La classe ouvrière européenne doit s'opposer à la campagne anti-migrants qui sévit dans tous les pays du continent.
Le langage historiquement associé à la droite fasciste est devenu courant dans les parlements et les médias européens, qui présentent des personnes désespérées en quête de travail et de sécurité comme une invasion qu’il faut repousser à tout prix.
Des individus et des organisations fascistes comme Giorgia Meloni en Italie, Marine Le Pen en France, le parti franquiste espagnol Vox et l’AfD en Allemagne sont accueillis dans le principal courant de la politique bourgeoise. Ils déterminent une mesure de xénophobie que l’Europe n’a pas connue depuis des décennies.
Cette semaine, le gouvernement polonais a annoncé un référendum nauséabond et provocateur en réponse au nouveau mécanisme de répartition des migrants de l’Union européenne sur la question suivante: «Soutenez-vous l’admission de milliers d’immigrés illégaux du Moyen-Orient et d’Afrique?»
Le gouvernement britannique diabolise non seulement les migrants qu’il entasse sur des bateaux-prisons infectés de légionellose mais encore les avocats qui les représentent.
Partout, les partis de droite traditionnels sont rejoints dans leur politique anti-migrants par des gouvernements sociaux-démocrates et pseudo-de gauche ou peuvent compter sur leur soutien dans l’opposition.
Les gouvernements européens sont les architectes d’une infrastructure anti-migrants sans précédent sur la planète: un système de murs, de clôtures et de barbelés fortement policés, de camps de détention et d’accords avec des milices et des régimes brutaux à la périphérie du continent, tout cela combiné pour créer une «forteresse Europe».
Ce terme militaire est approprié. La classe dirigeante européenne est en guerre contre la masse de l'humanité qui est privée des conditions de vie les plus élémentaires par la violence impérialiste et les inégalités capitalistes.
Parmi le nombre considérablement accru de ceux qui ont commencé à demander l’asile en Europe en 2015 et 2016, les plus grands groupes nationaux étaient originaires de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan ; ils fuyaient les guerres impérialistes et les guerres par procuration ayant détruit leurs sociétés. D’autres fuyaient la pauvreté extrême, des gouvernements répressifs, des conflits internes violents et la destruction causée par le changement climatique.
À ce scénario cauchemardesque se sont ajoutés la hausse des prix alimentaires provoquée par la guerre entre l’OTAN et la Russie en Ukraine, elle-même la cause de quatre millions de réfugiés ukrainiens, les nouvelles crises de la dette et les coupes sociales massives exacerbées par la pandémie et la hausse des taux d’intérêt au plan mondial.
Alors que le nombre de personnes tentant le voyage vers l’Europe augmente à nouveau, elles se trouvent face à un dispositif de nombreux milliards d’euros déployé sur un vaste front géographique allant de la côte ouest du Maroc à la Turquie, des frontières de l’Europe au Sahara méridional.
Le récent coup d’État au Niger et la menace d’une guerre régionale ont mis en exergue la première ligne de défense dans la région africaine du Sahel, que le haut représentant de l’UE pour cette région, Ángel Losada, a qualifiée de «frontière avancée» de l’Europe . Là et au Soudan – deux portes du Sahara – l’argent européen cyniquement qualifié d’«aide humanitaire» finance des contrôles aux frontières qui ont forcé les migrants à emprunter des itinéraires plus dangereux, contrôlés par des forces dont les antécédents quant aux violations des droits de l’homme ne sont plus à démontrer.
Les Nations Unies ont précédemment suggéré que le nombre de décès des réfugiés au Sahara était susceptible d’être le double de celui de la Méditerranée, qui s'élève actuellement à 27.845 morts depuis 2014, selon l'estimation très conservatrice de l'Organisation internationale pour les migrations.
La Turquie et l’Afrique du Nord reçoivent plus d’argent encore pour empêcher les traversées vers l’Europe. Un accord de 6 milliards d’euros a été conclus entre l’UE et le gouvernement turc en 2016 pour renforcer la sécurité aux frontières et expulser systématiquement les demandeurs d’asile depuis l’Europe vers la Turquie.
Des accords de financement avec la Libye et la Tunisie prévoient l’emploi comme gardes-frontières de milices sans foi ni loi. Les ONG qui tentent de secourir les navires en détresse se font tirer dessus par les garde-côtes. Les migrants capturés sont battus et électrocutés, volés s’il leur reste quelque chose à voler, ramenés à terre et détenus dans un réseau obscur de camps d’internement où la torture, l’extorsion, le travail forcé et l’esclavage sont monnaie courante. Beaucoup sont déportés vers le sud et abandonnés dans le désert.
Les navires à destination de l’Europe tentent des traversées de plus en plus dangereuses pour éviter ce sort, transformant en cimetière la Méditerranée et une partie du littoral nord-africain. La force frontalière européenne, Frontex, y participe en repoussant illégalement les navires de migrants hors des eaux de l’UE, tandis que les États du sud de l’Europe adoptent des lois pour entraver l’action des organisations humanitaires et menacer leur personnel de poursuites judiciaires.
Sur le continent européen, chaque pays renforce ses frontières contre ses voisins, créant des barrages de barbelés, de clôtures métalliques et de patrouilles violentes. Lorsque les migrants parviennent à franchir une des frontières, ils sont souvent regroupés pour atteindre la suivante, en passant par une série de camps de fortune.
Pour renforcer cette politique, l’UE a adopté en juin dernier à Luxembourg un nouveau plan de migration qui prévoit des expulsions accélérées, y compris vers des pays avec lesquels les demandeurs d’asile rejetés n’ont que de très vagues liens, comme les États traversés au cours de leur périple vers l’Europe. Les efforts déployés par le Royaume-Uni pour expulser les demandeurs d’asile vers le Rwanda s’inscrivent dans la même politique.
Aucun crime n’est trop grand. En juin dernier, plus de 600 migrants voyageant à bord d’un bateau de pêche se sont noyés dû à l’action des garde-côtes grecs. Bien que tentant d’étouffer l’affaire, les enquêtes menées ont prouvé que les autorités grecques avaient tenté dans des conditions dangereuses de remorquer le bateau hors de leurs eaux territoriales, provoquant ainsi son chavirement.
Cette histoire et d’autres du même genre sont à peine effleurées par les journaux télévisés bourgeois. Et lorsque des noyades massives se produisent, cela ne fait qu’alimenter les exigences xénophobes des médias et de l’establishment politique qui crient: «Arrêtez les bateaux!»
Ces meurtres ne sont que la partie visible d’un iceberg de souffrances humaines.
Une fraction des plus de 108 millions de personnes déplacées de force dans le monde s’approche de l’Europe ou d’un pays riche. 70 pour cent d’entre elles ne vont jamais plus loin qu’un État voisin. La plupart vivent dans des conditions infernales dans des bidonvilles et des camps de réfugiés en Afrique et en Asie.
Face à cette catastrophe sociale, les responsables politiques européens déchirent comme autant de bouts de papier leurs engagements juridiques à l’égard de lois et conventions des droits de l’homme qui furent adoptées après la Seconde Guerre mondiale et dans le sillage de l’Holocauste.
La guerre impitoyable de l’Europe contre les migrants est le fer de lance d’un assaut lancé par la bourgeoisie contre toute la classe ouvrière. La privation violente pour des masses de personnes de leurs droits démocratiques et sociaux les plus fondamentaux est en train de se normaliser et se généralisera à mesure que la guerre en Ukraine et les crises économiques s’aggraveront. On se sert de l’argument qu’une société regorgeant de millionnaires et de milliardaires «ne peut pas se permettre» d’accueillir un travailleur migrant de plus pour couper les services sociaux et le soutien aux travailleurs dans chaque pays.
La diabolisation des migrants sert à détourner la colère sociale face à ces conditions de la cible légitime que sont les super-riches vers des boucs émissaires paupérisés venus d’autres pays, et à attiser les divisions pour briser la solidarité dans la classe ouvrière internationale pour contrer la montée des grèves et manifestations sur tout le continent. Cela fournit le carburant idéologique pour les organisations d’extrême droite qui font des gains significatifs dans les parlements de toute l’Europe, parce que l’indignation générale face au traitement des demandeurs d’asile ne peut trouver d’expression politique dans les bureaucraties sociale-démocrates et syndicales.
La défense des migrants est une responsabilité fondamentale de la classe ouvrière des pays capitalistes avancés. Son propre avenir en dépend. Les travailleurs d’Europe doivent défendre le droit de chacun à vivre là où il le souhaite, à l’abri de la répression et ayant accès à toutes les nécessités de la vie telles qu’un emploi, un logement, une éducation et des soins de santé. C’est là le seul moyen de s’opposer à la campagne menée par l’élite dirigeante européenne pour imposer à tous une austérité brutale et des formes autoritaires de gouvernement.
Une telle lutte est inséparable de la lutte contre la guerre impérialiste, qui continuera à briser des sociétés et à déraciner des millions de personnes jusqu’à ce qu’une organisation socialiste des ressources mondiales y mette un terme.
Cela signifie une lutte contre le capitalisme dont la division de l’économie mondiale en États-nations antagonistes et la propriété privée des moyens de production essentiels sont la cause première des guerres, de l’exploitation économique et de l’oppression. Un système social où d’un côté quelques individus amassent des fortunes de centaines de milliards de dollars et de l’autre plus de 100 millions de gens sont obligés de quitter leur foyer privés de tout, a depuis longtemps perdu le droit d’exister.
La «forteresse Europe» doit être démolie comme partie d’une remise en question mondiale du capitalisme et remplacée par les États unis socialistes d’Europe et du monde.
(Article paru d’abord en anglais le 17 août 2023)