Le World Socialist Web Site dénonce la détention policière du journaliste britannique Kit Klarenberg à l’aéroport de Luton le 17 mai, après son arrivée de Belgrade, en Serbie, où il vit. Klarenberg, qui écrit pour The Grayzone, a été interrogé; ses cartes bancaires, ses appareils électroniques et ses cartes SD ont été saisis; et l’on a pris ses empreintes digitales, sa photo et son ADN, en vertu de l’annexe 3 de la loi de 2019 sur la lutte contre le terrorisme et la sécurité des frontières (Counterterrorism and Border Security Act 2019).
On a ciblé Klarenberg pour son journalisme qui a dévoilé l’activité criminelle de l’impérialisme britannique et des puissances de l’OTAN. The Grayzone a noté dans son reportage sur ces événements publié mercredi comment, au cours de l’année écoulée, Klarenberg a «révélé comment une cabale de partisans endurcis de la sécurité nationale du Parti conservateur a violé la loi sur les secrets officiels pour exploiter le Brexit et installer Boris Johnson comme Premier ministre». Il a dévoilé aussi «les plans de bombardement britanniques du pont de Kertch reliant la Crimée à la Fédération de Russie» et rapporté «le recrutement par la CIA de deux pirates de l’air du 11 septembre 2001».
En juin de l’année dernière, Klarenberg a utilisé des courriels qui ont fait l’objet d’une fuite pour détailler les manigances du belliciste britannique Paul Mason avec des personnalités influentes des États britannique et américain et leur entourage pour faire fermer The Grayzone et d’autres publications et organisations anti-OTAN. Mason a dénoncé Klarenberg à la police.
Le mois suivant, Klarenberg a été convoqué à un poste de police pour être interrogé sur des «allégations contre vous concernant des délits de harcèlement, de communication malveillante et des infractions à la loi sur l’utilisation abusive de l’ordinateur». Il a été informé en septembre que l’affaire avait été classée, les preuves étant «insuffisantes pour poursuivre».
Une copie de l’avis de détention remis à Klarenberg explique qu’on l’a placé en détention afin que les agents puissent déterminer «si vous semblez être une personne qui est ou était engagée dans une activité hostile». Un tel examen peut être effectué sur toute personne dans un port, un aéroport ou un poste-frontière du Royaume-Uni.
La définition d’une «activité hostile» donnée par la loi inclut tout acte qui «menace la sécurité nationale» ou «le bien-être économique du Royaume-Uni d’une manière pertinente pour les intérêts de la sécurité nationale» et qui «est ou peut être effectué… dans l’intérêt d’un État autre que le Royaume-Uni».
La loi stipule qu’il est «sans importance», premièrement, «qu’une personne soit consciente» qu’elle est engagée dans une «activité hostile» et, deuxièmement, que l’État «dans l’intérêt duquel un acte hostile est exécuté» soit d’une manière ou d’une autre «conscient de l’exécution de l’acte».
L’avis de détention de Klarenberg explique en outre: «Vous ne faites pas l’objet d’une enquête criminelle et n’êtes pas arrêté parce que vous êtes soupçonné d’avoir commis une infraction. Pour cette raison, vous ne recevez pas d’avertissement et vous n’avez pas le droit de garder le silence».
On l’a informé qu’il devait «répondre aux questions», «donner au bureau de contrôle toute information en votre possession demandée par l’agent» (y compris «les codes PIN et les codes d’accès») et «coopérer à toute fouille de votre personne ou de vos biens», sous peine d’être arrêté et poursuivi en justice pour refus d’obtempérer. La peine maximale est de 51 semaines d’emprisonnement ou d’une amende de 2.500 livres sterling.
La loi crée un contexte où les droits démocratiques n’existent pas juridiquement dans lequel une personne est sous la menace d’une arrestation mais sans la protection fondamentale du droit de garder le silence. Même le droit à une consultation juridique avant l’interrogatoire peut être refusé si «l’agent responsable de l’interrogatoire estime raisonnablement que le report de l’interrogatoire jusqu’à ce moment-là serait susceptible de nuire aux informations importantes à obtenir».
Cette loi n’est qu’un prétexte à l’intimidation politique et à la surveillance digne de la Gestapo, et c’est exactement de cette manière qu’elle a été utilisée.
L’article de Klarenberg sur l’attaque du pont de Kertch explique: «Presque exactement au moment où Londres aurait saboté les pourparlers de paix entre Kiev et Moscou en avril de cette année, des agents du renseignement militaire britannique élaboraient des plans pour détruire un grand pont russe traversé par des milliers de civils chaque jour». L’État traite Klarenberg comme un agent russe, tentant de l’intimider et de le faire taire pour qu’il ne dénonce pas de manière aussi compromettante l’impérialisme britannique.
The Grayzone rapporte que pendant sa détention, Klarenberg s’est vu poser une «série de questions infondées liées à la Russie»: The Grayzone a-t-il un accord quelconque avec le Bureau fédéral de sécurité russe (FSB) pour publier des documents piratés? Klarenberg a-t-il été sciemment en contact avec des agents du FSB? Est-il en contact avec du personnel actuel ou ancien des médias d’État russes? Qui est propriétaire de Grayzone et est-il financé par la Russie?
La police a également demandé combien il était payé par The Grayzone et sur quel compte bancaire, qui était le propriétaire du site et quels étaient ses contacts avec le rédacteur en chef Max Blumenthal.
Le fait que la détention de Klarenberg visait à contrôler les opinions politiques est apparu clairement dans les questions suivantes, toujours rapportées par The Grayzone: «Était-il impliqué dans des causes militantes à Belgrade? Que pensait-il du gouvernement russe? Avait-il une opinion sur l’arrestation par la Russie d’Evan Gerskovich du Wall Street Journal? Que pensait-il de Rishi Sunak? Un policier ne cessait de se plaindre de l’“inutilité” de Keir Starmer, amenant Klarenberg à se demander si ces commentaires n’étaient pas une manœuvre destinée à le faire parler».
Après sa libération, la tablette et les deux cartes SD de Klarenberg ont été retenues pendant une semaine. L’une des cartes reste entre les mains de la police au motif qu’elle pourrait être «utile à la procédure pénale».
C’est la deuxième fois en moins de deux mois que la police britannique utilise la législation antiterroriste pour intimider l’opposition politique. En avril dernier, la police a arrêté l’éditeur français, Ernest Moret, à la gare de Saint Pancras alors qu’il se rendait à la Foire du livre de Londres, et l’a interrogé en raison de sa participation à des manifestations contre le gouvernement Macron – dans ce cas, en vertu de l’annexe 7 de la loi sur le terrorisme de 2000.
Le précédent de la détention arbitraire de journalistes et d’éditeurs par la Grande-Bretagne a été établi par la saisie et l’emprisonnement du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, à la demande des États-Unis qui exigent son extradition en vertu de la loi sur l’espionnage. Le journalisme qui met à mal les mensonges utilisés pour justifier l’agression militaire impérialiste et les violations des droits de l’homme est criminalisé. Assange est toujours incarcéré dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, sa vie menacée, pour avoir fait état de fuites de secrets d’État américain. Aujourd’hui, Klarenberg est harcelé par la police britannique pour avoir fait de même avec des secrets britanniques.
Des sanctions encore plus sévères sont en préparation et ces mesures d’État policier sont justifiées en qualifiant les opposants politiques et les journalistes d’investigation sérieux d’agents de puissances étrangères.
Le projet de loi britannique sur la sécurité nationale, au stade final avant de devenir loi, prévoit une peine d’emprisonnement à perpétuité pour toute personne qui «obtient, copie, enregistre ou conserve des informations protégées, ou divulgue ou donne accès à des informations protégées» jugées «préjudiciables à la sécurité ou aux intérêts du Royaume-Uni», à condition, énoncée dans les notes explicatives, «que la personne soit consciente que sa conduite profitera» à toute «puissance étrangère».
Une peine de quatorze ans peut être prononcée à l’encontre de toute personne qui «s’engage dans une conduite» dont elle «devrait raisonnablement savoir» qu’elle est «susceptible d’aider matériellement un service de renseignement étranger».
Assange a été spécifiquement cité et dénoncé par les députés travaillistes et conservateurs lors de l’adoption du projet de loi par le Parlement.
Le soutien bipartisan à la répression des activités antiguerre s’étend aux médias bourgeois, qui reproduisent fidèlement le récit de l’OTAN et sont agressivement hostiles au journalisme véritablement indépendant. Au moment de la publication de cet article en anglais, aucun grand site d’information n’avait rapporté la détention de Klarenberg.
En fait, c’est la presse grand public qui a créé les conditions permettant de calomnier des journalistes d’opposition, le Guardian ayant dépeint Assange comme un laquais de la Russie dans des articles qui ont depuis été totalement démentis.
La loi sur l’espionnage de 1917, utilisée pour poursuivre Assange aux États-Unis, a été promulguée pour réprimer l’opposition à la Première Guerre mondiale, en particulier l’activité des socialistes qui donnaient une expression politique au mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière internationale qui menaçait de renverser les fauteurs de guerre capitalistes du pouvoir. Alors que le monde se dirige vers une troisième guerre mondiale, les mêmes craintes de la classe dirigeante motivent le recours à la législation sur la «sécurité nationale» et la «lutte contre le terrorisme» qui est déployée contre les opposants politiques.
Un mouvement de la classe ouvrière contre la guerre OTAN-Russie doit affronter et démolir la batterie de lois antidémocratiques mises en place par les États capitalistes. Le WSWS appelle les travailleurs et la jeunesse au niveau international à exiger l’abandon immédiat de l’enquête truquée contre Klarenberg. Le WSWS appelle aussi la liberté pour Julian Assange, dans le cadre de la lutte pour la construction d’un mouvement antiguerre socialiste de masse.
(Article paru en anglais le 1er juin 2023)