Depuis 100 jours, quelque 10.000 scénaristes de la Writers Guild of America (WGA) sont engagés dans une bataille contre les entreprises géantes qui dominent l’industrie du cinéma, de la vidéo en continu et de la télévision. Bravant l’été le plus chaud de l’histoire moderne, les scénaristes en grève et leurs sympathisants ont dressé des piquets de grève devant les studios et les bureaux des entreprises à Los Angeles, New York et Chicago, tandis que leurs collègues en Australie et au Royaume-Uni ont organisé des rassemblements de soutien.
La grève actuelle est la deuxième plus longue de l’histoire de la WGA, après celle de 2007-2008. Comme ce fut le cas lors de la grève d’il y a 15 ans, les dirigeants des studios, qui disposent de milliards de dollars d’actifs, sont tout à fait disposés à «saigner» les scénaristes jusqu’à ce qu’ils «commencent à perdre leurs appartements et leurs maisons», comme l’a déclaré l’un d’entre eux.
Les scénaristes ont été rejoints il y a un mois par 65.000 acteurs, entamant ainsi la première «double grève» des deux catégories de travailleurs depuis 1960. La grève combinée des quelque 76.000 scénaristes et acteurs est la plus importante de l’histoire du cinéma et de la télévision à Hollywood. Elle pourrait être bien plus importante, étant donné que seule une fraction des 161.000 membres de la SAG-AFTRA est actuellement en grève.
Au fur et à mesure que la grève se prolonge et que les sociétés se retranchent dans leurs positions, les acteurs et les scénaristes soulignent les questions plus générales en jeu.
«Avant, on avait des rois, des reines et des empereurs, et maintenant ce sont des capitaines d’industrie», a déclaré Alan Ruck (de l’émission Succession) en début de semaine. «Et ils pensent que la planète et tout ce qui s’y trouve, tout ce qui est dans l’air et dans l’océan leur appartient.» Lors d’un rassemblement organisé le 25 juillet à New York, Arian Moayed, une autre vedette de Succession, a établi une comparaison directe entre la famille Roy fasciste de la série et les dirigeants actuels des studios. «Nous méritons de travailler ensemble pour faire du bel art afin que les gens puissent en profiter. C’est comme si ces gens n’avaient pas vu Succession. Ça parle de vous!»
Leila, une actrice en grève, a déclaré aux journalistes du World Socialist Web Site le mois dernier: «Je suis heureuse que nous nous joignions à ce que d’autres travailleurs vivent maintenant. Les travailleurs hôteliers, les infirmières… Je pense que nous avons besoin d’une grève générale dans ce pays. Nous devons absolument refuser de fournir notre travail».
Ces déclarations, et il y en a beaucoup d’autres, expriment un sentiment plus large, mais il est nécessaire d’en tirer les conclusions qui s’imposent.
Tout d’abord, les scénaristes et les acteurs sont engagés dans une lutte de classe qui les oppose non seulement aux gigantesques entreprises médiatiques, mais aussi aux banques et à Wall Street, qui exigent une énorme escalade dans l’exploitation des travailleurs partout dans le monde. La lutte contre ces «capitaines d’industrie» et ces «rois, reines et empereurs» des temps modernes doit être menée comme une lutte de classe, mobilisant toute la force de la classe ouvrière.
En effet, la grève des acteurs et des scénaristes s’inscrit dans le cadre d’un mouvement de classe qui se développe aux États-Unis et dans le monde entier. Selon les données du Bureau of Labor Statistics, citées par Politico cette semaine, plus de «200.000 travailleurs de grandes entreprises ont participé à des arrêts de travail le mois dernier, dépassant facilement les 126.500 qui ont participé à des grèves pendant toute l’année 2022».
La flambée du coût de la vie, l’une des conséquences de l’escalade de la guerre et du renflouage des riches, a déclenché des troubles sociaux dans le monde entier cette année, qu’il s’agisse des manifestations de millions de personnes en France, des grèves de centaines de milliers de personnes au Royaume-Uni, de la grève des dockers au Canada ou des manifestations de masse au Sri Lanka contre l’austérité.
Ce qui bloque le développement de ces luttes en un mouvement uni de la classe ouvrière, c’est l’appareil syndical, dirigé par des individus appartenant aux 5 pour cent supérieurs, voire même au premier 1 pour cent, de la population, qui sert à isoler et réprimer les luttes.
Au cours des premières semaines de la grève, de nombreux scénaristes et acteurs étaient enthousiastes à l’idée d’une lutte commune avec les 340.000 travailleurs d’UPS, qui aurait énormément renforcé les deux sections de la classe ouvrière. L’appareil du syndicat des Teamsters cependant, après avoir d’abord bloqué une grève chez Yellow Freight qui a ouvert la voie à sa faillite, a annoncé un contrat de dernière minute le 25 juillet, qu’il tente actuellement de faire approuver par les travailleurs.
Sur la côte ouest, plus de 22.000 dockers sont sans contrat depuis plus de 13 mois. Pourtant, l’International Longshore and Warehouse Union (ILWU) n’a pas encore organisé de vote d’autorisation de grève, alors qu’il conspire en coulisses pour tenter de faire passer un accord qu’aucun travailleur n’a encore vu. Plus tôt, l’ILWU avait déjà joué le rôle de briseur de grève du conflit des dockers canadiens en acceptant des cargos détournés vers les ports de Seattle et de San Francisco.
Quant à la WGA et à la SAG-AFTRA, elles ont conseillé aux grévistes d’apporter leur soutien à des politiciens démocrates briseurs de grève. La direction de la SAG-AFTRA n’a appelé les acteurs à la grève qu’après une semi-révolte des membres, sous la forme d’une lettre ouverte avertissant les responsables du syndicat de ne pas trahir leur lutte.
Après le début de la grève, sans une seule discussion et encore moins un vote des membres, la bureaucratie de la SAG-AFTRA a accepté d’autoriser les studios non membres de l’Alliance des producteurs de cinéma et de télévision à demander des «accords temporaires». Ces accords ont provoqué une vague de colère parmi les travailleurs en grève, qui les considèrent à juste titre comme un coup de poignard dans le dos.
Cela nous amène au deuxième point, à savoir que toute lutte des classes, comme l’ont dit Marx et Engels dans le Manifeste du Parti communiste, est une lutte politique. C’est-à-dire, qu’elle soulève inévitablement, au cours de son développement, la question du pouvoir. Qui dirige la société? Et dans l’intérêt de qui?
Si la classe dominante possède tout – peut-être pas encore tous les océans et l’air – il s’agit alors de réorganiser la société sur des bases entièrement différentes, où les forces productives de la société ne sont pas la propriété d’une infime fraction de la population, mais sont possédées démocratiquement, sur la base des besoins sociaux. En d’autres termes, on doit remplacer le capitalisme par le socialisme.
Les scénaristes et les acteurs, ainsi que la classe ouvrière dans son ensemble, doivent faire face au fait que l’ensemble de l’establishment politique existe pour représenter une classe dans la lutte des classes, à savoir la classe capitaliste. Alors que le Parti républicain s’enfonce dans les profondeurs du fascisme, les démocrates, qui ne sont pas moins un parti de Wall Street, se concentrent entièrement sur l’escalade de la guerre, aujourd’hui contre la Russie et bientôt contre la Chine.
Les deux partis sont unis dans leur détermination à faire payer la crise du capitalisme à la classe ouvrière, bien que les démocrates préfèrent utiliser les services de l’appareil syndical pour les aider dans ce processus.
L’impératif d’une réorganisation socialiste de la vie économique est inextricablement lié à l’avenir de la production culturelle elle-même. Si la classe dominante arrive à ses fins, et elle est déterminée à le faire, la population n’aura d’autre art à «apprécier» que de la propagande et la médiocrité. La lutte pour la défense des œuvres artistiques sérieuses doit s’inscrire dans le développement d’un mouvement de la classe ouvrière contre le capitalisme.
De ces points découlent deux conclusions. Premièrement, c’est impératif que la grève des scénaristes et des acteurs se libère des contraintes imposées par l’appareil syndical. Le WSWS exhorte les travailleurs de la télévision et du cinéma à former un comité de base, dans le cadre de l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC). Un appel urgent doit être lancé à toutes les sections de la classe ouvrière pour une lutte unie, indépendante de l’appareil syndical et en opposition à lui.
Deuxièmement, cela doit être lié à une lutte politique contre l’ensemble de l’appareil d’État des élites dirigeantes et le système social qu’il défend, le capitalisme. Penser que cela est possible en dehors d’un mouvement révolutionnaire de masse de la classe ouvrière relève de l’utopie la plus irréaliste. Les «rois, reines et empereurs» modernes ne renonceront pas plus volontiers à leurs richesses et à leurs privilèges que leurs prédécesseurs.
(Article paru en anglais le 11 août 2023)