Les habitants plus âgés de la Hesse se souviendront probablement avec dégoût de la campagne de droite avec laquelle Roland Koch, membre du Parti chrétien-démocrate (CDU), a remporté les élections de ce Land en 1999. En menant une campagne emblématique contre la double nationalité, il a alimenté les sentiments xénophobes et créé un climat propice au développement de groupes terroristes d’extrême droite, comme les assassins de Walter Lübcke, fonctionnaire de l’État à Kassel, et finalement du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD).
Aux élections du Land de Hesse, qui se tiendront le 8 octobre, c’est le parti social-démocrate (SPD) qui se présente avec un programme xénophobe. La candidate du SPD, Nancy Faeser, qui cherche à remplacer le ministre-président de la CDU, Boris Rhein, à la tête du gouvernement du Land, a conservé son poste de ministre fédérale afin d’être bien visible comme candidate de Loi et d’ordre à ces élections.
En tant que ministre allemande de l’Intérieur, Faeser ne joue pas seulement un rôle de premier plan dans l’extension de la ‘Forteresse Europe’, qui remet des millions de réfugiés à des régimes autoritaires, les enferme dans des camps de concentration et les laisse se noyer en mer ou mourir de soif dans le désert. Il ne se passe guère de semaine sans qu’elle ne présente publiquement de nouvelles propositions visant à réduire les derniers droits démocratiques des réfugiés et des demandeurs d’asile.
Début août, le ministère de Faeser a présenté un «projet de discussion» qui énumère 35 pages de propositions législatives brutales, voire sadiques, qui tournent en dérision les principes démocratiques élémentaires. On pourrait intituler ce document «Les étrangers dehors »!
Au total, douze mesures juridiques sont destinées à faciliter l’expulsion des réfugiés et des demandeurs d’asile. Ces personnes peuvent encore invoquer légalement certains droits, mais sans effet pratique puisqu’elles seront de toute façon expulsées.
Ainsi, selon le projet les recours contre les interdictions d’entrée et de séjour ne suspendront plus les mesures d’expulsion; toute personne déposant une demande d’asile pourra toujours être placée en détention en attendant son expulsion; le nombre de cas nécessitant un avocat sera fortement réduit; la durée maximale de détention dans l’attente d’un départ passera de dix à vingt-huit jours; et les autorités se verront accorder des droits étendus en matière de perquisition dans les centres d’hébergement.
Un plan particulièrement ignoble prévoit que l’expulsion ne sera plus annoncée à l’avance, même dans le cas de personnes bénéficiant d’un statut «toléré» à long terme. Sans préavis, la police pourra appréhender les personnes visées lors de raids nocturnes et les expulser du pays. Jusqu’à présent, les personnes tolérées depuis plus d’un an en Allemagne devaient être informées de leur expulsion imminente au moins un mois à l’avance.
On peut imaginer ce que cela signifie. Les familles vivant en Allemagne depuis des années mais qui ne sont jusqu’à présent que «tolérées», se couchent chaque soir craignant que la police sonne à leur porte, les mette dans le prochain avion et expédie dans un pays où elles n’ont pas les moyens de vivre. La dernière fois qu’une telle terreur psychologique a existé en Allemagne, c’était sous le régime nazi.
Plus de 6.000 jeunes qui suivent actuellement une formation professionnelle en tant que personnes tolérées sont menacés par les nouveaux projets de Faeser. Plus de la moitié des personnes tolérées, soit 136.000, vivent en Allemagne depuis plus de cinq ans. La plupart d’entre elles ont un emploi régulier, ont leur propre appartement et envoient leurs enfants à l’école.
Une autre proposition dont Faeser a fait la propagande ces dernières semaines est l'introduction de la «Sippenhaftung» [responsabilité du clan] sous prétexte de l’existence d’une soi-disant criminalité de clan. Les membres des familles désignées comme des clans criminels doivent être expulsés même s’ils n’ont commis aucun crime. En réponse à des questions sceptiques posées par le quotidien régional Rheinische Post, Faeser a souligné qu’elle voulait des «solutions efficaces»: «Ici, l’État de droit doit montrer les dents».
Pourquoi le SPD de Hesse mène-t-il une campagne électorale très à droite de la tristement célèbre campagne de Koch en 1999?
La réponse à cette question ne réside pas simplement dans la personne de Nancy Faeser, mais dans l’évolution des circonstances politiques. Aujourd’hui, le SPD dirige un gouvernement fédéral qui procède au plus grand réarmement militaire depuis Hitler et qui intensifie la guerre menée par l’OTAN contre la Russie sans se soucier des pertes, même si cela signifie risquer une guerre nucléaire.
Le gouvernement allemand se décharge impitoyablement des coûts de cette politique sur la population active sous forme de coupes sociales et de baisse des salaires réels. En tant que ministre de l’Intérieur, Faeser est responsable non seulement de la politique des réfugiés, mais aussi des négociations collectives dans le secteur public, où elle a imposé des réductions massives de salaire réel avec le soutien du syndicat des services Verdi.
La police fédérale allemande, l’Office fédéral de police criminelle et l’Office de protection de la Constitution [le renseignement intérieur] relèvent également de la compétence de Faeser, qui les renforce systématiquement. Alors que les réseaux terroristes de droite opèrent sans entrave dans l’appareil d’État, l’agence de renseignement intérieur cite le Sozialistische Gleichheitspartei (le Parti de l'égalité socialiste en Allemagne, SGP) comme «objet d’observation» et le dénonce comme «extrémiste de gauche» parce qu’il se bat pour une société socialiste par des moyens démocratiques. Dans la préface du dernier Rapport sur la protection de la constitution, Faeser fait savoir que tous les points de vue qui vont à l’encontre de l’effort de guerre allemand doivent être bannis de la discussion publique.
Faeser est également responsable de la criminalisation des activistes climatiques, comme l’organisation “Dernière Génération”.
Cette politique, qui pourrait être directement issue du programme électoral de l’AfD, est soutenue par tous les partis. Cela vaut non seulement pour les Verts, qui sont membres du gouvernement fédéral et gouvernent de Hesse avec la CDU, mais aussi pour le Parti de gauche, qui a longtemps été dirigé en Hesse par l'actuelle présidente du Parti de gauche Janine Wissler.
Wissler a tenté pendant des années de former en Hesse un gouvernement de coalition avec le SPD de Faeser. En décembre 2021, elle a félicité Faeser lors de sa prestation de serment comme ministre de l’Intérieur et l’a absurdement qualifiée de «camarade d’armes dans la lutte contre la violence d’extrême droite». Cela souligne le fait que le Parti de gauche défend, tout comme le SPD, le capitalisme et l’État bourgeois, qu’il est prêt à utiliser contre l’opposition de la classe ouvrière.
Faeser, originaire de Schwalbach/Taunus, représente la circonscription électorale de Hochtaunus, qui fait partie des banlieues riches autour de Francfort dont le revenu par habitant est le plus élevé d'Allemagne. Deux fois plus élevé, par exemple, que celui des villes d'Offenbach, de Duisburg ou Gelsenkirchen. En tant qu’avocate, elle a travaillé au cabinet d’avocats d’affaires GÖRG de Francfort.
La campagne électorale xénophobe de Faeser est motivée par la crainte d’une rébellion de la classe ouvrière. Alors que grandit la résistance à la guerre et à l’austérité sociale, cette campagne est une tentative désespérée de diviser la population travailleuse par le nationalisme et la xénophobie. L’attaque lancée contre les droits démocratiques des réfugiés, les membres les plus faibles de la société, sert de prélude à l’abolition de tous les droits démocratiques de la classe ouvrière.
(Article paru d’abord en anglais le 21 août 2023)