Macron se rend dans le Pacifique pour renforcer la position de la France dans un contexte d'escalade des tensions stratégiques

La semaine dernière, le président français Emmanuel Macron a effectué une tournée de cinq jours dans le Pacifique Sud-Ouest, passant par le territoire français du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie, ainsi que par le Vanuatu et la Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG). Il a terminé sa tournée par une escale d'une journée au Sri Lanka sur le chemin du retour.

Le président français Emmanuel Macron avec le Premier ministre de Papouasie-Nouvelle-Guinée James Marape. [Photo: @EmmanuelMacron]

Macron était accompagné de Catherine Colonna, ministre des affaires étrangères, qui s'est rendue aux Fidji pour rencontrer le Premier ministre Sitiveni Rabuka et intensifier le « dialogue » de la France avec le deuxième plus grand pays insulaire de la région. Elle a également rencontré le secrétaire général adjoint du Forum des îles du Pacifique (FIP), Esala Nayasi.

Ce voyage avait pour but d'affirmer les intérêts impérialistes de la France en tant que puissance du Pacifique. C'était la première fois qu'un président français en exercice se rendait dans un des États insulaires situés en dehors des territoires français du Pacifique. Ce déplacement a coïncidé avec une vague de manœuvres diplomatiques dans la région, notamment des visites du secrétaire d'État américain Antony Blinken et du secrétaire à la défense Lloyd Austin, intensifiant la confrontation croissante de Washington avec la Chine.

Tout en cherchant à faire progresser le positionnement mondial de la France, Macron mène une guerre acharnée contre la classe ouvrière dans son pays. Le « président des riches », profondément impopulaire, a déclenché cette année une série d'opérations policières massives pour briser les grèves et les mouvements de protestation contre ses réformes des retraites, aggravées par le récent meurtre d'un adolescent par la police.

Lors d'un important remaniement ministériel en juillet, afin de se préparer à l'escalade des attaques en France et au-delà, Gérald Darmanin, un ancien membre du groupe d'extrême droite Action française qui a supervisé la répression policière, a été maintenu au poste de ministre de l'intérieur et des territoires d'outre-mer.

La France compte environ 1,5 million de citoyens et 8 000 militaires répartis dans l'Indopacifique - les îles de Mayotte et de la Réunion dans l'océan Indien, et les îles de Nouvelle-Calédonie, de Wallis-et-Futuna et de Polynésie française dans l'océan Pacifique. En 2016, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont obtenu le statut de membre à part entière du FIP (Forum des îles du Pacifique) - initialement réservé aux pays indépendants - après des années de lobbying, renforçant ainsi l'influence de la France dans les affaires régionales.

La tournée de Macron avait un objectif stratégique et militaire clair. Conformément à la poussée de l'OTAN dans la région indo-pacifique, la France participe, du 22 juillet au 4 août, à l'exercice militaire Talisman Sabre en Australie. Après avoir été observateurs lors des précédentes éditions de l'exercice biennal, la France et l'Allemagne fournissent des forces pour un 'entraînement à la guerre de haute intensité', auquel participent 30 000 soldats de 13 pays, et qui vise carrément la Chine.

L'objectif premier de Macron était de consolider l'emprise de la France sur la Nouvelle-Calédonie, en indiquant clairement que son gouvernement n'accepterait pas d'autres discussions sur une prétendue « indépendance ».

Cette question a une histoire sanglante et mouvementée, qui a culminé dans une quasi-guerre civile au cours des années 1980. En 1986, les gendarmes du gouvernement français du Parti socialiste de l'époque ont massacré 19 autochtones kanaks qui avaient pris des policiers en otage sur l'île d'Ouvéa. Le tollé provoqué par ces massacres a débouché sur l'accord de Nouméa de 1998, en vertu duquel la France s'est engagée à céder progressivement une plus grande autonomie politique au territoire local.

Trois référendums sur l'indépendance ont été organisés sur une période de cinq ans dans le cadre de l'accord. Les résultats ont été de 53 à 57 pour cent en faveur du maintien dans la France lors des deux premiers scrutins. Le dernier référendum, organisé en décembre 2021, a été largement considéré comme illégitime. Avec un taux de participation de 40 pour cent, il en est résulté un vote de 97 pour cent contre la sécession après que les Kanaks ont boycotté le processus au milieu de la pandémie de COVID-19.

Des luttes de classes ont éclaté à plusieurs reprises. En novembre 2020, des émeutes et des affrontements avec la police ont éclaté à la suite de la vente de l'usine brésilienne Goro Nickel, qui menaçait l'emploi de 3 000 travailleurs. De larges sections de la classe ouvrière, y compris les mineurs, les travailleurs du secteur de la transformation, les chauffeurs de camion, les travailleurs des aéroports et d'autres, se sont engagés dans des luttes militantes pour l'emploi et les conditions de travail, les mettant en conflit avec anti-indépendantistes et pro-indépendantistes de l'élite dirigeante.

Lors d'un rassemblement public dans la capitale Nouméa la semaine dernière, Macron a carrément dit aux partisans du « séparatisme » qu'ils devraient accepter les votes en faveur de la France. « Après ces trois référendums, je ne sous-estime pas les espoirs déçus de ceux qui ont soutenu un projet complètement différent », a déclaré Macron. « Mais je leur dis à tous qu'ensemble, nous devons avoir la grâce d'accepter ces résultats et de construire l'avenir ensemble ».

Paris va maintenant tenter d'introduire un nouveau statut politique pour la Nouvelle-Calédonie, qui remplacera l'accord de Nouméa. Des réformes immédiates permettront de débloquer les listes électorales pour les élections provinciales et législatives qui se tiendront en mai de l'année prochaine. Cela permettra à des milliers de ressortissants français supplémentaires de voter, par rapport à ce que prévoit actuellement l'accord.

L'accord de Nouméa est inscrit dans des clauses propres à la constitution française, de sorte qu'un processus de révision constitutionnelle s'engagera l'année prochaine.

La France ne renoncera pas à son emprise sur ce territoire stratégiquement vital. L'île abrite une base militaire française et près d'un quart des réserves mondiales de nickel, essentiel à la fabrication de l'acier inoxydable et à l'industrie de la défense. Avant de quitter Nouméa, Macron a annoncé des mesures visant à résoudre la crise de productivité à laquelle est confrontée l'industrie du nickel et à renforcer la présence militaire de la France avec 200 soldats supplémentaires, 18 milliards de francs CFP sur des investissements directs et une nouvelle académie de défense du Pacifique.

Macron a utilisé le reste de sa tournée pour se poser en acteur « indépendant » dans la région. Son bureau a affirmé que le voyage ne visait pas à promouvoir une « politique antichinoise », mais à encourager les puissances régionales à « diversifier » leurs partenariats au-delà de Pékin et de Washington. Ce voyage était nécessaire, selon le communiqué, en raison de « nouvelles menaces plus intenses » contre la sécurité, les institutions et l'environnement.

Au Vanuatu, Macron a dénoncé le « nouvel impérialisme » dans le Pacifique et a déclaré que la France défendrait « l'indépendance et la souveraineté » des petits États, y compris « les plus fragiles ». La principale cible de ces déclarations est indéniablement la Chine.

Alors que les États-Unis et leurs alliés cherchent à contrer l'influence de la Chine, la France offre une « alternative », a déclaré un conseiller présidentiel, avec des projets d'aide et de développement accrus pour faire face aux catastrophes naturelles.

En visite en Australie en 2018, Macron avait appelé à une alliance stratégique entre la France, l'Inde et l'Australie pour répondre aux « défis » dans toute la région. Macron a formulé ses remarques en veillant à ce qu'aucune puissance n'exerce « d'hégémonie ». Il a déclaré que la France travaillerait avec l'Australie et qu'elle était prête à utiliser ses frégates, ses sous-marins et ses avions pour garantir la protection de la « neutralité » et de la « liberté de circulation ».

Les relations françaises avec l'Australie se sont détériorées en 2021 avec la décision unilatérale du gouvernement australien de rompre un contrat de 56 milliards d’euros avec la France pour acquérir des sous-marins à propulsion nucléaire auprès des États-Unis et du Royaume-Uni dans le cadre du pacte AUKUS. Cette décision, qui a vu Canberra s'aligner beaucoup plus étroitement sur les États-Unis, a provoqué la fureur de Paris, qui l'a qualifiée de « coup de poignard dans le dos ».

En janvier, lors d'une réunion des ministres de la défense et des affaires étrangères de l'Australie et de la France à Paris, la France a été saluée comme une « nation du Pacifique ». L'Australie s'est engagée à étendre les liens militaires avec la France dans le Pacifique, les deux pays s’accordant pour «'approfondir la coopération opérationnelle et logistique pour soutenir leur engagement en faveur d'intérêts communs dans l'Indo-Pacifique ». Le mois dernier, le gouvernement français a accepté de vendre à l'Inde 26 avions de combat Rafale et trois sous-marins de classe Scorpène.

Au Vanuatu et en Papouasie-Nouvelle-Guinée, Macron a établi une empreinte française dans deux États insulaires qui font l'objet d'intenses pressions diplomatiques de la part de l'Australie et des États-Unis pour qu'ils signent des pactes stratégiques et de défense et, dans le cas de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, pour qu'ils établissent des bases militaires permanentes.

Macron a, du moins publiquement, adopté une approche plus « soft power », proposant des financements et des « partenariats » avec le secteur privé pour promouvoir des projets de conservation « verts », dans le but de répondre aux préoccupations profondes des États insulaires du Pacifique concernant le changement climatique et l'élévation du niveau des mers. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, Macron et le Premier ministre James Marape ont signé une initiative environnementale soutenue par des fonds français et européens, qui vise à préserver les forêts tropicales du pays.

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