne peuvent être résolues sans la conquête du pouvoir par le prolétariat ; cela, à son tour, met à l’ordre du jour la révolution socialiste. [19]
Trotsky a développé la perspective révolutionnaire et la direction nécessaires pour la classe ouvrière dans une polémique constante contre les tendances politiques centristes, qui cherchaient à trouver une voie médiane entre les partis staliniens et le mouvement trotskiste, c’est-à-dire entre la politique réformiste et révolutionnaire.
Dans son article « Le centrisme et la Quatrième Internationale », Trotsky a expliqué les caractéristiques les plus importantes du centrisme en tant que tendance politique : « Théoriquement, le centrisme est amorphe et éclectique ; il élude autant que possible les obligations théoriques et incline (en paroles) à privilégier la “pratique révolutionnaire” sur la théorie, sans comprendre que seule la théorie marxiste peut donner une direction révolutionnaire à la pratique. » Un centriste considère avec haine le principe révolutionnaire : « Dire les faits », et incline à « substituer à une politique de principe la manœuvre personnelle et la petite diplomatie organisationnelle ». Ses « tergiversations du centriste dissimulent fréquemment en référence au danger du “sectarisme”, par lequel il ne comprend pas la passivité propagandiste abstraite […], mais un souci actif de la pureté des principes, de la clarté de la position, de la cohérence politique, de la complétude organisationnelle ». Et il ne comprend pas « qu’à l’époque actuelle un parti révolutionnaire national ne puisse se construire que comme partie d’un parti international ». [20]
Les socialistes et les staliniens n’auraient pas pu étrangler l’offensive révolutionnaire de la classe ouvrière espagnole sans l’aide des anarcho-syndicalistes et du POUM centriste. Ces derniers formaient l’aile gauche du Front populaire et rejoignirent le gouvernement au moment crucial, préparant la voie à la contre-révolution. En 1937, Trotsky a conclu dans son article « Les leçons de l’Espagne : le dernier avertissement » que : « En dépit de ses intentions, le P.O.U.M. s’est trouvé être, en fin de compte, le principal obstacle sur la voie de la construction d’un parti révolutionnaire ». Il résume ainsi les enseignements du rôle du POUM :
Le problème de la révolution doit être pénétré jusqu’au fond, jusqu’à ses dernières conséquences concrètes. Il faut conformer la politique aux lois fondamentales de la révolution, c’est-à-dire au mouvement des classes en lutte, et non aux craintes et aux préjugés superficiels des groupes petits-bourgeois qui s’intitulent Front populaire et un tas d’autres choses. La ligne de moindre résistance s’avère, dans la révolution, la ligne de la pire faillite. La peur de s’isoler de la bourgeoisie conduit à s’isoler des masses. L’adaptation aux préjugés conservateurs de l’aristocratie ouvrière signifie la trahison des ouvriers et de la révolution. L’excès de prudence est l’imprudence la plus funeste. Telle est la principale leçon de l’effondrement de l’organisation politique la plus honnête de l’Espagne, le P.O.U.M., parti centriste. Les troupes du Bureau de Londres ne veulent ou ne savent manifestement pas tirer les conclusions nécessaires du dernier avertissement de l’Histoire. Par là même, ils se vouent eux-mêmes à leur perte. [21]
Les leçons tirées de l’expérience de la politique du Front populaire en France ont également été au cœur du développement de la Quatrième Internationale. Des écrits comme Où va la France sont des fondements essentiels de notre mouvement. Ils éclairent surtout l’importance cruciale du facteur subjectif dans une situation révolutionnaire qui se développe objectivement. Trotsky polémiqua vivement contre l’attitude des staliniens, qui remplaçaient « la théorie de l’action révolutionnaire par une religion du fatalisme » et justifiaient leur orientation vers la bourgeoisie en affirmant que la situation n’était « pas révolutionnaire ». Trotsky écrivait :
Le diagnostic de l’Internationale communiste est radicalement faux. La situation est révolutionnaire autant qu’elle peut être révolutionnaire avec la politique non révolutionnaire des partis ouvriers. Le plus exact est de dire que la situation est prérévolutionnaire. Pour que cette situation mûrisse, il faut une mobilisation immédiate, hardie et inlassable des masses sous les mots d’ordre de conquête du pouvoir au nom du socialisme. C’est à cette seule condition que la situation prérévolutionnaire se changera en situation révolutionnaire. Dans le cas contraire c’est-à-dire si on continue à piétiner sur place, la situation prérévolutionnaire se changera infailliblement en situation contre-révolutionnaire et amènera la victoire du fascisme. [22]
Trotsky a souligné le rôle crucial de la préparation politique dans le développement de la révolution, expliquant en quoi elle consiste :
C’est dans la cohésion révolutionnaire des masses, dans leur affranchissement des serviles espoirs en la clémence, la générosité, la loyauté des esclavagistes « démocratiques », dans l’éducation de cadres révolutionnaires sachant braver l’opinion publique officielle et capables de montrer à l’égard de la bourgeoisie ne fût-ce que le dixième de l’implacabilité que la bourgeoisie montre à l’égard des travailleurs.
À l’affirmation des staliniens selon laquelle la « crise finale du système capitaliste » n’a pas encore commencé, Trotsky a répondu :
Le révolutionnaire prolétarien doit avant tout comprendre que le marxisme, seule théorie scientifique de la révolution prolétarienne, n’a rien de commun avec l’attente fataliste de la « dernière » crise. Le marxisme est par son essence même une direction pour l’action révolutionnaire. Le marxisme n’ignore pas la volonté et le courage, mais les aide à trouver la voie juste. [24]
Il a poursuivi :
Il n’y a aucune crise qui d’elle-même puisse être « mortelle » pour le capitalisme. Les oscillations de la conjoncture créent seulement une situation dans laquelle il sera plus facile ou plus difficile au prolétariat de renverser le capitalisme. Le passage de la société bourgeoise à la société socialiste présuppose l’activité de gens vivants, qui font leur propre histoire. Ils ne la font pas au hasard ni selon leur bon plaisir, mais sous l’influence de causes objectives déterminées. Cependant, leurs propres actions – leur initiative, leur audace, leur dévouement ou, au contraire, leur sottise et leur lâcheté – entrent comme des maillons nécessaires dans la chaîne du développement historique. [25]
Ces questions sont d’une actualité brûlante aujourd’hui. Dans des conditions où les luttes révolutionnaires de la classe ouvrière commencent à émerger, les organisations de la pseudo-gauche d’aujourd’hui insistent une fois de plus sur le fait que la situation n’est « pas révolutionnaire » et que les travailleurs n’ont donc pas besoin d’une perspective et d’une direction socialistes révolutionnaires, mais doivent plutôt limiter leurs actions au cadre existant de la politique capitaliste bourgeoise.
Contrairement aux partis sociaux-démocrates et staliniens des années 1930, elles n’ont pas de base de masse dans la classe ouvrière et ne peuvent en aucun cas être désignées d’organisations ouvrières. Cependant, le contenu de classe essentiel et l’orientation politique de ces politiques du Front populaire sont les mêmes. Alors que la classe dirigeante dans son ensemble se tourne de plus en plus vers le fascisme et la dictature, les organisations de la pseudo-gauche déclarent que la classe ouvrière doit soutenir les représentants prétendument plus « démocratiques » de la bourgeoisie. Ils font donc eux-mêmes partie de la conspiration contre-révolutionnaire de droite contre la classe ouvrière.
Seul le CIQI fonde sa politique sur les leçons des années 1930. Aujourd’hui comme alors, la lutte contre le fascisme et la guerre exige la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière, qui doit être unie internationalement sur la base de ses intérêts de classe communs, contre le capitalisme et ses défenseurs politiques et pour le socialisme. La question de la direction politique est décisive et ne peut être résolue qu’à partir d’une prise de conscience des expériences contre-révolutionnaires des années 1930 et surtout de la nature du stalinisme.
Partie 3 : Le génocide politique en URSS et le rôle contre-révolutionnaire du stalinisme
Alors que la bureaucratie étranglait les luttes révolutionnaires de la classe ouvrière en Europe, elle s’est lancée dans une campagne d’assassinats massifs de révolutionnaires à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de l’URSS. Le 19 août 1936, le premier des trois parodies de procès a commencé à Moscou. Dans ces procès, les dirigeants les plus éminents de la révolution d’Octobre, dont beaucoup étaient des partisans de l’opposition, ont été accusés d’« activités contre-révolutionnaires ». Contraints de faire de faux aveux, ils furent traînés dans la boue en public, avant d’être exécutés. Les principaux accusés étaient Léon Trotsky et son fils et proche collaborateur Lev Sedov. Trotsky répondit aux procès en lançant la Commission Dewey indépendante. Voici comment Trotsky parlait des procès en janvier 1937 dans un bref discours où il annonçait la création de cette Commission.
La Commission Dewey a déclaré Trotsky et tous les autres accusés des procès « non coupables ».
Lorsque nous parlons de la terreur, nous utilisons le terme « génocide politique ». Ce n’est pas simplement une tentative d’exprimer une indignation morale. Le terme a une signification politique et historique bien précise. Ce qui s’est passé dans la seconde moitié des années 1930 et au début des années 1940 était une tentative systématique et ciblée de détruire physiquement les porteurs de la culture marxiste et socialiste qui avaient formé la base du développement du mouvement ouvrier international pendant toute une période historique. Comme Trotsky l’a expliqué, avec cet acte de meurtre de masse :
La couche dirigeante éjecte de son sein tous ceux qui lui rappellent son passé révolutionnaire, les principes du socialisme, de la liberté, de l’égalité, de la fraternité et les tâches non résolues de la révolution mondiale. La bestialité des répressions témoigne de la haine que la caste privilégiée porte aux révolutionnaires. [26]
Cette campagne d’assassinats de masses de révolutionnaires soviétiques a été complétée par l’anéantissement physique de grandes parties de l’Internationale communiste, y compris la plupart des membres du Parti communiste polonais. Sur le plan international, il a été complété par des assassinats de révolutionnaires en Espagne.
Il serait incorrect d’affirmer que la terreur, qui a entraîné le meurtre d’au moins un million de personnes et l’arrestation et l’emprisonnement de bien d’autres, n’a touché que les socialistes et les trotskistes. Mais c’est un fait historique documenté que les ouvriers et les intellectuels révolutionnaires engagés et, surtout, les trotskistes étaient ses principales cibles. Les milliers de révolutionnaires qui avaient signé des documents de l’opposition dans les années 1920 ont été systématiquement traqués, arrêtés et exécutés. Parmi eux se trouvaient des centaines de trotskistes dont les noms et les œuvres sont largement inconnus à ce jour, mais qui n’ont jamais capitulé devant le stalinisme et ont poursuivi la lutte pour le socialisme jusqu’aux jours mêmes de leur exécution. Dans de nombreux cas, leurs familles, y compris leurs enfants mineurs, ont également été arrêtées et assassinées.
Par exemple, sur cette image, vous pouvez voir en bas à gauche, la couverture d’une de ces listes d’exécutions. Elle a été signée par plusieurs membres du Politburo, dont Staline, Molotov, Kaganovitch et Vorochilov.
Cette image montre une page d’une telle liste d’exécutions. Celle-ci comptait plusieurs bolcheviks de premier plan et d’anciens opposants, dont Mikhail Boguslavsky.
Cette liste est un aperçu du nombre total d’individus qui ont été condamnés à mort ou à la prison sur la base de ces listes d’exécution entre le 7 septembre 1937 et le 3 mai 1938. Elle montre que, par exemple, le 3 janvier 1938, 2771 personnes en tout ont été « condamnées » de cette manière. Parmi ceux-ci, 2548 ont été exécutés et 223 ont été emprisonnés.
Il y a eu une persécution très ciblée des membres actifs et anciens de l’Opposition de gauche. Les services secrets ont compilé des listes détaillées des signataires des plates-formes de l’Opposition dans les années 1920, indiquant leurs noms, date de naissance, lieux d’occupation et années d’adhésion au parti. Pour ne citer qu’une des personnalités les plus remarquables, mais méconnues qui ont été assassinées : Boris Eltsine était le secrétaire général de l’Opposition en 1928-1929 et l’une des figures les plus marquantes de l’histoire du mouvement ouvrier russe. Il avait rejoint le mouvement en 1897, donc avant même la fondation du Parti social-démocrate russe (en 1898).
Il participa aux trois révolutions russes, et non seulement lui, mais aussi ses trois enfants devinrent des combattants de l’Opposition. La façon dont il a été assassiné est typique de ceux qui n’ont jamais capitulé. Après son arrestation, il a mené une grève de la faim dans un camp, même s’il avait alors la soixantaine et était en très mauvaise santé. Lui et d’autres meneurs de grèves furent exécutés en novembre 1937. Son fils, Viktor Eltsine, était un ancien secrétaire de Trotsky et aussi un opposant de premier plan. Il fut assassiné à peine quatre mois plus tard, avec une centaine de trotskistes, après avoir également mené une grève de la faim dans un autre camp, à Vorkouta. Je tiens à souligner que ces grèves de la faim n’étaient pas un signe de désespoir, mais un acte de défi : c’était le seul moyen laissé aux trotskistes en Union soviétique de montrer qu’ils restaient des opposants inflexibles au stalinisme et des combattants de la cause de la classe ouvrière.
Cette image donne une idée de l’ampleur de la terreur et de la mesure dans laquelle elle n’a pas été vraiment assimilée dans l’ex-Union soviétique. C’est le site d’exécution le plus important de la terreur, en dehors de Moscou. Une grande partie du gouvernement soviétique et des dirigeants bolcheviks ont été exécutés et enterrés ici. Les travaux de fouilles n’ont commencé que bien après 1991 et ne se sont achevés qu’en 2021, juste avant le début de la guerre. Il existe de nombreux autres sites d’exécutions de ce type, dont beaucoup où il n’y a pas de monuments commémoratifs et où il n’y a pas eu de travaux de fouilles, 85 ans après le paroxysme de la terreur.
Le meurtre de masse des trotskistes avait une portée internationale. Plusieurs des dirigeants les plus importants du mouvement trotskiste en Europe, parmi lesquels figuraient Erwin Wolf, Rudolf Klement et le fils de Trotsky, Lev Sedov, ont été assassinés. Cette campagne de meurtres de masse a culminé avec le crime politique du siècle : l’assassinat en août 1940 de Léon Trotsky au Mexique par un agent stalinien.
Les séquelles de ce génocide politique se sont fait sentir tout au long du 20e siècle et, en fait, se font sentir encore aujourd’hui. En 1937, au plus fort de la terreur, Léon Trotsky résume l’impact dévastateur du stalinisme sur la conscience de la classe ouvrière. Il a écrit : « Personne, sans exclure Hitler, n’a porté au socialisme des coups aussi meurtriers que Staline. » Trotsky avait prédit :
[L]’histoire ne pardonnera pas une seule goutte de sang versé en sacrifice au nouveau Moloch de la volonté personnelle et des privilèges. … La révolution ouvrira tous les compartiments secrets, passera en revue tous les procès, réhabilitera les calomniés, élèvera des mémoriaux aux victimes de l’impudicité et couvrira d’une infamie éternelle les noms des bourreaux. Staline quittera la scène, accablé de tous les crimes qu’il a commis, non seulement en tant que fossoyeur de la révolution, mais en tant que figure la plus sinistre de l’histoire de l’humanité. [27]
Malgré la brutalité et l’ampleur historique des crimes du stalinisme, Trotsky n’a jamais adopté une approche subjective du rôle de Joseph Staline en tant qu’individu ou de la bureaucratie soviétique plus largement. Le rôle monstrueux de Staline ne pouvait être compris qu’à partir des forces sociales dont il représentait les intérêts.
À peine deux semaines avant le début du premier procès de Moscou, Trotsky avait terminé le manuscrit de sa Révolution trahie. Ce travail s’est avéré fondamental pour l’orientation historique et programmatique de la Quatrième Internationale. Contrairement aux réponses impressionnistes à la montée du stalinisme par les radicaux démoralisés de la classe moyenne, Trotsky a soumis la dégénérescence bureaucratique de l’Union soviétique à une analyse matérialiste scientifique et historique.
Les conditions d’isolement international et de retard économique auxquelles était confronté l’État ouvrier après 1917 avaient donné naissance à une bureaucratie qui avait usurpé le pouvoir politique du prolétariat et jouissait de vastes privilèges sociaux. Sociologiquement, la position de cette bureaucratie était celle d’une caste privilégiée, non celle d’une classe sociale. Contrairement à la position socio-économique de la bourgeoisie, les privilèges de la bureaucratie n’étaient pas enracinés dans la propriété privée des moyens de production. Au contraire, ils étaient basés sur l’usurpation politique du pouvoir par la bureaucratie aux dépens de la classe ouvrière dans l’État qui, à la suite de la révolution d’Octobre, contrôlait les moyens de production.
Rejetant l’utilisation simpliste et anhistorique de catégories comme « socialisme » et « capitalisme », Trotsky a expliqué que l’Union soviétique était une « société en transition » dont le sort n’avait pas encore été déterminé par l’histoire. Il a écrit :
En tant que force politique consciente, la bureaucratie a trahi la révolution. Mais la révolution victorieuse, fort heureusement, n’est pas seulement un programme, un drapeau, un ensemble d’institutions politiques, c’est aussi un système de rapports sociaux. Il ne suffit pas de la trahir, il faut encore la renverser. Ses dirigeants ont trahi la révolution d’Octobre, mais ne l’ont pas encore renversée. La révolution a une grande capacité de résistance, qui coïncide avec les nouveaux rapports de propriété, avec la force vive du prolétariat, avec la conscience de ses meilleurs éléments, avec la situation sans issue du capitalisme mondial, avec l’inéluctabilité de la révolution mondiale. [28]
L’Union soviétique resta un État ouvrier, même s’il subissait une grave dégénérescence bureaucratique. Au sein de cet État ouvrier et du mouvement ouvrier plus largement, la bureaucratie stalinienne fonctionnait comme une agence contre-révolutionnaire de l’impérialisme. Dans ces conditions, le seul moyen pour la classe ouvrière de défendre les conquêtes de la révolution d’Octobre, a conclu Trotsky, était de renverser la bureaucratie dans une révolution politique dans le cadre d’une lutte pour étendre la révolution au niveau international. En l’absence d’une telle révolution politique, a-t-il averti, un « retour au capitalisme est tout à fait possible ».
En effet, un demi-siècle avant que la bureaucratie soviétique ne se mette à restaurer le capitalisme en 1985, Trotsky a reconnu que la transformation de la bureaucratie en une nouvelle classe possédante et sa destruction de l’État soviétique était l’une des voies possibles du développement. Cependant, la restauration capitaliste n’était pas gagnée d’avance. « En dernière analyse », écrivait Trotsky, « la question sera tranchée par une lutte de forces sociales vivantes, tant sur la scène nationale que mondiale ».
Cette position scientifiquement fondée a historiquement distingué le CIQI de toutes les tendances petites-bourgeoises se disant « socialistes », voire « trotskistes ». Les pablistes et les capitalistes d’État, bien que de manières différentes, attribuaient à la bureaucratie soviétique un rôle qu’elle ne possédait pas. Les capitalistes d’État ont proclamé que la bureaucratie était une nouvelle classe dirigeante. Les pablistes, pour leur part, attribuaient à la bureaucratie un rôle révolutionnaire, prétendant qu’elle pourrait être poussée à « réaliser » le socialisme en URSS en se « réformant elle-même ».
Bien qu’elles arrivaient à des conclusions apparemment opposées, ces deux positions étaient finalement enracinées dans les intérêts sociaux des couches petites-bourgeoises qui rejetaient la perspective de la révolution d’Octobre et écartaient la classe ouvrière en tant que force révolutionnaire. Elles étaient également liées à une minimisation ou à un déni pur et simple du rôle contre-révolutionnaire du stalinisme et à la dissimulation de ses pires crimes.
Le rôle des pablistes en tant que complices historiques du stalinisme et de l’impérialisme a été démontré de manière irréfutable dans leur opposition violente à l’enquête menée par le Comité international sur l’assassinat de Léon Trotsky. Et les dirigeants des adhérents actuels du capitalisme d’État aux États-Unis, les Socialistes démocrates d’Amérique, célèbrent ouvertement l’assassinat stalinien de Trotsky.
Tout au long de l’histoire entière de la Quatrième Internationale, la lutte contre l’opportunisme national et le révisionnisme a essentiellement impliqué une mise à nu des crimes du stalinisme et une défense de l’analyse scientifique de Trotsky sur la trahison stalinienne d’Octobre. Sur la base de cette analyse, le CIQI a pu anticiper et développer une lutte contre la restauration du capitalisme par la bureaucratie stalinienne en 1985-1991. Contrairement à une panoplie de forces petites-bourgeoises de l’ex-gauche, la réponse du mouvement trotskiste à l’effondrement éventuel du stalinisme et à la destruction de l’État ouvrier n’a pas été un renoncement à la perspective du socialisme.
Au contraire. Le CIQI a répondu à 1991 en développant, en collaboration avec l’historien soviétique Vadim Rogovine, une campagne concertée pour découvrir et défendre la vérité historique sur la lutte de l’Opposition de gauche contre le stalinisme et toute l’histoire du mouvement trotskiste. Le lancement de cette campagne était une décision stratégique : nous avons reconnu que la lutte pour la vérité historique devait être le fondement de la renaissance de la conscience marxiste et d’une culture socialiste dans la classe ouvrière et la formation de nouvelles générations de révolutionnaires. Les travaux produits par le CIQI à la suite de cette initiative comprennent plusieurs volumes ainsi que des centaines, voire des milliers, d’articles sur le World Socialist Web Site.
Le travail qui a été et est encore mené par le CIQI à cet égard souligne, avant tout, l’extraordinaire prescience et la portée historique du combat de Trotsky pour la Quatrième Internationale. Comme David North l’a noté dans son discours d’août 1987, « Trotskisme contre stalinisme », en fondant la Quatrième Internationale au milieu de la campagne de meurtres de masse par la bureaucratie stalinienne, Trotsky « a réussi à assurer la continuité historique du marxisme, à léguer aux générations futures de la classe ouvrière un parti mondial qui incarne le grand héritage théorique et la vaste expérience pratique du mouvement ouvrier international ». [29]
Partie 4 : La fondation de la Quatrième Internationale et la lutte contre la guerre impérialiste
Dans Léon Trotsky et le développement du marxisme, David North déclare que la fondation de la Quatrième Internationale en septembre 1938 « a représenté le point culminant de la vie de Léon Trotsky en tant que marxiste et révolutionnaire prolétarien ». [30]
Ce fut aussi la propre évaluation de Trotsky. Le 25 mars 1935, il nota dans son journal :
L’effondrement de deux Internationales a posé un problème qu’aucun des chefs de ces Internationales n’est le moins du monde apte à traiter. Les particularités de mon destin personnel m’ont placé face à ce problème, armé de pied en cap d’une sérieuse expérience. Munir d’une méthode révolutionnaire la nouvelle génération, par-dessus la tête des chefs de la Deuxième et de la Troisième Internationale, c’est une tâche qui n’a pas, hormis moi, d’homme capable de la remplir. [31]
L’élément peut-être le plus critique de la « méthode révolutionnaire » est que le marxisme doit être apporté à la classe ouvrière et que la direction révolutionnaire n’est pas le produit d’un processus inconscient et spontané. La première phrase du programme adopté lors de la conférence fondatrice de la Quatrième Internationale à Paris en 1938, intitulée L’agonie du capitalisme et les tâches de la Quatrième Internationale, résume cette question dans tout son sens et sa profondeur : « La situation politique mondiale dans son ensemble se caractérise avant tout par la crise historique de la direction du prolétariat ». [32]
David North commente cela dans Leon Trotsky and the Struggle for Socialism in the Twenty-First Century :
Avec ces mots, Trotsky résumait non seulement la situation telle qu’elle existait en 1938, mais aussi le problème politique central de l’histoire moderne. Les conditions préalables objectives – c’est-à-dire le développement international des forces productives, l’existence de la classe révolutionnaire – pour le remplacement du capitalisme par le socialisme étaient réunies. Mais la révolution n’était pas simplement le résultat automatique de conditions économiques objectives. Cela exigeait l’intervention politiquement consciente de la classe ouvrière dans le processus historique, basée sur un programme socialiste et armée d’un plan stratégique clairement élaboré. La politique révolutionnaire de la classe ouvrière ne pouvait pas être moins consciente que la politique contre-révolutionnaire de la classe capitaliste qu’elle cherchait à renverser. C’est là que réside la signification historique du parti révolutionnaire. [33]
La fondation de la Quatrième Internationale était basée sur des considérations scientifiques et fondées sur des principes. Elle s’enracinait dans une nécessité historique et l’exprimait. Dans l’introduction du Programme de transition, Trotsky déclare que les conditions préalables objectives d’une révolution socialiste « ont déjà en général atteint le point de maturité le plus élevé qui puisse être atteint sous le capitalisme ».
Les forces productives de l’humanité ont cessé de croître. Les nouvelles inventions et les nouveaux progrès techniques ne conduisent plus à un accroissement de la richesse matérielle. Les crises conjoncturelles, dans les conditions de la crise sociale de tout le système capitaliste, accablent les masses de privations et de souffrances toujours plus grandes. La croissance du chômage approfondit, à son tour, la crise financière de l’État et sape les systèmes monétaires ébranlés. Les gouvernements, tant démocratiques que fascistes, vont d’une banqueroute à l’autre… Bien entendu, la bourgeoisie se rend compte du danger mortel qu’une nouvelle guerre représente pour sa domination. Mais elle est actuellement infiniment moins capable de prévenir la guerre qu’à la veille de 1914. [34]
Les bavardages de toutes sortes selon lesquels les conditions historiques ne seraient pas encore « mûres » pour le socialisme ne sont que le produit de l’ignorance ou d’une tromperie consciente. Les prémisses objectives de la révolution prolétarienne ne sont pas seulement mûres ; elles ont même commencé à pourrir. Sans révolution socialiste, et cela dans la prochaine période historique, la civilisation humaine tout entière est menacée d’être emportée dans une catastrophe. Tout dépend du prolétariat, c’est-à-dire au premier chef de son avant-garde révolutionnaire. La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire. [35]
Avec cela, Trotsky a également polémiqué contre les tendances centristes qui, utilisant toutes sortes d’arguments subjectifs, ont rejeté la fondation de la Quatrième Internationale. Alors que les centristes prétendaient être d’accord avec l’analyse de Trotsky du stalinisme et de sa perspective politique, ils considéraient la fondation de la Quatrième Internationale comme prématurée ou futile, ou les deux. L’un de leurs principaux arguments était que le mouvement trotskiste était trop petit et trop isolé pour « proclamer » une nouvelle Internationale. Un nouveau parti ne pouvait émerger que de « grands événements ».
Trotsky a répondu :
La IVe Internationale est déjà surgie de grands événements : les plus grandes défaites du prolétariat dans l’Histoire. La cause de ces défaites, c’est la dégénérescence et la trahison de la vieille direction. La lutte des classes ne tolère pas d’interruption. La Troisième Internationale, après la Deuxième, est morte pour la révolution. Vive la IVe Internationale !
Mais les sceptiques ne se taisent pas : « Est-ce déjà le moment de la proclamer maintenant ? » La IVe Internationale, répondons-nous, n’a pas besoin d’être « proclamée ». Elle existe et elle lutte. Elle est faible ? Oui, ses rangs sont encore peu nombreux, car elle est encore jeune. Ce sont, jusqu’à maintenant, surtout des cadres. Mais ces cadres sont le seul gage de l’avenir. En dehors de ces cadres, il n’existe pas, sur cette planète, un seul courant révolutionnaire qui mérite réellement ce nom. Si notre Internationale est encore faible en nombre, elle est forte par la doctrine, le programme, la tradition, la trempe incomparable de ses cadres. Que celui qui ne voit pas cela aujourd’hui reste à l’écart. Demain, ce sera plus visible. [36]
Comme le Parti de l’égalité socialiste l’affirme dans ses fondements historiques, l’histoire du XXe siècle « allait prouver la justesse de l’évaluation de la Quatrième Internationale comme la seule direction véritablement révolutionnaire ». [37] La tâche décisive de notre époque est de combler le fossé entre la maturité de la situation objective et la maturité politique de la classe ouvrière et de son avant-garde.
Pour atteindre cet objectif stratégique, le programme de transition avait développé un certain nombre de revendications économiques et politiques : une échelle mobile des salaires, la nationalisation de l’industrie, des banques et de l’agriculture, l’armement du prolétariat, la formation d’un gouvernement ouvrier et paysan. Ces revendications transitoires visaient à jeter un pont entre la conscience de la classe ouvrière et la tâche révolutionnaire ultime à laquelle elle était confrontée : la conquête du pouvoir par le prolétariat.
Les revendications avaient un objectif central : le développement de la conscience révolutionnaire de la classe ouvrière. Ils n’étaient pas du tout destinés à justifier des manœuvres opportunistes ou à s’adapter à la conscience existante des travailleurs. « Le programme doit exprimer les tâches objectives de la classe ouvrière plutôt que le retard des travailleurs », a souligné Trotsky. « Elle doit refléter la société telle qu’elle est et non le retard de la classe ouvrière. C’est un instrument pour surmonter et vaincre l’arriération. » [38]
C’est un fait historique que seul le mouvement trotskiste a compris le caractère de la Seconde Guerre mondiale et s’est battu pour armer la classe ouvrière d’une compréhension claire de la situation et du programme nécessaire pour opposer à la carte de la guerre de la bourgeoisie la carte de la lutte des classes pour la révolution prolétarienne mondiale. Il ne s’agissait pas d’avancer quelques slogans radicaux. Au contraire, cela exigeait la défense constante du marxisme et, sur cette base, le développement d’une direction et d’un cadre révolutionnaires.
Dans son essai « La dernière année de Trotsky », David North donne un aperçu puissant du travail intense de Trotsky et de la Quatrième Internationale immédiatement après sa fondation. La célèbre « dernière lutte » de Trotsky contre la faction minoritaire du Socialist Workers Party (SWP) américain dirigée par James Burnham, Max Shachtman et Martin Abern fut particulièrement significative. Ces derniers ont réagi à la signature du pacte Hitler-Staline en août 1939 en révoquant la désignation de l’Union soviétique comme État ouvrier dégénéré.
Il ne s’agissait pas simplement d’une question sémantique sur les mots à utiliser pour caractériser l’État soviétique. Comme l’écrit David North, le différend « a anticipé bon nombre des questions les plus difficiles de stratégie, de programme et de perspective révolutionnaires qui devaient se poser pendant et après la Seconde Guerre mondiale ». [39] En jeu se trouvaient les questions les plus fondamentales de perspective et de méthode : l’évaluation de l’époque comme époque de révolution socialiste, le rôle de la classe ouvrière comme force révolutionnaire capable de construire une société socialiste, le caractère de la révolution d’Octobre et celle de la bureaucratie soviétique, ainsi que la méthode marxiste. La bureaucratie était-elle une caste parasitaire dont le rôle dominant et réactionnaire résultait du retard et de l’isolement de l’Union soviétique et des défaites internationales de la classe ouvrière, ou était-ce une nouvelle classe exploiteuse dont le marxisme n’avait pas prévu l’émergence ?
Les positions de Burnham, Shachtman et Abern avaient essentiellement répudié la Révolution d’Octobre et l’ensemble du projet socialiste. Ils reflétaient et anticipaient un tournant brutal vers la droite de toute une couche de professeurs et d’intellectuels de la classe moyenne dont la principale conclusion des défaites de la classe ouvrière était que la classe ouvrière et le marxisme avaient échoué, et non que la direction avait trahi.
Dans son tout dernier article, La classe, le parti et la direction, Trotsky traitait précisément de cette question et caractérisait ceux qui cherchaient à décharger la défaite de la Révolution espagnole sur les masses laborieuses.
Cette philosophie de l’impuissance, qui cherche à faire accepter les défaites comme de nécessaires maillons dans la chaîne des développements cosmiques, est parfaitement incapable de poser, et se refuse à poser, la question du rôle des facteurs aussi concrets que les programmes, les partis, les personnalités qui furent les organisateurs de la défaite. Cette philosophie du fatalisme et de la prostration est diamétralement opposée au marxisme, théorie de l’action révolutionnaire. [40]
Dans des conditions de guerre et de trahisons commises par le stalinisme, ces « philosophes impuissants » se sont brusquement déplacés vers la droite et sont devenus une base nouvelle et éhontée de soutien au capitalisme et à l’impérialisme. Dans le cas de Burnham et Shachtman, cette évolution a été particulièrement saisissante. Alors que le premier est devenu un partisan de la guerre nucléaire préventive contre l’URSS et le principal idéologue néo-conservateur, le second est devenu un conseiller politique de la bureaucratie anticommuniste de l’AFL-CIO, et a soutenu des opérations et des guerres impérialistes criminelles telles que l’invasion de Cuba à la baie des Cochons orchestrée par la CIA et le bombardement américain du Viêt Nam du Nord.
Dans son essai, North note qu’à la surprise de Burnham et Shachtman, Trotsky a introduit la question de la logique dialectique dans la discussion. Burnham, professeur de philosophie à l’Université de New York, a carrément rejeté la méthode dialectique. Shachtman a déclaré qu’il ne se souciait pas des questions philosophiques et qu’il n’était pas particulièrement intéressé par l’examen de la relation entre le matérialisme dialectique et la politique révolutionnaire. Mais Trotsky a insisté sur l’importance de la dialectique comme méthode d’analyse et de compréhension de la réalité objective, à des fins d’action révolutionnaire. North développe davantage ce point important :
Le développement d’une perspective scientifique, nécessaire à l’orientation politique de la classe ouvrière, exigeait un niveau d’analyse d’une situation socio-économique et politique complexe, contradictoire et, par conséquent, en évolution rapide, qui ne pouvait être acquis sur la base d’une analyse employant la logique formelle, diluée avec l’impressionnisme pragmatique. L’absence de méthode scientifique, malgré toutes ses prétentions à l’expertise philosophique, a trouvé une expression grossière dans la manière dont l’analyse de Burnham de la société et des politiques soviétiques était dépourvue de contenu historique et basée en grande partie sur des descriptions impressionnistes de phénomènes visibles à la surface de la société. L’approche pragmatique et de bon sens de Burnham vis-à-vis des processus socio-économiques et politiques complexes était théoriquement sans valeur. Il a opposé l’Union soviétique existante à ce qu’il pensait, en termes idéaux, d’un véritable État ouvrier. Il n’a pas cherché à expliquer le processus historique et le conflit des forces sociales et politiques, à l’échelle nationale et internationale, qui sous-tendaient la dégénérescence. [41]
Sur la base de la défense de cette méthode historique, philosophique et politique, c’est-à-dire le marxisme, Trotsky et la Quatrième Internationale ont pu analyser le caractère de la Seconde Guerre mondiale et développer la perspective de la révolution socialiste mondiale.
Le Manifeste de la Quatrième Internationale sur la guerre impérialiste adopté par la conférence d’urgence de la Quatrième Internationale, tenue du 19 au 26 mai 1940, expliquait le caractère impérialiste de la Seconde Guerre mondiale, déclarant : « Elle tire inexorablement son origine des contradictions d’intérêts capitalistes internationaux. Contrairement aux fables officielles destinées à intoxiquer le peuple, la cause première de la guerre comme de tous les autres maux sociaux – le chômage, la vie chère, le fascisme, l’oppression coloniale – est la propriété privée des moyens de production et l’État bourgeois qui repose sur ce fondement. »
Cependant, tant que les principales forces productives de la société étaient détenues par des cliques capitalistes isolées, « et tant que l’État national reste un outil docile entre les mains de ces cliques, la lutte pour les marchés, pour les sources de matières premières, pour la domination du monde doit inévitablement revêtir un caractère de plus en plus destructeur. Le pouvoir d’État et la domination de l’économie ne peuvent être arrachés des mains de ces cliques impérialistes rapaces que par la classe ouvrière révolutionnaire ». [42]
David North explique dans son essai que Trotsky cherchait à orienter la Quatrième Internationale dans une perspective à plus long terme et à préparer les cadres à une toute nouvelle étape de la crise du système capitaliste et de la révolution mondiale. « Le monde capitaliste n’a pas d’issues, à moins qu’une agonie prolongée ne soit envisagée comme telle. Il faut se préparer à de longues années, voire des décennies, de guerre, de soulèvements, de brefs intermèdes, de trêve, de nouvelles guerres et de nouveaux soulèvements », souligne le Manifeste de la Quatrième Internationale.
Dans une section intitulée « Le problème de la direction », la déclaration soulignait :
Un jeune parti révolutionnaire doit se fonder sur cette perspective. L’histoire lui fournira suffisamment d’opportunités et de possibilités pour se tester, accumuler de l’expérience et mûrir. Plus vite les rangs de l’avant-garde seront fusionnés, plus l’époque des convulsions sanglantes sera raccourcie, moins notre planète souffrira de destruction. Mais le grand problème historique ne sera en aucun cas résolu tant qu’un parti révolutionnaire ne sera pas à la tête du prolétariat. La question des tempos et des intervalles de temps est d’une importance énorme ; mais elle ne change ni la perspective historique générale ni l’orientation de notre politique. La conclusion est simple : il faut poursuivre le travail d’éducation et d’organisation de l’avant-garde prolétarienne avec une énergie décuplée. C’est précisément là que réside la tâche de la Quatrième Internationale. [43]
Tout le bilan historique du CIQI que nous examinerons dans cette école est la preuve que le mouvement trotskiste a été à la hauteur de cette tâche. Maintenant, dans les conditions d’une nouvelle période de guerre et de révolution qui se développe rapidement, que nous avons définie comme la cinquième phase de l’histoire du mouvement trotskiste, ce travail « d’éducation et d’organisation de l’avant-garde prolétarienne » doit être intensifié une fois de plus. Comme l’a déclaré camarade North dans ses « Remarques d’introduction à une réunion des membres du PES en juin 2023 » :
Nous sommes déterminés à ce que, dans la période de développement des luttes de masse de la classe ouvrière, notre parti soit en mesure de fournir une réponse révolutionnaire et un programme révolutionnaire à la classe ouvrière. Mais pour que cela se produise, nos cadres doivent être familiers avec les expériences historiques, la lutte sur les questions fondamentales de perspective et de programme. En d’autres termes, les cadres doivent comprendre ce qui sépare notre mouvement de toute autre tendance politique, pourquoi notre mouvement seul, aucun autre mouvement, représente la continuité historique de la lutte pour le marxisme. Cette continuité est, je pense, illustrée dans le titre du dernier livre à paraître, Leon Trotsky and the Struggle for Socialism in the Twenty-First Century (Léon Trotsky et la lutte pour le socialisme au XXIe siècle). Notre conception particulière du trotskisme est que toute l’expérience historique a établi que le développement futur du socialisme en tant que mouvement révolutionnaire de masse sera basé sur l’héritage politique de Léon Trotsky, tel que cet héritage a été développé grâce au travail du Comité international de la Quatrième Internationale au cours des 60 dernières années. […] Toute l’expérience historique du mouvement marxiste démontre que c’est là la base indispensable d’un véritable travail révolutionnaire. [44]
Notes :
[1] Eric Hobsbawm, « Can We Write the History of the Russian Revolution? » in On History, New York : The New Press 1997, p. 242.
[2]
David North, « Leon Trotsky and the Fate of Socialism in the Twentieth Century. A Reply to Eric Hobsbawm” in: The Russian Revolution and the Unfinished Twentieth Century. URL : https://www.wsws.org/en/special/library/russian-revolution-unfinished-twentieth-century/04.html. Emphasis in the original.
[3]
Léon Trotsky, Le programme de transition (1938). URL : https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/trans/tran.htm
[4]
Hobsbawm, “Can We Write the History of the Russian Revolution?”, pp. 249 and 247.
[5]
David North, « After the Demise of the USSR: The Struggle for Marxism and the Tasks of the Fourth International. » Report to the 12th Plenum of the ICFI, March 11, 1992. URL : https://www.wsws.org/en/special/library/fi-19-1/18.html.
[6]
Léon Trotsky, La révolution permanente (1929-1931) URL: https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/revperm/rp.html
[7]
David North, “Leon Trotsky and the Development of Marxism” in: Leon Trotsky and the Struggle for Socialism in the Twentieth-First Century, Mehring Books 2023, p. 43. URL : https://www.wsws.org/en/special/library/leon-trotsky-development-marxism-tom-henehan/04.html. Emphasis in the original.
[8]
Leon Trotsky, “Through What Stage Are We Passing?” Speech given on June 21, 1924 and published in Russian at the time first in Pravda and then the pamphlet “Zapad I Vostok.” URL : https://www.marxists.org/archive/trotsky/1924/06/stage.html.
[9]
Léon Trotsky, Les leçons d’Octobre, (1924) URL : https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1924/09/19240915.htm
[10]
Leon Trotsky, Ma Vie (1930) URL: https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/mavie/mv00.htm
[11]
Leon Trotsky, « The Chinese Revolution and the Theses of Comrade Stalin, » May 17, 1927. URL : https://www.marxists.org/archive/trotsky/1932/pcr/01.html.
[12]
Léon Trotsky, L'Internationale Communiste après Lénine (1928) URL : https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/ical/ical.html
[13]
Leon Trotsky, « The German Catastrophe: The Responsibility of the Leadership, » May 1933. URL : https://www.marxists.org/archive/trotsky/germany/1933/330528.html.
[14]
David North: “Leon Trotsky and the Development of Marxism,” in Leon Trotsky and the Struggle for Socialism in the Twenty-First Century, p. 26.
[15]
Leon Trotsky, “To Build Communist Parties and an International Anew,” July 1933. URL : https://www.marxists.org/archive/trotsky/germany/1933/330715.htm
[16]
Leon Trotsky, “The Collapse of the KPD,” in Writings of Leon Trotsky (1932-33), New York 1972, p. 195.
[17]
Leon Trotsky, “What Next? Vital Questions for the German Proletariat,” January 1932. URL : https://www.marxists.org/archive/trotsky/germany/1932-ger/index.htm
[18]
Léon Trotsky, “Qu'est-ce que le national-socialisme ?” Juin 1933. URL : https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1933/06/330610.htm
[19]
Léon Trotsky, “Leçons d’Espagne: dernier avertissement,” Décembre 1937. https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1937/12/lecons.pdf
[20]
Leon Trotsky, “Centrism and the Fourth International,” 1934. URL : https://www.marxists.org/archive/trotsky/1934/02/centrism-tm.htm
[21]
Leon Trotsky, “The Lessons of Spain: The Last Warning,” 1937. URL : https://www.marxists.org/archive/trotsky/1937/xx/spain01.htm
[22]
Léon Trotsky, “Où va la France”, (1934-1938) URL : https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/ouvalafrance/ovlf.htm
[23]
Ibid.
[24]
Ibid.
[25]
Ibid.
[26]
Leon Trotsky, “The Beginning of the End,” October 1937. URL : https://www.marxists.org/archive/trotsky/1937/10/begin.htm
[27]
Ibid.
[28]
Léon Trotsky, La révolution trahie. URL : https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/revtrahie/frodcp.htm
[29]
David North, “Trotskyism versus Stalinism,” August 23, 1987. URL : https://www.wsws.org/en/special/library/trotskyism-versus-stalinism/speech.html
[30]
David North, “Leon Trotsky and the Development of Marxism,” in Leon Trotsky and the Struggle for Socialism in the Twenty-First Century, p. 31.
[31]
Léon Trotsky, Journal d’exil, (1935) URL : https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/journal/journal_tabmat.htm
[32]
Leon Trotsky, “The Death Agony of Capitalism and the Tasks of the Fourth International: The Transitional Program,” 1938. URL : https://www.marxists.org/archive/trotsky/1938/tp/
[33]
David North, “Seventy-Five Years of the Fourth International 1938–2013,” in Leon Trotsky and the Struggle for Socialism in the Twenty-First Century, p. 31.
[34]
Léon Trotsky, Le programme de transition (1938). URL : https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/trans/tran.htm
[35]
Ibid.
[36]
Ibid.
[37]
The Historical and International Foundations of the Socialist Equality Party (US), 2008. « The Founding of the Fourth International. » URL : https://www.wsws.org/en/special/library/foundations-us/17.html.
[38]
Léon Trotsky, Le programme de transition (1938). URL : https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/trans/tran.htm
[39]
David North, “Trotsky’s Last Year: 1939-1940,” in Leon Trotsky and the Struggle for Socialism in the Twenty-First Century, p. 165.
[40]
Leon Trotsky, “The Class, the Party and the Leadership,” 1940. URL : https://www.marxists.org/archive/trotsky/1940/xx/party.htm
[41]
David North, “Trotsky’s Last Year: 1939-1940,” in Leon Trotsky and the Struggle for Socialism in the Twenty-First Century, pp 172-173.
[42]
Léon Trotsky, Manifeste de la IVe Internationale sur la guerre impérialiste et la révolution impérialiste mondiale (1940) URL : https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1940/05/lt19400523.htm
[43]
Ibid.
[44]
David North, “Introductory Remarks to the Friday Night Aggregate Meeting on June 23, 2023.” Socialist Equality Party Internal Bulletin: June 2023.